France, Algérie et colonies/France/03/04

LIbrairie Hachette et Cie (p. 217-246).


IV. LA LOIRE


1o La Loire : son régime, ses crues, son cours. — Il y a trente ans, nos bons professeurs, étymologistes de la vieille roche, nous apprenaient que le mot Loire, en latin Liger, vient, par la chute de deux syllabes finales, des deux mots lignum gerens, qui porte du bois. Et en effet, nous disaient-ils, ce fleuve descend de montagnes qui furent très boisées, il traverse des forêts, il est flottable et l’était autrefois à partir de plus haut, il est navigable et le fut évidemment plus que de nos jours, il reçoit des trains de bois, il en reçut jadis ; il méritait donc son nom, il n’en pouvait avoir d’autre.

Ces sornettes ont fait leur temps. Nous n’expliquons plus l’origine du mot Loire, et nous avouons l’ignorer. On se demande seulement s’il n’aurait pas la même racine que le nom des Ligures, ce peuple énigmatique, ibère suivant les uns, celte suivant les autres, qui vivait sur le rivage et dans les îles de la Méditerranée,

Ce qui distingue essentiellement la Loire de la Seine, c’est qu’elle déverse des terrains en grande partie imperméables. Sur les 11 505 000 hectares qu’elle draine et où il tombe en moyenne 691 millimètres de pluie par an, 4 500 000 hectares, soit 45 pour 100, n’absorbent pas les eaux ; tandis que la rivière de Paris n’a que le quart de son bassin pris par les sols compacts.

Ainsi, dans la moitié du bassin de la Loire, ou peu s’en faut, les eaux tombées à petites gouttes ou celles que l’ouragan jette à pleines cascades s’enfuient à la hâte, parfois d’une course vertigineuse, et le sol ne les boit pas au passage. Qu’il pleuve longtemps ou par brève averse, chaque pli de ces terres imperméables rassemble un torrent, chaque ravin rassemble un fleuve, et ces déluges s’écroulent sur la Loire.

Tous les ans, et souvent plusieurs fois dans l’année, la Loire mène autant de flots qu’un grand fleuve d’Amérique ; et ce Mississipi fait d’orages détruit plus que le Meschacébé des Yankees, fait de lacs et de fontaines : la rivière de Nevers, d’Orléans, de Tours n’épuise pas sa colère, comme le fait encore le « Père des Eaux », sur des plages à demi désertes, sur des savanes et sur des marais ; ce n’est pas une solitude qu’elle noie, c’est une vallée féconde, parée, pimpante, des jardins, des parcs, des châteaux, des villes, des quais orgueilleux, des ponts superbes, et quand la crue passe, elle menace l’œuvre de vingt générations dont il lui arrive même parfois de troubler les sépulcres[1].

Jadis la Loire avait de vastes étendues à couvrir de flots turbides avant d’injurier les cultures, les jardins, les maisons de sa vallée. En lits vivants ou morts, en flaques, en îles, en longs bancs de sable, en terres vagues, en berges variables, elle avait, par exemple, sept kilomètres de largeur devant Jargeau, et trois et demi devant Orléans, ville où l’on a cru la museler dans un canal de 250 mètres. L’homme de la Loire ressemble à tous les paysans du monde sublunaire : il a fait comme le Sicilien qui s’empare de la lave à peine refroidie du volcan, à deux pas du cratère prêt à vomir encore les entrailles enflammées du mont. Dans le partage qu’il méditait entre sa plaine et son fleuve, il a lésé la Loire, et la Loire se venge.

L’homme de l’Orléanais, de la Touraine, de l’Anjou a donc entrepris d’enchaîner la Loire. Partout où le fleuve n’est pas naturellement contenu par des berges ou des collines, il a construit des levées : d’abord jusqu’à 3 ou 4 mètres de hauteur, puis sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, jusqu’à 7 mètres. Ces digues, supérieures au niveau des crues moyennes, empêchent le plus souvent l’eau de divaguer sur la vallée ; mais, en forçant les sables à rester dans le fleuve au lieu d’aller se perdre sur les champs latéraux, elles exhaussent lentement le fond de la Loire. Il faudrait relever les digues à mesure ; or, celles-ci ne peuvent monter indéfiniment au-dessus de la plaine.

Devant Orléans, Blois, Tours, dans son lit tel que l’homme l’a voulu réduire, passent assez aisément 6 500 mètres cubes par seconde, mais les crues en amènent 8 000, 10 000, peut-être 12 000. Il vient un moment où les levées ne peuvent enfermer tout ce déluge : les digues deviennent des crêtes de cascade, elles se ravinent, elles fendent et les campagnes sont lamentablement éventrées. On n’a point encore oublié le désastre de 1856, les digues rompues à 73 brèches, les villes cernées, les plaines triturées, la vallée de Beaufort, qui était habituée à un ruisseau paisible, envahie tout à coup par un fleuve exaspéré, les ardoisières de Trélazé comblées par un Niagara fangeux, quand il avait fallu tant d’années et tant d’hommes pour creuser leurs cavernes dans le schiste des coteaux angevins.

À sa sortie des gorges du saut de Pinay, au-dessus de Roanne, à l’issue d’un bassin de 640 000 hectares seulement, la Loire peut entraîner 7 290 mètres cubes par seconde, c’est-à-dire mille quarante fois son étiage. À cette débâcle, quatre fois plus terrible que la Seine à Paris dans la crue de 1876, il faut ajouter l’avalanche qu’amène l’Allier ; or, ce frère de la Loire vient d’aussi loin qu’elle, dans un bassin non moins vaste et non moins imperméable ; mais, par bonheur, on voit rarement les deux grands torrents jumeaux arriver avec la même fureur au Bec d’Allier ; pour diverses raisons, leurs crues ne concordent pas entièrement.

Au-dessous du Bec d’Allier, la Loire en débordement croît peu ou point : les moyennes et grandes rivières d’aval, Cher, Indre, Vienne, Maine, Thouet, Sèvre Nantaise, ne montent jamais au maximum en même temps que les torrents d’amont ; puis chaque brèche des levées étale au loin pour sa part la crue sur la vallée ; et d’autre part l’excès des eaux va se perdre dans des espèces de bras latéraux indépendants de la Loire en étiage, anastomosés avec elle en inondation. Sur la rive droite, c’est la Cisse et l’Authion, rivières de coteau qui ne s’appartiennent plus qu’à demi lorsqu’elles sont entrées dans la vallée du fleuve, qu’elles suivent parallèlement ; sur la rive gauche, ce sont les branches du bas Cher et de l’Indre inférieure, puis le réseau de bras coulants, de bras obstrués, de ruisseaux de plaine qui va des Ponts-de-Cé à Saint-Florent-le-Vieil ; sans parler de la rivière d’Angers, lit sans pente qui boit une partie de la crue ligérienne, puis la régurgite. Ce sont là les petits igarapés[2] d’un petit Amazone. En aval du confluent de cette rivière d’Angers, qui est la Maine, la Loire ne roule jamais beaucoup plus de 6 000 mètres cubes, moins qu’à Roanne.

Si la Loire en crue est grandiose, elle est mesquine en sécheresse : alors c’est un sable aride où coulent çà et là des ruisseaux clairs et, près du bord, un chenal régulier qu’on s’efforce de tenir navigable. La Loire, devant Orléans, peut descendre à 24 mètres cubes par seconde ; d’habitude elle roule environ 32 mètres à son entrée dans l’Orléanais. À Chalonnes, en Anjou, grâce au Cher, à l’Indre, à la Vienne, à la Maine, le volume n’est jamais inférieur à 127 mètres. À Nantes il dépasse en tout temps 700 ; mais les quais de cette grande ville ne serrent pas seulement la Loire, il y a du flot de mer dans le fleuve qu’ils bordent, et ce flot de mer retient et régularise les eaux d’amont. Le module ou portée moyenne est de 985 mètres cubes par seconde.

Donc dix fois trop d’eau ou dix fois trop peu. Pauvre fleuve que celui qui pendant quelques jours de l’année peut noyer, fouiller, disjoindre son val, et qui durant de longs mois porte à peine des byrques et n’irrigue point de prairies ! Son bassin a peu de sources puissantes en toute saison comme la Seine, et point de glaciers comme le Rhône ou même la Garonne. On a fait les études de 68 barrages qui, sur la Loire et l’Allier, pourraient retenir ensemble 520 millions de mètres cubes : assez pour verser à la Loire 60 mètres cubes de plus par seconde pendant cent jours d’eaux basses, et les crues seraient diminuées d’autant. Mais ces barrages, les dressera-t-on jamais ? Trois seulement sont faits : celui de Rochetaillée ou du Gouffre d’Enfer, celui du Pas-de-Riot sur le Furens en amont de Saint-Étienne ; et celui du Saut-de-Pinay, sur la Loire elle-même : ce dernier date de 150 ans ; les deux autres ont été construits sous nos yeux.


Le bassin de la Loire couvre plus du cinquième de la France : 11 515 000 hectares, sur lesquels vivent environ sept millions d’hommes.

À moins de 150 kilomètres à vol d’oiseau de la plage méditerranéenne que, du Peyrou de Montpellier, on voit, blanche et bordée de bleu ; à même distance ou à peu près du Puy, de Privas et de Largentière, dans l’Ardèche, une source jaillit sans bruit, à 1 375 mètres d’altitude, sur un versant du Gerbier-de-Jonc (1 562 mètres). Le Gerbier-de-Jonc, phonolithe nu, se lève coniquement dans les Cévennes, au midi et non loin du Mézenc.

Oubliant le sage proverbe : « Les petits ruisseaux font les grandes rivières, » on s’imagine volontiers que les grands fleuves ont un grand commencement ; que, sortis du sein mystérieux de la Terre, d’une caverne, d’une forêt, d’un cirque, nés à peine et déjà féconds, ils passent avec la majesté du triomphe, amples, calmes, profonds, vénérables, devant les premiers fossés ou les premiers torrents qui s’attachent à leur fortune. Eh bien ! la source de la Loire entre aussitôt dans une auge, et il peut arriver qu’en humant son filet d’eau claire, un bœuf aux larges naseaux suspende un instant le cours du plus long de nos fleuves.

Au lieu de bondir vers le Rhône, dont la vallée se devine à l’est du haut du Gerbier-de-Jonc, au lieu de descendre au sud vers la Méditerranée comme l’Hérault, la Loire ne tarde pas à tourner au nord pour aller chercher au loin l’Atlantique. Mille chemins, un seul but !

Elle passe au pied de la montagne qui contient le lac d’Issarlès, coupe ovoïde sans déversoir. Semblable au Pavin, il repose, à 997 mètres d’altitude, dans une « vasque d’effondrement » dont les bords ardus et nus ont 50 à 150 mètres d’élévation. Si le Pavin, suspendu sur la Couze, menace la vallée qui mène à Issoire, l’Issarlès pend sur la Loire et la Veyradeyre, et la conque où il pèse de tout son poids domine de haut les deux torrents, même par le fond de son entonnoir. Long de 1 296 mètres, large de 1 007, ce lac a 90 hectares.

La Loire serpente ensuite dans les gorges du Velay (Haute-Loire), où la verdure contraste avec les monts dépouillés et les rougeâtres basaltes. Elle n’a point perdu les allures d’un torrent quand, par 600 mètres environ d’altitude, elle arrive dans le bassin de la cité des dentelles, le Puy, ville étrange qu’elle laisse à 4 kilomètres à gauche, dans le vallon latéral de la Borne. Large de 95 à 50 mètres, limpide sur un lit de pierre, elle passe, par les gorges de Peyredeyre, entaillées dans le granit, du bassin du Puy, lac écoulé, dans l’Emblavès, autre lac disparu ; et de l’Emblavès, elle pénètre dans le défilé de Chamalières, profond de 400 à 500 mètres, entre le Miaune à gauche et le Gerbizon à droite. Viennent ensuite, deux fois moins profondes, les gorges de Saint-Victor, qui sont voisines de Saint-Étienne-en-Forez.

La percée de Saint-Victor s’ouvre, par 380 mètres, sur la plaine du Forez, enfermée entre les monts du Forez à l’ouest et les monts du Lyonnais à l’est, ceux-ci beaucoup plus rapprochés du fleuve que ceux-là. La plaine du Forez, large de 15 à 20 kilomètres et longue de 40, a 62 000 hectares, dont deux tiers sur la rive gauche du fleuve. Elle est de sol froid, avec nombre d’étangs qu’on dessèche, moins pour gagner des prés au dail ou des épis à la faucille que pour détruire les miasmes des eaux mortes ; en même temps, on vivifie le sol par les artères, les artérioles et les rigoles d’un canal qui prend 5 mètres cubes sur les 6 de l’étiage, qui en prendra 10, et même 13, quand la Loire, accrue par des réserves, pourra les fournir. Le fleuve y laisse à gauche, au loin, Montbrison, tout à la lisière de la plaine, au pied des monts du Forez, sur la pente d’un des trente petits volcans qui éclairèrent la vallée du fleuve, si déjà c’était une vallée, son lac, si c’était encore un lac ; il y baigne Feurs, qui donna son nom au Forez. À l’issue de ce grand bassin, la Loire s’engage dans de nouveaux défilés : au saut de Pinay, un barrage de 17 mètres de haut profitant d’un étranglement du lit retient 100 à 130 millions de mètres cubes entre des coteaux de granit ; le Saut du Perron est un rapide. Ces deux resserrements passés, le fleuve se calme et s’étend dans la vaste plaine de Roanne, par 275 mètres.

La Loire baigne, à Digoin, les piles de l’aqueduc de 217 mètres qui porte le canal du Centre de la rive droite à la rive gauche du fleuve ; puis, laissant à 4 kilomètres à droite Bourbon-Lancey, ville thermale, elle va former l’île de Decize, où commence le canal du Nivernais ; après quoi elle passe aux forges d’Imphy et à Nevers.

Aux forges de Fourchambault, à la Charité, au pied de la montagne conique de Sancerre, à Cosne, le fleuve coule encore au nord, comme il ne cesse de le faire depuis sa source, sauf quelques détours ; mais vers Briare, où commence un canal menant à la Seine, et vers Gien, il incline à l’ouest et prend décidément le chemin de l’Atlantique. S’il gardait fidèlement sa direction première, il gagnerait la Seine par Montargis, et Paris presserait entre ses quais une rivière plus large et bien plus capricieuse.

La Loire longe ensuite les collines de la forêt d’Orléans, vaste de 40 300 hectares en chênes, en charmes et en bouleaux ; elle couvrait, il y a deux siècles, 70 000 hectares, Plus bas, devant Orléans, Meung, Beaugency, Mer, Blois, le val du fleuve se relève au nord vers la Beauce, au sud vers la Sologne, le plus souvent par de simples talus ou d’insensibles pentes. Vers Blois commence le « Jardin de la France », de tout temps vanté comme notre paysage le plus accompli. Cette renommée vient de ce que l’ancienne France, celle qui a modelé la nation, notre vraie mère, ne comprenait que la moindre partie du pays formé par l’alliance de la langue d’oil et de la langue d’oc. Cette France-là n’opposait à la Touraine que l’Orléanais, l’Île-de-France, la Champagne et la Bourgogne ; elle n’avait pas alors les terres de beauté, Franche-Comté, Dauphiné, Provence, Auvergne, Languedoc, Limousin, Guyenne et Béarn. Plus tard les courtisans, les favoris, les poètes payèrent d’hyperboles, en prose, en vers, l’hospitalité des châteaux royaux ou princiers.

Il faut autre chose que des peupliers, des saules, des îles basses, des châteaux et des parcs pour être la première des vallées dans un pays où passent le Doubs, le Rhône, l’Isère, le Tarn, le Lot, la Dordogne et les Gaves. Toutefois, s’il n’a pas de clus comme le Doubs et le Rhône, de montagnes comme l’Isère, de cagnons comme le Tarn, de créneaux de rochers comme le Lot et la Dordogne, de promontoires de granit et de gneiss comme le Viaur et la Creuse, le val de Loire est une campagne clémente, riante, paisible, parée de villas, de parcs, de châteaux, douce en hiver, lumineuse en été, charmante en automne.

Amboise.

Amboise, au château célèbre, précède Tours, le centre du Jardin de la France. Devant cette ville, à Langeais, à Saumur, aux Ponts-de-Cé qu’un dos de collines sépare d’Angers, à Chalonnes qui a des mines de houille, à Ancenis même, la Loire n’est qu’une ample rivière ; à Nantes, c’est un fleuve de grande apparence, mais un fleuve de plus en plus encombré par les sables et par les vases. Les grands navires, jadis, remontaient jusqu’à Nantes ; vers le treizième ou le quatorzième siècle ils ne dépassaient plus Couéron, bourg où le Sillon de Bretagne commence à s’éloigner de la rive droite de la Loire. — On nomme Sillon de Bretagne des gneiss, des schistes, des granits d’humble altitude couverts de chênes et de bruyères ; le fleuve les a séparés des roches de nature semblable qui s’élèvent sur la rive gauche à de variables distances ; c’est lui qui, de l’embouchure de l’Authion jusqu’à l’Océan, a fait d’un seul plan granitique deux plateaux dont l’histoire n’a pas été la même : au nord la Bretagne, au midi le Poitou.

Aujourd’hui les lourds navires ne montent plus au delà de Paimbœuf, et encore leur faut-il attendre la haute marée pour entrer en Loire, la barre n’ayant que 4 mètres d’eau à mer basse. Aussi la ville aux quais magnifiques, Nantes, craint de céder à Saint-Nazaire toute la splendeur de son ancien commerce ; les marées ordinaires ne lui conduisent que des vaisseaux de 3 mètres à 3 mètres 30 centimètres de tirant.

La Loire, en aval de Nantes et surtout de Couéron, s’élargit. Elle frôle au midi le Pays de Retz, fertile en grains ; au nord un ancien golfe maintenant remplacé par les marais de Donges et les brières. Les marais de Donges redeviennent golfe en hiver, car alors la Loire les couvre, et ici le fleuve est moins un courant d’eau douce qu’un estuaire d’eau salée ; on y élève la sangsue. Les brières sont des prairies tourbeuses : la plus vaste d’entre elles, la Grande-Brière, a bien 8 000 hectares, à l’altitude moyenne de 3 mètres. Ancienne forêt mouillée, pleine encore de troncs noircis par un long séjour dans la tourbe, on la voit tour à tour, et suivant la saison, nappe sans profondeur où l’on chasse les oiseaux d’eau, prairie où paît le mouton et d’où les Briérons tirent par milliers de tonnes la tourbe, que des bateaux à fond plat nommés des blains mènent à l’étier de Méan, dernier affluent de droite de la Loire.

Le fleuve a 4 kilomètres de largeur devant Paimbœuf, dont la prospérité décroît à mesure que moins de vaisseaux remontent vers Nantes. Il tombe dans l’Atlantique par un estuaire trop ouvert aux vents du large, devant Saint-Nazaire, qui commande l’entrée en Loire comme le Havre l’entrée en Seine : mais le Havre a derrière lui Rouen et Paris, Saint-Nazaire n’a que Paimbœuf et Nantes.

Quand la Loire s’abîme dans la mer, elle a parcouru 1 000 kilomètres : c’est le plus long cours d’eau français.


2o Les affluents de ln Loire : Allier, Cher, Indre, Vienne et Maine. — De sa source jusqu’à l’Allier, la Loire ne boit que des torrents et deux ou trois rivières sans grande abondance en dehors des semaines pluvieuses. La Borne (48 kilomètres) arrive des monts Vellaves, par le Puy-en-Velay. — Le Lignon Vellave ou Lignon du Sud (85 kilomètres), venu du Mézenc, écume tortueusement dans des abîmes si profonds que le père du jour n’en éclaire pas tous les flots, tous les rocs, tous les buissons et les arbres. — L’Ance du Nord (65 kilomètres) descend des monts du Forez par des ravins profonds, boisés, déserts. — L’Ondaine, fille du Pilat, et ruisseau plutôt que rivière, traverse la Ricamarie, le Chambon-Feugerolles et Firminy, villes qui sont, au vrai, de simples faubourgs de Saint-Étienne. — Le Furens (40 kilomètres), issu du Pilat comme l’Ondaine, et régularisé par les trois millions de mètres cubes des réservoirs du Pas-de-Riot et du Gouffre d’Enfer, met en branle, à Saint-Étienne, plus de 300 usines — Le Lignon Forézien ou Lignon du Nord (50 kilomètres) part des forêts, des broussailles, des pâtis qui s’étagent sur les monts du Forez jusque dans la froide région où Pierre-sur-Haute déchire des nuages indécis entre le versant de la Loire et celui de l’Allier ; torrent dans les gorges, il devient rivière dans la plaine du Forez. — Le Rhin (55 kilomètres), qui descend du Beaujolais, court dans Île bassin dénudé d’Amplepluis, rempli de bourgades industrielles. — L’Arconce ou Reconce (70 kilomètres) recueille les émissaires de plus d’un étang de l’agreste Charolais, où elle traverse Charolles. — L’Arroux (120 kilomètres) frôle Autun, ville ayant gardé quelques monuments romains, qu’il faille y voir ou non la Bibracte gauloise installée maintenant de préférence par les antiquaires sur la cime du Beuvray. Grossi sur sa rive droite par des torrents issus des plus hautes forêts du Morvan, l’Arroux reçoit sur sa rive gauche des ruisseaux d’étangs formés dans les collines houillères où vient de naître, où grandit le Creuzot, immense usine à fer, prodigieuse fabrique de machines : son maître affluent, la Bourbinec (96 kilomètres), prête sa vallée au canal du Centre. — La Bèbre où Besbre (105 kilomètres), formée dans le Puy-de-Montoncel, arrose la Palisse. — L’Aron (75 kilomètres), rivière entièrement morvandelle, s’achève à Decize. — La Nièvre (52 kilomètres), qui finit à Nevers, anime de puissantes forges.


L’Allier parcourt 410 kilomètres dans un bassin de 1 400 000 hectares. Quand il rencontre la Loire au Bec-d’Allier, par 472 mètres au-dessus des mers, à 6 kilomètres au-dessous de Nevers, c’est lui qui garde la direction. D’après les uns, il a plus d’eau que sa rivale ; d’après d’autres, son module ne serait que de 1420 mètres cubes par seconde, les deux tiers de celui de la Loire, lequel atteindrait 180. En outre, la Loire aurait 20 kilomètres de plus et son bassin l’emporterait de 353 000 hectares. Quoi qu’il en soit, l’étiage ordinaire de l’Allier passe pour être de 17 mètres au-dessous du confluent de la Dore, et probablement de 25 en aval de la Sioule, son plus grand tributaire. Quant à ses crues, elles ont presque la puissance de celles de la Loire.

À vol d’oiseau, l’Allier naît à 25 kilomètres au nord-est de Mende, en Lozère, à 1 425 mètres d’altitude, au pied du Maure de la Gardille (1 501 mètres), dans les montagnes misérablement dépouillées où la forêt de Mercoire, jadis plus vaste, n’habille aujourd’hui qu’un petit nombre de ravins. Mercoire, c’est une corruption de Mercure, qui, sous un nom celtique inconnu, fut le Dieu le plus vénéré de nos ancêtres gaulois. L’Allier marche d’abord vers l’orient, comme pour aller se perdre sans gloire dans l’Ardèche, affluent du Rhône ; mais bientôt il tourne au septentrion ; et à la Bastide, où le rencontre le chemin de fer de Nîmes à Paris qui lui reste longtemps fidèle, il coule déjà vers le nord. Devant ce glacial hameau situé à plus de 1 000 mètres au-dessus des mers, On le franchit d’un bond, mais il s’accroît vite de ruisseaux semblables à lui venus de monts ruinés par des défilés stériles. Divinement limpide, il passe entre les laves du Velay et les gneiss de la Margeride, à de sombres profondeurs dans des gorges souvent nues, quelquefois boisées, dont il était seul à troubler l’auguste silence quand la locomotive n’y sifflait pas encore st que les convois n’y roulaient pas de nuit et de jour sur une voie conquise à force de courbes, de tranchées, de remblais, de viaducs, de ponts et de tunnels. Au bout de ces défilés, dans le bassin houiller de Langeac, l’Allier est déjà rivière grâce à de courts et lucides torrents tels que le Chapeauroux, formé par d’arides ravins de la Lozère ; l’Ance du Sud ; la Seuge, qui baigne la « Suisse de la Margeride » et tombe à la cascade du Luchadou ; la Desge, qui traverse de froides forêts margeridiennes. De nouveaux étroits mènent du bassin de Langeac à la plaine de Brioude, située à 400 mètres d’altitude.

Après Brassac, ville de houilles, après Issoire, après les durs porphyres de Saint-Yvoine qu’il a dû limer pendant bien des siècles pour y forer sa route, il entre dans la fameuse Limagne, qui passe pour un paradis terrestre ; et certes peu de nos vallées ont une telle profusion d’eaux vives, de vergers, de grands noyers, d’arbres de toute espèce au-dessus desquels on voit trôner les Dore, les Dôme et les monts du Forez. Tout vient à souhait dans sa terre grasse qu’il ne faut point visiter en temps de pluie : on enfonce alors dans une boue tenace et l’on emporte la Limagne à la semelle de ses souliers. L’Allier y saisit en passant des torrents à cascades fournis par les Dore et les Dôme ; il n’y rencontre que des cités médiocres et laisse à dix kilomètres à gauche la grande ville de Clermont-Ferrand ; puis du même côté, à 45 kilomètres, Riom, trois à quatre fois plus petite que Clermont ; enfin, encore à gauche, Gannat, deux fois moindre que Riom.

De la Limagne à la Loire, l’Allier coule devant Vichy, ville d’eaux fameuse, et à Moulins sous les treize arches d’un pont de 300 mètres. Ce n’est plus ici le torrent froid, pur, fantasque du Velay, c’est un fleuve plat où l’été découvre de vastes bancs de sable. Avant de finir, il lave les piles de l’aqueduc du Guétin (500 mètres en dix-huit arches), qui porte le canal latéral à la Loire.

L’Allier reçoit l’Alagnon, les Couses, la Dore et la Sioule.

Le verdâtre Alagnon (85 kilomètres) commence dans les monts du Cantal, près du col et des tunnels du Lioran, et passe à Murat, ville qui pendant de longs mois chaque année grelotte à 937 mètres d’altitude, au pied de son immense rocher basaltique de Bonnevie, haut de 140 mètres ; il court dans les sapins et les rochers, plus souvent en cascatelles qu’à lit plan et porte à l’Allier, suivant les temps, de 2 500 litres à 550 mètres cubes d’eau par seconde. Ce sont là ses extrêmes. — Les Couses, torrents alertes et clairs, coulent sur la lave ou les roches primitives et réunissent dans leur lit d’autres Couses (c’est un nom générique dans ce coin de l’Auvergne) : la Couse de Besse reçoit l’émissaire du lac Pavin et traverse Issoire ; la Couse de Champeix, venue du cirque trachytique de Chaudefour, traverse le lac Chambon, et l’on admire sur son cours deux cascades, celles des Granges et celle de Saillans, l’une et l’autre de peu de hauteur ; mais leurs flots transparents ont une abondance inconnue à la plupart des cataractes de la montagne d’Auvergne, muettes pendant la moitié de l’année ou dont il ne reste pendant six mois qu’un filet d’argent caché par les branches, les herbes et les ronces. La Dore (130 kilomètres) est un courant d’eau verte : elle roule 5 mètres cubes par seconde en temps sec, 700 à 800 dans ses plus grands transports. Torrent plutôt que rivière, elle naît au sud-ouest d’Ambert, dans un massif granitique sans revêtement de lave auquel on n’a pas encore donné de nom général ; de ces monts, hauts d’un peu plus de 1 000 mètres, elle descend dans le Livradois, bassin qui fut lac, traverse Ambert et, large de 20 mètres seulement, mais très rapide, reçoit la pétulante, variable et pittoresque Durolle, qui court dans Thiers, la ville des couteaux. — La Sioule (160 kilomètres), d’une portée moyenne de 35 mètres cubes par seconde, est une fille des Monts Dore. Formée dans des puys de 1 200 à 1 400 mètres, elle rencontre les laves raboteuses que vomirent les Dôme : quand ces roches fondues barraient son vallon, elle les éteignit à force de les baigner d’une eau qui sifflait et montait en vapeurs dans les airs ; puis elle devint un lac derrière leur digue refroidie ; elle passe aujourd’hui librement, car elle a scié l’obstacle à Pontgibaud. À l’exception de Saint-Pourçain, nulle ville ne se mire dans ses flots, qui le plus souvent coulent, pour ainsi dire, loin du monde, tantôt bruyants, tantôt lents et sournois, au fond de gorges très sinueuses, très profondes.


De l’Allier au Cher, la Loire admet trois rivières, le Loiret, le Cosson, le Beuvron.

Le Loiret n’a que 42 kilomètres. Cette rivière bleue jaillit de deux grandes fontaines, dans la vallée même de la Loire, au pied d’un faible talus dont le sommet commence la Sologne, dans le parc du château de la Source, à 6 kilomètres au sud-est d’Orléans, ville qui boit maintenant son onde. La première de ces fontaines se nomme le Bouillon, parce qu’elle sort en bouillonnant ; elle forme une petite rivière du sein de laquelle, à 117 mètres en aval, monte sans bruit la seconde source, qui est profonde et se nomme l’Abîme. Il y a deux cents ans, le Bouillon n’existait pas ; l’Abîme dégorgeait toute la rivière, et c’est en 1672 que le flot souterrain dont le Loiret est l’apparition se fraya ce nouveau chemin vers la lumière. Ces deux jaillissements, trop célébrés pour leur abondance, ne donnent guère ensemble que 700 litres par seconde à l’étiage ; ils proviennent d’infiltrations de la Loire en amont d’Orléans.

Bouillon du Loiret.

Au lieu du cristal du Loiret, le Cosson (100 kilomètres) et le Beuvron (125 kilomètres) traînent des eaux louches et lourdes, tribut des étangs de la Sologne. Le Cosson passe devant une merveille de la Renaissance, Chambord, l’un des châteaux les plus grands du monde.

Château de Chambord.

Le Cher a 320 kilomètres dans la vallée la plus centrale de la France, 345 même en lui donnant la Tardes pour branche mère. Son origine est à 25 kilomètres en ligne droite à l’est d’Aubusson, dans les monts de la Marche, hauts en ces lieux de 750 à près de 850 mètres. Cette rivière, qui finit par atteindre une largeur moyenne d’un peu plus de 110 mètres, reste longtemps étroite, et fort indigente en été. Elle frôle Montluçon, dont les grandes usines à fer profitent du voisinage des houilles de Commentry, longe la forêt de Tronçais (10 500 hectares), qui montre, avec la forêt de Bellême (Orne), les plus beaux chênes de la France, puis côtoie Saint-Amand-Mont-Rond et Vierzon, ville industrielle. Après avoir baigné les piles de pierre qui portent le gracieux château de Chenonceaux, il entre dans le val de Loire, et dès lors coule près du fleuve et parallèlement à lui. En grande crue, c’est là, derrière Tours, que les deux cours d’eau mêlent leurs débordements ; en temps ordinaire, le Cher ne rencontre la Loire que beaucoup plus bas, en face de Cinq-Mars, par 36 mètres d’altitude. Il porte l’Yèvre, l’Arnon et la Sauldre au fleuve de Nantes.

Château de Chenonceaux.

L’Yèvre ou Èvre (80 kilomètres), qui se termine à Vierzon, serpente avec l’Auron (80 kilomètres) et le canal du Berry dans l’humide vallée de Bourges. Cette ville en amphithéâtre au pied d’une merveilleuse cathédrale occupe à peu près le centre de la France, dans un pays riche en fer, et devient de plus en plus le principal établissement militaire de la nation. L’Arnon (150 kilomètres) reçoit la Théols, rivière d’Issoudun. La Sauldre (160 kilomètres) sort des craies du Sancerrois, trace en Sologne un grand demi-cercle et traverse Romorantin.

Malgré ces tributaires, le Cher porte en moyenne peu de flots à la Loire, et le canal dont, par lui-même ou par ses affluents il règle les éclusées, le canal du Berry, manque trop souvent d’eau. Cette voie de navigation part du canal latéral à la Loire, entre le Bec d’Allier et la Charité, presque en face de Pougues, remonte le val de l’Aubois, passe, par 200 mètres d’altitude, dans le bassin du Cher au seuil de Fonblisse, et descend l’Auron jusqu’à Bourges, l’Yèvre jusqu’à Vierzon, le Cher jusqu’à 2 kilomètres en amont de Saint-Aignan. Du seuil de Fonblisse, un embranchement descend la Marmande jusqu’à Saint-Amand, puis remonte le Cher jusqu’à Montluçon. En tout, c’est 323 kilomètres ; mais le canal, bien que fait en ce siècle, n’a pas assez de largeur. L’Auron, l’Yévre, le Cher, la Queune, faible affluent du Cher, le réservoir de la Marmande (3 725 000 mètres cubes en 83 hectares), celui de Valigny-le-Monial (3 780 000 mètres cubes en 114 hectares), celui des Étourneaux en amont de Montluçon, tout cela ne lui suffit pas, et l’on parle de prendre des eaux à l’Allier, vers Moulins, d’où l’on ferait partir le canal qui, plus que celui du Centre, est véritablement central.


L’Indre a pour premier jet une modeste fontaine du pied des monts de Saint-Marien (508 mètres), à 20 kilomètres ou un peu plus à vol d’aigle au nord-ouest de Montluçon. Malgré ses 240 à 250 kilomètres dans un bassin d’ailleurs fort étroit, cette jolie rivière n’arrive qu’à 30 mètres de largeur moyenne ; elle dort plus qu’elle ne court ; paisible et profonde, elle ne ravage point sa vallée de prairies.

Elle traverse la Châtre et Châteauroux ; puis, laissant à droite la Champagne berrichonne et ses plaines riches, mais sèches et nues, à gauche la Brenne et ses étangs miasmatiques, elle coule dans une vallée plate, au sein du Boischaut ou Bocage de Berry ; elle passe à Loches, qui conserve de beaux monuments du passé monastique et féodal. C’est par 33 mètres d’altitude, au-dessous de Langeais, rive gauche, que l’Indre débonnaire entre en Loire.

La Vienne (372 kilomètres), qui vaut presque l’Ailier en longueur, qui le dépasse en volume, égoutte un bassin de plus de 2 millions d’hectares. Son nom chez les paysans de ses rives est Vignagne ou Vignane. Elle arrive au jour en Corrèze, à trente et quelques kilomètres à vol d’oiseau au sud d’Aubusson, à vingt au sud-ouest d’Ussel, sur le plateau bossué de Millevache, à la basse du plus haut mamelon du mont Odouze. Puis ses eaux claires, bien que teintées de rouge, usent un chemin de pierre dans une délicieuse vallée, entre des dômes boisés, dans les prairies où paissent les grands bœufs et les forts chevaux du Limousin. Née par 858 mètres d’altitude, elle descend si vite, par Eymoutiers et Saint-Léonard, qu’à Limoges son niveau n’est plus que de 210 mètres. Devant cette ville au loin renommée pour ses porcelaines, elle est large de 75 à 80 mètres, ayant déjà pris leur eau, leur nom, leur gloire à trois rivières inégales qu’aucun été ne peut espérer de tarir, à trois courants faits de ruisseaux nés sur des pelouses éternellement humides, à trois ondes rapides, expansives, indociles, à trois joyeux torrents immortellement jeunes qui, de l’amont à l’aval, et du plus petit au plus grand, se nomment la Combade, la Maulde et le Taurion.

À Aixe, à Saint-Junien, dans tout ce Limousin, « qui ne mourra jamais de sécheresse, » et dans l’agreste pays de Confolens, la vallée de la rivière garde sa verte fraîcheur ; dans le Poitou elle s’élargit, perd ses blocs cristallins et devient plus féconde entre des roches calcaires ; c’est la Vienne qui fait marcher la manufacture d’armes de Châtellerault ; la dernière cité qui s’y baigne est une ville tourangelle, Chinon.

Large de plus de 150 mètres, après qu’elle a bu la Creuse, la Vienne se perd dans la Loire, rive gauche, par 30 mètres d’altitude, à Candes : ce nom celtique, le même que Condat et Condé, veut dire confluent. Elle suit deux routes : d’abord celle de l’ouest, comme pour gagner la mer vers la Rochelle ou Rochefort, par la voie que prend le petit fleuve de Saintonge ; puis, quand elle n’a plus que quelques pas à faire pour envahir le vallon de la Charente et noyer dans ses larges eaux les quelques flots jaseurs roulés par ce ruisseau — car ici la Charente est tout près de sa source, — elle tourne subitement vers le nord. Elle reçoit la Combade, la Maulde, le Taurion, le Clain et la Creuse.

La Combade, qui n’a pas plus de 15 mètres de large, mais qui court vite, ruisselle du mont Gargan ; c’est une petite Maulde, comme la Maulde un petit Taurion, et le Taurion une petite Vienne.

La Maulde (70 kilomètres) atteint 24 mètres de moyenne largeur. Elle sort des plateaux de Gentioux, bruyères et pâtures qui se nouent à celles de Millevache et sont à peu près de la même et grande altitude : 800 à 900 mètres. C’est elle qui tombe dans le Gour des Jarreaux par une cascade voisine de Saint-Martin-le-Château. Extraordinairement sinueuse, d’un brun rougeâtre, elle mène ses eaux turbulentes à la Vienne à six kilomètres de Saint-Léonard, à Lartige, site réunissant tout ce qui fait la fraîche beauté « limousine ».

Le Taurion[3] égale presque la Vienne quand il la rejoint à 14 kilomètres au-dessus de Limoges. Long de 100 kilomètres, il arrive à 45 mètres de largeur moyenne. Comme la Maulde, il vient des froides bruyères de Gentioux ; ainsi qu’elle, il ne cesse de tourner des promontoires de gneiss et de granit ; comme elle il est vif et bruyant, rougeâtre aussi. Point de villes à sa rive, mais il ne passe pas loin de Bourganeuf.

Le Clain (125 kilomètres) part d’un plateau de 200 mètres d’altitude, entre Confolens et Civrai. Il est charmant. Il rase la colline de Poitiers, ville aux monuments illustres et tombe dans la Vienne à six kilomètres en amont de Châtellerault. Le Clain dort dans des vallons cernés de rochers ou de talus portant des bois ; des fontaines entretenues par des plateaux perméables envoient toute l’année des eaux transparentes à cette rivière sinueuse et profonde. Ses affluents lui ressemblent, notamment la Vonne et la Clouère : la Vonne passe à Lusignan, où nulle grande ruine ne remémore le manoir célèbre par la légende de Mélusine et la famille de rois chrétiens que les Croisés intronisèrent à Jérusalem ; la Clouère, à Château-Larcher, effleure le plateau de Thorus, qui est comme un grand musée de mégalithes.

La Creuse (235 kilomètres) arrive ainsi que la Vienne du plateau raboteux de Millevache, mais par une route beaucoup plus droite. Elle coule au bas de Felletin et dans la ravine où la ville qui tire un si grand lustre de la splendeur de ses tapis, Aubusson, s’écarte en pattes d’araignée. Au fond d’un bassin fort étroit, qui tient le milieu entre la gorge et le val, entre des prairies penchées, des bois de grands châtaigniers, elle serpente ensuite au long des coteaux houillers de Lavaveix et d’Ahun, puis elle effleure le massif de Guéret, qui domine de 150 mètres ses eaux vives mais sans abondance. Heurtée par des blocs, ridée par des pierres, fuyant sur des dalles, elle n’est point chaude, quoique très brisée, parce qu’elle coule sur des roches froides et qu’elle voit peu le soleil.

Bords de la Creuse.

Avant de quitter la vallée des prés ruisselants, des granits, des gneiss, des schistes cristallins, des hauts mamelons teints des fleurs de la bruyère, à Crozant, au pied de roches monumentales, la Creuse, qui est un glissement d’eau rougeâtre, reçoit la Sédelle, qui est un bouillonnement d’eau noire. Entre les deux rivières, du front d’un coteau, des ruines regardent ce confluent, merveilleux surtout à la première et à la dernière heure du jour. Pans tombés de la forteresse, murs fendus, tours cassées, vaste enceinte, c’est un grand ébrèchement que ce château. Sans doute il eut des maîtres sanglants, mais l’histoire ne les connaît point. Il semble pourtant que, d’une aire aussi fièrement accrochée à l’antique frontière d’Oil et d’Oc, il aurait dû sortir une de ces familles de seigneurs dont le temps fait des dynasties royales. Ce n’est pas du tertre de Bourbon-l’Archambault ou de telle autre butte entre deux vallons qu’on aimerait à voir descendre les Bourbons et les Valois, lignées tragiques ; c’est de Crozant, bloc « fatal », paysage de pierre entre deux précipices.

Après Crozant, au-dessous de Châteaubrun, la Creuse entre en plaine. Elle baigne Argenton et le Blane, puis, large d’environ 100 mètres, va porter à la grande rivière limousine et poitevine le tribut de la Petite-Creuse, de la Bouzanne, de la Gartempe et de la Claise. — La Petite-Creuse (65 kilomètres) touche le coteau de Boussac. — La Bouzanne (70 kilomètres), issue des coteaux d’Aigurande, a des talus et des mamelons couronnés d’anciens châteaux forts. — La Gartempe (170 kilomètres) naît à 10 ou 12 kilomètres en ligne droite au sud-est de Guéret, dans des puys de 600 à 700 mètres. Grossie par de nombreux étangs de la Marche et du Limousin, elle prend 50 mètres de largeur moyenne, baigne Montmorillon, recueille l’Anglin (80 kilomètres), et tombe dans la Creuse à la Roche-Posay. Claire comme la Creuse, faible comme elle pour la longueur de son cours, coulant longtemps ainsi qu’elle dans des roches dures auxquelles succèdent les calcaires du Poitou, la pittoresque Gartempe est parallèle à la Vienne. — La Claise (80 kilomètres), rivière de 20 mètres de large, conduit à la Creuse les eaux de la Brenne, cette terre d’étangs et de marais peuplée d’hommes hâves.

Seul tributaire notable entre la Vienne et la Maine, le Thouet (130 kilomètres) assemble les eaux d’un pays où se livrèrent des « combats de géants », pendant la terrible guerre civile qui reçut le nom de guerre de Vendée. Nom faux, car cette lutte où se perdit tant d’héroïsme commença hors de la Vendée et s’étendit sur le Poitou, l’Anjou, le Maine, la Bretagne ; elle versa plus de sang sur le Thouet, la Sèvre Nantaise et la Loire que sur la Vendée et sur les deux Lay. Le Thouet sort de la Gâtine de Poitou, terre sans chaleur et sans fécondité, schistes noirs et granits gris, landes, haies vives, étangs ombragés, ruisselets tortueux traînant des eaux d’un rouge noirâtre. Ses flots sans clarté passent dans le profond vallon de Parthenay, contournent le rocher de Thouars et baignent Saumur, que lavent ainsi deux courants inégaux, le Thouet et la Loire. Le Thouet reçoit la Dive du Nord (75 kilomètres), rivière marécageuse, canalisée dans son cours inférieur : formée dans un pays calcaire bien différent de la Gâtine de Poitou, la Dive est remarquable par la force de ses sources, par la beauté de son onde.

La Maine, seul grand affluent de droite, amène à la Loire le tribut de 2 millions d’hectares. Elle se forme de trois rivières : la Mayenne, la Sarthe, le Loir ; des trois, la Mayenne est la plus courte et la moins abondante ; la Sarthe est la plus forte ; le Loir est la plus longue.

La Mayenne (200 kilomètres) garde le nom malgré son infériorité : le mot Maine, évidemment, n’est qu’une forme du mot Mayenne. Le ravin sylvestre où son premier filet d’eau scintille, s’ouvre dans le Mont des Avaloirs (417 mètres), qui porte la forêt de Multonne : ce massif n’a qu’un seul rival, la forêt d’Écouves, dans tout le vaste pays compris entre la Seine, la Loire, le détroit qui assiège la Normandie et l’Océan qui écaille la Bretagne. La Mayenne traverse Mayenne, Laval, Château-Gontier ; elle mêle à ses eaux sombres les eaux de la Varenne (65 kilomètres), qui baigne le haut rocher de Domfront, et celles de la rivière de Segré, l’Oudon (80 kilomètres), qui a des crues de 400 mètres cubes.

La Sarthe (275 kilomètres) est normande par : ses sources, mancelle par la plus grande partie de son cours, angevine par son embouchure. Née dans les collines de 300 mètres qui vont des forêts du Perche aux herbages du Merlerault, elle arrose Alençon, le Mans, Sablé. C’est dans le bassin du Mans qu’elle accueille la rivière de Nogent-le-Rotrou, l’ornement du Perche, la charmante Huisne (130 kilomètres), dont les méandres gracieux reflètent des prairies et des forêts.

Le Loir, bleu, profond, tranquille, a 310 kilomètres ; il en avait 318 quand la Beauce, où il naît au sud-ouest de Chartres, était moins sèche ; il serpente dans une vallée qui ne manque ni de grâce, ni de fraîcheur ; et quel homme, au sortir de la Beauce, cette plaine sans eaux et sans bois, ne serait touché de fouler des gazons au bord de l’onde, au pied des arbres ? Il mouille le coteau de Châteaudun, il erre dans le val de Vendôme, il passe à La Flèche. Lorsqu’il se heurte à la Sarthe, dans les prés de Briollay, il a fait 35 à 40 kilomètres de plus que la rivière qui lui prend son nom.

C’est à trois kilomètres seulement en amont d’Angers que la Mine se forme de la réunion de la Mayenne et de la Sarthe augmentée du Loir ; c’est à dix kilomètres seulement en aval qu’elle est bue par la Loire près du bourg sagement appelé Bouchemaine. On estime son étiage à 25 mètres cubes d’eau par seconde, dont environ la moitié fournie par la Sarthe, et ses crues à 1 500 mètres cubes, dont 600 pour la Mayenne, 500 pour la Sarthe, 400 pour le Loir.

En somme, la rivière maîtresse du bassin de la Maine, c’est, en été, l’Huisne, qui porte alors à la Sarthe 6 700 litres d’eau par seconde, tandis que celle-ci n’en roule que 1 850.


Après la Maine, la Loire ouvre encore son sein au Layon, à l’Erdre, à la Sèvre Nantaise, à l’Acheneau.

Le Layon (90 kilomètres) est sans abondance : il sort du Bocage angevin et se termine à Chalonnes.

L’Erdre (100 kilomètres), qui afflue à Nantes même, n’est longtemps qu’un ruisseau ; mais elle prend tout à coup une largeur de 200 à plus de 1 000 mètres, si bien qu’on croirait contempler un des nobles fleuves de l’Univers. Cette expansion d’eau, ce lac allongé, cet ancien fiord pour tout dire, car c’est bien un vieux golfe de la mer, a 20 kilomètres de longueur, jusqu’à toucher Nantes : on lui donne à l’endroit le plus ample le nom de plaine de Mazerolles.

La Sèvre Nantaise (140 kilomètres) se termine également à Nantes. La Gâtine de Poitou lui donne la naissance ; lente en son sinueux voyage, de peu de volume, trop opaque pour refléter purement ses promontoires de granit, elle arrose les beaux vallons de Mortagne, de Tiffauges et de Clisson.

L’Acheneau ou Cheneau (21 kilomètres) déverse le Grand-Lieu, nappe de 7 000 hectares n’ayant qu’un mètre d’eau en moyenne, et çà et là 2 mètres entre des rives plates. Le Grand-Lieu miroite à 12 ou 15 kilomètres à vol d’oiseau au sud-ouest de Nantes ; cette pièce d’eau, qui a pour meilleur affluent la sombre Boulogne (70 kilomètres), rivière vendéenne, fut notre plus grand lac, mais non le plus beau, jusqu’à l’annexion de la Savoie. La pente ne le mène à l’estuaire qu’à marée basse ; à mer haute, la Loire le domine d’un mètre environ ; et c’est pour cela que le fleuve put le former, il y a treize cents ans, comme le prétend la légende, ou plutôt l’agrandir en noyant des prés, des bois et la ville d’Herbauge ; sans les portes d’écluse de l’Acheneau, il en recevrait le flot pour le lui renvoyer ensuite augmenté du tribut de quelques rivières. Insensiblement, celles-ci le diminuent par le dépôt des alluvions ; mais on n’attendra pas que les siècles le comblent : il est facile d’assécher cet étang couvert de canards, dont le lit de granit porte une vase fertile.


3o Canaux entre la Loire et les fleuves du pourtour. — Le bassin de la Loire communique avec la rade de Brest par le canal de Nantes à Brest ou canal de Bretagne, long de 359 kilomètres. Cette grande voie n’a pas moins de 232 écluses : c’est qu’elle change maintes fois de versant : l’Erdre, affluent de Ïa Loire ; l’Isac, affluent de la Vilaine ; la Vilaine, fleuve côtier ; l’Oust, autre tributaire de la Vilaine ; le Blavet, petit fleuve ; la Lorette, affluent du Blavet ; le Kergoatt qui court à l’Hyère, l’Hyère qui court à l’Aune, l’Aune qui s’engloutit dans la rade de Brest, elle emprunie ces divers cours d’eau relevant de quatre bassins (Loire, Vilaine, Blavet, Aune). Erdre, Blavet, Kergoatt, Hyère, Aune, la pourvoient d’eau d’éclusée, ainsi que divers réservoirs : les deux étangs du Vioreau, dans le bassin de l’Erdre, non loin de l’abbaye des Trappistes de La Meilleraie, ont ensemble 242 hectares et 8 160 000 mètres cubes amenés au canal par une rigole de 21 kilomètres ; celui de Bosméléac ou de Bara, pris à l’Oult naissant et contenant 2 millions de mètres, envoie sa réserve par une rigole de 62 kilomètres ; celui de Coron (2 770 000 mètres cubes) est voisin de Glomel.

La Loire est en relation suivie avec la Seine par le canal d’Orléans-Briare-Loing, et le canal du Nivernais. Le canal du Centre le relie au Rhône : ce Canal du Centre, anciennement nommé canal du Charolais, part du canal latéral à la Loire en face de Digoin, traverse presque aussitôt le fleuve par un aqueduc de plus de 200 mètres, puis remonte la vallée de la Bourbince. Arrivé à la hauteur des terres, près du Creuzot, à moins de 350 mètres d’altitude, il passe dans la vallée de la Dheune, qu’il abandonne à Chagny pour piquer droit sur Châlon : là il atteint la Saône, après 117 kilomètres. Sur le versant de la Loire il a 78 mètres de pente rachetés par 30 écluses, et sur celui de la Saône 131 mètres rachetés par 51 écluses. Des prises d’eau en ruisseau ou en rivière l’alimentent, ainsi que quatorze réservoirs, dont douze tributaires du bief de partage.

Il n’y a pas encore de voie navigable unissant n’importe quelle rivière du bassin de la Loire à n’importe quel cours d’eau du bassin de la Charente et de la Gironde.

  1. C’est ainsi qu’en 1856 elle a fouillé les ossements du cimetière de la Chapelle-sur-Loire (Indre-et-Loire).
  2. Fausses rivières, bras latéraux.
  3. On écrit aussi Thaurion, Torion, Thorion ; et, à bien écouter les paysans, il semble qu’on devrait dire et écrire Tourion.