France, Algérie et colonies/France/04

LIbrairie Hachette et Cie (p. 387-398).


CHAPITRE IV

CLIMATS : VENTS. PLUIE


1o Pourquoi la France a plusieurs climats. — Nous attachons presque invinciblement l’idée de froid au mot Nord, l’idée de chaleur au mot Sud. Et cependant l’homme de Dieppe ou de Dunkerque peut grelotter à Saint-Flour ou à Montlouis-des-Pyrénées ; l’homme de Brest gèle en hiver à Limoges, et les Alsaciens-Lorrains établis à Terni, dans la province d’Oran, en pleine Afrique, et tout près du Sahara, ont pu s’y plaindre de la rudesse de décembre. Le climat ne dépend pas seulement des latitudes ; la hauteur au-dessus des mers est plus puissante que le voisinage ou l’éloignement de l’Équateur, lieu des rayons verticaux du soleil. La nature du sol et du sous-sol, la prédominance de tel ou tel vent ; la présence de l’Océan ou des grands lacs, des marais, des rivières ; le passage de tel courant froid ou de tel courant chaud de la mer ou des cieux ; la proximité des déserts, qu’ils soient chauds ou froids ; l’absence, la modération, l’excès des pluies, leur distribution suivant les saisons ; le luxe, l’indigence ou l’absence des forêts, tout ce qui est la terre, la mer ou l’air, change et brouille infiniment les climats.

Les pays de grandes plaines, fouettés par les mêmes vents de chaleur ou de froidure ont un climat uniforme sur de larges espaces, de l’est à l’ouest, et même du nord au sud ; il faut cent, deux cents lieues vers le midi pour donner un peu plus de tiédeur aux cités sibériennes ou russes. Sol plat, ciel uniforme, peuple homoglotte, ces trois choses vont ensemble : la toute petite Grèce, terre raboteuse, avait plus de climats, d’États, de dialectes que l’immense et plane Russie.

Autres sont les pays de plastique puissante ; leurs montagnes rompent, arrêtent, font tourner, les vents, et à leur pied se créent des climats provinciaux, et sur leurs flancs, suivant l’altitude, une infinité de climats locaux.

La France est l’une de ces contrées. Elle a quatre mers, des plateaux, des sierras, des glaciers à sa frontière, des monts moyens et de hautes collines à l’intérieur : telle de ses cités craint la marée haute ; une de ses villes, Briançon, est à 1 321 mètres d’altitude ; un de ses bourgs, Montlouis-des-Pyrénées, à 1 513 ; un de ses villages à plus de 2 000 ; et son Mont-Blanc s’élance à 4 810 mètres. Tel de ses cantons n’a pas d’arbres, il grelotte au vent où brûle au soleil ; dans tel autre, des bois tempèrent la chaleur, brisent les vents, conservent les sources. Certaines contrées doivent le nom de Terres froides à leur sol argileux qui retient les eaux et les rassemble en étangs : ce sont des pays de prairies. D’autres s’appellent Terres chaudes, à cause de leur calcaire ou de leur craie : ce sont des pays de vignobles. Telle plaine est d’argile, telle autre de cailloux, telle autre d’humus ; telle vallée est à fond de sable, et ni l’argile, ni le sable, ni les cailloux, ni l’humus ne reçoivent, ne rayonnent et ne gardent également la chaleur. Dans tel ou tel lieu le vent souffle surtout de la mer, il apporte la brumosité, la pluie, la douceur, l’égalité de climat ; dans tel autre, il souffle surtout du continent ou de la montagne, et il amène le froid, la dureté, la sécheresse de l’air. Tout cela détermine une infinité de climats, que cependant on peut réduire à sept.

Il ne faut donc pas s’imaginer qu’en allant droit devant soi, vers le sud, de Dunkerque à Montlouis, de Cambrai à Béziers, de Givet aux Saintes-Maries, on verra le Nord faire insensiblement place au Midi.

Loin de là ! L’homme de Dunkerque ou de Cambrai trouvera le Nord juste au moment où, venant de passer la Loire, il se croira tout près d’entrer dans les pays du soleil torride ; car il lui faudra monter sur ce Massif Central, qui porte de durs hivers au seuil même du brillant Midi. Et l’homme de Givet, quand il descend le Rhône vers Montélimar, passe brusquement du septentrion au méridion, et presque d’Europe en Afrique ; en quelques lieues il change de climat plus qu’il ne l’avait fait en plusieurs centaines de kilomètres.

Dans l’autre sens, de l’ouest à l’est, de Brest à Épinal, de la Rochelle à Chamonix, de Bayonne à Menton, l’on ne reste point sous le même climat en suivant le même degré de latitude, car de l’occident à l’orient les climats français empirent : plus loin de l’Océan et hors de l’influence des tièdes vents du sud-ouest, ils sont plus froids dans la moyenne de l’année, beaucoup moins doux en hiver et plus chauds en été.

2o Les sept climats français. — Quatre des sept climats français, régentés par le vent des mers, sont des climats maritimes, et par cela même tempérés, avec moins d’écart que les climats continentaux entre la chaleur et le froid des heures successives, du jour et de la nuit, de l’été et de l’hiver. Les climats continentaux, que n’amollit pas l’humidité marine, sont plus variables, plus brusques, plus secs, plus sensibles au rayonnement nocturne, plus esclaves du pouvoir glaçant de l’altitude ; et, en somme, plus froids dans la moyenne de l’année, quoique plus chauds à certaines heures et dans certaines saisons.

Le climat vosgien est le plus semblable des sept à celui qui domine en Europe sur les plus vastes étendues.

Ce climat, qu’on pourrait aussi bien nommer climat austrasien, est essentiellement continental, et dépend surtout des vents de l’est et du nord-est, venus de la Russie, de la Sibérie même, par les plaines de l’Allemagne septentrionale. Épinal, Nancy, Mézières, Rocroi lui obéissent, villes où l’hiver amène ce qu’on est convenu d’appeler les « beaux froids », des jours de soleil sur la candeur vierge des neiges. La glace, les flocons tombant d’un ciel blafard, les rayons éclatants qui égaient la neige et ne la fondent pas, la pluie qui la troue, qui la déchire et qui l’emporte, elle si blanche, en noirâtres ruisseaux ; de nouveaux flocons, de nouvelles glaces, un nouveau givre, de nouvelles pluies, gel et dégel, ainsi se passe l’hiver. Au printemps c’est une transformation magique ; quinze jours après les dernières fanges du dernier dégel, la nature a repris toute sa fécondité, les arbres ont leurs fleurs et les champs leurs promesses. Sous ce climat l’on a des étés superbes, des automnes fort beaux. La moyenne de Paris étant de 10°,6, celle d’Épinal, ville plus méridionale, mais aussi beaucoup plus élevée que Lutèce, est de 9°,6 seulement ; on y a vu des froids de 25 à 26 degrés au-dessous de la glace fondante, et des chaleurs de 36 à 37 au-dessus ; il y a 86 jours de gelée par an. La moyenne de Nancy est de 9°,5, avec 2° pour moyenne de l’hiver et 19°,9 pour moyenne de l’été ; il y a 68 jours de gelée et 150 jours de pluies, surtout de pluies d’été, donnant environ 800 millimètres par an.


Le climat parisien se nomme ainsi de la plus grande ville qu’il baigne : on l’appelle aussi climat séquanien, de ce qu’il domine dans le bassin de la Seine (en latin Sequana) ; ou climat neustrien, par opposition à l’austrasien. C’est un climat tout maritime. Il règne du cap de la Hague à la Belgique, sur les bassins de la Seine, de la Somme, de l’Escaut, des petits fleuves côtiers normands, picards, artésiens et flamands. Les vents de la Manche, mer septentrionale et pourtant chaude, lui donnent un climat fort tempéré pour ses latitudes. Paris, on le sait, n’est point froid. On y coule des hivers presque sans neiges, presque sans glaces ; novembre, décembre, janvier, février, les sombres mois qui font le tiers de son année, lui dispensent parfois des heures tièdes, qui seraient printanières s’il ne leur manquait la clarté du ciel et les baumes du renouveau. Or, le Paris des Français est au nord du Paris des Canadiens, Québec, où la moyenne de l’année est de 4 degrés seulement, celle de l’hiver étant de −12°, avec des jours et des nuits qui font geler le mercure,

L’hiver de Paris, fait de journées de pluie et de brume et de vent plus que de journées de gel, a 3°,3 pour température moyenne ; le printemps, qui abuse aussi de la pluie et des nues, donne 10°,3 ; l’été, brillant, orageux, torride, 18°,1 ; l’automne, qui est fort beau, 11°,2 ; l’année entière 10°,6 ou 10°,7. On y a ressenti des froids de 23 à 24 degrés au-dessous de zéro en 1778, en 1871, en 1872, et la chaleur y a monté jusqu’à 38 ou 39 degrés. Sur les 365 jours qui sont pour nous la division normale du temps, 154 sont des journées de pluie, généralement de pluies fines, tombant surtout en automne et en été et ne donnant que 510 millimètres. Il y a 171 jours de brouillard, 12 jours de neige, 56 de gelée, 14 d’orage, 20 de grêle.


Du cap de la Hague à la Loire, le climat breton, ou climat armoricain, est le plus maritime des sept climats français. Par la mer dans laquelle baigne la presqu’île celtique, il profite, plus qu’aucun des six autres, des bouffées d’air tiède qui accompagnent le courant du Golfe. C’est ainsi qu’on appelle un immense fleuve d’eau plus chaude que l’Océan, dans le sein duquel il chemine en rivière indépendante bien qu’elle soit sans rivages : on l’y distingue à sa chaleur, à sa couleur, à son courant. Venu des mers tropicales et du golfe du Mexique, il frappe le Portugal, l’Espagne, la France, l’Irlande, l’Angleterre, l’Écosse, la Norvège, et va porter quelque tiédeur jusque dans les flots arctiques. Ciel obscur et bas pendant la moitié de l’année, pluies fines, vents mélancoliques, le climat breton à très peu de neige, et si peu de froids l’hiver que des arbres provençaux, africains même, le grenadier, l’aloès, le magnolia, le camélia, le laurier-rose, y vivent en pleine terre au bord des anses, dans les presqu’îles, dans les îles. À Brest, dont la moyenne annuelle est de 11° 7, l’hiver donne 7°,1 et l’été 16°,8. Il y a 170 jours de pluie tombant surtout en automne, mais cette pluie, souvent n’est qu’une bruine épaisse, donnant à la fin de l’année une hauteur de 900 millimètres,


De la Loire aux Pyrénées, de la mer Atlantique aux monts du Centre, le climat girondin, ou climat gascon, réclame une portion du bassin de la Loire, une très grande part de celui de la Gironde, ceux du Lay, de la Sèvre-Niortaise, de la Charente, de la Leyre et de l’Adour. C’est encore un climat maritime, un peu moins tempéré que le breton, mais plus brillant, et, à mesure qu’on avance au sud, plus agréable et plus chaud. Tout au nord, la basse Loire a des prairies, des sillons et des landes avec quelques pieds de vigne ; au centre, Cognac doit son renom aux premières eaux-de-vie, Bordeaux aux premiers vins du monde ; tout au sud, dans le Béarn, le Bigorre et le pays Basque, un ciel charmant caresse des villes d’hiver. Peu ou pas de neige dans la froide saison, des pluies d’hiver et de printemps, des étés chauds, des automnes superbes, quoique pluvieux, c’est la marche des saisons, de Nantes à Bayonne et de la mer aux montagnes. L’année de Nantes donne en moyenne une température de 12°,6, avec 122 jours de pluie ; celle de la Rochelle 12°,7, avec 140 jours de pluie ; celle de Bordeaux 13°,5, avec 6°,1 pour moyenne de l’hiver et 21°,7 pour moyenne de l’été ; il y a 150 jours de pluies, surtout automnales, donnant 820 millimètres. Arcachon, sol de sable, air marin, pins frémissants, guérit des phtisiques sous un ciel si doux, que la moyenne de l’hiver est de 10 degrés dans la forêt et la dune, de 8 sur les plages du Bassin ; Pau les guérit aussi, dans une atmosphère sans vents : cette ville adorable n’a que 25 jours de gelée par an, contre 125 jours de pluie, et la moyenne de son année est de 13°,39. Le climat de l’humide Bayonne est plus clément encore.


Les bassins supérieurs de la Dordogne, du Lot, du Tarn, de la Vienne, de la Creuse, de l’Allier, de la Loire, et celui des torrents qui percent la rive droite du Rhône au-dessous de Lyon, appartiennent à une région que son altitude fait plus dure que ne le voudrait son soleil, car cette région, le Massif ou Plateau Central, est à égale distance du Pôle et de l’Équateur, dans la zone tout à fait tempérée, le 45e degré de latitude passant justement tout près d’Aurillac, de Saint-Flour, du Puy-en-Velay ; et, comme on sait, il y a de l’Équateur au Pôle un quart de cercle ou 90 degrés. Le climat auvergnat, ou climat limousin, a des hivers très-froids, quelquefois terribles, avec de hautes neiges qui effacent les plis de vallons, qui cachent les routes, qui se tassent, qui se glacent, et sur lesquelles tombent d’autres neiges ; aux mauvais passages, sur certains plateaux, dans des fonds de vallon, des poteaux élevés balisent les chemins, et il arrive que ces poteaux disparaissent, tant le ciel verse de flocons sur le plateau, tant le vent ou la pente entraînent d’avalanches dans la ravine. L’été, par contre, est violent dans les vallées, les gorges fermées aux souffles de l’air ; mais, sur les hautes plaines, la bise, âpre, brusque, inattendue, vagabonde, tempère souvent les ardeurs du soleil : et l’altitude des lieux donne aux jours les plus enflammés des matins froids, des soirées fraîches, des heures perfides. Le Puy, Mende, Saint-Flour, Rodez, sont soumis à ce climat « labradorien » pendant le quart, le tiers ou la moitié de l’année suivant la hauteur des sites au-dessus de la mer. On estime que la moyenne de Limoges est de 11°, et qu’il y tombe 935 millimètres de pluie, surtout en automne.


Le climat lyonnais se désigne ainsi de la ville qui voit s’unir les deux grandes rivières du pays où il règne : on l’appelle d’habitude et moins justement climat rhodanien ; mais ce nom ne fait penser qu’au Rhône, et point à la Saône, qui baigne plusieurs de ses cités. Il rattache le climat continental du Centre au climat, continental aussi, de la Lorraine et des Ardennes. Ses principales villes ont pour moyenne de l’année, au nord de Lyon 11 à 12 degrés, au sud un peu plus de 12 ; la moyenne de Lyon même est de 11°,8, avec 2°,5 pour moyenne de l’hiver et 21°,11 pour moyenne de l’été ; il y a 110 jours de pluie, donnant 780 millimètres. Comme toute autre zone plus ou moins sevrée de la mer, le climat lyonnais a des étés chauds, des hivers froids, parfois rigoureux même dans la plaine, toujours très durs dans les vallées élevées de la Savoie et sur les hauteurs du Jura, qui pour la rudesse de la triste saison sont un autre « Plateau central ».


Qu’on aille de Toulouse à Cette ou de Lyon à Marseille, on voit, vers Carcassonne ou vers Montélimar, le pays passer du vert au jaune ou au blanc, les prairies roussir, les roches s’illuminer, la poussière saupoudrer les feuilles jusqu’à courber les tiges, et le terne olivier s’abriter à des mamelons pierreux, devant des plaines sèches et des monts décharnés. On vient de passer du climat girondin, ou du rhodanien, au climat méditerranéen, ou climat provençal, fait de deux zones : zone du mistral à l’ouest de Toulon, zone sans mistral à l’est.

Le mistral[1], qui tord rageusement l’olivier vers le sud-est, est un souffle exécrable. Les Provençaux disaient : « le Mistral, le Parlement et la Durance sont les trois fléaux de la Provence. » Un fléau, c’est trop dire : car ce vent féroce, haïssable, haï, chasse les effluves, les miasmes, les ferments, les odeurs impures ; grâce à lui l’on ne meurt pas autant qu’on mourrait sur les bords d’étangs, dans les « paluns, » dans les lieux arrosés, en Camargue, et dans mainte et mainte ville mal tenue sous ce traître soleil.

Sa force est incroyable, et sa persistance inouïe ; il peut même arrêter des trains ; c’est le « Borée noir » de Strabon : le « Mélamboréas[2], dit-il, est un vent violent, terrible, qui roule des pierres, précipite les hommes de leurs chars, broie leurs membres et les dépouille de leurs vêtements et de leurs armes. » Son nom veut dire le maître, et en effet il règne dans le ciel comme sur la terre ; il déchire lugubrement les airs, il courbe ou tord ou casse les arbres, il agite éperdument les branches, il éparpille les eaux, il soulève, brise et disperse les spirales de la poussière, il entre par les portes closes, il fait frissonner sous le manteau ; et quand on le rencontre à l’improviste au repli d’un vallon, à la sortie d’une demeure, au détour d’une rue, il faut raidir tous ses muscles contre lui. Des oliviers, des bois, des herbes, des vignes, des cailloux, des murs de pierre sèche, des plaines comme de la garrigue ou du mont, de toute la nature il tire une voix qui gémit. Quand il souffle, c’est parfois pour des semaines, pendant le jour clair et la nuit pâle et blanche (car, poussant violemment les vapeurs vers la mer, il n’amène avec lui ni la tempête ni la pluie fine sur le sol d’entre Mézenc et Méditerranée). Descendant des monts cévenols avec acharnement, par rafales continues ou par bouffées passagères, il se démène au loin en Provence, dans le Comtat, en Languedoc, en Roussillon : au nord, il commence à peu près avec l’olivier, un peu au-dessus de Montélimar ; à l’ouest, il se déclare à partir du col de Naurouze, de Castelnaudary, et surtout de Carcassonne, qui est aussi l’une des bornes de l’olivier ; au sud, il se fait maudire jusqu’au pied des Pyrénées et des Albères, ou va se perdre dans la Méditerranée.

À l’est de Toulon, le mistral souffle peu ou point, l’oranger, le palmier fleurissent dans des parterres « africains », aux tièdes brises de la mer, au seul gré du sud, à l’abri du nord dont ils sont garantis par un rideau de montagnes. Mais, dans la zone à mistral comme dans la zone sans mistral, les moyennes annuelles : sont plus élevées que dans le reste de la France, à altitudes égales s’entend. L’année de Montpellier a 13°,6 avec 5°,8 pour l’hiver et 22° pour l’été ; la pluie y tombe pendant 67 jours ; Marseille à 14° de moyenne et 55 jours de pluie ; Toulon 14°,4 et 60 jours humides ; Hyères 15° et 40 jours pluvieux seulement, tandis que d’autres villes, sous d’autres climats, en ont 150,175 comme Abbeville, et même 200 ; Perpignan a 15°,5 et 70 jours mouillés ; Nice près de 16°, autant que Rome et plus que Florence, et les jours pluvieux y sont 72 ; Menton, avec 16°,3, est égale à la molle Napoli (Naples), et Cannes, avec 16°,4, lui est un peu supérieure ; de ces deux dernières villes sans brouillards, et l’on peut dire sans hiver, la première a 80 jours de pluie, la seconde 70.

En résumé, l’hiver le plus doux de la France est celui du climat breton, le plus dur est sans doute celui du climat auvergnat. L’été le plus chaud est sous le climat méditerranéen, le plus froid sous le climat breton.

11° pour l’année, 5° pour l’hiver, 20° pour l’été, voilà le climat de la France, autant qu’on peut tirer une moyenne d’un ciel si changeant, d’un soi si varié.


3° Les pluies. — En supposant que toute la pluie tombant chez nous restât sur le sol sans couler, sans filtrer, sans s’évaporer, comme dans une citerne fermée, au bout de l’année elle couvrirait le territoire d’un lac de 770 millimètres de profondeur, et peut-être bien de 800 et au delà ; car les éléments de ce nombre sont surtout des observations faites en plaine, et sur la plaine il tombe moins d’eau que sur la montagne.

Ce lac, les divers climats de la France ne le rempliraient pas également.

Il pleut beaucoup sur les vallées ouvertes aux vents humides, sous les parages du ciel où quelque courant de l’air amène les nuages, où quelque remous les arrête ; il pleut fort peu sur certaines plaines, certains plateaux cerclés de montagnes et qui ne voient nager dans leur azur que des nuages épuisés déjà. Sur le bord de la mer, et plus encore dans les monts contre lesquels buttent et crèvent les nues, la quantité d’eau du ciel dépasse la moyenne générale : il tombe par an 800 à 850 millimètres sur la côte picarde et dieppoise, autant du cap de Barfleur à Saint-Malo, 1 000 sur la baie de Douarnenez, 1 100 à 1 200 dans les hautes Vosges, près de 1 500 sur le rivage bayonnais, 1 500 à 2 000 et au-dessus dans les pics d’où procèdent les Gaves et les Nestes, surtout vers Gavarnie ; dans les Alpes de Savoie et du Dauphiné, notamment dans les monts Gapençais ; dans les Cévennes du Vivarais, principalement sur le Tanargue.

En France[3] 898 000 hectares ne reçoivent annuellement que 400 millimètres de pluie, ou moins encore, à Dunkerque où il ne tombe que 300 à 350 millimètres, et dans le bassin de la Seine, de Compiègne à Troyes et d’Épernay à la banlieue de Paris.

8 millions et demi d’hectares, le sixième de la patrie, reçoivent 400 à 600 millimètres.

27 millions, c’est-à-dire la moitié du pays, reçoivent 600 à 800 millimètres.

11 millions, plus du cinquième de la France, reçoivent de 800 millimètres à 1 mètre.

2 400 000 hectares reçoivent de 1 000 à 1 200 millimètres ; 1 300 000, de 1 200 à 1 400 ; 2 067 000, de 1 400 à 1 600 ; 110 000, de 1 600 à 1 800 ; 320 500, plus de 1 800. La chute annuelle est de 631 millimètres dans le bassin de la Seine, de 691 dans celui de la Loire, de 720 dans celui du Rhin, de 823 dans celui de la Gironde, de 850 dans celui de la Charente, de 950 dans celui du Rhône, de 1 000 dans celui de l’Adour.

En moyenne, le nombre des jours de pluie en France est de 140 par an ; et c’est en automne qu’il tombe le plus d’eau. Paris ne reçoit que 510 millimètres, juste autant que Marseille, Clermont-Ferrand et l’africaine Oran. Seulement, à Paris il pleut plus souvent, mais par gouttelettes ; à Marseille, à Oran, il pleut rarement, mais par seaux d’eau.

D’ailleurs, 400, 500, 600, 700 millimètres par an de pluies peu abondantes chaque fois, mais tombant à propos, arrosent bien mieux le sol que 800, 1 000, 1 500 millimètres s’abattant par averses. La campagne de Meaux et de Compiègne, avec ses 400 millimètres, n’est jamais altérée comme les environs de Montpellier (740 millimètres) ou certains parages du Vivarais (800 à 1 800 millimètres). Il tombe moins d’eau sur la verte Erin que sur les gorges éternellement brûlées des Cévennes méridionales.

La goutte d’eau, dit le vers latin, perce la pierre à force de tomber. De même, c’est en mouillant paisiblement, mais souvent la terre que la pluie entretient la verdure, habille les arbres, adoucit les cieux, évoque les sources et trace les rivières.



  1. À Narbonne et chez les Catalans français il s’appelle cers ou cierce.
  2. Mot à mot, Borée Noir.
  3. D’après M. Delesse.