Funérailles (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 113-115).


FUNÉRAILLES


Vingt ouvriers

Invisibles, là-haut, parmi les madriers,
À coups de reins, à coups de pieds,

Sonnent et sonnent.


Et sur les toits serrés en tas

Tombent, bondissent et ricochent
Les glas,
Et par les trous des abat-sons
S’éparpillent les sons
Et se vident les poches

Formidables des cloches.


Et passe,
Par la grand’place,
L’enterrement,

Et les chevaux du corbillard s’effarent
Aux chocs brutaux de la fanfare

Qui bat le deuil terriblement.


Et les commères se chamaillent,

Là-bas sous un auvent de bois
Et recomptent sur leurs vieux doigts
Ce qu’ont coulé ces funérailles.
Et les enfants, au sortir de l’école,
Rompent soudain leurs jeux
Et regardent de tous leurs yeux,
La bouche ouverte, et sans parole ;
Et les lourds camions aux carrefours s’arrêtent,
Et ceux du tir à l’arbalète
Sont accourus du fond de leur enclos,
Et par décence ou par scrupule,
Ils dissimulent
Leur pipe ardente et allumée,
Dont on voit la douce fumée

Monter derrière leur dos.


Et le funèbre et compact défilé

Longe à présent le quai de la Ferblanterie,
Avec ses bedeaux gras et ses prêtres râblés,

Et le mouvant amas des confréries.
Et l’on dirait vraiment qu’ils transportent

Toute une montagne de deuil,
Quand passe, au long des portes,

Le mort tassé dans son cercueil.