Éditions Prima (Collection gauloise ; no 76p. 38-43).

ix

Retour au grand jour


Pygette découvrit le mot de la situation. S’étant revêtue une fois de plus du pauvre kimono qu’il lui fallait depuis la fuite de chez Syphone, perpétuellement remettre et ôter, elle dit d’une voix blanche et douce comme une inspiration intime :

— Allez vous confesser, monsieur !

Le duc se releva d’un trait. C’était l’idée libératrice. Sans dire un mot, il se précipita pour sortir, fit un plongeon au milieu du charbon, culbuta en grognant, se releva, prit une planche pour la porte et croyant sortir se fit choir un madrier sur les pieds.

Tout cela le temps de dire non. Enfin il découvrit l’huis, sortit comme une flèche et se rua en courant vers un confessionnal.

On l’entendit un instant courir dans l’allée, puis gravir les escaliers quatre à quatre… C’était fini pour lui.

La duchesse sortit de sa cachette et alluma sa petite lampe à main.

— Ma petite, tu viens de nous sauver la vie à toutes deux.

— Oui, certes, dit Pygette, car s’il avait continué comme il commençait j’étais bientôt morte. Quel gaillard !…

— Et dire que je ne l’ai jamais vu comme cela, murmura la duchesse.

— Si on se sauvait, continua Pygette pratique. Il va revenir peut-être pour faire exorciser son caveau.

— Tu as raison. Il faut vite monter et Baptiste va venir en hâte démolir ce lit familial. Il emportera le matelas et les draps. Lorsque mon mari voudra trouver des traces de ce qui lui est arrivé, tout sera évanoui.

Pygette éclata de rire.

— C’est rigolard.

Et toutes deux se sauvèrent à leur tour.

Dans l’escalier, notre aimable héroïne disait à la grande dame avec un respect aggravé par la venue du jour :

— Je monte chez vous.

— Mais oui, mais oui, suis-moi !

Bientôt elles furent dans un appartement somptueux. Baptiste rencontré s’inclina jusqu’à terre sans aucune des familiarités qu’on eût attendu d’un homme aussi… intime.

— Baptiste, dit sèchement Mme de Bofighne, descendez à la cave très vite et montez tout ce qui s’y trouve. Vous laisserez la caisse mais la dresserez debout de façon à ce qu’elle ne semble plus ce qu’elle est.

— Bien, Madame la duchesse, dit le valet qui se précipita.

— Faites vite et venez m’avertir sitôt que tout sera accompli.

Le laquais était déjà disparu.

Un quart d’heure plus tard, Pygette se trouvait nantie d’une robe qui la vêtait, ma foi, fort bien et d’un exquis chapeau. Elle pouvait affronter la rue et se rendre chez elle…

Mais à la pensée revenue de son appartement du boulevard des Filles-du-Calvaire, la douce enfant sentit un grand frisson lui parcourir les vertèbres. Certes elle venait d’oublier dans une série d’aventures absorbantes le côté désespéré de sa situation. Les malheurs immédiats priment ceux qui ne sont qu’imminents. Mais maintenant l’angoisse lui revenait d’être poursuivie par la police pour un crime dont elle se savait mille fois plus innocente que les innocents les plus innocents ne peuvent l’être. Elle voyait toutes ces brigades d’agents chargés de l’arrêter qui sillonnaient Paris avec son signalement dans leurs poches. Quelle horreur et comment y échapper ? Ah ! si elle avait pu rester chez la duchesse.

Mais que pourrait-elle y faire ?

Elle dit :

— Ne pourriez-vous pas me garder, madame ?

Mme de Bofighne se mit à rire :

— Pourquoi n’as-tu pas voulu me dire la raison de tes aventures. Je veux les connaître.

— Oui ! dit Pygette, mais à quel titre me garderez-vous ?

— Comme seconde femme de chambre.

— Non ! dit la jeune femme, je suis trop indépendante pour servir. Et puis je ne sais pas. Je suis une petite grue qui n’a trouvé que ce métier pour satisfaire son goût de s’appartenir.

— Tu as trouvé un drôle de moyen, rétorqua la duchesse, pour t’appartenir tu te résigne à être à tout le monde.

— Mais madame, dit humblement quoique énergiquement Pygette, je n’appartiens à personne. Je me loue à l’heure ou à la nuit, quand je veux, avec qui je veux et pour accomplir les actes qui me conviennent et pas d’autres. Je suis une femme libre.

La duchesse écoutait ces réflexions philosophiques.

— Alors, que veux-tu être ici ?

— Une parente pauvre.

— Mais sais-tu, petite, que pour être parente de la duchesse de Bofighne, il faudrait que tu fusses au moins comtesse. C’est impossible.

Vexée, Pygette répondit :

— Dans la cave tout à l’heure, il n’y avait ni duchesse ni comtesse.

À ce moment on toqua à la porte.



— Monsieur le Ministre, je voudrais vous demander autre chose… (page 47.)

— Entrez ! dit majestueusement la maîtresse de maison.

Un valet montra sa tête chafouine.

— Monsieur de Coucouline demande si Madame la duchesse est disposée à l’accompagner au Ministère.

La noble dame se prit la tête à pleines mains.

— Encore une complication nouvelle. Tiens, petite, si tu veux être pour ce matin une cousine éloignée et misérable, sans éducation mais gracieuse, voilà l’affaire. Mon parent, le baron de Coucouline, veut aller au Ministère de l’Instruction Publique demander les palmes. Je devais l’accompagner parce que nous connaissons le ministre. Tu iras avec lui.

— Ça va ! dit Pygette devinant là quelques aventures amusantes, et qui, à force d’en vivre finissait par s’y accoutumer.

Dix minutes après, dans un taxi, Pygette assise près d’un gentilhomme provincial, riait de toutes ses dents aux compliments ampoulés que lui faisait le personnage.

On avait dit au taxi de se rendre rue de Bellechasse, mais arrivés là, les deux occupants du taxi se trouvaient occupés à tout autre chose que de préparer la supplique de M. de Coucouline et on pria le chauffeur d’aller faire un tour au Bois.

Le baron avait commencé par caresser les genoux de la parente si aimable et bonne enfant de la duchesse de Bofighne. Des genoux, il était doucement monté aux seins. Des seins il était revenu aux genoux.

Une fois en contact avec la chair, au-dessus des bas, M. de Coucouline ne quitta plus ce secteur. Il l’investit par la droite et par la gauche où les rondeurs naturelles de Pygette permettaient du service en campagne et des randonnées d’envergure, Puis son siège rétrécit ses vues. Il croyait en effet avoir raison de la place par la poterne selon lui moins fortifiée que le reste de la place, sans doute par ce que le général en chef avait cru qu’un petit bois touffu serait une assez forte défense naturelle,

Pygette n’était pas accoutumée à des investissements aussi lents et prudents. Elle y prenait goût et trouvait d’instinct les parades qui retardent l’assaut sans le compromettre. C’est ainsi qu’elle donna à son conquérant licence de tenter une feinte par le pont-levis. Ce n’était qu’une façon élégante de retarder le sac destiné à suivre la prise de la ville, mais la jeune femme y trouva quelque douceur et faillit même se rendre alors.

Enfin une convention tacite ayant décidé que la poterne seule comptait pour la reddition, il fut un moment où le gros s’élança par la brèche, au préalable agrandie et mise en état. Ce fut la fin. La place avec tous ses bastions, ses tours et son donjon furent au vainqueur le temps de tourner la main. Il s’en empara sans y mettre au surplus la brutalité des soldatesques ivres.

Le taxi se trouvait alors au Bois. Comme il venait de s’arrêter, le chauffeur n’ayant pas d’ordres, un agent voyant les rideaux baissés et soupçonnant l’immoralité, ouvrit brutalement la portière.

Il s’écria aussitôt :

— Cochons !