Imprimerie officielle (p. 76-82).

LE VIEUX CHEMIN OU ROUTE DE LA « TRACE »


Appelé aussi le « grand chemin de la rivière et des hauteurs. » Il est dénommé « chemin du Roy » dans les plans de Le Blanc et de Richard des 4 août 1733 et 9 juillet 1808[1] où l’on voit la rivière Levassor le longeant en partie entre le cimetière et l’hôpital militaire. C’est encore lui qui est appelé « chemin des Pitons » dans un projet de restauration de l’hôpital du premier mai 1826 et dans un plan de 1829[2].

C’est l’une des voies les plus pittoresques de la Martinique.

On passe successivement au milieu de l’agglomération dite « Pont de Chaînes » qui a le quartier de l’Ermitage à gauche, puis devant celle de Tivoli, un des centres créés pour les sinistrés des éruptions volcaniques de 1902 et où se trouve un intéressant jardin botanique, devant l’église du Sacré-Cœur ou « Le Montmartre Martiniquais », édifié par Mgr  Lequien à l’aide de souscriptions. L’architecte a été M. Ch. Wulffleff.

Au 8e kilomètre, le Camp Percin ou Camp Décidé.

Il doit cette dénomination aux dispositions qui animèrent ceux qui étaient résolus à le défendre[3]. C’est là que Percin et ses compagnons résistèrent victorieusement à Rochambeau, le 15 avril 1793. Cette terre a été détachée d’une ancienne caféière qui appartenait à Mme  Lemaitre veuve de Courjolle et de Ligner, décédée sur la propriété le 24 décembre 1822 et Sidney Daney dit que du chemin de Fort-de-France aux Pitons on en voit encore l’emplacement. Elle figure sur des cartes des environs du Fort Royal et du Fort Bourbon de 1826[3].

Il résulte d’un acte de Me  Jouque, notaire à Saint-Pierre, en date du 21 novembre 1856 que M. Oscar Willes a vendu à Mme Courjolle une terre de la contenance de 2 hectares, 58 ares, 52 centiares, borné au nord par la propriété Rosemain Valéry, à l’est par la route coloniale et s’étendant à l’est sur la dite route, de la limite de M. Rosemain Valéry jusqu’à l’endroit où le terrain est escarpé et forme le camp décidé. Elle a été cédée par les héritiers Willes à M. Paul Rémy, le 31 décembre 1903 et par celui-ci à M. Paul Constantin, le 26 septembre 1930.

Au 9e kilomètre, le camp de Balata, 450 mètres d’altitude, fraîcheur printanière. Une commission chargée de désigner l’emplacement d’un camp défensif, de préservation de la fièvre jaune et d’acclimatement estima, en son rapport du 24 mai 1853, que le climat de Balata est supérieur à celui d’autres localités de la colonie situées à pareille hauteur, mais qui ne se trouvent pas dans des conditions aussi heureuses[4].

40 soldats ont occupé cet ancien relais pendant une épidémie de lièvre jaune de 1843 à 1844 et pas un seul n’a été atteint. Il a été dit cependant, dans le mémoire du 15 juin 1853[5] qui relate le renseignement favorable précité que tous les nuages qui suivent la crête du Morne Moco se déchargent sur Balata et que la grande humidité qui résulte des pluies presque continuelles cause de nombreux cas de dyssenterie.

Mais le même jour il était dressé[6] un état estimatif des travaux à effectuer à Balata, soit 630,000 francs dont 10,000 fr. pour l’achat du terrain qui a été détaché de l’habitation la Liot. Et l’année suivante, le 16 octobre 1854, le général de division Comte de Soucy, inspecteur des services militaires aux colonies, concluait en faveur de Balata « bien rafraichi par les vents d’Est, offrant à la vue une perspective vaste et riante[7] ».

Le terrain, d’une superficie de 40 hectares, 50 ares et la propriété et jouissance de la source Agathe qui se trouve sur le surplus des terres de l’habitation Liot, ont été vendus le 23 novembre 1861 par M. Charles Liot pour faire partie des domaines de l’État à la Martinique.

Le prix a été de 30,000 fr. (acte de Me  de Gentile).

En mars 1864, le prince Charles Bonaparte, petit fils de Lucien, qui se rendait au Mexique, comme capitaine de la Légion étrangère, s’arrêta à la Martinique à la suite d’un accident de machine survenu au « Darien ». Voulant jouir du magnifique aspect que présente au voyageur la splendide végétation de l’île, le Prince visita la Trace. Mais sept kilomètres après Saint-Pierre il eut un accident de cheval[8].

Peu après, le 16 mai 1864, le « Novara » arrivait à Fort-de-France, portant l’Empereur Maximilien et l’Impératrice Charlotte, à destination du Mexique. Ayant témoigné aussi le désir de connaître quelques uns des poinls de vue si séduisants de la Martinique, ils firent une longue promenade sur cette même route et s’arrêtèrent à Balata, où ils furent reçus par M. Liot, trésorier général qui leur offrit un goûter[8].

En face de Balata, le Morne Moco désigné dans le mémoire précité du 15 mars 1843 comme étant couvert de bois impénétrables et qui, aujourd’hui encore, est un superbe îlot de verdure, appartenant aux « Amis des Arbres » qui l’ont reboisé.

Il a gardé le nom de son ancien propriétaire et sa superficie est de 85 hectares, 46 ares, 42 centiares.

Au 11e kilomètre, une route de 1 k. 4 conduit à l’établissement thermal d’Absalon, qui a appartenu aux consorts Absalon et Moco. Sa contenance est de 76 hectares, 23 ares, 98 centiares.

Un pont permettant l’accès est placé en aval de la prise d’eau qui alimente Fort-de-France, donnant ainsi des garanties qui n’existaient pas avant ce travail.

Absalon, a écrit M. de Molinari, est une merveille qui vaudrait à elle seule le voyage des Antilles. L’eau d’Absalon est bicarbonatée mixte, acidule et ferrugineuse. Sa thermalite est de 37 degrés. Elle convient aux goutteux et aux rhumatisants. L’établissement, récemment reconstruit, est à une altitude de 350 à 360 mètres.

À ses pieds et dans le lit même de la rivière Case-Navire, il existe une autre source thermale dont la température est de 35° et qui, a dit le Dr  Sambuc dans un article sur les eaux minérales, paraît posséder la même composition et les mêmes propriétés quoiqu’à un degré inférieur[9].

Au 12e kilomètre, « La Donis », propriété dont la colonie a fait l’acquisition afin de protéger les bois et les eaux de ruissellement du bassin de la rivière de Case-Navire qui alimente la ville.

La Colonie y a établi un poste forestier et la commune y a fait le captage d’un ruisseau dont l’eau est répartie entre les riverains de la route.

À visiter les trois tombes qui s’y trouvent. En 1881, elles ont reçu les restes de trois soldats : Euzèbe Louis Pierre, Guillot Charles Constant et Lechène Marie Jules Henri, nés en France, et morts de la fièvre jaune à la fleur de l’âge sur cette habitation qui était alors une dépendance et une annexe de l’hôpital militaire de Fort-de-France.

Deux kilomètres plus loin, le camp de Colson où se trouve une belle piscine.

Au 15e kilomètre, un marbre sur lequel le Syndicat d’initiative a fait reproduire une inscription gravée à l’origine sur la pierre et qui indique qu’en 1850 la Trace a été ouverte en 13 jours par un détachement du 2e régiment d’infanterie de marine, sous les ordres du capitaine Testaud et des sergents Pétrat et Grabié, le Contre-amiral Bruat étant Gouverneur et commandant la station.

C’est ensuite le village de la « Médaille » où ont été établis les sinistrés des éruptions volcaniques de 1902. A la suite d’un très fort éboulement cinq victimes restèrent ensevelies : Baré Marie, Bordin Pierette, Cordémy Stéphanie, Cordon Albert et Mondina Adèle.

Au 18e kilomètre, l’Alma offre aux passants un bain agréable et frais, et sur ses bords sont deux cabines que le Syndicat d’initiative a fait construire pour la commodité des baigneurs.

Par un ordre du jour daté des Pitons, l’Amiral de Gueydon enjoignait, le 17 décembre 1854, aux soldats de l’infanterie de marine de faire disparaître une lacune qui existait à partir de la 16e borne et pendant deux kilomètres et demi. Il s’agissait d’élargir, sur ce parcours, le sentier ouvert par l’Amiral Bruat et qui était « impraticable pour une mule ».

Le Comte de Gueydon voulait aussi, sur le plateau qui est au point d’intersection de la Rivière-Blanche et de la route, créer un village qui prendrait le nom de la bataille de l’Alma où l’infanterie de marine s’est si remarquablement distinguée.

Ce serait, projetait-il, une paroisse qui aurait son église et qui deviendrait plus tard une commune. On en nomma même le curé, l’abbé Boë, et un presbytère fut construit sur un terrain de 50 ares.

Un arrêté du 8 janvier 1855 créa donc le bourg de l’Alma sur le plateau boisé des Pitons. Il n’a pas été exécuté et cela nous a permis de conserver le site qui fait aujourd’hui l’admiration de tous.

L’Amiral de Gueydon avait prévu, il est vrai, dans son ordre du jour, « l’exploitation intelligente du bois qui ne détruit pas les forêts ». Mais il comptait sans l’imprévoyance des hommes et il ne pensait pas que la Martinique aurait perdu ainsi et rapidement ce qui fait sa parure et une partie de sa beauté.

Puissions-nous conserver toujours cette parure et cette beauté !

« De grands arbres au feuillage sombre, couverts d’orchidées et d’épiphytes, se penchent sur la route, et derrière eux se pressent dans la pénombre silencieuse et moite des troncs pressés parmi un enchevêtrement de lianes[10] ».

C’est la forêt tropicale.

« Le spectacle est vraiment grandiose, soit que, parti de Fort-de-France, on se dirige vers Saint-Pierre par les Deux-Choux, soit que l’on bifurque par la route du Calvaire qui conduit au Gros-Morne. Dans les deux cas, l’on traverse une région boisée au milieu d’arbres géants qui croissent de toutes parts. Ce ne sont que montées de sève, poussées de feuillage, jets d’arbustes vivaces, bouquets d’arbres touffus prodiguant leur surcroît de vie à des parasites qui s’y accrochent de la base au sommet.

« Tantôt de fortes lianes grimpent à l’assaut des branches plus élevées, puis retombent et se balancent dans l’espace en festons chevelus, tantôt la brise capricieuse caresse les sommets des bambous, inclinant leurs tiges indolentes, tandis que des fougères arborescentes étendent leur large parasol comme pour abriter le voyageur et que, montant du cœur des balisiers, le rouge sanglant de leurs fleurs luit dans la pénombre verte[11]. »

C’est sans doute après 1854 qu’avait été construite la maison qui servait de logement au Gouverneur et de halte pour les voyageurs et que le Syndicat d’initiative n’a pas obtenu l’autorisation de rebâtir à ses frais en 1934[12].

Trois sources minérales ont été découvertes en 1856, l’une à 3 ou 400 mètres de l’Alma, au bord de la route ; la deuxième, à un kilomètre de cette voie ; la troisième, la plus importante, est distante de 4 kilomètres de l’Alma, à la pointe de terre qui longe la crête séparant la rivière Blanche de celle de Cadoré. Cette troisième source débite dix litres environ par minute et sa température est de 26 degrés 3.

Ces eaux contiennent de l’acide carbonique, de l’acide sulfurique et du chlore[13].

La route qui est entre l’ancien hôpital et la rivière Levassor rejoint le chemin des Pitons. Mais il semble résulter d’un plan du commandant Garin de 1829[14] que cette route aurait alors comme issue le pont Damas et qu’elle continuait sans doute par le littoral pour relier Fort-de-France à Saint-Pierre.

Il est à souhaiter qu’on mette en état et qu’on utilise la voie déjà frayée qui relierait les établissements d’Absalon et de Didier. L’on aurait ainsi un circuit touristique très intéressant qui permettrait de visiter, en un seul voyage, la première partie de la route de Balata et celle de Didier.

  1. Arch. min. col. n° 495.
  2. Arch. min. col. n° 665 et 784
  3. a et b Histoire de la Martinique, par Sydney Daney, Ch. 29 page 324. Arch. min. Col. n° 605 et 642.
  4. Arch. min. col. n° 1341.
  5. Arch. min. col. n° 1343.
  6. Arch. Min. col. n° 1344.
  7. Arch. Min. col. n° 1347.
  8. a et b Le Messager, 2, 5, 12 mars 1864, 18 mai 1864.
  9. Revue encyclopédique coloniale, 1866-1867, page 404.
  10. Annuaire de la Martinique, année 1931, paye 101.
  11. La Martinique à l’Exposition coloniale de Paris de 1931, par M. Théodore Baude page 17.
  12. Lettres du Président du Syndicat d’Initiative et du Gouverneur des 13 et 24 décembre 1934.
  13. Rapport de M. Prieur. Moniteur de la Martinique des 7 février et 10 Juillet 1856.
  14. Arch. minis. col. n° 784.