Éditions Prima (Collection gauloise ; no 76p. 28-32).

vii

Surprises


Pygette, les narines battantes et attentives, cherchant en vain à percer le secret de l’obscurité qui l’entoure étend les mains à droite et à gauche pour savoir ce qui se passe autour d’elle.

Soudain il lui semble entendre un froissement de vêtement à ses côtés, puis une main tâtonnante la saisit par les hanches. Elle étouffe un cri de terreur, mais cette main est vite suivie d’une autre qui monte vers les seins. Comme ces mains sont expertes… On dirait que de leur vie elles n’ont fait d’autre besogne que de chercher dans l’obscurité d’une cave un corps féminin invisible…

Pygette, ahurie, et incapable de se défendre, voit, si j’ose dire, que le propriétaire de ces mains tâtonneuses est un homme d’une habileté émerveillante. Elle obéit à un appel si merveilleux qu’il en est impératif et décisif. Dévêtue de son kimono, et sans que son adversaire semble en éprouver aucun étonnement, sans qu’il fasse un geste de plus, elle est prise, enlevée, basculée avec délicatesse et placée sur un lit, un vrai lit souple et parfumé qui la reçoit comme un amant. La voilà étendue sur des draps odorants. Nue, elle cherche… oh, si peu… à se défendre contre une attaque qui se précise et va droit au but. Défense enfantine et qui ne fait que la surexciter comme elle éréthise l’autre. En tout cas, avec une précision de bon aloi et un allant de grand capitaine, il… réduit la combativité de Pygette, la transforme et l’utilise, et la douce enfant qui s’attendait peu à ce combat se sent défaite, possédée, envahie, prise comme jadis la Bastille et si bien abandonnée aux caprices de son vainqueur qu’elle en pousse un grand soupir de volupté.

C’est en vain que son défaillant cerveau voudrait trouver à cette miraculeuse série d’événements une explication plausible et reposante, qui laisse l’esprit en paix comme l’amour acquis dans cette cave va apaiser en elle toutes les fièvres, celle de l’épouvante et celle du désir. Elle ne peut rien comprendre à ce qui lui est arrivé. Et celui qui la prend, la triture et la fait tourner comme un toton autour du centre vivant de son corps ne dit pas un mot, pas une parole pour éclaircir le mystère…

Que lui arrive-t-il donc. Serait-elle morte et déjà verrait-elle la nuit de l’au-delà lui révéler ses arcanes ?… En tout cas si elle est en enfer, c’est très supportable…

Et elle pousse un doux gémissement pâmé.

Mais à peine la joie s’est-elle éveillée en son âme qu’une nouvelle emprise la majore et l’exalte comme un de ces contreforts montagneux d’où l’on voit des pics, inconnus auparavant, barrer et surélever l’horizon. C’est son adversaire qui recommence. Il a un nerf et une agressivité magnifiques et il s’en sert avec maîtrise.

Son silence semble même maintenant un charme de plus. Pygette peut songer qu’elle est accoutumée à l’étrange aventure ou que c’est une bête absurde et monstrueuse qui en ce moment la réjouit. Quelle aggravation de lubricité une idée semblable lui apporte. Ou bien est-ce un démon, un être velu et maléfique sorti de l’abîme, ou encore un fils de roi, un gorille, voire un succube comme on prétend qu’il en existe… ?

Et excitée par ces délirantes imaginations, Pygette s’abandonne avec une violence carnassière et lascive à laquelle répond l’autre que rien ne surprend…

Quelques minutes encore de plaisir et puis c’est la relâche qui se produit sur tous les théâtres du monde lorsque le succès d’une pièce est épuisé.

Lasse et sentant flotter en elle une sorte de chaleur tropicale qui lui brûle les lombes et mille organes subtils, Pygette reste étendue sur le dos. Une voix vient à ses oreilles, respectueuse et prudente :

— Ai-je été digne de vos désirs, Madame ?

Ahurie, Pygette regarde en vain à son côté cet ombre humaine qui s’y trouve et que rien ne trahit sinon des mains moites et un poitrail velu. Elle étend les bras et les ramène vite contre elle car, par hasard, elle s’est heurtée à l’individu, qui vient de la dominer et de la satisfaire.

Mon Dieu que la vie est compliquée…

Mais soudain un nouvel événement se produit !

Dans l’ombre impénétrable qui l’entoure. Pygette perçoit un bruit de clef ouvrant une porte. Elle entend refermer ensuite, puis un pas fin s’approche d’elle et…

Un corps de femme s’est jeté sur le sien, le tâte, vérifie puis s’éloigne.

Alors à deux pas une petite lampe électrique à main jette sa lueur ronde et montre la scène à Pygette éberluée.

Elle est sur un vrai lit tendu de noir qui se trouve entre deux tas géants de charbon.

À son côté un homme glabre, presque totalement dévêtu, porte encore le gilet à raies de la valetaille. C’est celui qui vient de la réjouir avec maîtrise et enthousiasme.

Et à deux pas, tenant la lampe, une grande femme vêtue d’un peignoir sous lequel elle est nue regarde et commence à grogner.

— Baptiste, c’est comme cela que vous m’attendez.

— Madame, j’ai cru…

— Taisez-vous ! Sur le lit que j’ai fait édifier pour nos amours, vous vous abandonnez aux servantes…

— Madame, j’ai cru que c’était vous.

La grande femme, tenant toujours sa lampe, ricane sinistrement :

— Moi, est-ce que je ressemble à cette bonniche…

Ici Pygette commence de se fâcher :

— Dites donc, vous, prenez garde à vos paroles.

Mais la survenante ricane :

— Quoi, des menaces. Ma fille, je vais te faire fouetter et mettre à la porte d’ici le cul nu. Tu ne sais pas que je suis la duchesse de Saint-Bofighne et que ton amant est mon valet de chambre.

— Madame, pleurniche le beau larbin, je vous attendais et on est entré exactement comme vous faites, alors j’ai cru à votre venue et je me suis appliqué… Oh, je vous prie de croire que j’en ai donné à cette drôlesse, une ration de duchesse…

— Drôlesse, proteste Pygette, mais vous êtes tous plus insolents les uns que les autres, toi, le vide-bidets et vous la rombière qui couche avec son valet…

— Prenez garde à vos paroles dit la duchesse.

— Ah ! se débonde la douce enfant, vous me faites cagner avec vos boniments à la noix pour une aventure aussi simple. Je me promenais dans la cave. J’ai trouvé une clef sur la porte de ce coin, j’ai ouvert. Un type que voilà m’a prise pour une autre et m’a fait… des amitiés, qu’est-ce qu’il y a d’épatant là-dedans ? J’ai pris votre part, Madame, mais c’est sans le vouloir. Et puis, il en reste encore. Depuis qu’on s’engueule, les forces lui sont revenues au lascar. Envoyez-vous ça.

La duchesse s’esclaffe.

— Vous prenez les choses en riant. C’est bien.

— Dame, il n’y a là qu’un quiproquo. On va arranger les choses.

— Mais que faisiez-vous à vous promener dans cette cave. Comme boulevard ce n’est pourtant pas très plaisant.

— Je vous conterai ça. Vous êtes venue chercher quelque chose que sans le vouloir j’avais pris. Tenez on va vous le rendre. Il y a place pour tout le monde…

Et Pygette tout à fait à l’aise, ajoute :

— Toi, le larbin, mets-en comme il faut. Je vais vous aider tous les deux…

La lampe s’éteint. On entend rire doucement la duchesse, puis le silence revient. Bientôt quelques soupirs tintent.

La duchesse dit :

— Comment te nommes-tu, ma petite ?

— Pygette, madame.

— Oh…