Éditions Prima (Collection gauloise ; no 76p. 33-38).

viii

Complications


Que l’amour ressemble à un feu d’artifice, c’est-à-dire s’éteigne presque aussi vite qu’il s’allume, les savants et les profanes sont d’accord pour le reconnaître. Je n’ai

— Cochons ! (page 43.)
pas assez le souci de mentir pour vouloir donner aux amours de mes héros une durée anormale et attentatoire aux usages. Force m’est donc, pour respecter la vérité, d’avouer que bientôt dans la cave amoureuse régna ce qu’on pourrait nommer un temps calme et mou.

Pygette et la duchesse devenues une paire d’amies, conversaient avec douceur et simplicité, oubliant les rigidités du protocole et les dignités héraldiques. Un charme démocratisant se dégageait de leur entretien.

Cependant, Baptiste, redevenu le domestique fidèle et dévoué, debout et au port d’arme dans l’obscurité, attendait des ordres.

— Baptiste, dit enfin la duchesse, vous pouvez remonter prendre votre service. Si quelque événement me réclame ou m’importe, vous savez où je suis et descendrez sous un prétexte quelconque m’avertir. Allez.

Baptiste s’inclina dans la nuit :

— Bien, Madame la duchesse.

Puis il s’en alla.

— Ma petite ! dit alors la noble dame à Pygette, je me sens une véritable affection pour toi. Que puis-je faire qui te soit agréable ?

Pygette, un peu émue, murmura :

— Madame, j’ai peut-être des habitudes un peu trop libres pour entrer à votre service.

La duchesse se mit à rire.

— De fait, tu as des façons libres, ma petite, mais louables aussi, du moins je les tiens pour telles.

— Dans une cave, osa dire Pygette. Mais dans votre demeure et aux yeux de monsieur le duc, votre époux, ce serait sans doute désastreux.

— J’en ai peur, chuchota avec regret la grande dame.

Un silence régna.

— Mais tu ne m’as pas encore dit ce que tu faisais dans cette cave lorsque, trouvant la clef sur la serrure, tu as décidé d’entrer ici ?

Pygette, inquiète et hésitante répondit :

— Heu… Je passais dans la cour lorsque j’ai entendu des menaces et j’ai cru qu’elles s’adressaient à moi. Je me suis sauvée ici.

— Qui menaçait ?

— Le concierge.

— Mais d’où descendais-tu ?

— De chez un Anglais qui…

À ce moment on vit une frêle lueur passer à travers la porte à claires-voies, puis une voix sonore retentit dans l’allée menant à la cave où les deux femmes se mirent à trembler.

— Qu’est-ce ? dit la duchesse en tremblant.

Et sa terreur crût en reconnaissant la voix.

— Mon mari, je suis perdue.

Pygette eut dans le cœur un accès de dévouement.

— Non, Madame, couchez-vous sous ce lit et je vais recevoir votre digne époux.

— Tu es un ange, murmura la noble personne.

Et Mme de Saint-Bofighne se glissa dans la caisse qui portait le matelas témoin de ses amours adultères.

À ce moment juste, la porte s’ouvrit et un flot de lumière emplit la cave. Dehors une voix sonnait :

— Holà, toi, le sommelier, tu parais bien fainéant, aujourd’hui. Viens ici et éclaire ce réduit. Je veux y faire placer des casiers nouveaux pour mes vins.

— Monsieur, dit dans l’allée une voix tremblante, je vous prie de m’excuser si je place la lampe ici et si je monte une minute, mais…

— Qu’as-tu, maudit rossard ?

— La colique, monsieur le duc.

Le duc se mit à rire grassement.

— Fous le camp, je verrai moi-même.

Pygette comprit que toute la valetaille savait les amours de la duchesse, y participait peut-être et ne voulait à aucun prix être témoin d’une découverte qui tournerait certainement mal. À la voix il était facile de penser que le duc de Bofighne fut irritable et brutal.

Le valet s’éloigna en hâte. Alors, prenant la lampe le duc la leva haut pour entrer.

Son premier coup d’œil ne fut pas pour le lit dissimulé derrière les gros tas de charbon et sur lequel Pygette, le cœur battant, enroulée dans son kimono, attendait sans savoir comment les choses allaient tourner. Sous elle elle entendait la respiration oppressée de Mme de Bofighne et songeait aux malheurs possibles.

— Tout ce charbon, il faudra le repousser dans le fond. On n’aurait sans cela pas de place.

Il tâta avec une canne.

Est-ce assez encombré, cette cave.

Et il fit deux pas entre les noires collines charbonneuses, se rapprochant ainsi du lit à le toucher.

Alors, comprenant que la minute tragique était venue, Pygette, d’un coup, s’allongea, jambes décloses en ouvrant le kimono qui la couvrait. Elle s’offrit ainsi sous la lumière qui la mettaient valeur, mais sans un mot, et grelottante d’émotion, d’attente et d’inquiétude,

Le duc fut figé net.

Il promena ses regards sur cette chair apparue comme par miracle et dit à voix basse :

— Ah ! ça ! Je rêve ?

Il regarda mieux. C’était bien une femme, et qui mieux est une femme nue qui devant lui venait comme de naître subitement.

— Qu’est-ce que ça signife, reprit-il, presque aussi interloqué que la victime étendue et provocante qui le guettait de ses yeux à demi-fermés.

Dans sa main la lampe oscillait tandis que le désir s’infiltrait dans sa chair à mesure que la contemplation de ce beau corps en précisait les valeurs érotiques.

Il voulut réagir :

— C’est une hallucination !

Et, étendant un doigt en avant il toucha Pygette.

Elle eut un long frisson parfaitement simulé, montra des yeux démesurés et chuchota :

— Non, ce n’est pas un songe.

Puis elle ouvrit les bras comme pour une étreinte.

Le sang du duc lui sauta au visage. Il avait été élevé au Collège Stanislas, où on lui avait appris la peur des embûches du diable qui, chacun le sait, se déguise parfois en jolie femme pour acheter les âmes et les mener en enfer. Il fit donc au préalable avant de s’abandonner à son instinct, un signe rituel de protection. Comme l’image féminine ne disparaissait pas, assuré qu’elle ne fût point satanique, il laissa tomber la lampe et s’élança.

Le temps de dire ouf et le dévouement de Pygette à la duchesse atteignit son plus haut point. Car le duc n’avait rien de l’amoureux tendre et attentif à la joie de sa partenaire. Il y allait comme une brute épaisse. Ça n’était d’ailleurs pas tant divertissant pour sa partenaire. Sous le lit sautant et sonnant, l’infortunée épouse vérifiait en tremblant que les époux trouvent souvent pour des fraudes en ménage un élan et une vigueur qui leur manque vis-à-vis de la passion légitime. Les réflexions philosophiques que cela pouvait amener à la conscience de la pauvre dame n’en semblaient d’ailleurs pas très limpides, car la crainte les obscurcissait.

Cependant, Pygette, irritée d’être prise comme par un reître entrant dans une ville conquise, protesta :

— Dites, monsieur, vous êtes bien gentil, mais soyez un peu plus calme.

Le duc de Bofighne répondit :

Es-tu une incarnation du diable ?

Car ses craintes lui revenaient une fois l’apaisement venu.

— Oui ! dit-elle par malice.

Il murmura accablé :

— Alors, je suis damné.

Et se jetant à genoux, il réclama son âme au Malin.