Michel Lévy frères (p. 77-81).



XVII


Une troisième lettre de madame de Montesparre nous arriva sur ces entrefaites.

« Rolande, pardonnez-moi. J’ai été injuste, insensée. Je vous ai accusée, je m’en repens, vrai ; pardonnez-moi. J’ai confessé tout doucement mon pauvre malade. Je sais maintenant toute la vérité ; elle est cruelle pour moi, mais elle vous disculpe. Vous étiez aimée passionnément, et vous ne vous en doutiez pas. Je ne devrais pas vous le dire, mais j’aime les situations nettes, et, après vous avoir offensée par mes soupçons, il m’est impossible de ne pas réparer ma faute par le pardon que je vous demande humblement. M. de Salcède ignore ce que je vous écris. Il espère que vous ne saurez jamais son amour ; il serait mort plutôt que de vous le laisser pressentir. Il n’a pas de torts envers moi, ni envers vous, ni envers M. de Flamarande. Il n’a fait de mal qu’à lui-même ! Il me témoignait une amitié qui est sincère, et qu’il ne m’ôtera jamais. Il vous respecte, il vous vénère et… il vous adore, ce n’est pas sa faute. Après votre départ de chez moi, il a voulu entrer dans votre chambre avant qu’elle fût rangée et occupée par une autre personne. Encore, non, je le fais plus coupable qu’il ne l’est. Il passait devant votre petit salon sans avoir rien prémédité ; il ne voulait voir que vos fenêtres. Elles étaient ouvertes, et la lune éclairait un bouquet qu’il avait vu dans vos mains le matin et que vous aviez oublié sur la table de votre petit salon. Il a poussé la porte vitrée, il a pris le bouquet, il n’a pas même franchi le seuil de votre chambre, bien qu’il la crût déserte. Il se retirait au moment où votre mari l’a surpris. Celui-ci n’a voulu entendre à rien et lui a donné rendez-vous à Paris pour se battre. Salcède s’est battu comme un fou qui cherche la mort, et, s’il n’a pas trouvé ce qu’il cherchait, c’est que Dieu ne l’a pas voulu. Il m’a montré votre bouquet taché de son sang. Ah ! quelle passion, et que vous êtes heureuse, vous, d’être aimée ainsi par un tel homme ! Mais il croit que vous le dédaignez, et, si j’étais égoïste, je souhaiterais, moi, qu’il en fût ainsi ; j’aurais l’espérance de le voir guérir au moral comme au physique. Quoi qu’il arrive, je reste votre amie à tous deux. Je l’emmènerai à Flamarande aussitôt qu’il sera capable de supporter le voyage. Envoyez-moi un mot pour lui, une parole de pitié et de pardon. Il ne la demande pas, il ne demande rien ; mais il se tourmente affreusement de votre situation. Il craint que votre mari ne vous accuse de légèreté et ne vous rende malheureuse. Je le crains aussi.

» Rassurez-moi et répondez-moi, je vous en supplie.

» BERTHE. »


Madame de Flamarande semblait justifiée par cette lettre. M. le comte n’y crut pas.

— Cette fois, dit-il, Salcède a eu de l’esprit. Il a fait sa paix avec la baronne en avouant un amour platonique et en lui laissant l’espoir d’être aimée par reconnaissance. La baronne n’est pas bien fière ; elle pardonne tout, pourvu que le mariage s’ensuive. Elle veut ruser avec la comtesse et lui faire croire à une magnanimité dont nulle femme n’est capable, elle pas plus qu’une autre. Serrez cette lettre ; la réponse ne serait pas plus sincère que la demande. Je ne veux plus de ces épanchements féminins, qui ne sont que ruses et grimaces, et qui ont peut-être pour but de me tromper.

Une quatrième lettre de la baronne, qui vint deux mois plus tard, et qui était datée de Montesparre, disait :


« Je l’ai amené ici, où il a encore failli mourir en arrivant. Le voilà un peu mieux, mais je ne suis pas encore tranquille. Le souvenir de son pauvre père et la crainte d’avoir troublé votre ménage l’empêchent de guérir. Et vous, cruelle Rolande, vous ne répondez pas ? Vous me gardez rancune, ou vous haïssez ce malheureux, qui meurt pour vous. Vous lui imputez les mauvais traitements que votre mari vous inflige peut-être ! Peut-être encore que M. de Flamarande intercepte nos lettres. Les miennes pourtant vous justifient avec une sincérité de premier mouvement qu’il ne peut pas méconnaître. De grâce, si vous le pouvez, écrivez-moi une seule ligne, un seul mot : Je pardonne ! Il ne le demande, ni ne l’espère ; mais, si je pouvais le lui montrer, je suis sûre que je lui rendrais la vie. Ne soyez pas prude, ma chère Rolande. J’espère bien que vous ne vous reverrez jamais et qu’il vous oubliera ; mais aidez-moi à le sauver. Dieu vous en tiendra compte. »

Cette lettre fut encore serrée dans un coffre à part sans être remise à madame de Flamarande. M. le comte prétendit que la baronne, avec son esprit romanesque et son amour extravagant, travaillait à perdre entièrement la comtesse. Je n’étais pas convaincu par lui ; il me permettait de discuter et de lui dire tout ce qui me semblait être à la décharge de l’accusée ; mais à toutes mes allégations il avait une réponse obstinée :

— Qu’elle ne revoie jamais ni Salcède ni aucun homme capable de l’émouvoir, et surtout que l’enfant disparaisse ! Après cela, je compte la traiter comme si elle était justifiée.