Furne, Jouvet et Cie (Tome 1 des Supplémentsp. 111-250).
SUPPLÉMENT
aux
BATEAUX À VAPEUR


La Notice sur les Bateaux à vapeur des Merveilles de la science s’arrête à l’année 1870, date de la publication des derniers volumes de cet ouvrage. Depuis cette époque, l’industrie des constructions navales a marché à pas de géant. Une transformation complète s’est opérée dans la construction des bateaux à vapeur. On est parvenu, tout à la fois, à augmenter sensiblement la vitesse de la marche et à diminuer la consommation du charbon. Les flottes de commerce, les paquebots et la marine militaire, ont également profité de ces perfectionnements fondamentaux.

Comment s’est opérée la remarquable transformation que nous venons de signaler ?

1o Par la substitution générale de l’hélice propulsive aux roues à aubes ;

2o Par la transformation qu’ont reçue les machines motrices à vapeur, grâce à l’emploi général de la détente à double et triple expansion, c’est-à-dire par l’introduction, à bord des vaisseaux, de ces admirables machines Compound, dont nous avons longuement exposé les principes, dans la Notice qui précède ;

3o Par la transformation des chaudières, et la substitution aux anciennes chaudières à carneaux, des nouveaux générateurs tubulaires ;

4o Par les progrès qui ont été réalisés, dans les chantiers de constructions navales, sur les anciens procédés, particulièrement par la substitution du fer au bois, de l’acier au fer, et par différents perfectionnements apportés à l’armement et aux aménagements des navires.

Tels sont les moyens principaux qui ont transformé, de nos jours, la navigation par la vapeur. Nous allons étudier, dans autant de chapitres spéciaux, chacun de ces perfectionnements, en les considérant d’une manière générale. Ensuite, et dans d’autres chapitres, nous ferons l’application de ces principes généraux, en décrivant :

1o Les paquebots actuels à grande vitesse ;

2o Les navires de commerce proprement dits ;

3o Les divers bâtiments à vapeur d’importance secondaire, tels que remorqueurs, bateaux de rivières et de canaux ;

4o La navigation de plaisance à vapeur.

CHAPITRE PREMIER

substitution de l’hélice, comme agent propulseur, aux roues à aubes. — avantages de cette substitution. — exceptions et réserves.

La première et la plus importante des modifications qu’ont reçues, dans ces derniers temps, les navires à vapeur, est sans contredit l’abandon des roues à aubes, comme propulseur, et leur remplacement par l’hélice.

La substitution générale de l’hélice aux roues est pleinement justifiée par les considérations suivantes :

1o Les roues ont le grave défaut d’absorber, par le recul, une grande quantité de la force motrice. Cette perte de force peut s’élever à 30 pour 100 de la puissance transmise aux roues, et elle n’est jamais inférieure à 15 pour 100.

2o Les roues, avec les vastes tambours qui les protègent, sont exposées aux coups de mer, et courent le risque, par les gros temps, de graves et fréquentes avaries. Elles offrent au vent une prise considérable, et nuisent à la marche, particulièrement quand le vent est debout. Sur les navires de guerre, les roues sont à la merci de l’artillerie ennemie, qui peut, en quelques coups de canon, les réduire à l’impuissance.

3o Les efforts de torsion sur l’arbre moteur sont inégalement répartis, lorsque, par suite du roulis, une des roues vient à émerger, souvent entièrement, alors que l’autre est noyée jusqu’au moyeu.

4o Les machines à vapeur qui actionnent les roues motrices sont lourdes et encombrantes, en raison des grandes dimensions que la faible vitesse du propulseur oblige à leur donner. Le poids des premières machines à vapeur à balancier s’élevait jusqu’à 240 kilogrammes par cheval-vapeur. Cette lenteur de mouvements, en empêchant d’appliquer les grandes détentes, rendait les machines à vapeur dispendieuses ; elle forçait à employer de vastes chaudières, et à embarquer une provision considérable de charbon.

Ajoutons que le poids propre du propulseur et des tambours, pour de grands navires, devenait énorme ; car l’utilisation de la force développée par la machine n’est satisfaisante qu’à la condition que le diamètre des roues et la largeur des aubes soient aussi grands que possible.

On comprend, d’après cet exposé, que les roues aient fini par être abandonnées, et que nos ingénieurs de marine adoptent unanimement aujourd’hui l’hélice pour tous les grands navires.

Avec l’hélice, en effet, tous les défauts qui viennent d’être énumérés n’existent pas, ou sont, tout au moins, fort atténués.

L’hélice, étant complètement immergée, est soustraite aux coups de mer et aux boulets, en même temps qu’elle est préservée des effets du roulis. Elle ne souffre pas, comme les roues, d’un excès d’immersion. Les machines à vapeur qui l’actionnent sont plus légères et moins encombrantes ; elles ne dépassent guère le poids de 120 kilogrammes par cheval-vapeur. Enfin, les grandes détentes de la vapeur sont applicables à ces machines ; d’où résulte une économie sur le poids des chaudières, qui se font plus petites, et sur le charbon, qui est consommé en très faible quantité.

L’hélice ne gêne pas la marche à la voile, comme le font les roues, et elle rend le gouvernail plus sensible.

L’adoption du condenseur à surface dans la machine à vapeur marine ayant permis de faire usage d’eau douce, pour l’alimentation de la chaudière, et par suite de marcher à très haute pression, a également contribué à diminuer les dimensions de l’appareil moteur, et à réduire la consommation du charbon.

Tous ces perfectionnements ont permis à égalité de poids et d’encombrement, de doubler la puissance des appareils moteurs. Dès lors, la vitesse des bâtiments s’est accrue, en même temps que leur capacité augmentait, avantage précieux pour les navires de commerce, qui ont pu embarquer de très grandes quantités de marchandises, et doubler le nombre de leurs traversées, dans le même temps.

Les paquebots ont particulièrement profité des nombreux progrès réalisés dans les constructions navales. Dans l’état actuel du commerce international, la préférence est assurée au navire qui arrive le premier au port. C’est ce qui explique l’activité fébrile avec laquelle les diverses Compagnies maritimes des deux mondes se sont appliquées à augmenter la vitesse et les dimensions de leurs paquebots.

De cette lutte est sorti le paquebot actuel à grande vitesse, véritable chef-d’œuvre de l’industrie humaine, sorte de cité flottante, où le voyageur trouve tout le confort des villes, et n’est pas plus dépaysé à bord que dans les plus somptueux hôtels des grandes capitales.

Dans la marine militaire la faculté de diminuer le poids des navires, en même temps que d’accroître leur capacité, a conduit à des résultats tout aussi importants que dans la marine de commerce, et les avantages de l’adoption de l’hélice s’y sont fait tout aussi vivement sentir. Grâce à l’allégement du poids des chaudières et des machines à vapeur, les ingénieurs de la marine ont pu créer l’armement formidable que l’on donne aujourd’hui aux navires de guerre, et augmenter l’épaisseur des cuirasses ; ce qui devenait de plus en plus nécessaire, en présence des progrès continuels de l’artillerie. On a pu lancer ces nouveaux et grands croiseurs, destinés à faire la chasse aux paquebots. Enfin, on a construit ces redoutables torpilleurs, de dimensions minuscules, mais dont la vitesse prodigieuse atteint celle de nos trains de chemins de fer.

En traitant de l’hélice dans les Merveilles de la science, nous avons dit [1] par quelles phases a passé la forme de ce propulseur appliqué à la navigation. On a constaté qu’en supprimant les parties avant et arrière, on diminuait sensiblement ses vibrations ; de sorte que le nombre des branches de l’hélice, qui de 2 était passé à 4 et à 6, est revenu aujourd’hui à 4 et à 3.

On appelle pas de l’hélice la quantité dont elle avancerait en un tour, si elle tournait dans un milieu solide. Il s’en faut de beaucoup, en pratique, que ce résultat soit obtenu, étant donnée la mobilité des molécules liquides. La quantité de force perdue par cette cause s’appelle le recul. Pour les grands bâtiments, le recul varie de 3 à 12 pour 100 de la force transmise à l’hélice ; il s’élève jusqu’à 20 pour 100, pour les petits bâtiments.

On a beaucoup cherché à diminuer le recul de l’hélice, en lui donnant des formes basées sur des principes plus ou moins empiriques ; mais jusqu’à ce jour on n’a pas trouvé de résultat absolu.

On construit généralement l’hélice en bronze.

Depuis quelques années, on ne fait plus les hélices d’une seule pièce, du moins pour les propulseurs des grands navires. C’est qu’il était difficile de fondre d’un seul jet des pièces aussi grandes ; et par l’encombrement qu’occasionnait une hélice de rechange faite d’une seule pièce, il était très difficile de la loger à bord. En définitive, on fond aujourd’hui un moyeu, sur lequel on rapporte, à l’aide de clavettes ou de goujons, les ailes de l’hélice.

Nous disons que l’hélice est aujourd’hui uniquement adoptée dans la navigation maritime. Il faut pourtant noter quelques exceptions à cette règle. Dans le cas où un très faible tirant d’eau est nécessaire, les constructeurs sont forcés de conserver les roues à aubes. Telle est la condition où se trouvent les paquebots qui font la traversée de la Manche, et ceux qui font le service de la malle d’Irlande, entre Kingstown et Holyhead. Pour naviguer sur les rivières du Tonkin, la marine française a fait également construire des canonnières à roues intérieures. Mais ce ne sont là que des cas particuliers, limités à des parcours restreints, et qui n’infirment en rien le principe général que nous avons fait ressortir dans ce chapitre.

Les roues à pales fixes sont encore employées ; cependant on leur substitue généralement les roues à pales mobiles, dont nous avons donné la description dans les Merveilles de la science [2]. Elles l’emportent sur les roues à pales fixes, sous le rapport du rendement, parce qu’elles attaquent l’eau toujours perpendiculairement à la direction des veines liquides. Pour arriver à ce résultat, les pales sont montées sur la carcasse, au moyen de deux tourillons autour desquels elles oscillent. Elles sont reliées par des bielles en fer, à point fixe, excentré par rapport à l’axe des roues. Malgré son poids plus grand, ce dernier système est aujourd’hui unanimement suivi.

Le recul des roues à aubes fixes varie de 25 à 30 pour 100 ; celui des roues à aubes mobiles oscille entre 16 et 25 pour 100.



CHAPITRE II

les nouvelles machines à vapeur marines. — les anciennes machines de bateaux à roues et à hélice, leurs défauts. — abandon de l’admission directe de la vapeur dans les cylindres. — application à la marine des systèmes de machines à vapeur de woolf et du système compound. — les nouvelles machines marines à triple et à quadruple expansion.

Fig. 109. — Machine marine à balancier (vue extérieure).
Fig. 110. — Machine marine à balancier (coupe longitudinale).

Les premiers bateaux à vapeur construits en France furent munis de machines à balancier, ou machines de Watt, que nous avons décrites dans la Notice sur les Machines à vapeur des Merveilles de la science. Elles ne différaient de la machine de Watt en usage dans les usines et manufactures que par la position du balancier, B (fig. 109 et 110), lequel, au lieu d’être disposé au-dessus du cylindre à vapeur, A, était placé au-dessous ; ce qui obligeait à le commander par des bielles pendantes C, partant d’une traverse b, calée sur la tige a du piston D. Cette disposition était nécessitée par la trop grande hauteur qu’eût atteinte la machine, si l’on eût disposé le balancier en dessus. La grande bielle C agit de bas en haut, et son pied s’articule sur une traverse G, qui réunit l’extrémité de chaque balancier.

Sur la figure 110, A′ est la boîte à tiroir, E la manivelle, F l’arbre moteur, H le condenseur, et sa pompe à air I ; J est l’excentrique conduisant le tiroir.

La machine dont nous donnons les deux vues a été construite en 1840, par Fawcett et Preston, pour la frégate le Gomer.

Dans toutes les machines marines, on accouple généralement deux cylindres sur un même arbre, au moyen de manivelles calées à 90 degrés l’une de l’autre, afin d’éviter les points morts.


La machine à balancier que nous venons de décrire est restée pendant près d’un demi-siècle en faveur dans la marine française, malgré l’encombrement qu’elle occasionnait. La douceur de sa marche et la solidité de ses différentes parties étaient des avantages qu’on ne pouvait dédaigner.

Cependant, la place considérable qu’occupe le balancier était un grand inconvénient. C’est pour cela qu’on s’appliqua à le remplacer par le système de connexion directe, c’est-à-dire celui dans lequel la tige du piston actionne directement la grande bielle de l’arbre moteur.

Le premier système adopté pour supprimer le balancier fut celui des machines verticales à bielles directes, plus simples et moins encombrantes que les machines à balancier ; mais dans bien des cas on ne pouvait donner aux bielles une longueur suffisante, ce qui nuisait à la douceur du mouvement.

Cette difficulté fut tournée par l’adoption de la machine à clocher, ainsi nommée en raison de la forme des bâtis. La tige du piston porte un cadre en forme de triangle, au sommet duquel est articulé le pied de la bielle. La tête de celle-ci saisit la manivelle qui est entourée par le cadre.

Enfin on adopta les machines inclinées à bielle directe, qui sont d’une bonne construction, et que l’on emploie encore, en leur appliquant de grandes détentes de la vapeur.

Les machines oscillantes, que le constructeur anglais Penn appliqua le premier à la grande navigation, détrônèrent presque partout les autres systèmes. Elles ont eu, pour la grande navigation, autant de durée que les machines à balancier. Le peu de volume du mécanisme à vapeur faisait passer sur leurs défauts. Les machines oscillantes sont encore employées aujourd’hui dans la marine, pour les bateaux à roues, tels que ceux de la Manche. Comme nous les avons décrites dans les Merveilles de la science [3], nous ne reviendrons pas sur leurs dispositions.


Dans les premiers temps de l’adoption de l’hélice (1847), les constructeurs voulurent actionner le propulseur par les mêmes machines à vapeur qu’ils appliquaient aux roues. Ils furent ainsi amenés à commander l’hélice par un engrenage, ou une simple courroie. C’est ce que l’on vit sur le navire anglais le Great Britain. Cependant ce n’était là qu’un moyen transitoire, et l’on chercha d’autres manières de faire tourner l’hélice motrice.

C’est alors qu’apparaissent les machines horizontales, à bielle directe. Ces machines sont composées de quatre cylindres à vapeur se faisant face deux à deux, avec les condenseurs communs à deux cylindres et placés entre eux. Telles furent les machines de la Bretagne (1854), et du Laplace, construites par le Creusot.

Ces appareils à vapeur avaient l’inconvénient d’exiger un trop grand nombre de pièces et d’avoir des bielles trop courtes. Aussi l’on ne tarda pas à les remplacer par deux types très remarquables : la machine à fourreau et la machine à bielle en retour.

La machine à fourreau, encore très en usage en Angleterre, a été créée par le célèbre constructeur Penn. Nous décrirons comme exemple la machine à vapeur du transport la Meurthe, que nous représentons dans les figures 111 et 112.

Fig. 111. — Machine à fourreau de la Meurthe (1/2 vue en plan extérieur).
Fig. 112. — Machine à fourreau de la Meurthe (1/2 vue en coupe horizontale).

Les cylindres A sont placés le long d’un bord, et les condenseurs B le long du bord opposé. Les tiges des pistons sont formées d’un cylindre creux en fonte, C, qui reçoit à l’intérieur une traverse sur laquelle s’articule la bielle D. Les boîtes à vapeur, E, sont placées suivant le mode ordinaire, et les tiroirs sont commandés par des coulisses de Stephenson, pourvues de leurs deux excentriques. Il n’existe pas de glissières ; des presse-étoupes seuls guident le mouvement.

Ce mécanisme est simple, et la longueur de la bielle peut atteindre facilement six fois le rayon de la manivelle, ce qui est très satisfaisant.

Cependant le fourreau C constitue une surface refroidissante considérable ; les presse-étoupes sont difficilement étanches, et les cylindres atteignent un très grand diamètre. Pour ces raisons, la machine à fourreau ne s’est pas répandue en France. On lui a préféré la machine à bielle en retour, due à Mazeline, du Havre, et à Dupuy de Lôme.
Fig. 113. — Coupe longitudinale de la machine à bielle en retour du Bélier.

Les figures 113 et 114 donnent l’ensemble de la machine du Bélier, construite par Mazeline. Les cylindres A et les condenseurs H sont placés respectivement comme il est dit pour la machine précédente, c’est-à-dire chacune aux deux bords opposés du navire.

Chaque piston reçoit deux tiges C, C′, réunies par une traverse oblique, et placées de telle sorte qu’elles laissent libre le mouvement de l’arbre G. La traverse porte un tourillon L, sur lequel s’articule le pied de la bielle F. Cette traverse est guidée par deux patins f, f, qui marchent dans une glissière logée sous la pompe à air du condenseur H. L’autre extrémité D de la bielle conduit la manivelle de l’arbre moteur.

Les tiroirs, placés au-dessus des cylindres, sont commandés par un arbre spécial i, actionné, au moyen d’engrenages, par l’arbre moteur.

Les pompes à air P, P reçoivent leur mouvement par un bras l, pris sur les tiges du piston.

V est le tuyau général d’arrivée de la vapeur ; E, celui qui amène au condenseur la vapeur sortant des cylindres.

Fig. 114. Machine à bielle en retour du Bélier (coupe transversale).

La figure 114 donne la coupe des deux machines du Bélier, accolées l’une à l’autre et recevant leur vapeur d’un conduit commun V. L’une de ces coupes montre l’intérieur du condenseur H, H ; l’autre le mécanisme de la bielle en retour G, avec son arbre moteur.

La mise en train dite Mazeline permet de renverser le mouvement sans nécessiter l’arrêt préalable de la machine.


Les défauts communs à ces divers systèmes consistent surtout en ce que la machine étant trop ramassée, les différentes pièces sont d’un accès difficile, d’où résultent de grandes difficultés pour la conduite et l’entretien. De plus, les cylindres étant horizontaux tendent à s’ovaliser sous le poids des pistons.

Cependant la marine de guerre, qui voit dans l’horizontalité de la machine le moyen de placer le moteur très au-dessous de la flottaison, et par suite de l’abriter des coups de l’artillerie ennemie, emploie encore ces deux derniers types de machine en leur appliquant, bien entendu, les grandes détentes de la vapeur.

Mais sur les paquebots, où l’on n’a pas les mêmes motifs de crainte que sur les navires de guerre, on adopta promptement la machine verticale, dite à pilon[4]. Ce dispositif est devenu classique, et la marine militaire elle-même l’a adopté chaque fois qu’elle a pu abriter suffisamment la machine.

Fig. 115. — Machine à pilon du Caraïbe (coupe transversale).
Fig. 116. — Machine à pilon du Caraïbe (coupe longitudinale).

La figure 115 donne une coupe transversale de la machine du Caraïbe, de la Compagnie générale transatlantique, et la figure 116 une coupe longitudinale de la même machine.

La machine du Caraïbe a ses cylindres A, A supportés par deux grands bâtis B, B qui fournissent, par leurs faces intérieures, les guides b, b (fig. 116), assurant le mouvement rectiligne de la traverse que conduit la tige du piston. Cette disposition permet, en outre, de donner une grande longueur à la bielle, et d’éviter ainsi, dans la mesure du possible, l’ovalisation du cylindre.

L’arbre de couche C est coudé directement au-dessous des cylindres et repose sur des paliers D, fixés sur la plaque de fondation de la machine.

Les tiroirs T, T (fig. 116) peuvent être placés entre les cylindres, comme l’indique la gravure, ou l’un à l’avant et l’autre à l’arrière. Dans le premier cas, on réduit l’encombrement longitudinal de l’appareil ; mais la seconde disposition a l’avantage de faciliter les visites et les démontages.

La pompe alimentaire, la pompe de cale et celle du condenseur ont leurs tiges montées sur une même traverse. Elles reçoivent toutes trois leur mouvement de la façon la plus simple, à l’aide d’un balancier G, dont l’autre extrémité est conduite par des bielles articulées sur la traverse du piston à vapeur. Ces pompes peuvent être réglées ainsi à des vitesses modérées.

La pièce H (fig. 115) est le levier de changement de marche ; il sert, ainsi que son nom l’indique, à changer la marche de la machine, d’avant en arrière, ou vice versâ, suivant sa position relative sur le secteur denté J.

Le condenseur F (fig. 115) fait corps avec l’un des bâtis supportant les cylindres. Dans d’autres cas, on le place en abord et on le réunit au cylindre par un tuyau d’évacuation ; ce qui constitue un dispositif préférable.

Ce genre de machine est, évidemment, d’un agencement commode. L’ensemble est bien groupé sous l’œil du mécanicien ; ce qui rend très facile l’accès des pièces, ainsi que l’entretien et la surveillance. Il est tout à fait préférable pour la navigation à la machine horizontale.

Cependant il n’est adopté dans la construction des navires de guerre que depuis peu d’années, et seulement lorsqu’il n’y a pas nécessité absolue d’assurer à l’appareil la protection du logement sous l’eau. Dans les navires cuirassés, où les ponts, suffisamment protégés, permettent d’étendre la machine en hauteur, la machine à pilon doit toujours être préférée.


Le dernier progrès réalisé dans la mécanique à vapeur appliquée aux navires a été l’adoption des nouvelles machines à vapeur à grande détente et du condenseur à surface qui permet l’emploi de pressions relativement élevées. Et de même que dans les ateliers et manufactures, les grandes détentes de la vapeur furent mises en œuvre d’abord dans les machines de Wolf, ensuite dans les machines dites Compound, la navigation par la vapeur a fait usage d’abord de machines de Wolf, ensuite de machines Compound.


Nous n’avons pas besoin de revenir sur la description de la machine à vapeur de Wolf, que nous avons étudiée avec détails, dans la Notice qui précède, ni sur les avantages que cette machine présente, sous le rapport de l’économie et de la douceur des mouvements. Nous nous bornerons à examiner les dispositions qui ont été adoptées pour appliquer ce système à la marine.

Le dispositif le plus fréquemment suivi pour les machines de Wolf installées à bord des vaisseaux est celui dit tandem, où les cylindres sont superposés[5]. C’est le constructeur anglais Ellis Allen, qui, le premier, en 1835, fit usage de ce dispositif.

Le plus remarquable exemple de ce système nous est offert par la machine du paquebot de la Compagnie générale transatlantique, la Normandie. Cette machine (fig. 117), due aux études des ingénieurs de la Compagnie, a été exécutée en Angleterre, en 1882, par la Barrow shipbuildings Company, de Barrow (comté de Lancastre).

Fig. 118. — Machine de la Normandie.
Vue de côté. Élévation et coupe.


Elle est composée de trois couples tandem, actionnant un arbre à trois manivelles, calées à 180° les unes des autres. Elle comporte donc six cylindres. Les petits cylindres A sont placés au-dessus des grands A′, avec tiges de piston B, et de tiroir T, communes. Le seul inconvénient que présente cette disposition est d’obliger à retirer le petit cylindre, lorsqu’une visite du grand cylindre est nécessaire.

Les petits cylindres A n’ont pas d’enveloppes de vapeur ; ils sont recouverts de matière isolante et d’une chemise en tôle. Les grands cylindres, au contraire, ont une enveloppe de vapeur, avec chemise intérieure rapportée.

Le tiroir des petits cylindres a reçu un dispositif de détente variable, du système Meyer, conduit par un excentrique spécial. La tige commune des tiroirs est conduite par deux excentriques D, D, et une coulisse Stephenson, E. Un même arbre de relevage F permet de mouvoir les trois coulisses ensemble ; il est actionné par un appareil à vapeur G, système Brown.

La vapeur s’échappant du petit cylindre se rend dans la boîte à tiroir du grand cylindre, par un tuyau H.

Le diamètre intérieur des petits cylindres est de 0m,90, celui des grands cylindres de 1m,90, et la course commune est de 1m,70. Le nombre de tours de l’arbre moteur s’élève à 60 par minute.

Chaque groupe possède un condenseur à surface, I. L’eau de circulation est envoyée par une pompe à vapeur spéciale. La vapeur d’échappement des grands cylindres pénètre dans le condenseur I, par un gros tuyau J. Elle se condense au contact des tubes constamment refroidis, tombe au fond et est enlevée par la pompe à air, K, commandée par la machine.

L’arbre de couche, L, est en trois pièces, réunies par des plateaux, M, M venus de forge, et portant chacun une manivelle coudée N. Chaque tronçon de cet arbre pèse 14 tonnes, ce qui donne un poids total de 42 tonnes ; le diamètre est de 0m,60.

Les tronçons sont absolument semblables, de manière à pouvoir être substitués l’un à l’autre.

À l’extrémité de l’arbre moteur, du côté de l’hélice, se trouve clavetée une roue à vis sans fin, O, qui sert à faire tourner la machine pendant les arrêts. Cet appareil s’appelle le vireur. Dans les petites machines, cette manœuvre se fait à bras ; ici c’est une machine à vapeur qui en est chargée.

Chacune des trois machines de la Normandie a son condenseur à surface, avec pompe de circulation centrifuge, conduite par un moteur séparé. Mais pour éviter qu’une avarie survenant à l’un des trois moteurs ne désempare la machine correspondante, on a fait déboucher le refoulement des trois pompes dans un collecteur unique, qui distribue l’eau aux trois condenseurs, et qui peut être isolé de la pompe avariée à l’aide de vannes convenablement disposées.

Il y a 3 pompes à air, 3 pompes alimentaires et 3 pompes de cale ; elles sont placées derrière les bâtis et mues par des balanciers attelés aux tourillons des pieds de bielles.

La butée est à 10 collets, s’appuyant sur 10 semelles antifrictionnées, indépendantes, avec écrous de serrage séparés.

C’est entre la butée et la machine que se trouve la roue du vireur, avec son moteur à vapeur.

L’hélice est à 4 ailes en bronze manganésique, fixées sur un moyeu en acier fondu et forgé.

Pour alimenter chaque machine, 8 chaudières cylindriques, timbrées à 6 kilogrammes, réparties en 2 groupes semblables, séparés par une cloison étanche, lui envoient la vapeur. Chaque groupe comprend 2 chaudières doubles à 6 foyers et 2 chaudières simples à 3 foyers. Le nombre total des foyers est donc de 36 ; leur diamètre est de 1m,07 et la surface totale de leurs grilles 72 mètres carrés. Le diamètre des chaudières est de 4m,20, la longueur des corps doubles est de 5m,65, celle des simples 2m,90.

Six coffres rassemblent la vapeur produite et l’envoient à la machine par deux tuyaux collecteurs — un par chaufferie — aboutissant à une boîte à deux soupapes distinctes, de manière à assurer l’indépendance complète de la machine et de chacun des deux groupes de chaudières.

Deux cheminées de 2m,40 de diamètre rejettent au dehors les produits de la combustion.

Les chaudières occupent dans le bâtiment une longueur totale de 29 mètres ; elles sont isolées des cales et des murailles du navire par les soutes à charbon.

La machine occupe une longueur de 13 mètres.

Au total les compartiments affectés à l’appareil moteur et évaporatoire ainsi qu’au charbon ont une longueur de plus de 50 mètres.

La machine de la Normandie développa, aux essais, une force de près de 6 000 chevaux-vapeur, à l’allure de 60 tours environ par minute. Cependant elle ne fournit, en service courant, que les 4/5 de cette puissance. Elle donne au navire une vitesse de 14 nœuds et demi, en consommant par jour 110 tonnes de charbon.

Outre son appareil moteur, la Normandie possède de nombreux appareils à vapeur : guindeaux, treuils à marchandises, appareil à gouverner, machines à air froid, pompes d’épuisement de cales et de water-ballast, petits-chevaux, treuils à escarbilles, enfin deux machines, de 40 chevaux chacune, destinées à mener les machines dynamo-électriques qui alimentent les lampes à incandescence des logements et les lampes à arc de la machine des cales, feux de position, etc.

Un certain nombre de ces appareils empruntent leur vapeur aux grandes chaudières ; les autres la reçoivent de deux chaudières auxiliaires, à deux foyers chacune, placées sur le pont, et présentant ensemble une surface de grilles de 3m,25.

C’est dans les chaudières de la Normandie que l’on put bien apprécier les avantages immenses de l’emploi du condenseur à surface. C’est ce système de condensation de la vapeur, coïncidant avec une série d’autres perfectionnements, qui a presque complètement transformé la machine à vapeur marine, et a permis de réduire presque immédiatement la consommation de charbon à moins d’un kilogramme par cheval et par heure.

Dans le condenseur à surface, la vapeur condensée ne se mélange pas à l’eau de mer. Pendant que la vapeur passe, soit dans les tubes minces en laiton, soit plus généralement autour de ces tubes, l’eau de mer, poussée par des pompes, circule de l’autre côté de la paroi, et l’échange de température se fait à travers le métal des tubes. L’eau douce, toujours la même, à part une petite quantité d’eau salée destinée à réparer les pertes, est renvoyée aux chaudières. La pression à laquelle on peut produis la vapeur n’est donc plus limitée que par la dimension à donner aux matériaux des appareils évaporatoires.

Grâce à l’emploi de l’eau douce dans l’alimentation des chaudières, on a supprimé l’extraction, c’est-à-dire le rejet à la mer de l’eau de la chaudière chargée de sels, opération autrefois indispensable, et que nous avons décrite dans les Merveilles de la science. On a économisé, de ce chef, environ 15 pour 100 de combustible.

Après avoir donné à la pression une force de 2 kilogrammes, puis de 4 kilogrammes par centimètre carré, on a fini par la porter à 6 kilogrammes, en augmentant, bien entendu, l’épaisseur des tôles de la chaudière dans une proportion correspondante.

L’emploi de la machine de Wolf, combiné avec le condenseur à surface, opéra une transformation complète de la machine à vapeur marine, et lui donna une physionomie toute nouvelle.


La marine militaire française fit exécuter, pendant la construction de la Normandie, des machines à vapeur horizontales du système de Wolf, munies d’un cylindre disposé en tandem. Telles sont les machines du Vauban, dont le type a été ensuite plusieurs fois reproduit.


La machine de Wolf ne convenait pas pour les petits bâtiments où il n’y avait pas possibilité d’établir plus d’un groupe tandem ; car alors, dans bien des cas, le démarrage de la machine était impossible. Pour d’autres raisons, telles que sa grande hauteur, la machine de Wolf était également inadmissible à bord de certains bâtiments. C’est alors que John Elder, à Glasgow, et Benjamin Normand, au Havre, adoptèrent les premiers le système Compound.

La première application du système Compound à la navigation par la vapeur remonte à 1856, mais son adoption générale ne se fit qu’avec lenteur. Ce n’est que depuis 1870 environ que presque tous les navires ont été pourvus de machines Compound, ou de leurs dérivées.

Nous avons décrit, dans la Notice précédente (Supplément à la machine à vapeur), divers types de machines Compound fixes, qui sont à deux cylindres. Dans la marine, deux types sont admis : la machine à deux cylindres, pour les puissances ne dépassant pas 1 000 chevaux-vapeur, et la machine à trois cylindres, pour les puissances de 1 000 chevaux-vapeur et au-dessus.

Presque toujours les machines sont du type à pilon ; cependant dans certains cas spéciaux la marine de guerre emploie encore des machines horizontales à bielle en retour, ou à bielle directe.


Les avantages des machines à vapeur du système Compound, appliqué aux machines marines, sont les suivants :

1o On diminue le volume de vapeur sacrifiée sans avoir servi, en diminuant les espaces morts.

En effet, comme la vapeur sortant de la chaudière est introduite dans le petit cylindre seulement, on ne perd que le volume correspondant aux espaces morts de ce cylindre. Pour réaliser le même travail avec une machine de l’ancien système à introduction directe, il aurait fallu deux cylindres plus grands que le petit dont il vient d’être question, représentant, par conséquent, une somme d’espaces morts plus que double.

2o En répartissant le travail de détente entre les deux cylindres successifs, on diminue la différence des températures dans le même cylindre, et on réduit beaucoup la perte due aux condensations. Dans l’ancienne machine, c’est-à-dire la machine de Wolf, au commencement de l’admission, la vapeur se précipitait dans un cylindre refroidi par sa récente communication avec le condenseur, et une certaine proportion de cette vapeur se condensait, en élevant la température des parois. Puis, quand le tiroir ouvrait de nouveau la communication avec le condenseur, par suite du grand abaissement de pression, une grande partie de la vapeur précédemment condensée se vaporisait de nouveau, en produisant une contre-pression nuisible, abaissant de nouveau la température intérieure du cylindre, et préparant une nouvelle condensation ultérieure.

Dans la machine Compound, les condensations qui se produisent dans le petit cylindre, où l’écart des pressions extrêmes est le plus grand, sont sans inconvénient ; la contre-pression du petit cylindre est la pression du grand, elle a donc son utilité. Quant au grand cylindre, le différence de pression d’un côté à l’autre du piston est d’ordinaire égale à une atmosphère ; les phénomènes indiqués s’y produisent donc d’une façon plus restreinte.

3o La différence de pression entre les deux côtés du piston d’un même cylindre se trouvant bien moindre que si tout le travail de la vapeur s’y effectuait, on a beaucoup moins de pertes de vapeur par manque de contact exact entre les tiroirs et leurs glaces et entre les bagues de piston et les parois des cylindres.


Les avantages de la disposition des cylindres dans le système dit pilon, c’est-à-dire, ainsi que nous l’avons déjà expliqué, celui dans lequel les cylindres étant placés verticalement, comme dans les marteaux-pilons des usines, leurs axes sont dans le plan diamétral à l’aplomb de l’arbre de couche, sont les suivants :

1o La plus grande partie de l’espace situé au dehors de la machine, quelle que soit la profondeur du navire, doit toujours rester libre, pour faciliter l’accès du jour et de l’air, et permettre d’effectuer commodément le démontage de l’appareil. Avec la disposition à pilon, on peut augmenter à volonté la hauteur de la machine. La place qu’elle occupait autrefois, quand le cylindre était horizontal, se trouve disponible, ce qui permet de loger le charbon et les cales.

2o Toutes les parties frottantes se trouvant verticales, la pression est diminuée du poids des pièces ; on évite notamment l’ovalisation des cylindres produite presque inévitablement par le frottement des pistons, malgré l’emploi des contre-tiges. Le graissage des cylindres et des tiroirs peut être réduit dans une grande proportion, presque supprimé quand il n’y a pas de roulis.

3o On ne craint pas de donner aux bielles la longueur nécessaire et on est obligé de moins resserrer les pièces que dans les machines horizontales, ce qui rend les démontages plus faciles.

4o La machine étant dressée verticalement, on peut tourner tout autour, atteindre et toucher directement toutes les pièces, graisser facilement à toutes hauteurs, au moyen de parquets aussi multipliés qu’il est nécessaire, tandis que les machines horizontales forcément très ramassées, parce que la place manquait à bord des navires, formaient un tout compacte, enchevêtré. On ne pouvait, du bord, voir ni atteindre les pièces du milieu ; il fallait passer sur des parquets situés au-dessus, mais d’où l’on ne pouvait que difficilement tâter les pièces.

Les avantages de la machine à pilon, au point de vue de l’accessibilité, sont tels qu’on l’emploie aujourd’hui dans beaucoup d’ateliers et de manufactures où la place horizontale ne manque pas.


La figure 118 donne deux coupes d’une machine Compound à pilon et à deux cylindres, de la force de 500 chevaux, construite par M. Voruz, de Nantes, pour le bateau la Ville de Nantes.

Fig. 118. — Machine de la Ville de Nantes.
Coupe longitudinale. Coupe transversale.

La disposition générale de cette machine rappelle presque absolument celle de la machine Compound fixe, construite par les usines du Creusot, et que nous avons décrite dans la Notice précédente.

Les deux cylindres A et B, à enveloppes de vapeur, sont fondus séparément, et assemblés par une bride ; la boîte à vapeur b, du grand cylindre B, est placée entre celui-ci et le petit. Le petit cylindre A a sa chemise intérieure rapportée, et fixée à l’enveloppe par des goujons, qui se vissent sur le fond inférieur et par un joint étanche à la partie supérieure. Les fonds inférieurs des cylindres sont venus de fonte, avec les enveloppes ; les presse-étoupes sont seuls rapportés.

Les tiroirs sont à simple coquille, mais à orifices multiples. Ce dispositif, très employé dans la marine, a l’avantage de laisser de grands passages à la vapeur, avec une faible course des excentriques.

Les tiges des tiroirs sont conduites chacune par deux excentriques et une coulisse Stephenson. Les deux coulisses sont actionnées par un même arbre de relevage C commandé par une roue hélicoïdale d et une vis sans fin e portant un volant à main f.

Les bielles C, C, agissent sur deux manivelles D, D, calées à 90° l’une de l’autre. L’arbre est en deux pièces, et porte un vireur E.

La vapeur, après avoir agi sur le petit piston, passe, au moyen d’un conduit circulaire, dans la boîte à vapeur du grand cylindre, et après avoir travaillé dans celui-ci, elle se rend au condenseur à surface, F, par un tuyau.

Le condenseur à surface est analogue à ceux de la machine de la Normandie, mais la pompe de circulation est entraînée par la machine générale, au lieu d’être mue par une machine spéciale : ce système est toujours appliqué aux machines de petite et de moyenne puissance.


Les machines à vapeur Compound installées dans les navires de commerce qui ne dépassent qu’exceptionnellement la force de 1 500 chevaux se composent ordinairement de deux cylindres, un petit et un grand, qui sont établis parallèlement.

La vapeur, après avoir agi dans le premier, se rend au second, en traversant une capacité assez considérable, qui sert d’enveloppe et constitue un réservoir intermédiaire. Ce réservoir est utile pour régulariser la pression dans le grand cylindre et la rendre indépendante de l’ouverture et de la fermeture du petit tiroir.

Les bielles agissent sur deux manivelles calées à angle droit ; mais, au point de vue de la mise en train, l’on se trouve dans le même cas que celui d’une machine à un seul cylindre et il y a beaucoup de positions de la machine où elle ne peut pas partir quand on ouvre la valve. On obvie à cet inconvénient en plaçant un robinet qui permet d’envoyer la vapeur des chaudières directement au grand cylindre, si cela est nécessaire pour la mise en marche.

L’expérience a prouvé qu’il y a inconvénient à dépasser pour les cylindres le diamètre de 2 mètres environ ; les ruptures sont assez fréquentes, par l’effet des dilatations qui ne peuvent toujours se faire librement.

Quand la puissance de la machine dépasse un certain chiffre, on est donc conduit à employer des machines à 3 cylindres. La vapeur est introduite dans un petit cylindre, d’où elle se rend dans deux autres plus grands où elle se détend ; on peut recourir aussi à la disposition dite machine tandem.

Dans ces machines, les petits cylindres sont superposés aux grands avec tiges de piston et de tiroir communes, c’est-à-dire avec même distribution aux deux cylindres ; l’ensemble de chaque double cylindre constitue une véritable machine de Wolf. Sur les grands paquebots actuels de la Compagnie Transatlantique, les machines qui ont développé la force de 3 300 chevaux aux essais se composent de deux machines de Wolf placées l’une derrière l’autre (en tout 4 cylindres). La machine de la Normandie, ainsi que nous l’avons dit, est formée de 3 machines de Wolf juxtaposées ; elle a en tout 6 cylindres.

On comprend que l’on arrive ainsi à occuper la plus petite surface en plan horizontal, à la fois en longueur et en largeur ; ce qui a de grands avantages quand la machine atteint de si grandes dimensions et serait sans cela extrêmement encombrante ; les mécanismes sont également simplifiés.


Les machines Compound, à deux cylindres seulement, présentaient donc de notables inconvénients pour les navires ayant à développer une puissance considérable. Dans ce cas, le grand cylindre atteignait des dimensions énormes et, par suite, devenait d’une construction difficile ; en outre, la régularité de la marche n’était pas absolue, car le volant manquait. On fut donc conduit à modifier la machine Compound.

En 1863, Dupuy de Lôme, sur le transport le Loiret, faisait établir une machine horizontale Compound à trois cylindres, et à bielle renversée. Depuis, ce type est resté en service pour la marine militaire, mais on applique souvent la disposition à trois cylindres à des machines à pilon.

Nous donnons dans les figures 119, 120 et 121, la coupe transversale, la coupe longitudinale et le plan d’une machine Compound à 3 cylindres horizontaux, construite en 1880, par la Société des forges et chantiers de la Méditerranée, pour le navire cuirassé le D’Estaing. Ce même type a été appliqué à la machine du Forfait, par les mêmes constructeurs.

Fig. 119. — Machine du D’Estaing et du Forfait (Élévation et coupe transversale).
Fig. 120. — Machine du D’Estaing et du Forfait (Coupe longitudinale).
Fig. 121. — Machine du D’Estaing et du Forfait (Vue en plan).

Les trois cylindres A, B et B (fig. 119) sont placés côte à côte et les courses des trois pistons sont égales. La vapeur qui vient de la chaudière arrive par le tuyau K, dans le cylindre du milieu, qui est le cylindre d’admission, et où elle se détend déjà en partie ; puis elle passe simultanément par la conduite R (fig. 119), dans les deux cylindres latéraux B, B, où elle achève de se détendre. Au sortir de ces cylindres, elle se rend enfin, par les tuyaux L, L (fig. 119 et 120), dans les deux condenseurs F (fig. 120), qui sont chacun munis des pompes habituelles. Les larges conduits R (fig. 119) par où s’effectue l’évacuation du cylindre d’admission dans les cylindres de détente forment, avec les boîtes de distribution, un réservoir intermédiaire, de capacité suffisante

Le cylindre du milieu A, ou de haute pression, a un diamètre (1m,440) inférieur à celui des cylindres de détente (1m,670). Ces derniers ont chacun une enveloppe de vapeur.

L’axe des cylindres étant perpendiculaire à celui du navire, il a fallu, pour loger la machine dans la largeur de la coque, la ramasser sur elle-même, et effectuer la transmission de mouvement par des bielles en retour.

Chaque piston porte deux tiges, S et T (fig. 121), fixées à égale distance du centre, sur la diagonale du carré qui serait inscrit dans le piston. Elles permettent ainsi le mouvement de va-et-vient de la bielle J (fig. 120 et 121), qui se fait dans le plan diamétral du piston et le passage de l’arbre moteur C, C, l’une des bielles, S, se trouvant au-dessus de cet arbre, l’autre, T, au-dessous. Elles sont réunies, à leur extrémité, aux bras d’une traverse, qui porte en son milieu un tourillon, H (fig. 120), sur lequel vient s’articuler la bielle. Le mouvement rectiligne de la traverse est maintenu par des glissières m, que porte celle-ci, et qui reposent sur des guides plans fournis par les parois du condenseur.

Chaque bielle, placée entre ses deux tiges, vient actionner un des trois coudes de l’arbre moteur C, placés à 120° l’un de l’autre. Vu sa petite longueur et le rapprochement des coudes, l’arbre moteur est en une seule pièce.

Les boîtes de distribution sont placées au-dessus des cylindres ; les tiroirs de distribution, E (fig. 121), reçoivent leur mouvement par l’intermédiaire d’une bielle, d’un arbre auxiliaire, D (fig. 119 et 120), placé au-dessus de l’arbre moteur, lequel lui imprime le mouvement au moyen d’une paire d’engrenages. La bielle est disposée de façon que la manœuvre de changement de marche se fait sans coulisses Stephenson. Ce dispositif toutefois est aujourd’hui abandonné.

Sur les faces latérales de la boîte de distribution du petit cylindre, deux tiroirs de détente e (fig. 119) reçoivent également leur mouvement de l’arbre auxiliaire D.

Vis-à-vis des cylindres et symétriquement par rapport à l’axe du navire, se trouvent placés, sur une même plaque de fondation, les deux condenseurs, F (fig. 120 et 121), un pour chaque cylindre de détente, les pompes à air et les boîtes à clapets. Les pompes à air reçoivent leur mouvement des pistons moteurs. À cet effet, chacun des pistons des cylindres de détente porte une troisième tige, G (fig. 120 et 121), placée dans le même plan vertical que l’une des tiges motrices, et qui traverse le fond du cylindre par un presse-étoupe.

Les plaques de fondation des cylindres et des condenseurs sont entretoisées et réunies par les quatre paliers de l’arbre moteur. L’ensemble présente ainsi une solidarité qui assure le bon fonctionnement de toutes les parties.

La machine du D’Estaing développe 2 100 chevaux de force.

En définitive la machine du D’Estaing et du Forfait à trois cylindres est une machine Compound ordinaire, dans laquelle le grand cylindre a été dédoublé en deux, placés de chaque côté.

Ce type de machine offre deux infériorités sur le type Compound ordinaire. Il est plus compliqué et plus lourd, puisqu’il y a trois cylindres au lieu de deux. En outre, les parois des deux cylindres extrêmes forment, à volume égal, un ensemble de surfaces refroidissantes plus considérable que les parois d’un grand cylindre unique. Mais le calage à 120° des trois bielles a l’immense avantage de répartir plus uniformément les efforts sur l’arbre moteur, et d’assurer une grande régularité et une grande douceur de mouvement. Enfin cette machine est parfaitement équilibrée ; ses différentes parties forment un ensemble ramassé et bien groupé, par conséquent facile à surveiller.

L’arbre de couche qui occupe l’axe de l’ensemble est bien situé pour concourir à la stabilité générale.

Malheureusement, l’enchevêtrement des organes qui en résulte empêche quelques-uns d’entre eux d’être facilement abordables.


L’usine nationale d’Indret a construit, en 1877, pour le Villars, une machine de ce modèle.

Les machines du Lapérouse, construites par les usines du Creusot, ne diffèrent de ce type qu’en ce que les cylindres sont plus écartés et que les boîtes à vapeur sont placées latéralement aux excentriques et aux coulisses Stephenson. L’arbre est en trois pièces.


Les figures 122, 123 et 124 représentent l’élévation transversale, l’élévation longitudinale et le plan d’une des machines du Bayard.

Fig. 122. — Machine du Bayard (Élévation transversale).
Fig. 123 et 124. — Machine du Bayard (Élévation longitudinale et vue en plan).

Cette machine, comme la précédente, est du type Compound, à trois cylindres, mais à pilon.

Les trois cylindres sont supportés par trois grands bâtis verticaux, semblables à ceux du type pilon ordinaire, et qui fournissent, par leurs faces intérieures, les guides assurant le mouvement rectiligne de la traverse du piston. Le cylindre du milieu, A, est, comme dans la machine précédente, un petit cylindre d’admission. La conduite K (fig. 122), qui amène la vapeur de la chaudière, se bifurque en deux, et alimente la boîte de distribution a (fig. 124), sur ses deux faces. Du cylindre du milieu, la vapeur se rend, par les conduits P, P, qui constituent le réservoir intermédiaire, dans les deux cylindres latéraux B, B, qui ont un plus grand diamètre, et qui sont les cylindres de détente. Dans chacun d’eux s’effectue la détente de la moitié du volume de vapeur, qui a travaillé dans le petit cylindre. La vapeur se rend enfin aux condenseurs F, par les deux conduites, L, L.

Les trois pistons ont une course égale, et actionnent, par trois bielles directes et de grande longueur, les trois coudes de l’arbre moteur, C, C (fig. 123), placés à 120° l’un de l’autre.

Les trois cylindres sont franchement séparés, et cet isolement, qui a l’inconvénient d’accroître leur refroidissement, a du moins l’avantage de les rendre abordables sur toutes leurs faces.

Il en résulte une grande longueur pour l’arbre de couche, ce qui permet de le faire en trois parties, et ce qui facilite sa fabrication. Les trois parties de l’arbre sont réunies au moyen de plateaux e, e.

Les boîtes de distribution des trois cylindres a, b et b (fig. 124), sont placées sur leurs côtés extérieurs. Les tiroirs de distribution sont mis en mouvement par un arbre auxiliaire D, D (fig. 123), situé dans le même plan horizontal que l’arbre moteur et parallèlement à ce dernier. Une paire d’engrenages R (fig. 123), de même diamètre, établit la transmission entre ces deux arbres. Le changement de marche s’obtient par des coulisses Stephenson.

Sur les faces latérales de la boîte du petit cylindre A se trouvent enfin deux tiroirs de détente, c, c, commandés par le même arbre, D, D.

À chaque cylindre de détente correspond un condenseur à surface, F, situé vis-à-vis et du côté opposé à l’arbre des excentriques. Cette machine qui rappelle beaucoup, comme disposition générale, celle du Caraïbe, que nous avons précédemment décrite, en diffère, outre le nombre des cylindres, par une modification profonde : c’est l’éloignement des condenseurs, qui ne sont plus fixés sur la plaque de fondation des cylindres, mais sur le côté opposé de la machine. On soustrait ainsi les cylindres à vapeur à l’influence refroidissante des condenseurs.

Entre les deux condenseurs se trouve la pompe à air unique E (fig 1. 124), et les deux pompes alimentaires p, p, commandées toutes les trois par un balancier, que conduit la traverse du piston central. Les pompes de circulation ont leur moteur séparé, et forment un groupe indépendant de la machine principale.

Le Bayard possède 2 machines semblables, disposées symétriquement par rapport à l’axe du navire, les condenseurs étant placés près des parois du navire, et les cylindres vers l’axe du bâtiment.

Chaque arbre conduit une hélice. Ce dispositif à deux hélices est très employé actuellement pour les navires de guerre, auxquels il donne une grande facilité d’évolution.


Depuis quelques années, les constructeurs de navires ont introduit à bord des bâtiments un genre nouveau de machines Compound : les machines à triple expansion.

On ne saurait attribuer l’invention des machines à triple expansion à tel ou tel ingénieur. Elles sont nées du besoin de rendre plus économiques les machines Compound ordinaires. On doit cependant reconnaître la grande influence exercée, pour l’exécution de ces machines, par les travaux de M. Benjamin Normand, du Havre.

Parmi les premières machines à triple expansion qui ont été mises en service, nous citerons l’appareil moteur de la Gabrielle, conçu par M. Benjamin Normand, et construit, en 1873, par MM. Jollet et Babin, de Nantes ; puis, et en même temps, les machines du Propontis, dues au constructeur anglais John Elder.

En 1876, MM. Jollet et Babin construisaient le J.-B.-Say ; en 1878 et 1879, l’Atlantique, la Corinne, le Rapide, tous pourvus de machines à vapeur à cascades.

À cette époque, en Angleterre, MM. Hawks et Crawshay mettaient en service l’Anthracite, et MM. Douglas et Grant, l’Isa.

En 1881, le bateau-omnibus de la Seine no 30 recevait également une machine Compound à triple expansion.

À partir de 1882, les Anglais prirent les devants pour la construction des machines à cascades. MM. Napier et fils construisent trois machines de 5 000 chevaux-vapeur pour la Compagnie transatlantique mexicaine, et deux machines de 3 000 chevaux pour la marine russe. En 1885, M. John Elder prend la commande de trois appareils de 8 000 chevaux pour le North German Lloyd.

Les Allemands se lancèrent, à leur tour, dans le mouvement. M. Schichau, constructeur à Elbing, commença les machines du Falkenburg et de l’Ottokar, ainsi que vingt-neuf machines de torpilleurs.

En France, la Compagnie générale transatlantique construisit, dans ses chantiers du Penhoët, deux paquebots, la Champagne et la Bretagne, et en fit construire à la Seyne (Toulon) deux autres, la Bourgogne et la Gascogne, par les Forges et chantiers de la Méditerranée. Ces quatre paquebots furent pourvus de machines à vapeur à triple expansion, de 9 000 chevaux-vapeur chacun.

En même temps, la Société des ateliers et chantiers de la Loire commençait à exécuter deux machines de 12 200 et de 8 000 chevaux-vapeur.

Les Forges et chantiers de la Méditerranée ont exécuté un appareil à triple expansion, destiné au paquebot le Portugal, des Messageries maritimes, qui a été lancé en 1887.


Quels sont les motifs qui ont déterminé l’adoption et ensuite le rapide développement des machines à vapeur à détentes successives ?

Les avantages pratiques des machines à triple expansion se résument ainsi : répartition régulière des efforts sur les arbres, — diminution des chances de ruptures, — diminution des frottements.

Il faut ajouter à ces avantages des facilités d’un autre ordre. La conductibilité des cylindres pour la chaleur, malgré l’augmentation de la surface refroidissante, est moindre que dans les machines à un seul cylindre ou les machines Compound, par suite de la moindre différence des températures extrêmes.

Ensuite, la vapeur condensée dans le petit cylindre agit, après sa réévaporation, sur les pistons des cylindres d’expansion, pendant toute la course et avec une détente qui lui est propre. Ce fait, qui ne se produit pas dans une machine à un seul cylindre, et qui est moins sensible dans une machine Compound, avait jusqu’à présent échappé à la plupart des ingénieurs ; et c’est à cela que les machines à cascades doivent leurs avantages économiques.

Disons enfin que la consommation du charbon, dans une machine à triple expansion, se trouve réduite, en service courant, de 15 à 18 pour 100 environ. L’Ottokar, par exemple, ne brûle que 0 kilogr. 579 par heure et par force de cheval.


Examinons maintenant les dispositifs adoptés pour appliquer aux machines à vapeur marines le procédé de la triple expansion de la vapeur.

La figure 125 donne l’idée, d’une manière simplifiée, du principe des machines à triple expansion.

Fig. 125. — Théorie des machines à triple expansion.

Le type A est celui qui fut tout d’abord adopté. Le cylindre d’admission (I) est superposé au cylindre de première détente (II). La vapeur qui s’échappe de celui-ci passe dans le cylindre de détente finale (III).

Ce dispositif est né de la transformation des machines Compound simples en machines à triple expansion. En effet, en plaçant sur un des cylindres d’une machine Compound un autre cylindre, de diamètre plus faible que celui d’admission, on transforme facilement l’appareil. Le petit cylindre ajouté reçoit la vapeur de la chaudière, la renvoie au premier cylindre de la machine Compound, qui devient ainsi cylindre intermédiaire, et de là elle passe au cylindre de détente finale.

Quelquefois, le cylindre d’admission est placé au-dessus du troisième cylindre.

Ce dernier type a été appliqué par M. Normand sur le J.-B.-Say ; par M. Perkins sur l’Anthracite ; et par la Wallsend Slipway Company sur le steamer Isle of Dursey.

Le type B est celui qui se présente tout naturellement à l’esprit. Les trois cylindres, de diamètres différents, sont placés à la suite les uns des autres : c’est le dispositif adopté sur l’Aberdeen, l’Australasian et les trois paquebots Odxaca, Mexico et Tamaulias, comme sur le Portugal.

Le type C comporte deux cylindres d’admission, un cylindre intermédiaire et un cylindre de détente : c’est le type adopté par M. Normand sur le bateau à roues le Rapide.

Le type D a été employé par la Compagnie générale transatlantique, sur ses quatre derniers paquebots. Il se compose de trois groupes tandem. Le cylindre d’admission est placé au milieu et au-dessus. Les deux cylindres intermédiaires sont en avant et en arrière de celui-ci.

Les trois cylindres de détente finale sont placés sous chacun des trois précédents.

Chaque groupe tandem forme, en quelque sorte, une machine spéciale, avec son bâti et son condenseur ; le dispositif général est à peu de chose près celui de la Normandie.

Après cet exposé théorique, nous décrirons avec quelques détails les machines marines appartenant aux types que nous venons d’énumérer.

La machine du Portugal, paquebot des Messageries maritimes françaises, l’Eastwood et le Sobralense des marines anglaises nous donneront des exemples des types B et C.

Nous décrirons enfin et représenterons une machine d’un paquebot récemment construit en Angleterre par MM. Shanks and sons.

Les figures 126 et 127 représentent le plan et la coupe longitudinale de la machine du Portugal, construite en 1887 par la Compagnie des Messageries maritimes, et qui appartient, ainsi qu’il vient d’être dit, à ce que nous avons appelé le type B, c’est-à-dire celui dans lequel les trois cylindres, de diamètres différents, sont placés les uns à la suite des autres.

Fig. 126. — Machine à triple détente du Portugal (Vue en plan).
Fig. 127. — Machine à triple détente du Portugal (Élévation).

Les cylindres de cette machine sont portés d’un côté par les bâtis ordinaires des machines-pilons, et de l’autre côté, par des colonnes qui rendent le mécanisme plus aisément abordable.

Les trois manivelles sont calées à 90, 90, et 135 degrés, sur un arbre en trois pièces. Les tiroirs sont placés dans le plan de l’arbre moteur, et commandés par des excentriques calés sur cet arbre même.

La vapeur de la chaudière arrive, par le tuyau K (fig. 127), dans le cylindre d’admission A. Ce cylindre a une détente à course variable ; son tiroir est indépendant de la mise en train générale, et selon une pratique très souvent suivie aux Messageries maritimes, on fait fonctionner la machine comme machine à deux cylindres pour la manœuvre et la marche en arrière.

Le cylindre du milieu, B, a une détente et un tiroir. Sa boîte à tiroir peut recevoir directement la vapeur de la chaudière par la conduite E (fig. 126) ; mais, en marche ordinaire, elle est alimentée par l’échappement du cylindre A.

Du cylindre du milieu B (fig. 126), la vapeur passe, par le chemin circulaire a, jusqu’au cylindre arrière C, qui a deux boîtes à tiroirs d, d, communiquant entre elles par le tuyau J.

Enfin, l’échappement de la vapeur aux condenseurs se fait par deux gros tuyaux L, L, qui conduisent la vapeur des deux boîtes à tiroirs d, d, à deux condenseurs, F, F, placés l’un en face du cylindre d’avant, l’autre en face du cylindre d’arrière.

Les pompes à air des deux condenseurs et les pompes d’alimentation sont conduites par un balancier que met en mouvement la tige du piston du cylindre du milieu.

Les pompes de circulation, P, P, accolées aux condenseurs, sont menées chacune par un petit moteur séparé.

Fig. 128. — Machine à triple expansion de l’Eastwood (Vue de côté).
Fig. 129. — Machine à triple expansion de l’Eastwood (Vue de face).

Les figures 128 et 129 représentent l’élévation longitudinale et l’élévation transversale d’une machine du deuxième type, construite en Angleterre par M. Earle, de Hull, pour le cargo-boat l’Eastwood. Voici les dimensions des trois cylindres :


Petit cylindre : diamètre …… 0m,4954
Moyen cylindre : …… 0m,762
Grand cylindre : …… 1m,3208
Course commune :   …… 0m,8382

La vapeur de la chaudière arrive, par le petit conduit, e, dans le cylindre A, puis elle se détend successivement dans les cylindres B et C ; elle s’échappe enfin, par le tuyau E, au condenseur à surface F, qui règne sur toute la longueur de la machine et fait corps avec la partie inférieure des bâtis des trois cylindres. La surface réfrigérante est de 107 mètres carrés.

La boîte à tiroirs, a, du petit cylindre A, est cylindrique, la distribution est faite par tiroirs à pistons. Le piston du grand cylindre, C, porte une contre-tige, qui assure le guidage et se meut dans un fourreau d. Les trois bielles, D, actionnent trois manivelles calées à 120° l’une de l’autre, sur l’arbre moteur H.

Les boîtes de distribution des cylindres B et C sont placées entre les trois cylindres, qui se trouvent ainsi former un tout solidaire, revêtu d’une même enveloppe isolante. Les distributeurs sont mis en mouvement au moyen de six excentriques J, calés deux à deux sur l’arbre moteur lui-même, et auxquels correspondent trois coulisses Stephenson, K, rendues solidaires par un même arbre de relevage, G, Les pompes à air et d’alimentation sont mues par un levier à deux flasques, L, articulé sur la tête de la bielle du grand cylindre C.

La vapeur est fournie, à une pression de 10 kilogrammes, par une chaudière simple, de 4m,19 de diamètre et 3m,20 de longueur, dont la surface de chauffe est de 161 mètres carrés.

Cette machine a développé aux essais une force de 751 chevaux.


Parmi les nouveaux types de machines à trois cylindres construites en Angleterre, celui de MM. A. Shanks and sons, représenté dans la figure 130, mérite une mention particulière. Nous faisons ressortir ci-après, sous la forme de légende descriptive, les particularités de ses éléments constitutifs.

Fig. 130. — Machine à triple expansion de MM. Shanks and sons.

Cylindres. — Les cylindres sont au nombre de trois, l’un à haute pression, l’autre à moyenne pression, le troisième à basse pression. Le premier a un diamètre de 250 millimètres, le second un diamètre de 375 millimètres, le troisième un diamètre de 608 millimètres, tous les trois avec une course utile de 452 millimètres. Le métal employé est de la fonte grise dure, parfaitement homogène, sans soufflures, et exactement alésé. En haut et en bas, des soupapes d’échappement sont établies pour prévenir tout accident. Ces soupapes et les autres tiroirs de distribution sont placés à l’extérieur de l’enveloppe, pour faciliter la surveillance et le nettoyage. Des robinets de purge sont montés sur tous les cylindres, avec tuyaux pour conduire les eaux de condensation dans la cale ou dans le condenseur. Chaque cylindre porte, en outre, un indicateur de pression. L’ensemble est protégé par une enveloppe de feutre de poil avec revêtement en acajou poli.

Pistons. — Ils sont de même métal que les cylindres, coulés creux avec des renforts, et comportent deux anneaux métalliques.

Couvercles des cylindres. — Ils sont en fonte pleine, avec renforts sur la face extérieure. Les creux sont garnis de feutres avec revêtement d’acajou.

Tiroirs de distribution. — Les tiroirs des cylindres à haute et à moyenne pression sont à passage conique ; celui du cylindre à basse pression est à double passage.

Plaque de fondation. — Elle porte quatre paliers.

Condenseur à surface. — Il forme une partie du bâti, à l’arrière de la machine, et renferme des tubes horizontaux en laiton, de 18 millimètres de diamètre extérieur ; l’eau circule dans leur intérieur, tandis que la vapeur se condense à l’extérieur. Les plaques tubulaires sont en métal Muntz, de 18 millimètres d’épaisseur. Les tubes sont fixés par des garnitures en bois, et présentent une surface totale de refroidissement de 33 mètres carrés environ.

Pompe à air. — Elle est à simple action, commandée par des leviers articulés sur la tête de bielle du piston du milieu. Le corps de la pompe est en bronze à canon de 18 millimètres d’épaisseur, diamètre 304 millimètres, course 225 millimètres. Tous les organes en contact avec l’eau sont en bronze, ainsi que la tige de la pompe.

Pompe de circulation. — Elle est à double action et commandée comme la pompe à air. Le corps de la pompe est en bronze, de 8 millimètres d’épaisseur, diamètre 200 millimètres, course 225 millimètres. Tous les organes sont en laiton.

Pompe d’alimentation. — Il y en a une, à simple action, d’un diamètre de 72 millimètres, commandée par la tête de bielle de la pompe à air. Les plongeurs, soupapes et sièges de soupapes sont en laiton, avec soupape de sûreté et réservoir d’air.

Pompe de cale. — Il en existe une, semblable à la précédente.

Bâti. — Le bâti d’arrière qui porte les cylindres, est venu de fonte avec le condenseur. À l’avant se trouvent quatre colonnes en fer forgé ; des guides ménagés de fonte sur les montants du bâti, reçoivent les glissières des têtes de bielle.

Coussinets. — Tous les coussinets sont en bronze.

Tiges des pistons. — Elles sont en fer martelé, de 65 millimètres de diamètre, fixées aux pistons par des extrémités filetées, avec écrous sur la face supérieure des pistons. Les têtes de bielle sont forgées avec les tiges, et munies de glissières en bronze, de 304 millimètres de long sur 162 millimètres de large.

Bielles. — Elles sont en fer martelé de 1m,125 de long de centre en centre pour un diamètre minimum de 62 millimètres. Les fourches sont fixées par des broches en acier et les extrémités inférieures sont garnies de coussinets en bronze.

Commandes des organes. — Les tiroirs sont commandés par des excentriques en fonte, avec bagues en bronze, barres en fer forgé et tiges de tiroirs en acier ; ces dernières guidées à la partie supérieure. Le changement de marche est commandé par une roue et une vis à double pas.

Arbre à manivelles. — Il est en fer martelé de première qualité ou en acier : diamètre dans les coussinets, 118 millimètres. Cet arbre est forgé tout d’une pièce et parfaitement ajusté. Les trois manivelles sont calées à 120 degrés l’une de l’autre.

C’est la Revue industrielle, publiée sous la direction du savant ingénieur M. Hippolyte Fontaine, qui nous a fourni les renseignements techniques qui précèdent sur la machine marine à triple expansion de MM. Shanks et fils. La même Revue accompagne cette description de réflexions que nous reproduisons, pour donner une idée exacte de l’utilité des machines à triple expansion dans la marine militaire d’une part, d’autre part et surtout dans la marine commerciale.

« Malgré les appréhensions et les difficultés éprouvées au début de l’application des machines à triple expansion, on s’accorde, dit la Revue industrielle, à reconnaître aujourd’hui qu’elles sont absolument pratiques, et qu’il n’est pas plus difficile de travailler à 10 ou 11 kilogrammes qu’à 5 ou 6 kilogrammes de pression, comme dans les machines Compound ordinaires. Les essais comparatifs exécutés en Angleterre, sur des navires de même type marchant les uns en Compound et les autres à triple expansion, prouvent, en effet, qu’on peut réaliser couramment avec ces derniers une économie de charbon d’au moins 20 %, et même dans certains cas de 30 %. Au lieu de brûler 1 kilogramme de charbon par cheval, on ne dépasserait pas 700 grammes, grâce à la détente qui peut être poussée à 14 fois, avec une admission moyenne de cinq sixièmes.

« Ces avantages sont particulièrement précieux pour les paquebots à grande vitesse, qui ont intérêt à effectuer une traversée dans le plus court délai possible, et par conséquent, à faire travailler les machines à pleine puissance.

« Il n’en est pas ainsi pour les grands navires de guerre, où la marche à triple expansion n’est réellement économique qu’en temps de guerre. Lorsque ces bâtiments font des croisières, ils n’utilisent guère plus du sixième de leur puissance maximum, de sorte que les machines travaillent, pendant la plus grande partie de leur existence, dans des conditions économiques défavorables. La marine n’a donné jusqu’ici la commande que d’un seul croiseur, le Tage, où la machine sera à triple expansion. Ce bâtiment est construit à Saint-Nazaire sur les Chantiers de la Loire. Les trois cylindres du moteur sont horizontaux et disposés de manière à permettre de désembrayer le grand cylindre et à marcher en Compound.

« Les contrats passés depuis par la marine avec les constructeurs stipulent l’emploi des machines Compound. L’application de la triple expansion à bord des navires de l’État semble donc écartée à nouveau. Elle se développe très rapidement, au contraire, sur les paquebots à grande vitesse, et on peut affirmer que d’ici à peu d’années, les armateurs seront obligés soit de transformer leurs machines, soit d’en installer de nouvelles à triple détente. »


Voici, d’après M. Hall[6], quels sont les avantages principaux que les machines à triple détente présentent sur le type Compound, pour les applications à la marine :

1o À égalité d’espace, on peut obtenir une puissance plus grande, sans accroître l’encombrement ;

2o L’augmentation de force est souvent obtenue sans augmenter le poids total. M. Hall a constaté, à maintes reprises, que le poids des machines Compound, chaudières comprises, est de 217 kilogrammes par cheval indiqué ; il n’est que de 205 à 210 kilogrammes, avec la triple expansion ;

3o L’usure et la fatigue des organes sont réduites en raison du meilleur équilibre des forces agissant sur la manivelle ;

4o Quant à l’emploi des chaudières à haute pression, leur durée ne semble pas, étant donnés les progrès accomplis dans leur construction et la substitution de l’acier au fer, devoir être moindre que celle des chaudières travaillant à 6 kilogrammes ;

5o Enfin, le service des machines n’ajoute aucune difficulté.

Une considération qui n’est pas à négliger, c’est qu’en donnant une vitesse plus considérable, en même temps qu’une moindre consommation de charbon, l’emploi de la triple expansion permet de diminuer le nombre des escales, dans les longues traversées, et contribue ainsi à réduire les droits de ports et autres frais. »

Fig. 131. — Machine à triple expansion du Sobralense (Vue d’avant).
Fig. 132. — Machine à triple expansion du Sobralense (Vue d’arrière).

Les figures 131 et 132 donnent deux vues en perspective d’une machine du troisième type, théorique (C), construite par la Barrow Shipbuilding Company, pour le steamer Sobralense. C’est une machine à quatre cylindres, dont voici les dimensions :

Petits cylindres 
 0m,431
Moyen cylindre 
 0m,965
Grand cylindre 
 1m,524
Course commune 
 1m,062

Sur deux grands bâtis, RR, de machine-pilon, sont montés les moyens et grands cylindres, B et C. Les deux cylindres à haute pression, A, A, sont montés en tandem, sur ces deux premiers cylindres. Des passerelles en fer, fixées à mi-hauteur des bâtis et dans le milieu des grands cylindres, forment deux étages de circulation, dans le haut de l’appareil, et permettent l’accès de tous les organes.

La vapeur qui arrive de la chaudière, par le tuyau e, se rend dans les deux cylindres A′, A. Au sortir de ces deux cylindres, elle est conduite, par le tuyau e′ dans le premier cylindre détendeur, B ; puis elle passe de là dans le cylindre C, et enfin dans le condenseur à surface, F, qui règne sur toute la longueur de la machine et dont la surface réfrigérante est de 155 mètres carrés.

Le mode de connexion des cylindres montés en tandem est spécial. Au petit piston est fixée une tige unique a (fig. 131), qui porte à sa partie supérieure une traverse T. Sur cette traverse s’attellent deux tiges descendantes, t, t, qui viennent s’assembler au grand piston. Celui-ci porte à la partie inférieure une tige unique qui vient actionner la bielle. Cette disposition a l’avantage de rendre les presse-étoupes plus accessibles.

Les deux manivelles sont calées à 90° l’une de l’autre. La distribution de vapeur est faite au moyen de deux paires d’excentriques calés sur l’arbre, et de deux coulisses Stephenson, solidaires d’un arbre de relevage, G. Les tiges, S, mettant en mouvement les tiroirs des grands cylindres, se prolongent par les tiges s, sur lesquelles sont montés les tiroirs des petits cylindres.

Les pompes à air et de circulation sont actionnées par un balancier à flasques, L, qui est articulé sur la traverse de la tige du piston du cylindre, C.

Cette machine développe la force de 1 580 chevaux. La vapeur est fournie par deux chaudières doubles, ayant chacune quatre foyers. La pression de marche est de 10 kilogrammes, 15 par centimètre carré.


L’emploi des pressions très élevées a conduit les constructeurs à étendre encore le nombre de détentes successives. On est ainsi arrivé à construire des machines à quadruple expansion.

Ce que nous avons dit précédemment des machines à triple expansion s’applique aux machines à quadruple expansion. Dans la figure 133, nous donnons les dispositifs le plus souvent adoptés par la quadruple expansion de la vapeur.

Fig. 133. — Type théorique des machines à quadruple expansion.

Le dispositif A est le plus simple, il est le plus employé dans les machines de faible puissance. Le type B s’applique aux machines d’une certaine force. C’est celui adopté par MM. Rankin et Blackmore, de Greenock, pour le yacht Rionnag-na-Mara.

La machine établie sur ce bateau donne des résultats remarquables à ce point de vue. Aussi en dirons-nous quelques mots.

Fig. 134. — Machine du Rionnag-na-Mara (Vue du côté du changement de marche).
Fig. 135. — Machine du Rionnag-na-Mara (Vue du côté du condenseur).

Les figures 134 et 135 donnent deux vues en perspective de cette machine. C’est une machine tandem à six cylindres. Les trois cylindres de haute pression, A, A′, A″, sont montés, au moyen de fourreaux coniques en fonte évidés, a, au-dessus des trois cylindres B, C, et D, dans lesquels la vapeur se détend successivement, pour être enfin évacuée au condenseur F, par la conduite E. Comme dans les machines précédentes, les boîtes de distribution des six cylindres sont placées sur le côté, dans le plan diamétral de la machine, et les tiroirs peuvent être ainsi mis en mouvement directement par l’arbre moteur lui-même, au moyen de trois paires d’excentriques, G, Les trois manivelles sont calées à 120° l’une de l’autre. Les pompes à double circulation sont actionnées par un levier à deux flasques, L, articulé sur la tête de la tige du piston du dernier cylindre D.

La pression de la vapeur est de 12 kilogrammes, 65 par centimètre carré.

La puissance développée a été de 518 chevaux, et la consommation de charbon aux essais s’est abaissée à 510 grammes par cheval et par heure.

Les machines à quadruple expansion sont encore fort peu répandues, mais la très forte économie réalisée sur le combustible, ainsi que nous venons de le voir, peut faire croire que ces machines seront avant peu appelées à remplacer, sur les grands paquebots, les machines à triple expansion.

Une machine à quadruple expansion et à six cylindres, comme celles du Rionnag-na-Mara, a, en outre, l’avantage de se prêter à neuf combinaisons différentes de fonctionnement, à savoir :

1o Comme machine à quadruple expansion et à 6 cylindres actionnant 3 manivelles. — La vapeur est admise dans les 3 cylindres à haute pression, au moyen des tuyaux e, e, et elle est évacuée au moyen des tuyaux b, b et c, qui la conduisent au premier cylindre détendeur, B ; enfin elle passe par le tuyau f successivement aux cylindres C et D.

2o Comme machine à quadruple expansion et à 5 cylindres actionnant 3 manivelles. — Il suffit pour cela de fermer l’admission de la vapeur d’eau dans un des cylindres supérieurs.

3o Comme machine à quadruple expansion et à 4 cylindres actionnant 3 manivelles. — Deux des petits cylindres sont supprimés.

4o Comme machine à triple expansion, sans condensation, à 4 cylindres actionnant 2 manivelles. — La vapeur n’est admise que dans les deux petits cylindres A′, A″, d’où elle passe dans le cylindre B, puis dans le cylindre C, pour être ensuite évacuée à l’air libre.

5o Comme machine à triple expansion, avec condensation, à 4 cylindres actionnant deux manivelles. — La vapeur est admise dans les deux cylindres A, A′, passe de là dans les tuyaux b et g, dans le cylindre C, puis dans le cylindre D, et s’écoule enfin au condenseur, par la conduite E.

6o Comme machine à triple expansion, avec condensation, à 3 cylindres, actionnant 3 manivelles. — La vapeur se rend directement dans le cylindre B, puis se détend dans les cylindres C et D.

7o et 8o Comme machine Compound à deux cylindres superposés et sans condensation. — Dans ce cas, un des trois groupes qui composent l’ensemble, celui de l’avant (A″B) ou celui du milieu (A′C), fonctionne seul, il y a échappement à l’air libre.

9o Comme machine Compound à deux cylindres superposés et à condensation. — C’est le groupe de l’arrière, A, B, par l’intermédiaire du tuyau de communication h, qui fonctionne seul.

On voit donc qu’une pareille machine se prête à une grande variété d’allures.



CHAPITRE III

la machine à vapeur marine au point de vue de sa construction. — les pistons. — l’arbre des pistons. — les cylindres et les tiroirs. — le condenseur à surface. — la pompe du condenseur. — l’hélice et la LIGNE D’ARBRES. — le palier de butée.

Pour terminer ces descriptions, nous donnerons quelques détails sur la machine à vapeur marine, au point de vue de sa construction.

Toutes les machines actuelles sont à connexion directe, c’est-à-dire que le mouvement des pistons est transmis à l’arbre par les bielles, sans l’intermédiaire d’un balancier. La plupart sont à bielle directe, ou pour mieux dire, la bielle est placée entre l’arbre et le cylindre. Cependant, comme nous le faisions remarquer plus haut, on trouve encore dans la marine militaire des appareils à bielles renversées.

L’arbre qui reçoit le mouvement des pistons s’appelle l’arbre à manivelle. Il est pourvu de vilebrequins, solidement établis, sur lesquels s’attellent les bielles motrices. Il a 2 ou 3 coudes, et ordinairement, lorsqu’il atteint de grandes dimensions, on le fait en plusieurs pièces, comportant chacune une manivelle, et assemblées par des plateaux venus de fonte et des boulons.

L’arbre à manivelle est supporté par des paliers garnis de coussinets en bronze ou en métal blanc, et qui font partie de la plaque de fondation.

La plaque de fondation est une robuste pièce en fonte, qui repose sur les carlingues du bâtiment, et supporte tout le poids de l’appareil. Sur la plaque viennent s’assembler les bâtis en fonte, supportant les cylindres, ainsi que les tiroirs, et portant les glissières entre lesquelles se meut la tête de la tige du piston. Souvent l’enveloppe du condenseur est fondue avec les bâtis. D’autres fois, les bâtis n’existent que d’un seul côté, avec glissière unique ; et dans ce cas, les cylindres sont supportés de l’autre côté par des colonnes en fonte, en fer ou en acier.

Le mouvement de va-et-vient du piston est transmis aux manivelles de l’arbre, par des bielles, généralement en acier, s’articulant par leur tête sur la manivelle, et par leur pied sur la tête de tige du piston, appelée crosse, et qui porte les coulisseaux de glissière. Les bielles sont pourvues de coussinets en bronze, garnis de métal blanc.

Les pistons qui sont en fonte et creux, sont entourés de plusieurs segments en fonte, logés dans des rainures circulaires. Ces segments, sortes de bagues fendues, s’appliquent sur la paroi du cylindre, par leur propre élasticité, ou par l’effet de ressorts placés derrière, qui empêchent la vapeur de passer d’un côté à l’autre du piston. La tige du piston, qui est en acier, s’assemble avec celui-ci par un cône, et est serrée par un écrou. La tête de cette tige reçoit les coulisseaux de glissière qui assurent le mouvement rectiligne de la tige et s’opposent à toute flexion.

Pour éviter les inconvénients résultant de l’inertie, dans les machines des torpilleurs, qui atteignent une vitesse de 300 à 400 tours par minute, on a foré les bielles et les tiges de piston, et on a fabriqué le piston en acier, pour réduire ses dimensions. Par ce moyen, on a considérablement diminué le poids de ces pièces.

Dans ces mêmes machines, les bâtis en acier forgé ont atteint le minimum de dimensions et de poids. Le poids par cheval effectif est réduit, sur certaines machines de torpilleurs, à 35 kilogrammes.

Les cylindres sont coulés en fonte, généralement à enveloppe de vapeur, et à chemise intérieure rapportée. Souvent le couvercle inférieur est fondu avec le cylindre.

Les tiroirs sont placés sur le côté des cylindres, dans les boîtes à vapeur. Ils sont conduits généralement par une coulisse de Stephenson, munie de ses deux excentriques, analogues à ceux qui sont employés dans les locomotives.

Cependant divers autres systèmes sont en usage. Nous citerons les distributions Marshall et Joy. Les tiroirs sont en fonte, souvent garnis de bronze, et pourvus d’un compensateur, qui équilibre la pression de la vapeur.

Le condenseur est toujours à surface. Il se compose d’une enveloppe en fonte, dans laquelle un tuyau spécial amène la vapeur d’échappement. Les extrémités du condenseur sont fermées par des plaques en bronze, percées de trous, se correspondant d’une plaque à l’autre, et dans lesquels passent, à frottement, des tubes minces, en cuivre étamé. En dehors, chacune de ces plaques reçoit une coquille en fonte, qui la recouvre. Dans cette coquille arrive l’eau de mer, envoyée par une pompe spéciale. L’eau traverse les tubes, qu’elle refroidit ; la vapeur se condense au contact des tubes froids, et l’eau provenant de cette condensation, tombe au fond du condenseur.

La figure 136 met en évidence les parties intérieures du condenseur à surface des machines de navires. La direction des flèches, ainsi que les numéros, montrent le sens de la marche de l’eau froide dans les tubes.

Fig. 136. — Coupe d’un condenseur à surface.

La circulation de l’eau dans le condenseur est provoquée, soit par une pompe attelée à la machine, soit par une pompe centrifuge, mue par un moteur indépendant. Ce dernier système est adopté pour les grands appareils. Il a l’avantage de maintenir le condenseur froid pendant les arrêts.

Nous représentons dans la figure ci-dessous l’une des pompes en usage dans la marine anglaise, construite par MM. Tangyes, de Birmingham. Dans cette figure, A est le moteur à vapeur, accouplé par son arbre avec la pompe B, laquelle aspire l’eau par l’orifice C, et la refoule en D.

Fig. 137. — Pompe de circulation du condenseur, le couvercle enlevé.

La figure 138 montre l’installation d’une pompe construite par MM. Gwynne, de Londres, sur un condenseur pour le navire l’Invincible. Dans cette disposition, la pompe à air, A, au lieu d’être conduite par la machine principale, est conduite, au moyen d’un excentrique, par la machine, P des pompes. Elle aspire l’eau au condenseur, par le tuyau F, et envoie à la mer l’eau de condensation, par le tuyau de trop-plein, L.

Fig. 138. — Installation d’une pompe de circulation sur un condenseur.

E est une pompe centrifuge, disposée soit pour pomper à la cale par le tuyau F et refouler dans ce cas l’eau par le tuyau J, soit pour faire office de pompe de circulation, et alors elle aspire l’eau de mer par la prise G, et elle la refoule au condenseur par le tuyau H.

La prise de vapeur de la machine a lieu en M. L’échappement se fait soit au condenseur par le tuyau O, soit à l’air libre par le tuyau N.

La figure 139 nous fait voir une pompe centrifuge de condenseur, de MM. Gwynne, dont le couvercle de visite est enlevé.

Fig. 139. — Pompe de condenseur, à circulation centrifuge.

On voit les ailettes hélicoïdales H, qui, par leur giration rapide, déterminent l’aspiration par l’orifice C. L’eau entraînée s’échappe par la tangente, après avoir parcouru le tuyau circulaire qui enveloppe la pompe, s’échappe en D, d’où elle est envoyée par un tuyau au condenseur.

L’eau de condensation de la vapeur est enlevée du condenseur, avec l’air entraîné, par la pompe à air. Cette pompe, qui est conduite généralement par la machine, est souvent à simple effet. Elle refoule l’eau de condensation dans une bâche où puisent les pompes alimentaires. Un trop-plein conduit l’excès d’eau à la mer.

La machine conduit également des pompes appelées pompes de cale, destinées à enlever l’eau qui s’accumule toujours dans le fond des navires.


Quelques mots sur le mode de transmission du mouvement de la machine au navire, pour produire l’effet de propulsion.

Le mouvement de la machine est transmis à l’hélice, par l’intermédiaire d’une ligne d’arbres, assemblés bout à bout par des plateaux boulonnés et supportés par des paliers. D’un bout, la ligne d’arbres s’assemble à l’arbre moteur par un accouplement fixe, ou à débrayage ; elle s’assemble de l’autre bout à l’hélice.

Fig. 140 et 141. — Ligne d’arbres du paquebot la Champagne vue en coupe et en plan.

C’est ce que représentent les figures 140 et 141, qui donnent une coupe de la ligne d’arbres du paquebot de la Compagnie transatlantique la Champagne. La première est une vue en élévation, la seconde une vue en plan. L’hélice H est mise en action par l’arbre moteur A. Les cloisons étanches sont représentées par les lettres C, C, C… L’arbre d’hélice sort du bâtiment par un œil pratiqué dans l’étambot, et garni de coussinets en bois de gaïac, fixés dans un cylindre appelé tube d’étambot, qui porte, à l’intérieur du navire, un presse-étoupe, qui empêche l’eau de pénétrer. L’arbre d’hélice, dans son passage dans le tube d’étambot, est enveloppé de feuilles en cuivre, qui le préservent de l’action corrosive de l’eau de mer.


La propulsion du navire est produite, comme on le sait, par la poussée de l’hélice réagissant sur l’eau. Pour résister à cette poussée qui s’exerce suivant l’axe de l’arbre, et qui aurait pour effet de le faire glisser dans ses paliers, l’arbre moteur a besoin de trouver un point d’appui invariablement fixé à la coque du navire, de façon à ce que ce déplacement relatif se transmette au navire et le fasse avancer. Ce point d’appui est obtenu au moyen d’un palier spécial, appelé palier de butée, dont le nom indique la fonction et que nous représentons dans les fig. 142, 143 et 144.

Fig. 142. — Vue en plan d’un palier de butée.
Fig. 143. — Coupe longitudinale d’un palier de butée.
Fig. 144. — Coupe transversale du palier de butée.

Entre la machine et l’hélice, mais plus près de cette dernière, l’arbre A repose sur deux paliers PP, boulonnés sur une même plaque de fondation R, R, et munis de coussinets ordinaires. Entre ces deux paliers, l’arbre porte une série de collets, C, C, C, entre lesquels on vient placer des coussinets verticaux D, D, D, ayant la forme d’un demi-cercle et réunis entre eux, dans le plan de leur diamètre, par deux boulons longitudinaux, B, qui établissent la solidarité avec les paliers P, P.

La réaction s’exerce entre les faces antérieures des collets et les faces postérieures des coussinets. L’arbre moteur joue, dans cette partie, le rôle d’une vis sans fin et à filets parallèles, tournant sans avancer, dans un demi-écrou à filets, également parallèles.

Le palier de butée que nous représentons comporte onze collets. On multiplie, suivant les cas, le nombre de ces collets, de manière que la pression totale soit répartie sur une surface assez grande pour que la pression par centimètre carré ne dépasse pas une certaine limite, au delà de laquelle il pourrait y avoir grippement et détérioration des pièces.


Lorsque le tirant d’eau d’un bâtiment est faible, ou que son déplacement est trop considérable, il n’est souvent pas possible de lui donner une hélice suffisamment grande. On établit alors, à droite et à gauche de l’étambot, deux hélices jumelles, mais qui, bien que commandées par une même machine, sont complètement indépendantes. Ce procédé est fréquemment adopté, car il permet de donner une grande facilité d’évolution au bâtiment, en faisant varier la marche respective des hélices.



CHAPITRE IV

transformation des chaudières de navires. — l’ancienne chaudière à carneaux. — adoption de la chaudière tubulaire, à retour de flamme. — description de la chaudière marine actuellement en usage. — son installation à bord des navires. — essai de l’emploi, à bord des navires, des chaudières inexplosibles ou multitubulaires.

Nous allons voir maintenant par quelles modifications a passé la chaudière des bateaux à vapeur.

Les anciennes chaudières se rapprochaient beaucoup de la chaudière des machines fixes, ou chaudière en tombeau, de Watt. Elles se composaient d’un parallélipipède en tôle de fer, ou en cuivre, à l’intérieur duquel étaient établis des foyers, à faces planes, se terminant par des carneaux, qui avaient, en section verticale, la forme d’un rectangle très allongé dans le sens de la hauteur, et en plan horizontal, la forme d’un serpentin. Ces carneaux aboutissaient à la cheminée.

La surface de chauffe, dans ces premières chaudières, était fort restreinte, malgré leurs grandes dimensions ; et comme le volume d’eau qu’elles contenaient était considérable, il en résultait que le poids des chaudières d’un navire était énorme.

Les ingénieurs s’appliquèrent, de bonne heure, à obtenir des appareils évaporatoires à grande surface de chauffe, avec un volume et un poids d’eau le plus faible possible. Après bien des essais et des tâtonnements, on finit par adopter la chaudière tubulaire à retour de flamme, qui est basée sur le principe des chaudières des locomotives, mais qui en diffère par quelques dispositions.

Nous donnons figures 145, 146 et 147 l’élévation, la coupe transversale et la coupe longitudinale, d’un corps de chaudière à retour de flamme et à faces planes.

Fig. 145 et 146. — Chaudière marine à faces planes et à retour de flamme.
Fig. 147. — Coupe longitudinale d’une chaudière marine à faces planes et à retour de flamme.

La chaudière est composée de deux parties symétriques, que l’on voit, l’une à gauche, en élévation, l’autre, à droite, en coupe, dans la figure 145, et qui ont un tuyau de fumée commun.

Chacune de ces parties est un prisme rectangulaire, et comporte trois foyers, F, F′, F″, trois grilles G, G′, G″ et trois portes de chargement E, E′, E″. Les grilles sont inclinées d’avant en arrière. Les flammes et les gaz de la combustion lèchent la paroi supérieure de chaque foyer, se réunissent, et se mélangent dans une boîte à feu commune, A, reviennent en avant, en traversant un faisceau tubulaire, C, dont les tubes en fer ou en cuivre ont 7 à 8 centimètres de diamètre, et débouchent enfin dans la boîte à fumée, B, placée en avant de la chaudière, pour s’échapper par le tuyau T, commun aux deux moitiés.

Trois portes D, D′, D″, situées sur la face antérieure, en regard du faisceau tubulaire, permettent de nettoyer les tubes de circulation.

Les foyers, les boîtes à feu et à fumée sont enveloppés d’eau de toutes parts. Les tôles formant les parois, tant intérieures qu’extérieures, de la chaudière, sont fortement entretoisées, et réunies par de solides boulons, destinés à leur permettre de résister à la pression intérieure de la vapeur, et à empêcher les déformations que leur forme plane rend plus difficile à éviter.

La face postérieure de la chaudière présente un pan coupé, destiné à lui permettre de se loger plus facilement près de la paroi du navire.

Telles sont les chaudières tubulaires à retour de flamme, qui sont restées si longtemps en usage dans la marine. Elles donnaient un bon rendement, et seraient encore en usage si l’adoption des grandes détentes de la vapeur n’eût pas obligé à augmenter la pression, ce qui devenait possible avec le condenseur à surface.

Mais les faces planes des chaudières, si bien entretoisées qu’elles fussent, ne pouvaient résister à des pressions supérieures à 4 et 5 kilogrammes. Les ingénieurs, tout en conservant la disposition du retour de flamme, donnèrent aux chaudières la forme cylindrique.

La figure 148 représente la coupe transversale, et la figure 149 la coupe longitudinale d’une chaudière de la Normandie.

Fig. 148 et 149. — Chaudière de la Normandie à trois foyers.

Le corps de la chaudière est cylindrique ; les foyers A, A, A, sont cylindriques. Seules, les faces d’avant et d’arrière sont planes, mais solidement entretoisées. Il y a trois boîtes à feu, B, indépendantes, et séparées par des cloisons d’eau à faces planes. Les boîtes à fumée, qui sont tout à fait extérieures, ne sont pas indiquées sur la figure ; elles sont en tôle mince. Les réservoirs de vapeur sont constitués par des cylindres horizontaux, C, à parois entièrement courbes, et ils sont réunis, par des tubulures D D, à la partie supérieure de la chaudière.

Les chaudières reposent sur les varangues, par des supports en fer, appelés bers, qui épousent en partie leur forme, et les maintiennent solidement en place.

La cheminée n’est en quelque sorte, que le prolongement de la boîte à fumée. Généralement cylindrique, la cheminée est entourée, dans son passage à travers les ponts, et même au-dessus du pont supérieur, par une chemise, qui fait appel d’air pour la chaufferie, et préserve le bâtiment de la chaleur du tuyau de la cheminée.

La ventilation de la chambre de chauffe s’opère au moyen des manches à vent en usage sur les vaisseaux, et qui sont, comme on le sait, de gros tuyaux débouchant sur le pont par des pavillons, que l’on tourne dans la direction du vent.

En général, il y a à bord des navires un peu importants plusieurs corps de chaudières, groupées deux à deux, ou trois à trois. C’est pour ne pas donner au métal des chaudières un diamètre trop considérable que l’on en emploie plusieurs. En effet, l’épaisseur des tôles croît avec leur diamètre, et pour des pressions qui atteignent 10 et 12 kilogrammes, dans les machines à triple expansion, les dimensions ordinaires (4m,50) exigeraient des épaisseurs de métal de 30 à 32 millimètres, bien que l’acier soit exclusivement employé. Or, des tôles d’acier de cette force sont d’un travail extrêmement difficile, et il faut des précautions incroyables pour ne pas les rendre, en les travaillant, aigres et cassantes, malgré les moyens puissants dont dispose l’industrie.

La figure 150 représente une chaudière double à 6 foyers avec réservoir unique de vapeur du paquebot la Normandie.

Fig. 150. — Chaudière marine double à six foyers, avec réservoir de vapeur unique de la Normandie.

La figure 151 donne une vue de l’installation générale d’une batterie de chaudières à bord d’un paquebot de la Cie Transatlantique.

Fig. 151. — Installation d’une batterie de chaudières à bord d’un paquebot de la Cie Transatlantique.

À bord des torpilleurs et des petits navires à vitesse excessive, on adopte, sans modification, la chaudière ordinaire des locomotives. Seulement, le foyer est plus vaste, le diamètre du corps cylindrique plus fort, et les tubes sont plus petits et plus courts.


Nous venons de dire que, dans les chaudières marchant à haute pression, il faut employer des tôles fort épaisses, qui sont d’un travail difficile, et que le volume d’eau est considérable. Les chaudières sont donc fort lourdes, et il faut beaucoup de temps pour les mettre en pression.

De plus, si une explosion venait à se produire, la masse d’eau bouillante qui se répandrait dans la chaufferie, et les débris qui seraient projetés dans toutes les directions, provoqueraient une inévitable catastrophe, dont on a eu, d’ailleurs, un triste exemple à bord du Richelieu, en 1886, et antérieurement, à bord du cuirassé anglais le Thunderer. Pour éviter ces divers défauts, les ingénieurs ont essayé d’appliquer à la navigation les chaudières inexplosibles, ou multitubulaires, que nous avons longuement décrites dans la première Notice de ce volume (Supplément à la Machine à vapeur).

La marine française avait déjà appliqué la chaudière Belleville aux chaloupes à vapeur de notre flotte militaire ; et en 1880, M. Perkins installait sur le yacht Anthracite une chaudière multitubulaire de son système, marchant à la pression de 22 kilogrammes 50. En 1885, une chaudière du même ingénieur, timbrée à la pression effrayante de 35 kilogrammes, était établie sur un autre bâtiment anglais.

Ces pressions formidables qui donnent de bons résultats, quant à la puissance motrice de la vapeur, présentent de grands inconvénients pour la conduite et l’entretien, tant pour rendre la marche régulière que pour l’exécution des joints et garnitures, qui restent difficilement étanches.

Sans avoir recours à ces pressions exagérées, il est permis de croire que les pressions de 12 à 15 kilogrammes deviendront courantes dans la marine. Alors la chaudière inexplosible deviendra une nécessité.

Divers essais de chaudières inexplosibles ont été faits par la marine militaire française, entre autres à bord de l’aviso de première classe le Milan, lancé en 1886 et qui est pourvu d’une batterie de chaudières Belleville. Les résultats n’ont rien laissé à désirer. Cependant les chaudières multitubulaires ne sont encore admises qu’à titre d’exception dans la marine militaire ou commerciale.



CHAPITRE V

les accessoires des machines à vapeur marines.

Nous passons à la description des appareils accessoires des chaudières de marine. Ces appareils diffèrent peu, en général, des appareils similaires employés dans les chaudières fixes.

Une chaudière de bateau à vapeur est généralement munie de deux niveaux d’eau, à tube en verre, de robinets d’épreuves, de deux soupapes de sûreté, d’un ou deux manomètres, et d’appareils auxiliaires d’alimentation.

Nous examinerons seulement les soupapes de sûreté et les appareils d’alimentation, parce qu’ils diffèrent de ce même genre d’organes en usage dans les machines fixes.

Fig. 152. — Soupape de sûreté de Thomas Adams (Coupe et élévation).

Les soupapes de sûreté employées dans la marine sont presque exclusivement du système de M. Thomas Adams, de Manchester. Dans cet appareil que nous représentons dans la figure ci-dessus, le levier et le contrepoids des chaudières des machines fixes sont supprimés ; la force destinée à équilibrer la pression de la chaudière est fournie par un ressort en spirale, A, agissant sur la soupape D, par l’intermédiaire d’une douille B, laquelle repose sur une portée ménagée sur la tige G, de la soupape D.

Une particularité de ce système consiste en ce que, contrairement à ce qui arrive avec les soupapes ordinaires, le débit de l’appareil est suffisant pour obliger la pression à ne pas dépasser le timbre de la chaudière, tout en ne laissant écouler que le moins de vapeur possible. Ce résultat est obtenu par un dispositif spécial de l’obturateur, qui a pour effet d’obliger la vapeur qui s’échappe à frapper sur un rebord conique, faisant partie de l’obturateur. On utilise ainsi la force vive de la vapeur, pour contrebalancer l’effet du ressort, et empêcher la soupape de se refermer, dès que, par suite de son soulèvement, elle se trouve moins pressée par la vapeur.

La soupape est pourvue, à sa partie supérieure, d’un levier à main, E, qui permet de la lever à volonté.

Tout l’appareil est enfermé dans une boîte en fonte, et l’échappement de la vapeur se fait latéralement, par une tubulure G, à laquelle on adapte un tuyau, qui conduit la vapeur à l’extérieur.


Les appareils d’alimentation sont de deux sortes : les injecteurs, qui dérivent plus ou moins de l’appareil Giffard, et les petits chevaux alimentaires.

Nous connaissons suffisamment l’injecteur Giffard ; aussi ne reviendrons-nous pas sur sa description. Quant à ce que l’on nomme, dans la marine à vapeur, les petits chevaux, ou chevaux alimentaires, ce sont des pompes à vapeur, avec cylindre et tiroir.

La figure 153 représente le petit-cheval réglementaire de la marine française. Nos lecteurs sont maintenant assez familiarisés avec les machines à vapeur pour qu’il ne soit pas nécessaire de donner une description de cet appareil d’alimentation.

Fig. 153. — Petit cheval alimentaire de la marine française. Fig. 154. — Petit cheval alimentaire de la marine anglaise.

Nous représentons dans la figure 154 un petit cheval alimentaire construit par MM. Tangye. Cet appareil, qui est en usage dans la marine anglaise, est à action directe.

Indépendamment de ces types, divers petits chevaux sont en service dans les marines française ou étrangère. Telles sont les pompes Belleville et Worthington. Ces appareils sont, comme les précédents, à action directe, c’est-à-dire dépourvus d’arbre manivelle et de volant.



CHAPITRE VI

transformations opérées dans les constructions navales. — constitution d’une coque de navire. — abandon du bois. — emploi du fer et de l’acier. — système composite. — doublage en cuivre. — dispositions adoptées sur les nouveaux navires.

Nous allons passer en revue les modifications apportées de nos jours au système général des constructions navales ; mais il est indispensable de présenter, préalablement, un rapide exposé de la structure d’un navire, tel qu’on l’entend aujourd’hui.

La coque d’un navire est constituée essentiellement par le bordé de carène, c’est-à-dire par l’enveloppe étanche qui lui assure la faculté de flotter, et qui forme trois côtés d’une poutre creuse, en partie ouverte sur sa face supérieure.

Le bordé seul ne résisterait pas à l’aplatissement. Aussi est-il armé, à l’intérieur, de membrures verticales, appelées couples, qui sont réunies par les barrots, c’est-à-dire par des poutres transversales, qui font avec les couples un solide indéformable.

La résistance à la flexion longitudinale est constituée par la quille, qui réunit les couples et le bordé du pont, et assure la liaison des barrots.

Indépendamment de la quille et parallèlement à elle, règnent d’autres poutres longitudinales, que l’on nomme carlingues, qui résistent également à la flexion longitudinale.

La pression que l’eau exerce sur les fonds du navire est combattue par les varangues, qui réunissent la partie inférieure des couples à une certaine hauteur au-dessus de la quille, et par les barrots, qui sont réunis aux varangues, soit par une cloison verticale, soit par des pièces verticales, que l’on nomme épontilles.

La membrure, la quille, qui se relève, à l’avant, par une pièce verticale, appelée étrave, et à l’arrière, par une autre pièce également verticale, que l’on nomme étambot, forment, avec les barrots, les carlingues et les varangues, l’ossature du bâtiment. Ils constituent son squelette, pendant la construction, et servent de point d’appui au bordé et à toutes les autres pièces du navire.

Jusqu’à l’introduction de la vapeur comme agent moteur, le mode de construction des navires avait peu varié. Le bois était seul employé, et un bâtiment se composait essentiellement : 1o de couples, formés de deux plans de bois croisant leurs jonctions, appelées écarts, et chevillés l’un sur l’autre ; 2o d’un bordé, ordinairement en bois de chêne, chevillé sur les couples ; et 3o de barrots, recevant les ponts et reliés aux couples par des courbes en bois.

Certes, ces procédés ont fourni de magnifiques spécimens d’architecture navale ; mais ils avaient contre eux deux ennemis invincibles : la déliaison des pièces et la pourriture du bois.

Sans doute, une pièce de bois est, comme on l’a prouvé depuis longtemps, plus résistante, à poids égal, qu’une pièce de fer, mais elle a le défaut grave de ne pouvoir se réunir à d’autres, d’une façon invariable. Le chevillage ne résiste pas au cisaillement, et il est inefficace pour empêcher les pièces de tourner. Les trous de chevilles s’agrandissent, sous l’influence du mouvement des pièces ; et au bout de quelque temps, tout l’ensemble ne présente plus une cohésion suffisante pour résister aux efforts de la mer et aux fractures qu’il a subies.

Le bois de chêne, qui résiste si bien à l’action de l’air ou de l’eau, s’altère par l’effet de l’air humide et confiné, lequel existe dans les caissons appelés mailles, formés par les couples et le vaigrage ou enveloppe intérieure, et où l’air ne peut se renouveler suffisamment.

Il a donc fallu chercher un mode de construction des navires qui offrît plus de résistance que le bois. Le fer est venu fournir la matière première des constructions navales.

Les coques de navire entièrement en fer datent de l’année 1845 environ. Elles se répandirent en France, grâce à l’initiative de Dupuy de Lôme, alors simple sous-ingénieur de la marine à Toulon, et qui avait été chargé d’aller étudier en Angleterre les procédés de construction des navires en fer, en usage dès cette époque dans les chantiers de Liverpool et de Glasgow.

Une coque en fer, grâce à la solidité des assemblages de toutes ses parties, ne redoute pas la déliaison ; elle n’a à craindre que la mauvaise qualité du fer, ou l’imperfection de la mise en œuvre.

Le fer a permis d’entreprendre la construction de bâtiments qu’il eût été impossible de faire autrement.

Les premiers navires de fer furent construits selon les dispositions suivies pour les coques en bois. Le bordé, sur un navire en fer, est une enveloppe extérieure unique ; les couples sont formés par deux cornières adossées, dont la section donne un Z. Il n’y a pas de varangue, mais seulement des lambris, au droit des logements, pour les défendre des variations de température. Ce procédé est encore le plus employé pour la construction des navires de dimension moyenne.

Sur les très grands navires, on adopte le système longitudinal, c’est-à-dire que sur les bordages du fond on applique, à l’intérieur, des lisses en fer, appelées carlingues intercostales, dont le plat est horizontal, et constitue une série de carlingues latérales, interrompant la membrure. À l’intérieur, toutes ces pièces sont recouvertes d’un second bordé ; ce qui les ramène au simple rôle d’entretoises, les deux bordés travaillant ensemble.

Ce système fut appliqué pour la première fois dans la construction du Great Eastern.

Dans un navire de fer, la quille est constituée par un fer plat placé de champ, et se relevant à l’avant, pour former l’étrave. À l’arrière, elle s’assemble avec l’étambot, pièce de forge énorme, qui forme la cage de l’hélice, et dont les différentes parties portent les noms suivants : l’étambot-avant portant l’œil où passe le tube d’étambot qui contient l’arbre d’hélice, et l’étambot-arrière ou contre-étambot portant les femelots du gouvernail, sortes d’œils dans lesquels s’engagent les mâles, ou aiguillots, sortes de gonds qui constituent la charnière autour de laquelle pivote le gouvernail.

La figure 155 représente l’étambot du paquebot de la Cie Transatlantique, la Champagne, portant la carcasse de son gouvernail.

Fig. 155. — Étambot de la Champagne, portant la carcasse du gouvernail.

Les coques en fer ne sont pas, toutefois, sans présenter certains inconvénients, que nous ne devons pas manquer de signaler.

D’abord, par suite d’un effet électrique encore mal expliqué, et sur lequel le chimiste Humphry Davy fut, autrefois, inutilement consulté, les coques de fer se recouvrent, pendant les traversées, de coquillages de toutes sortes ; ce qui ralentit leur marche. Ensuite, dans les navires de guerre, l’artillerie produit sur les tôles des ravages terribles, qu’il est impossible de combattre.

Il n’y a d’autre moyen de se débarrasser de dépôts de coquillages que des nettoyages sur cale sèche, tous les six ou huit mois. C’est à quoi se résignent les paquebots ; mais les navires de guerre, surtout les croiseurs, astreints à des campagnes prolongées et lointaines, ne peuvent user de ce procédé. Il reste, d’ailleurs, pour les navires de guerre, le second danger, c’est-à-dire les ruptures et destructions de la coque, résultant des projectiles ennemis, et qui sont bien plus graves sur une coque en fer que sur les navires de bois.


C’est dans le but de réunir les avantages des coques en bois à ceux des coques en fer, que l’on a créé le système de construction navale dit composite.

Dans ce système, la coque du navire se compose d’une membrure en fer, avec bordé en bois (généralement du bois de teack, qui n’attaque pas le fer), et on le recouvre, à l’extérieur, d’un second bordé en bois, à coutures chevauchées et d’un doublage en cuivre. Ce système, qui a paru excellent dans les essais, n’a pas encore été appliqué à de très grands navires.

Lorsqu’on veut doubler en cuivre une coque en fer, on la recouvre d’un soufflage en bois, fixé au bordé par des boulons, et recouvert d’un second soufflage, fixé sur le premier (par dessus) et qui reçoit le doublage.

Sur les navires en fer de grande dimension, on borde ordinairement en tôle un des ponts, pour augmenter la résistance, et on le recouvre d’un bordé en bois bien calfaté.

Les nouveaux bâtiments sont tous ainsi construits : le pont supérieur est entouré, dans le prolongement du bordé, par un garde-corps en tôle mince appelé pavois, portant une main courante en bois, appelée lisse d’appui.

Beaucoup de navires récemment lancés portent un spardeck. Dans ce cas, les membrures se rapprochent de la partie supérieure, et reçoivent un pont léger, appelé pont spardeck ou spardeck. Le pont principal est alors au-dessous du spardeck. Les pavois sont alors supprimés, et remplacés par un garde-corps, formé de tringles en fer rond, passées dans des supports verticaux et portant la lisse d’appui.

Les fonds de la plupart des nouveaux bâtiments forment ce que l’on nomme des water-ballast, c’est-à-dire des caisses étanches, dont la partie supérieure forme le plancher de la cale, et que l’on remplit d’eau, pour servir de lest. On vide ces caisses, en tout ou partie, lorsque le navire est chargé, et on les remplit lorsqu’il flotte à vide. À l’avant et à l’arrière sont d’autres caisses à eau, plus hautes que les water-ballast, que l’on appelle peaks, et, qui servent à faire plonger ou émerger plus ou moins ces dernières parties du navire, suivant les besoins de la navigation.

Pour éviter les dangers que peut faire courir à un navire une voie d’eau, on établit, transversalement, d’autres cloisons étanches, qui divisent le navire en plusieurs compartiments. Ces cloisons ont pour but d’empêcher l’eau d’envahir la totalité du navire, si, par suite d’un choc, le bordé vient à se rompre ; la communication entre ces compartiments est établie alors par des vannes, que l’on ferme au moment de l’accident.

Sur le pont des navires, et principalement des paquebots, s’élèvent diverses constructions qui ont chacune leur dénomination. On les appelle roofs, si elles n’occupent pas toute la largeur du navire ; — dunettes, lorsqu’elles sont situées à l’arrière et s’étendent jusqu’au bordé ; — gaillards, si elles sont placées à l’avant ; — châteaux, quand, placées au milieu, elles occupent toute la largeur du bâtiment, et que leurs faces latérales sont formées par le prolongement du bordé.

Dans ces superstructures sont logés l’équipage, les officiers et une partie des passagers. Elles garantissent le haut des machines, ainsi que des chaudières.

Souvent leur partie supérieure est formée par un pont léger, qui sert de promenade aux passagers.

Les soutes sont disposées en travers, le long des machines et des chaudières.

On embarque le combustible dans les soutes, au moyen d’ouvertures qui débouchent sur le pont, et qui sont fermées par des tampons en fonte.

Dans la chaufferie sont des portes à coulisse, qui permettent d’extraire le charbon pour les besoins du service.

L’arbre de l’hélice est séparé de la cargaison par une voûte en tôle, appelée tunnel, qui permet de circuler à tout instant autour de cet arbre.

Les marchandises sont introduites à bord par des ouvertures rectangulaires (écoutilles) : elles sont garnies d’un rebord (hiloire) qui empêche l’eau de mer de défoncer les panneaux de fermeture.



CHAPITRE VII

les accessoires de la coque des navires, ou l’armement. — le gréement, ou matûre. — les gouvernails. — les appareils de levage. — boussoles. — pompes et ventilateurs. — l’éclairage électrique à bord des navires, appareils servant à le produire.

Nous allons dire maintenant quels sont les accessoires de la coque, c’est-à-dire les ancres et leurs chaînes, les cabestans, les guindeaux, la mâture, le gréement, les embarcations, etc., etc. L’ensemble de tous ces accessoires s’appelle l’armement.

Nous n’examinerons ici que l’armement des bâtiments de commerce, celui des navires de guerre étant tout spécial et devant être étudié dans une autre Notice.

Nous commencerons par les ancres.

Le lecteur sait que les ancres ont pour objet d’immobiliser le bâtiment partout ailleurs que dans un bassin. Une ancre comprend plusieurs parties : la tige A, et la cigale B, qui sert à recevoir la chaîne, les pattes C, les oreilles D, et le bec E. La tige reçoit, près de la cigale, une barre transversale F, appelée le jas, qui a pour effet d’obliger l’ancre à placer ses pattes perpendiculairement au fond, lorsqu’on la mouille.

Fig. 156. — Ancre Trottmann.

La figure 156 représente l’ancre Trottmann d’un usage courant aujourd’hui. Les pattes sont mobiles autour d’un axe, ce qui facilite beaucoup leur accrochage sur le fond, ainsi que leur arrimage à bord du navire.

Sur un grand navire, les ancres sont de trois catégories : les ancres de bossoirs, les ancres de veille et les ancres à jet. Les premières sont celles d’un usage courant, qui sont toujours suspendues à l’avant, sous les bossoirs. Les secondes sont semblables aux premières, comme dimension, et servent à les remplacer ; elles sont placées à portée, près du gaillard d’avant. Les troisièmes, beaucoup plus légères, sont destinées à être portées par un canot, qui les mouille au point voulu.

Les ancres de bossoirs reçoivent les chaînes, qui sont composées d’anneaux étançonnés, appelés mailles. Les chaînes sont ordinairement réunies par bouts de 30 mètres, au moyen de maillons. Elles sont fixées sur la carlingue centrale, par une étalingure, sorte de forte attache. Elles traversent la muraille du bâtiment, à l’avant, près de l’étrave, par les écubiers, œils en fonte fixés solidement au bordé. Il existe un écubier de chaque côté de l’étrave. Lorsque les ancres sont à bord, les chaînes sont repliées dans un compartiment spécial placé à l’avant, et que l’on nomme puits aux chaînes.

Les ancres prêtes à mouiller, c’est-à-dire à tomber à la mer, sont retenues à bord par un petit mécanisme fort simple, appelé mouilleur, qui se compose d’une tringle de fer passée dans deux pitons, dans lesquels elle tourne aisément. À chaque extrémité de la tringle, sont deux crochets, ou doigts, qui prennent dans les anneaux des chaînes, et les empêchent de filer. Un levier suffisamment long, fixé au milieu de la tringle, empêche celle-ci de tourner au moyen d’une cordelette ou aiguillette qui l’attache. Il suffit de couper l’aiguillette, pour que le poids des chaînes agissant sur les doigts, qui font bras de levier, fasse tourner la tringle, et dégage les doigts. Les chaînes, débarrassées de toute entrave et obéissant au poids des ancres, filent par les écubiers.

Un autre appareil, nommé stoppeur, est destiné à empêcher la chaîne de s’échapper brusquement par l’écubier, lorsque l’ancre a convenablement mordu au fond. C’est simplement une cavité ayant la forme d’une maille de chaîne, pratiquée dans un conduit en fonte, dans lequel passe la chaîne. Pendant que la chaîne file, une pièce en fer, nommée pied-de-biche, et manœuvrée par des leviers, obstrue l’ouverture du stoppeur. Au commandement de l’officier chargé du mouillage de l’ancre, un matelot abaisse le pied-de-biche, et une maille de la chaîne tombant dans la cavité arrête brusquement le mouvement. La chaîne est ensuite solidement amarrée. La portion de chaîne qui sort de l’écubier, au mouillage, est appelée touée. Elle est toujours bien plus grande que la profondeur du fond pour permettre au navire d’agir obliquement sur son ancre et de la forcer à se crocher au fond.

On remonte les chaînes à bord au moyen d’un treuil spécial, appelé guindeau, généralement mû par la vapeur, sur les grands bâtiments, mais qui peut aussi être mu à bras sur les navires de faibles dimensions.

Fig. 157. — Treuil guindeau à bras.

La figure 157 représente un guindeau à bras. Sur un arbre horizontal AA, sont fixés deux disques en fonte, B, B, munis d’empreintes ayant la forme des mailles de la chaîne, et appelés noix, ou barbotins. Les chaînes passent sur ces barbotins et s’engagent dans les empreintes. Cet appareil est directement placé au-dessus du puits à chaînes ; les chaînes en sortent par les deux ouvertures, E, E.

L’arbre des manivelles, C, communique le mouvement à l’arbre, AA, des barbotins, au moyen de deux engrenages coniques, R, R′. Un système de débrayage permet de ne faire tourner que l’un ou l’autre des barbotins suivant qu’on veut remonter l’ancre de babord ou celle de tribord.

Mais sur les grands navires de guerre et les grands paquebots modernes, en raison du poids considérable des ancres, on emploie des guindeaux mus par la vapeur.

Fig. 158. — Treuil guindeau à vapeur (Type vertical).

La figure 158 représente un guindeau à vapeur dans lequel deux cylindres verticaux, C, C, mettent en mouvement, par l’intermédiaire de bielles et de plateaux-manivelles, P, un premier arbre horizontal, D, qui fait tourner au moyen d’engrenages l’arbre, A, sur lequel sont montés les barbotins B.

On peut débrayer l’un ou l’autre des barbotins, suivant la chaîne que l’on veut relever. Des leviers appelés brimballes servent à manœuvrer directement le guindeau à bras quand les feux des chaudières sont éteints.

La figure ci-dessus représente un autre guindeau, également à vapeur, mais dans lequel les deux cylindres sont horizontaux et placés sous l’arbre A, aux extrémités duquel sont montés les deux barbotins, B, B. Un balancier à double marche, E, permet de manœuvrer à bras au moyen de brimballes.

Les chaînes relevées par le guindeau ne remontent l’ancre que jusqu’à l’écubier. Pour l’élever à la hauteur du gaillard, et la mettre à bord, on a recours aux bossoirs, sorte de grues, qui surplombent la muraille à l’extrême-avant. À ces bossoirs sont fixés de forts palans, appelés palans de caponnière, et dont la moufle inférieure porte un crochet. On saisit l’anneau de l’ancre par le crochet, et on garnit le garant du palan sur un cabestan à vapeur. L’ancre est alors amenée à bord, et rendue fixe, pour toute la traversée.

Dans nombre de nouveaux bâtiments, les bossoirs sont remplacés par une seule grue tournante, qui peut desservir les deux écubiers.

Dans les ports, les navires sont amarrés à quai par des cordages, appelés grelins et haussières, qui sont attachés à bord, sur des bornes en fonte, appelées bittes, et solidement fixées au pont.

Parlons maintenant de la mâture et du gréement des navires à vapeur.

À bord des steamers modernes, la mâture et le gréement sont loin d’avoir l’importance qu’on leur donnait autrefois. Cependant, indépendamment du coup d’œil marin qu’ils donnent aux bâtiments, ces accessoires de la coque sont encore une sauvegarde, en cas d’avarie de la machine, et souvent un auxiliaire à celle-ci, lorsque le vent est favorable. Par une grosse mer, les voiles appuient le navire, c’est-à-dire lui font prendre une position plus fixe sous le vent, et diminuent l’amplitude du roulis.

Le nombre des mâts varie suivant l’importance des navires. En général, les bâtiments ayant moins de 90 à 100 mètres de longueur n’ont que deux mâts, et portent une simple voilure de goélette latine, si ce sont des caboteurs. Les longs-courriers portent, en outre, des voiles carrées au mât de misaine.

Au-dessus de 100 mètres de longueur, le nombre des mâts est de trois et même de quatre. Les deux premiers mâts sont garnis de voiles carrées, et quelquefois les trois premiers, si le navire a quatre mâts.

Le mât d’artimon (le plus à l’arrière) est toujours gréé d’une brigantine, et quelquefois d’une flèche.

Les mâts sont généralement construits en tôle de fer ou d’acier, au moins à leur partie inférieure, et sont ordinairement à pible, c’est-à-dire d’une seule venue, de l’emplanture et à pomme. Ils sont creux, et constituent une sorte de tube conique en métal. Les vergues sont également métalliques, et d’une construction analogue. Le gréement fixe, ou les dormants, tels que les haubans, galhaubans et étais, sont en fil d’acier.

Dans les grands steamers, presque toujours la manœuvre des voiles s’effectue du pont, et par l’intermédiaire des treuils à vapeur, qui deviennent indispensables, en raison du petit nombre d’hommes que comporte l’équipage.


Nous dirons un mot des ventilateurs, bien que l’usage de ces engins commence à tomber en discrédit.

Outre les manches à vent, ce moyen antique et irréprochable de renouveler l’air dans les cales et les entreponts, on fait usage quelquefois, sur les navires, de ventilateurs mus par la vapeur.

Fig. 160. — Ventilateur à la vapeur.

La figure ci-dessus représente un de ces appareils. A est la petite machine à vapeur qui reçoit un courant de vapeur spécial, de l’une des chaudières. C, est l’arbre que fait tourner cette machine, V, le volant, et B, le ventilateur, sorte de large roue, de dimensions considérables, qui pousse l’air dans le sens de son axe, et le dirige dans des conduits aboutissant aux locaux à ventiler.


Passons aux appareils de levage.

À bord des bâtiments de commerce de tout ordre, le chargement et le déchargement des marchandises se fait au moyen de treuils à vapeur, et de grues, dont nous allons dire quelques mots.

Les écoutilles sont disposées de telle sorte qu’elles se trouvent auprès d’un mât, dans l’axe du bâtiment. Pour embarquer ou débarquer le frêt, on articule au mât le plus proche, par une crapaudine fixée par un fort collier, une corne de charge, portant un pivot, qui peut osciller dans la crapaudine. Cette corne est constituée par une pièce de bois, ou volée, inclinée et maintenue à son extrémité par une chaîne, solidaire du mât. La longueur de la corne est calculée pour que son extrémité tombe au milieu de l’écoutille, et sorte de quelques mètres hors du bâtiment, lorsqu’elle est tournée de côté. À cette extrémité est fixée une poulie, dans laquelle passe la chaîne, portant le croc de déchargement. Cette chaîne passe dans une seconde poulie fixée près du pivot et vient s’enrouler sur le tambour d’un treuil à vapeur fixé à proximité.

La figure 161 représente un treuil ordinaire à vapeur, pouvant être employé dans ce cas particulier.

Fig. 161. — Treuil à vapeur à tambour (Type vertical à engrenages).

Deux cylindres inclinés, C, C, actionnent l’arbre du tambour, T, du treuil, au moyen d’un arbre intermédiaire, A, et d’une paire d’engrenages.

La figure 162 représente un treuil à vapeur spécialement construit pour cet usage particulier.

Fig. 162. — Treuil à vapeur à tambour (Type horizontal à friction).

Les deux cylindres C sont horizontaux. L’entraînement se fait de l’arbre A à l’arbre B, par frictions cannelées.

La manœuvre s’opère au moyen d’un seul levier L, à mouvement latéral articulé, permettant d’obtenir l’arrivée de vapeur, l’embrayage des frictions, la fermeture de la valve et enfin la descente, en s’appuyant sur le frein fixe.

Les arbres des tambours portent des poupées P, en fonte, qui servent à l’enroulement des cordages.

Nous ajouterons que dans des navires récemment construits, les treuils, et souvent les différents engins de manœuvre, sont actionnés par des appareils hydrauliques, c’est-à-dire fonctionnent par l’eau, sous pression. Nous citerons, comme exemple, l’installation faite à bord du Quetta. On supprime ainsi les trépidations, et les manœuvres sont plus rapides.


Parmi les appareils accessoires des navires, les plus importants sont incontestablement ceux qui servent à mouvoir le gouvernail. En effet, que deviendrait un navire désemparé de l’organe qui le dirige ? Il ne tarderait pas, sous l’action des vents et des courants, à être écarté de sa route, et il ne saurait résister à une tempête.

C’est pour ces raisons que les constructeurs se sont attachés à perfectionner les appareils qui font mouvoir le gouvernail, et à les multiplier à bord.

Un gouvernail est une surface plane, de dimensions et de forme variables, formée d’une charpente en fer forgé, recouverte par des tôles rivées, et susceptible de tourner, au moyen d’un arbre puissant, appelé mèche, autour de pivots, appelés mâles ou aiguillôts. Ces aiguillôts sont passés dans les femelots, venus de forge, avec l’étambot.

Le gouvernail est, comme chacun le sait, placé à l’arrière, et sa mèche pénètre dans le navire, par un presse-étoupe étanche. Pour le manœuvrer, on fixe sur la mèche un secteur en fer, qui reçoit deux chaînes bien tendues, appelées drosses. Les drosses courent à babord et à tribord, le long de la muraille, et viennent s’enrouler sur le tambour d’un treuil, qui se manœuvre par l’intermédiaire d’engrenages, au moyen d’une roue en bois, munie de poignées, sur laquelle agit le timonier. Lorsqu’on fait tourner le treuil, une des drosses s’enroule et l’autre se déroule. Il en résulte que le gouvernail est sollicité du côté de celle qui s’enroule. La longueur des drosses peut être quelconque, ce qui permet de placer la roue du gouvernail et son treuil au point le plus commode.

D’autres fois, cet appareil est remplacé par un appareil à vis sans fin ; un secteur denté fixé à la mèche reçoit le mouvement d’une vis mue par des engrenages et des roues à bras. C’est ce dispositif qui est adopté par la Compagnie générale transatlantique.


Dans les steamers dépassant la longueur de 40 à 50 mètres, la manœuvre du gouvernail a lieu par la vapeur, au moyen d’un servo-moteur. Ces appareils, très répandus aujourd’hui, et dont les formes sont très variées, ont été inventés par le savant constructeur, M. Joseph Farcot.

L’appareil dit servo-moteur, imaginé par M. Joseph Farcot, consiste dans l’asservissement complet d’un moteur quelconque au gouvernement absolu du commandant d’un navire et d’un timonier, qui fait cheminer la main de celui-ci avec l’organe sur lequel agit le moteur, de telle sorte que tous deux marchent, s’arrêtent, reculent, reviennent ensemble, et que le moteur suive pas à pas le doigt indicateur du conducteur, dont il imite servilement tous les gestes.

Le servo-moteur a permis d’augmenter considérablement la puissance des gouvernails, tout en rendant leur manœuvre aussi facile et prompte que celle d’un gouvernail de canot. Le timonier peut, d’un point quelconque du navire, en exerçant un faible effort sur son volant de manœuvre, mettre la barre toute d’un bord, en quelques secondes. Il peut également l’amener sûrement et sans aucune hésitation à un angle intermédiaire déterminé, puisqu’il voit se reproduire constamment devant lui, sur un cadran, tous les mouvements que subit le gouvernail.

La marine de guerre française, ainsi que les grands paquebots modernes, ont adopté, pour la manœuvre des gouvernails, le servo-moteur de M. Farcot ou ses dérivés.

Fig. 163. — Servo-moteur Farcot.

Cet appareil, que nous représentons dans la figure 163, se compose de deux cylindres à vapeur, A, A, dont les axes sont à 90° et actionnent un arbre à manivelles.

Les deux tiroirs de distribution de vapeur, B, B, fixés sur le dos des cylindres, sont manœuvrés par deux excentriques de distribution. Les deux colliers des excentriques sont fous, sur un moyeu qui lui-même est fou, sur un coude diamétralement opposé à la manivelle sur laquelle sont attelées les manivelles motrices.

Un doigt pénètre dans ce moyeu et le fait tourner autour du coude de l’arbre à manivelles, ce qui le déplace plus ou moins, et donne au tiroir une plus ou moins grande introduction.

Quand le centre du moyeu se trouve dans l’axe de l’arbre à manivelles, ce moyeu se trouvant centré, par rapport à cet arbre, il en résulte que l’arbre, en tournant, ne déplace plus les tiroirs de distribution, qui sont au stop, avec orifices recouverts.

Le doigt, qui pénètre dans le moyeu, est fixé sur un manchon C, qui peut glisser longitudinalement sur l’arbre manivelle, en se déplaçant angulairement d’une faible quantité, suivant une rainure hélicoïdale qui constitue son clavetage sur l’arbre.

Le déplacement longitudinal de ce manchon est obtenu au moyen d’un pignon D, formant écrou, lequel, tournant sur l’extrémité de l’arbre manivelle qui est fileté, fait avancer le manchon et le doigt dans un sens ou dans l’autre.

Ce pignon-écrou est mis en mouvement par le timonier, au moyen d’une roue à manettes E, qui actionne une roue dentée F, s’engrenant avec le pignon. On comprend alors facilement que le timonier, tournant son volant de manœuvre dans un sens ou dans l’autre, fait glisser le doigt, le long de l’arbre-manivelle, en décalant le moyeu des excentriques de distribution, pour la marche avant ou arrière, suivant que ce décalage s’opère à droite ou à gauche de la ligne moyenne. Le moteur se mettant en mouvement, par le fait de l’ouverture des tiroirs de distribution, l’arbre-manivelle, sur l’extrémité filetée à laquelle se trouve l’écrou, manœuvré par le conducteur, tourne dans le même sens que l’écrou, et leur position relative ne change pas, tant que leurs vitesses sont égales. Si au contraire le moteur marchait plus vite ou plus doucement que le conducteur, il produirait un mouvement relatif, entre l’écrou et la vis de l’extrémité de l’arbre, ce qui diminuerait ou augmenterait l’angle de décalage et ralentirait ou accélérerait le moteur jusqu’à ce qu’il ait exactement une vitesse égale à celle du conducteur. Si le conducteur s’arrêtait, le pignon-écrou ne tournant plus serait immédiatement déplacé par la vis, et ramènerait instantanément le moyeu des excentriques à la position moyenne, en fermant les tiroirs.

Dans le cas où le moteur, ayant une certaine puissance vive, ne s’arrêterait pas instantanément, les tiroirs à vapeur étant fermés, le moyeu des excentriques continuant son mouvement renverserait la marche, et utiliserait ainsi toute la puissance du moteur, pour le réduire à l’obéissance.

L’asservissement du moteur étant ainsi clairement exposé, il ne nous reste plus qu’à décrire le mode de transmission de cet appareil au gouvernail.

Sur l’arbre manivelle se trouve calé un pignon engrenant avec une roue dentée, clavetée sur l’arbre d’un tambour G, sur lequel s’enroule la drosse allant actionner la barre du gouvernail. Une double poulie, H, servant de retour aux drosses, et courant sur une vis, est placée au-dessus du tambour, afin de guider les drosses, pour qu’elles s’enroulent, toujours normalement sur le tambour, sans crainte de se chevaucher.

Enfin, un volant à main, I, placé à l’arrière de l’arbre du tambour des drosses, permet d’embrayer ce tambour, soit avec la roue motrice du servo-moteur, soit avec un pignon, fou sur cet arbre, et permettant de manœuvrer la barre par le moyen des roues à bras ordinaires.

Un axiomètre placé à l’avant du servomoteur indique, en tout temps, la position exacte de la barre du gouvernail.

L’appareil servo-moteur, est relié à différents postes de manœuvre, placés en des points quelconques du navire, au moyen d’une transmission légère, qui vient aboutir à un pignon à chaîne galle, claveté sur l’arbre du volant de manœuvre.

MM. Stapfer, Duclos, de Marseille, construisent un servo-moteur, qui diffère de celui qui vient d’être décrit et qui est couramment appliqué par la Cie Transatlantique.

La fig. 164 représente un autre servo-moteur, celui de Davis, qui est d’un très bon usage.

Fig. 164. — Servo-moteur Davis.

Ce modèle de machine est spécialement applicable aux petits navires, aux steam-yachts et aux bateaux torpilleurs, à bord desquels l’espace est si limité. Cet appareil à vapeur à gouverner est le plus petit comme dimension que l’on puisse trouver, eu égard à sa puissance effective. Il existe des appareils pour navires de 200 tonneaux n’ayant que 0m,46 dans le sens longitudinal du navire, sur 0m,66 dans le sens transversal. On en a installé un sur un steam-yacht de 65 tonneaux de jauge seulement.

La machine est silencieuse et d’une grande solidité : elle fonctionne, ainsi que la roue, au moyen de vis sans fin, ce qui évite les secousses données par les engrenages ordinaires, et les tiroirs sont disposés de façon à n’avoir pas de fuites. L’opération du désembrayage, pour transformer l’appareil à bras en appareil à vapeur, se fait au moyen d’un simple levier, dans le genre de ceux que l’on emploie sur les treuils à vapeur pour le changement de marche. La machine est absolument automatique.

Sur un navire de 2 000 tonneaux, la timonerie était si petite qu’on ne savait comment s’y prendre pour y faire entrer une barre à vapeur. M. Davis, ayant été chargé de la fourniture de l’appareil, a pu arriver, tout en lui donnant la puissance nécessaire, à en construire un n’ayant que 0m,77 dans le sens longitudinal et 1m,06 dans le sens transversal du navire.

Il existe deux modèles différents de ce servo-moteur. Le premier, pour les grands navires, a les cylindres horizontaux disposés dans le sens longitudinal, et reposant sur un bâti creux en fonte. Le deuxième, dont nous donnons le dessin, a ses cylindres verticaux de façon à gagner un peu de place. Plus de 100 steamers de 250 à 3 000 tonnes sont pourvus de ce dernier système.

À bord des grands paquebots, la Champagne par exemple, il existe plusieurs appareils à gouverner. Sur ce dernier bâtiment, le gouvernail est commandé : 1o par un servo-moteur à l’avant, doublé d’une commande à bras ; 2o par un appareil à vis sans fin, à l’arrière ; 3o par un système de palan actionnant une poulie de grand diamètre, fixée sur la mèche.

Généralement, le servo-moteur est actionné de la passerelle, dans laquelle il est placé. La transmission des ordres aux timoniers et à la machine se fait, de la passerelle, par des télégraphes à cadran, portant les ordres en toutes lettres. Une aiguille qui se déplace, et peut s’arrêter devant ces ordres, est mue par un système de poulies.

Dans ses quatre derniers paquebots, la Compagnie transatlantique a organisé le téléphone à bord, pour la transmission des ordres ; les résultats ont été des plus satisfaisants.

Dans les machines marines de grande puissance, comme celles qui sont à bord des paquebots modernes, la commande du changement de marche ne peut plus se faire à la main. Elle s’effectue à la vapeur, soit à l’aide d’un servo-moteur analogue à ceux que nous avons décrits précédemment, soit à l’aide d’un appareil spécial, que nous représentons sur la figure 165.

Fig. 165. — Commande du changement de marche à vapeur.

Dans un cylindre A se meut un piston, qui peut recevoir la vapeur sur l’une quelconque de ses faces, au moyen d’un petit tiroir B, qui est mis en mouvement par une tringle K, à griffe, et un manchon à rainure M, solidaire du volant de manœuvre G.

La tige C du piston commande, à l’une de ses extrémités, l’arbre de rappel de la coulisse de changement de marche, au moyen d’une bielle H, et d’une manivelle O.

À l’autre extrémité, la tige du piston est creuse et filetée intérieurement. L’arbre F porte, à l’extrémité droite, une vis E, à pas lent, qui tourne dans la tige du piston et peut la faire avancer. À l’extrémité gauche, il porte une autre vis E, à pas rapide, sur laquelle peut tourner, entre les deux butoirs N et P, le volant de manœuvre G, avec son manchon M.

La quantité dont avance le manchon d’un butoir à l’autre est égale à la course du tiroir B, et l’on peut ainsi introduire la vapeur sur la face avant ou sur la face arrière du piston. Néanmoins celui-ci ne se déplace pas tant qu’on ne met pas en mouvement la vis E.

Mais dans ses deux positions antérieures, quand le volant est venu se serrer contre son butoir, si on continue à tourner, il actionne la vis dans un sens ou dans l’autre, et permet au piston de se déplacer par l’action de la vapeur, mais sous le contrôle du mécanicien, et avec autant de douceur dans le mouvement que celui-ci le désire.


Sur tous les bâtiments est placée, au moins, une boussole, ou compas de route. Ces compas sont fixés dans des boîtes en cuivre, appelées habitacles, montées sur des pieds, et fixées au pont par des vis.

Il y a généralement trois compas à bord, un à l’arrière, à l’appareil à gouverner à bras, un au servo-moteur, et un troisième sur la passerelle. En outre, il existe souvent un compas étalon, destiné à corriger les erreurs de l’aiguille aimantée des autres compas, que la grande masse de fer composant le navire a l’inconvénient de faire varier. Le compas est placé sur le pont, au haut d’une colonne en bois, et on y accède par une échelle.

Nous ne décrirons pas tous les moyens employés pour corriger les perturbations de l’aiguille aimantée à bord des bâtiments en fer. Nous nous contenterons de rappeler la boussole de Sir William Thomson, universellement connue, ainsi que les compas liquides.


La position du navire est signalée, la nuit, par trois fanaux, dits feux de position, qui se composent : d’un feu blanc au mât de misaine, d’un feu rouge à babord, et d’un feu vert à tribord. Lorsqu’on voit un navire de côté, on n’aperçoit jamais que le feu du bord où l’on se trouve ; des écrans empêchant de voir les autres.


Des appareils avertisseurs servent aussi à signaler la présence du navire. Ce sont les sifflets, trompes d’alarme, sirènes et les cloches.

Fig. 167. — Trompe à vapeur.

La figure 167 représente la trompe en usage sur les navires. Cet appareil se compose essentiellement d’une cloche en bronze, C, percée de deux orifices rectangulaires, D, dont le bord supérieur est en biseau. La vapeur arrive en A, traverse la valve à ressort E, mue par le levier B. Elle échappe par l’orifice D, mais en rencontrant le bord supérieur, elle détermine une vibration de la cloche, qui produit un son, d’autant plus grave que les dimensions de la cloche sont plus considérables.

Ce son rauque et retentissant a une telle puissance qu’il s’entend à une distance énorme, et à ceux qui ne le connaissent pas il produit, pour la première fois, un effet incroyable.


Nous passons aux pompes à eau et leurs accessoires.

En outre des pompes de cale, mues par la machine, et des petits-chevaux, un bâtiment est pourvu d’une série de pompes à bras et à vapeur, pour vider la cale, ou les water-ballast, pour laver le pont, éteindre les commencements d’incendie, etc., etc.

Les pompes à vapeur employées à bord des navires sont généralement des pompes centrifuges ou rotatives. Parmi ces dernières, nous citerons la pompe Bekrens, aujourd’hui peu employée, et la pompe Greindl.

Fig. 166. — La pompe Greindl et son moteur.

La figure 166 montre l’ensemble d’une pompe Greindl d’épuisement, avec le moteur qui l’actionne. La figure 168 est une coupe transversale de cette même pompe, dont nous allons décrire le fonctionnement.

Fig. 168. — Pompe Greindl (coupe).

Cet appareil se compose, comme organes principaux, d’une caisse ouverte latéralement sur ses deux faces, et dans laquelle se meuvent deux rouleaux cylindriques tangents A et B, dont l’un porte deux palettes.

La pompe ne peut, bien entendu, tourner utilement que dans un seul sens, la palette inférieure s’éloignant de la tubulure horizontale d’aspiration. Ce sont, en définitive, les deux palettes du rouleau de droite qui font office de pistons, et qui, dans leur mouvement de rotation continue, entrent alternativement avec jeu dans une échancrure de forme épicycloïdale, ménagée sur toute la longueur du rouleau de gauche.

Deux engrenages, reliant les axes des deux rouleaux, donnent au rouleau de gauche une vitesse de rotation double de la vitesse du rouleau de droite, ce qui assure le passage successif des deux palettes par l’échancrure unique. Ces engrenages sont à chevrons et alternés, parce que des engrenages ordinaires, comportant nécessairement un certain jeu entre les dents en contact, ne pourraient se prêter sans bruit ni choc au fonctionnement de la pompe.

Cette pompe, on le voit, diffère considérablement de celles que nous avons décrites en parlant des accessoires des machines à vapeur (fig. 153, 154). Elle est rotative ; mais la force centrifuge n’entre pour rien dans l’aspiration et le refoulement de l’eau. Elle a sur les pompes centrifuges l’avantage d’un rendement plus fort, et la faculté de refouler l’eau à toute hauteur, ce qui fait qu’elle est souvent appliquée comme pompe à incendie.


Les figures 169 et 170 représentent, en élévation et en plan, une pompe centrifuge de cale à moteur direct, construite en Angleterre, par MM. J. et H. Gwynne, et qui est appliquée sur de nombreux navires.

Fig. 169. — Pompe centrifuge de cale.
Fig. 170. — Pompe centrifuge de cale (coupe).

A est la machine à vapeur à pilon, dont il est facile de reconnaître les divers organes et qui prend sa vapeur par la valve a. B, C, D est la pompe centrifuge, du même système que celle que nous avons précédemment décrite à propos des pompes de circulation du condenseur. L’aspiration se fait par l’orifice et le refoulement par C.


Les accessoires des machines marines comportent encore les appareils à glace, les machines dynamo-électriques et leurs moteurs.

Les grands navires sont aujourd’hui éclairés par l’électricité, tant pour les feux de position, dont nous parlions plus haut, et qui sont destinés à signaler leur présence aux autres bâtiments, que pour l’éclairage intérieur.

Nous représentons (fig. 171) la machine dynamo-électrique Edison, employée à bord de la plupart des navires, pour la production du courant électrique. Elle est accompagnée de son moteur, qui est une machine à vapeur à grande vitesse.

Fig. 171. — Machine dynamo-électrique pour l’éclairage des navires.

La machine dynamo-électrique Edison se compose de deux grands électro-aimants verticaux, A, B, et d’une bobine C, qui tourne au devant des deux électro-aimants, pour produire le courant d’induction, qui doit fournir l’arc voltaïque éclairant, ou alimenter des lampes à incandescence. D est la machine à vapeur qui fait tourner la bobine C.

Fig. 172. — Machine à vapeur Gwynne, à grande vitesse, pour l’éclairage électrique des navires.

La machine à vapeur qui remplit ce dernier office est une machine à grande vitesse, construite par MM. Gwynne, de Londres. Nous la représentons à part, dans la figure 172. Les organes qui la composent se comprennent aisément, d’après la description que nous avons donnée des machines à grande vitesse, dans la Notice sur les machines à vapeur fixes. Sur cette figure, A représente le cylindre à vapeur, B la boîte à tiroir, C la prise de vapeur, D le régulateur, V le volant.



CHAPITRE VIII

les paquebots modernes. — compagnies françaises et étrangères construisant des paquebots. — la compagnie transatlantique ; ses derniers paquebots : la Normandie, la Champagne, la Bourgogne, la Bretagne et la Gascogne. — les Messageries maritimes. — service de l’extrême-orient et de la méditerranée. — les chargeurs réunis. — la Société des transports maritimes. — les compagnies maritimes étrangères. — paquebots de la compagnie Cunard, de lInman et de lAnchor-Line. — La Compagnie de navigation italienne. — les compagnies allemandes.

Après avoir fait connaître les perfectionnements qui ont été apportés, de nos jours, aux machines et chaudières à vapeur marines, ainsi qu’aux procédés de construction des navires, et signalé les transformations qu’ont subies leur armement et leur aménagement, nous décrirons les grands paquebots actuels. Les détails contenus dans les deux chapitres précédents, sur l’armement des navires, nous permettront d’abréger leur description.


Nous examinerons d’abord les paquebots construits en France, comme étant ceux qui nous intéressent le plus, en commençant par la flotte de la Compagnie générale transatlantique, la plus importante de tout le commerce français.

Nous avons donné, dans les Merveilles de la science [7], l’histoire de la création de la Compagnie de navigation transatlantique, Nous avons dit que c’est en 1862, à la suite d’une tentative infructueuse, faite par d’autres entreprises, que commencèrent les premiers voyages des paquebots transatlantiques de la Compagnie Pereire, et nous avons insisté sur l’importance de cette création de notre génie maritime.

Il faut ajouter, pourtant, que ses débuts ne furent pas aussi heureux qu’on était en droit de l’espérer.

La Compagnie transatlantique, en procédant à la constitution de sa flotte, s’était basée sur la préférence que les voyageurs accordaient alors aux navires à roues. Elle avait appliqué ce système à tous ses navires, et cela au moment même où les roues allaient disparaître de la navigation à vapeur. Et non seulement elle avait adopté les roues, mais encore elle en était revenue aux machines à vapeur à balancier, à basse pression et à condenseur par mélange. C’était marcher absolument en arrière du progrès. Les conséquences de cette erreur ne tardèrent pas à se produire ; et sans les deux paquebots le Pereire et la Ville de Paris, que nous avons décrits dans les Merveilles de la science, et qui étaient armés de l’hélice, la Compagnie aurait eu à subir des pertes considérables.

Les grands paquebots à roues, Saint-Laurent, Washington, Lafayette, Ville du Havre, Europe, Amérique, France, Labrador et Panama, avaient 105 mètres de longueur. Avec une telle longueur la roue était un propulseur insuffisant. La Compagnie se décida à transformer tous ses navires à roues en navires à hélice.

Le Saint-Laurent fut allongé de 8m,50, et transformé, sur cale, en navire à hélice. On le munit d’une machine à vapeur à deux cylindres et à pleine pression.

Le Washington et le Lafayette, après quelques années de service, reçurent également l’hélice et des machines à vapeur à pleine pression.

Le paquebot le Napoléon III, que nous avons décrit dans les Merveilles de la science[8], fut allongé de 15 mètres, et reçut une machine Compound. Il prit le nom de la Ville du Havre. Mais il ne fournit relativement qu’une faible carrière, car il périssait en mer en 1873.

Il faut en dire autant des deux paquebots l’Europe et l’Amérique, qui, allongés et munis de machines de Wolf, firent naufrage, et furent abandonnés sur l’Océan. Seule, l’Amérique fut ramenée dans un port.

La France, le Labrador et le Canada, furent transformés en navires à hélice, et munis de machines de Wolf.

Tous les paquebots que la Compagnie transatlantique a construits depuis cette époque ont été établis avec les perfectionnements les plus récents que nous avons fait connaître.

En 1883, pour lutter contre les Crack ships des Compagnies anglaises, la Compagnie transatlantique fit construire la Normandie, et c’est avec ce paquebot que furent inaugurées les grandes vitesses dans la marine commerciale française.

La Normandie a été construite dans les chantiers de Barrow in-Furness (Comté de Lancastre). C’est un beau navire en fer, qui mesure 140 mètres de longueur, 15m,20 de large et 11m,40 de creux.

Le tirant moyen d’eau en charge est de 7m,50. Le tonnage est de 10 050 tonneaux. La machine à vapeur, dont nous avons donné la description et les dessins dans un des chapitres précédents [9], a développé, aux essais, une force de 6 500 chevaux-vapeur, et la vitesse du navire est allée jusqu’à 16 nœuds, 6 dixièmes.

La Normandie peut embarquer 157 passagers de première classe, 68 de deuxième et 866 de troisième. L’installation est des plus confortables.

Nous donnons, dans la figure 173, la vue de la Normandie.

Fig. 173. — La Normandie, paquebot de la Compagnie transatlantique.

Cette immense carène, à l’avant effilé en lame de hache, est partagée, dans le sens vertical, en dix compartiments, par de solides cloisons de fer, dites cloisons étanches, parce qu’elles doivent, en cas de voie d’eau, circonscrire l’envahissement de l’eau. Suivant la hauteur, elle se divise en quatre étages : le pont supérieur et trois entreponts.

Les machines qui font mouvoir la Normandie sont, comme nous l’avons dit dans leur description technique, au nombre de trois, réalisant une force effective de 6 600 chevaux-vapeur. Elles agissent sur une hélice, pour imprimer au bâtiment une vitesse, à l’heure, de 29 à 30 kilomètres, soit la vitesse d’un train semi-direct de chemin de fer.

À bord de la Normandie, la vapeur est maîtresse souveraine. Non seulement elle pousse le bâtiment en avant, mais, par l’intermédiaire de machines spéciales, distribuées sur différents points, elle fait mouvoir les pompes d’épuisement, les appareils de manœuvre, de chargement et de déchargement, etc.

La Normandie porte quatre mâts en fer : les deux mâts d’avant à voiles carrées sur vergues basses en acier, les deux autres à voilure moins complète.

Nous avons dit que ce paquebot sort des chantiers de Barrow, plage déserte, il y a vingt ans, aujourd’hui cité de 45 000 âmes, grâce aux établissements de constructions navales et à une filature où l’on emploie des femmes et des filles d’ouvriers constructeurs.

La Normandie est le dernier paquebot postal qui ait été demandé à l’Angleterre, par la Compagnie transatlantique. Désormais, les bâtiments destinés à sa flotte seront construits sur chantiers français.

Un paquebot est un hôtel qui marche. Tout le luxe, tout le confort qui règnent dans nos hôtelleries modernes, se retrouve à bord des paquebots transatlantiques.

Le pont de la Normandie est réservé au service général, au logement des officiers et des mécaniciens, aux treuils de manœuvre, à une longue construction, ou roof, qui abrite les fumoirs, les salons de conversation et les vestibules des premières et des secondes classes de passagers, les ouvertures d’éclairage, d’aérage des chambres de chauffe et des machines, le poste des timoniers, divers magasins de vivres, les cuisines, etc. Au-dessus du pont, à la hauteur de la toiture du roof, règne un pont léger, servant de promenade aux passagers, et dominé par la passerelle de commandement. Les ordres se donnent par tube acoustique, et par un appareil télégraphique. Au besoin, le commandant gouverne lui-même, au moyen d’une simple pression du doigt sur les organes du servo-moteur, appareil à vapeur d’une docilité extrême qui agit sur le gouvernail, ainsi qu’il a été dit dans la description de cet appareil.

Les locaux destinés aux voyageurs sont aménagés dans les entre-ponts. Les passagers de première classe, contrairement à l’ancienne disposition, qui leur réservait l’arrière du navire, sont installés au centre, vers l’avant du premier entre-pont. Là sont moins sensibles les oscillations de bout en bout, ou de tangage, et les trépidations de l’hélice. Le grand salon salle à manger (fig. 174 et 175) s’étend de bord à bord, dans le sens de la largeur du navire. Il mesure 15 mètres de largeur, 11 de longueur, 2m,60 de hauteur, et est éclairé par des hublots percés dans des encadrements d’onyx.

Fig. 174. — La Normandie, grand salon salle à manger (Côté du buffet).
Fig. 175. — La Normandie, grand salon salle à manger (Côté du foyer).

Autour du salon se distribuent, pour 157 voyageurs, les cabines à deux couchettes, quelques-unes à une seule, ou pouvant se réunir à d’autres, pour former logement de famille. Un petit salon pour les dames, une salle de bains, les chambres des gens de service, se groupent à portée de cet ensemble.

Les dispositions sont identiques, sauf le luxe de décoration et d’ameublement, pour les salons, fumoirs et cabines de secondes classes aménagées à l’arrière, et qui peuvent recevoir 68 passagers.

Les émigrants, ou passagers de troisième classe, sont réunis dans le second entrepont, où peuvent s’installer 866 couchettes superposées.

La partie hôtel du navire est chauffée, l’hiver, par des appareils à circulation de vapeur. La nuit, le bâtiment est éclairé par la lumière électrique, celle-ci émanant de deux machines, de 40 chevaux-vapeur chacune. Treize grandes lampes électriques à arc lumineux facilitent le service général. Les feux réglementaires sont fournis par des lampes électriques de première puissance.

À l’intérieur, salons et cabines sont éclairés par 400 lampes électriques de Swan, à incandescence. On sait qu’à bord des paquebots on ne peut, après le couvre-feu, conserver de la lumière dans les chambres. Comme les lampes électriques ne présentent aucun danger d’incendie, les voyageurs n’ont qu’à toucher un bouton, pour rallumer leur lampe, et jouir de la lumière toute la nuit, s’ils le veulent.


La Normandie était à peine terminée que la Compagnie transatlantique, décidée à ne pas se laisser distancer par les Compagnies anglaises, mettait en chantier quatre nouveaux bâtiments, qui sont les plus rapides que possède aujourd’hui la marine commerciale française. Nous voulons parler de la Champagne, de la Bretagne, de la Bourgogne et de la Gascogne, quatre noms divers, qui s’appliquent au même type de construction.

Les deux premiers de ces superbes navires ont été construits pour la Compagnie transatlantique, dans les chantiers de Penhoët, près Saint-Nazaire ; les deux autres ont été confiés à la Société des forges et chantiers de la Méditerranée, qui les a exécutés dans ses chantiers de la Seyne, près Toulon.

Nous allons décrire en détail un de ces bâtiments, et comme ils sont, nous le répétons, tous pareils, cela nous évitera des redites.

La figure 176 représente, d’après une photographie, la Champagne vue à la mer.

Fig. 176. — La Champagne, paquebot de la Compagnie transatlantique.

La Champagne, comme la Bretagne, la Bourgogne, et la Gascogne, a 155 mètres de long, 16 mètres de large et 12 mètres de creux. Le tonnage brut est de 6 800 tonnes, le déplacement de 9 930 tonnes, le tirant d’eau en charge, de 7m,30. Ces navires sont à avant droit, avec 4 ponts, entièrement bordés en acier, recouverts de teack (bois des îles). Ils sont munis d’une quille saillante, de 0m,30 de hauteur. Le bordé est à clins, et formé de virures en acier, d’une épaisseur moyenne de 20 millimètres. Une série de fortes carlingues, dont la principale placée dans l’axe atteint 1m,40 de hauteur, assurent la solidité des fonds.

En outre des quatre ponts bordés en acier, il existe deux autres ponts, le pont-promenade, et celui des émigrants, qui ne sont bordés qu’en bois (teack et pitch-pine). Onze cloisons étanches divisent le bâtiment. Huit de ces cloisons montent jusqu’au pont supérieur ; elles sont munies de vannes, ou portes étanches.

Ces cloisons étanches rendirent de grands services, dans le fâcheux accident de mer survenu le 9 mai 1887, à la Champagne. Ce paquebot, quittant le Havre, porteur de 800 émigrants et de 100 passagers, fut abordé, par suite du brouillard, par un navire de la compagnie des Chargeurs-Réunis, la Ville de Rio-Janeiro. La Ville de Rio-Janeiro fut coulée par ce redoutable choc, mais ce ne fut pas sans faire subir de graves avaries à la Champagne. Une énorme ouverture fut pratiquée à sa coque, à 2 mètres au-dessous de la flottaison. L’eau s’engouffrait dans le navire, et sans les cloisons dont nous parlons, la Champagne aurait coulé, comme la Ville de Rio. Elle fut préservée par les cloisons vides qui, en se remplissant d’eau, donnèrent le temps au capitaine de jeter le navire sur la côte, près d’Arromanches, et de l’échouer, sauvant ainsi le navire et l’équipage. Plusieurs émigrants, toutefois, périrent, par suite de leur imprudent affolement, qui les porta à s’emparer de vive force d’une chaloupe, et à s’y précipiter. Mais ces malheureux trouvèrent la mort, au lieu du salut qu’ils cherchaient. Quelques jours après la Champagne rentrait au Havre, où elle était, en peu de jours, mise en état de reprendre la mer.

Revenons à la description de ce navire.

Les water-balast W, c’est-à-dire les réservoirs d’eau servant de lest, peuvent contenir 800 tonnes d’eau. Ceux qui sont placés à l’avant et à l’arrière, plus haut que le plancher de la cale, servent à faire varier la différence entre le tirant d’eau à l’avant et celui de l’arrière. Cette dernière manœuvre est indispensable pour permettre au navire d’entrer dans les passes du Havre et d’en sortir, comme aussi de franchir certains hauts fonds de la rade de New-York.

Le pont est préservé des coups de mer venant de l’avant, par une teugue A, recouverte d’un dos de tortue, en acier.

La mâture est celle d’une goélette à quatre mâts, avec les deux premiers mâts gréés de voiles carrées. Les mâts sont à pible. Il n’existe pas de hunes, et les huniers, du système Cunningham, se manœuvrent du pont. La voilure développe une surface de 1 880 mètres carrés.

Les bossoirs sont remplacés par une grue, de 6 tonnes, placée à l’avant.

Chaque ancre, qui est du système Trottmann, pèse 3 600 kilogrammes. La manœuvre des ancres au démouillage se fait par un guindeau à vapeur, et par deux cabestans, mus, soit à bras, soit à la vapeur.

Le gouvernail est commandé par un servo-moteur, placé sous la dunette B, et contrôlé de la passerelle. Il existe, en outre, un appareil directeur à 4 roues, également abrité sous la dunette.

La ventilation, parfaitement étudiée, se fait au moyen d’appels d’air, produits par des manches à vent, et des puits placés par le travers des chaufferies. On a renoncé aux anciens ventilateurs, qui créent des courants d’air redoutables.

Ces paquebots peuvent embarquer 226 passagers de première classe, 74 de deuxième et 900 de troisième, c’est-à-dire 1 200 personnes, en dehors de l’équipage.

De tout temps, dans la marine militaire, l’arrière a été réservé, ainsi qu’il est dit plus haut, au logement des officiers ; par imitation, on plaçait aussi, à l’arrière, dans l’ancienne marine marchande, les quelques passagers qu’on avait alors, et on agissait de même, sur les grands paquebots, pour les passagers de première classe. Cela était logique du temps de la marine à voiles. Sur les navires à hélice, le bruit et les vibrations du propulseur sont souvent désagréables pour les passagers ; de plus, la partie arrière du pont, qui sert alors de promenade, est exposée à la chute des escarbilles et des cendres qui s’échappent de la cheminée. La partie centrale du navire est beaucoup plus agréable à habiter, d’autant plus qu’on y souffre moins des mouvements de tangage. Aussi s’est-on décidé, depuis quelques années, sur les grands paquebots, à y placer les passagers de première classe, et c’est ce qu’a fait la Compagnie transatlantique.

Par le travers et sur l’avant de la machine se trouvent donc les passagers de première classe. Ils disposent de 2 cabines de luxe c, vastes, élégamment meublées, avec de larges couchettes, de 8 cabines de famille et de 76 cabines ordinaires b. Une vaste salle à manger a, de 15 mètres sur 15 mètres, occupe toute une tranche transversale. Les fauteuils, placés devant les tables, sont pivotants, de façon à permettre à chaque passager de quitter la table, ou de s’y placer, sans déranger ses voisins.

Dans la partie arrière sont disposées 12 chambres e, pouvant contenir 75 passagers de seconde classe, avec salle à manger, salon des dames, office, water-closets, etc. Cette distribution constitue une supériorité sur le système anglais, qui ne comporte pas d’intermédiaire entre la première et la troisième classe.

On a aménagé le pont supérieur pour en faire une magnifique promenade, à l’usage des passagers de première classe, qui peuvent circuler sans obstacle d’un bout à l’autre du navire. Les passerelles en sont mobiles, et se relèvent, quand on procède au chargement et au déchargement des marchandises.

Sur le pont supérieur, entre la teugue et la dunette, s’élèvent 3 roofs séparés. Le premier en partant de l’avant, D, contient le logement et le carré des officiers. Le second, C, beaucoup plus vaste, renferme le salon de conversation H, le fumoir de première classe F, la descente des premières, les bureaux du docteur et du commissaire, les boulangeries, les salles de lavage des chaufferies, les puits d’aérage, la partie supérieure des machines, les cuisines, les chambres des mécaniciens, le poste des premiers chauffeurs, le carré des mécaniciens, plusieurs waters-closets, enfin les chaudières auxiliaires et la deuxième descente des premières.

Dans le roof arrière E, sont placés la descente et le fumoir de deuxième classe, la boucherie, la lampisterie et le garde-manger.

Sous la dunette, sont des bancs pour les émigrants, des glacières avec un appareil frigorifique actionné par la vapeur, enfin le servo-moteur du gouvernail et les roues à bras.

Sous le gaillard se trouvent une forge, une lampisterie, le poste des cuisiniers, des cambusiers et des boulangers, l’hôpital, enfin le guindeau à vapeur et ses accessoires.

Nous donnons dans la figure 177 la coupe longitudinale de la Champagne. La figure 178 donne le plan du premier entrepont et la figure 179 celui des cales et soutes à charbon.

Fig. 177. — La Champagne (Coupe longitudinale).
A, Gaillard d’avant. — B, Dunette. — C, Grand roof. — D, Petit roof d’avant. — E, Petit roof d’arrière. — F, Fumoir. — H, Salon de conversation. — K, Cuisines et services annexes. — W, Water-ballast. — O, Roof du capitaine. — a, Salle à manger et salon des premières. — g, Logement des passagers de 3me classe. — h, Soutes bagages des passagers. — i, Machines. — j, Chaudières.
Fig. 178. — La Champagne (Plan du premier entrepont).
a, Salle à manger et salon des premières. — b, Cabines de 1re classe. — c, Cabines de luxe. — d, Salon pour les dames. — e, Cabines de 2me classe.
Fig. 179. — La Champagne (Plan des cales et soutes).
k, Marchandises. — l, Machines. — m, Chaudières. — n, Charbon. — p, Appareils pour l’éclairage électrique.

Les cabines de première et de deuxième classe occupent l’entre-pont supérieur, les premières à l’avant, les secondes à l’arrière. Dans cet entre-pont sont encore réservées des cabines de luxe, des lavabos, des chambres de commissaires et de maîtres, le poste de l’équipage, et tout à fait à l’avant, l’hôpital des émigrants.

Le salon de première classe, qui sert aussi de salle à manger, a 14 mètres de longueur, sur 14m,40 de largeur. Il renferme 13 tables, pouvant permettre à 142 personnes de prendre place. Il est décoré avec luxe et goût.

Le chauffage est fait à la vapeur, comme d’ailleurs celui de tous les autres aménagements.

Au-dessus du grand salon se trouve le salon de conversation, au milieu duquel est une grande ouverture, donnant du jour et de l’air au salon principal. Ce petit salon contient des canapés, des jardinières, un piano, des glaces, etc.

Les chambres de passagers contiennent, d’un côté, deux couchettes superposées, garnies de sommiers élastiques ; sur un autre côté, un canapé, qui peut, en cas de besoin, se transformer en lit, puis un lavabo à deux cuvettes, avec une psyché. Des patères et un filet, analogue à celui des wagons de chemin de fer, permettent de déposer les vêtements et les menus bagages d’un usage journalier. Des rideaux masquent les couchettes. L’éclairage est assuré par des hublots, pour les cabines placées en abord, et pour celles placées vers le milieu du pont, par des jours pris sur les coursives. Des lampes électriques à incandescence et que le voyageur allume et éteint à volonté, en tournant un bouton, fournissent l’éclairage de nuit. Des sonnettes électriques le mettent en communication avec le personnel de service. Les chambres sont généralement réunies par quatre, et ces groupes sont séparés les uns des autres par des coursives (couloirs) qui servent d’accès et facilitent les communications.

Les émigrants sont relégués dans le second entre-pont, qu’ils occupent en entier, sauf à l’avant, où se trouvent la grande cambuse et le poste de l’équipage.

Le fond des cales comprend les soutes à charbon, à bagages et à dépêches, les dépôts de marchandises, la cave au vin et les caisses à eau.

Sur le pont-promenade, dont nous avons parlé plus haut, et vers l’avant, est un petit roof, contenant le logement du capitaine et la commande du gouvernail. Au-dessus de ce roof est la chambre de veille, surmontée de la passerelle haute où se tient l’officier de quart.


La description qui précède, bien que relative à la Champagne, peut s’appliquer aux trois autres paquebots, qui ne diffèrent entre eux que par des détails insignifiants.

Cependant il n’en est pas de même en ce qui concerne les machines et les chaudières ; car la Compagnie a adopté deux types différents pour les appareils moteurs.

À bord de la Bourgogne et de la Gascogne, on a installé de simples machines compound tandem, analogues à celles installées sur la Normandie. À bord de la Champagne et de la Bretagne, les machines à vapeur sont à triple expansion.

L’appareil moteur de la Bourgogne et celui de la Champagne sont formés comme le montre la figure 180, de trois machines de Wolf à pilon, actionnant un même arbre, et comportant chacun un grand et un petit cylindre superposés. Chacune de ces machines est munie d’un condenseur séparé, mais les trois condenseurs peuvent communiquer entre eux.

Le diamètre intérieur des petits cylindres est de 1m,07 ; celui des grands, 2m,03 ; le nombre de tours aux essais a été de 64 par minute.

Grâce aux organes de détente variable, on peut réaliser, dans les meilleures conditions de rendement, soit la puissance d’essai de 9 500 chevaux, soit celle de 7 000 à 7 500 chevaux.

Les arbres et les pièces de mouvement sont en acier.

L’arbre moteur, d’un diamètre de 0m,60, est divisé en trois coudes identiques ; chaque coude est formé de cinq pièces et pèse environ 21 tonnes.

L’hélice, de 7 mètres de diamètre, est en bronze à quatre ailes déployées et rapportées sur un moyeu en acier.

La mise en train de la machine se fait à l’aide d’un appareil à vapeur de Brown.

La vapeur est fournie aux machines par des chaudières cylindriques tout en fer, avec tubes en fer, timbrées à 6 kilos et comprenant 12 corps de chaudières de 4m,65 de diamètre à 3 foyers de 1m,25 de diamètre. La surface de chauffe totale est de 2 300 mètres carrés ; la surface de grilles atteint 84 mètres carrés.

Les tôles d’enveloppe mesurent 30 millimètres d’épaisseur.

Tel est l’appareil moteur de la Bourgogne et de la Gascogne.

Quant à la Champagne et à la Bretagne la machine à vapeur est, comme nous l’avons dit plus haut, à triple expansion.

On voit sur la figure 180, qui donne une coupe de la Champagne par la chambre des machines, l’appareil moteur de ce navire.

Fig. 180. — Coupe transversale de la Champagne par la chambre des machines.
a, petit cylindre. — b, grand cylindre. — c, arbre moteur. — d, coude de l’arbre. — e, bielle. — f, tige du piston. — g, condenseur. — i, appareil de manœuvre du changement de marche.

Le groupement des cylindres est le même que dans les machines à triple expansion que nous avons longuement décrites dans les généralités se rapportant à cette question. Trois grands cylindres égaux et trois autres petits, égaux entre eux, et superposés aux premiers, forment trois machines ayant des organes de condensation séparés. Il semblerait que l’on soit en présence d’une machine à trois groupes tandem du type Wolf, mais il n’en est rien, et le fonctionnement est très différent. En effet, la vapeur n’est admise directement que dans un seul cylindre, le petit cylindre du milieu, d’où elle se détend : une seconde fois dans les petits cylindres extrêmes, et enfin une troisième fois dans les trois grands cylindres inférieurs.

Le diamètre des petits cylindres est de 1m,25, celui des grands cylindres est de 1m,90, la course commune du piston est de 1m,70, l’allure aux essais est de 63 tours par minute.

Avec ces dimensions, la machine, en donnant toute sa puissance et marchant à triple expansion, développe la puissance normale nécessaire en service courant, c’est-à-dire 7 000 à 7 500 chevaux. Mais dans le but de réaliser, aux essais, ou dans certains cas exceptionnels, une puissance de beaucoup supérieure encore, on a pourvu la machine d’engins spéciaux, permettant de la transformer, par une manœuvre simple et prompte, en machine de Wolf. La vapeur est alors introduite simultanément dans les 3 petits cylindres et se détend dans les 3 grands.

L’arbre moteur, qui est en acier, a le même diamètre que dans la machine précédente (0m,60). Mais ici, les trois coudes interchangeables, réunis par des tourteaux, qui forment l’arbre moteur, sont en une seule pièce pesant environ 15 tonnes après l’ajustage. Ces trois coudes ont été exécutés aux forges et aciéries de la marine et des chemins de fer à Saint-Chamond. La ligne d’arbres droits a été exécutée par l’usine du Creusot. Les tiges, bielles, etc., sont également en acier.

Les chaudières de la Champagne et de la Bretagne sont cylindriques ; mais elles sont entièrement en acier provenant des usines de Terrenoire ; elles sont timbrées à 8 kilogrammes.

Les appareils évaporatoires forment, ainsi qu’il a été dit dans les généralités sur les chaudières marines, deux groupes, séparés par une cloison étanche, comprenant l’un et l’autre 2 corps de chaudières doubles de 4m,65 de diamètre à 6 foyers chacun et deux corps simples à 3 foyers, soit en tout 36 foyers de 1m,25 de diamètre, donnant une surface de grilles de 84 mètres carrés. Ces foyers sont composés de 3 anneaux à bords relevés pour permettre l’assemblage. Les tôles d’enveloppe ont 30 millimètres d’épaisseur.

La figure 180 bis, qui donne une coupe transversale de la Champagne par la chambre des chaudières, montre l’installation des chaudières que nous venons de décrire.

Fig. 180 bis. — Coupe transversale de la Champagne par la chambre des chaudières.
a, petit cheval alimentaire. — b b, réservoirs de vapeur. — c, cheminée. — d d, foyers. — e e, boîtes à fumée. — f f, soutes à charbon.

Sur les quatre navires, on a réuni les appareils les plus perfectionnés pour l’exécution des manœuvres si multiples qu’on doit exécuter à bord des grands paquebots.

Pendant les essais qui furent exécutés devant une commission de l’État, la puissance des machines a varié, suivant les paquebots, entre 9 400 et 9 900 chevaux, et la vitesse réalisée de 18nds,65 à 18nds,95, c’est-à-dire supérieure de près de 1nd,5 à celle exigée par le cahier des charges.

Les vitesses réalisées en service courant ont varié de 16nds,25 à 17nds,50. Plusieurs voyages du Havre à New-York ont été effectués en 7 jours et demi et ce court intervalle suffit aujourd’hui pour la traversée de l’Atlantique, ce qui donne une idée suffisante de la puissance de notre marine commerciale actuelle.


En résumé les quatre paquebots que nous venons de décrire font le plus grand honneur aux ingénieurs de la Compagnie transatlantique et de la Société des forges et chantiers de la Méditerranée. Ils sont dignes de porter le pavillon français sur la ligne de New-York, si fréquentée, et où les Compagnies étrangères rivales ont de si remarquables navires.

Fig. 181. — La Bourgogne à la mer, paquebot de la Cie transatlantique, ligne de New-York.

La Compagnie transatlantique ne dessert pas uniquement la route maritime du Havre à New-York. Elle a tout une flotte pour le service des voyageurs et marchandises de France en Algérie.

Cette flotte se compose des paquebots suivants :

Moïse, Saint-Augustin, Isaac-Pereire, Abd-el-Kader, Charles-Quint, Ville-de-Madrid, Ville-de-Barcelone, Kléber, Ville-d’Oran, Ville-de-Bône, Manouba, Ville-de-Tanger, Dragut, La-Valette, Mustapha-ben-Ismaïl, Fournel, Flachat, Bixio, Le-Chatelier, Provincia, Clapeyron.

Ces bâtiments représentent un tonnage de 34 719 tonnes. Le total de la puissance des machines donne 27 500 chevaux-vapeur.

Tous les ports de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc sont régulièrement visités par des paquebots de grandes dimensions, animés d’une vitesse de 15 nœuds, appartenant à cette Compagnie.

Dix de ces steamers, destinés au service rapide, sont absolument semblables ; en décrire un, c’est donc les décrire tous.

Nous représentons dans la figure 182 le Moïse.

Fig. 182. — Le Moïse, paquebot de la Cie transatlantique, ligne de la Méditerranée.

Le Moïse est un steamer de 100 mètres de long, sur 10m,20 de large et 7m,70 de creux sur quille. Le tirant d’eau est de 5m,10 ; son tonnage est de 1 850 tonnes. La machine, de 2 100 chevaux, est du système compound à pilon et condenseur à surface ; les soutes à charbon peuvent renfermer 250 tonnes. Les chaudières sont chauffées aux deux extrémités avec 12 foyers : la surface de grille est de 20m,22 et la surface de chauffe de 600 mètres carrés, elles sont construites pour travailler à pression de 7 kilogrammes 55 par centimètre carré.

Les formes du Moïse sont des plus gracieuses ; l’étrave est presque droite, l’arrière s’harmonise parfaitement avec les grandes lignes du bâtiment, dont l’intérieur est divisé en deux parties à peu près égales, par l’emplacement des machines. Sur l’avant de la machine, trois ponts divisent la coque du bâtiment. Au-dessus du premier pont, est un spardeck, où l’on trouve la chambre de veille, le gouvernail à vapeur, la chambre du capitaine, des treuils à vapeur, et sous le gaillard d’avant se trouve le guindeau à vapeur pour la manœuvre des ancres. Au-dessous du premier pont sont les salons et couchettes des passagers de 2e classe séparés par une cloison des passagers de 3e ; le logement de l’équipage, celui des chauffeurs et soutiers, les magasins des rechanges. Une cloison verticale descendant de ce pont à la carlingue forme une grande soute à charbon. Toute la partie du faux-pont qui s’étend de cette soute à la cambuse peut recevoir des marchandises, mais elle est en même temps aménagée pour le transport des troupes. Au-dessous du faux-pont sont les cales à marchandises, les puits aux chaînes, les soutes à provision. Sur l’arrière de la machine court le tunnel de l’arbre de l’hélice. Au-dessus, le faux-pont est réservé exclusivement aux marchandises et aux vivres des passagers. Au-dessous de la machine sont les logements des officiers et mécaniciens, la salle des dépêches, les logements du maître d’hôtel, l’office des premières. On se trouve alors devant le magnifique escalier qui donne accès aux salles de premières classes, tant sur le pont que dans la batterie.

La décoration et l’ameublement des salles réservées aux passagers sont d’un grand luxe. Dans la salle à manger les canapés-banquettes, recouverts de velours, sont en acajou. Les passagers sont assis dans des fauteuils fixes à pivot, avec dos à hauteur d’appui, et disposés de façon à ce qu’on puisse s’accouder. Le salon a 20 mètres de long sur 6 et demi de large. Au fond, la cheminée, toute en onyx, rehausse l’éclat du salon, où l’on voit une magnifique pendule surmontée d’une statue de Moïse.

Le fumoir, qui touche au salon, est en bois des Îles ; des tables de jeu en occupent le centre.

Au-dessous de la salle à manger sont les couchettes des passagers de 1re classe ; à côté est le salon des dames et des enfants.

Le paquebot est mâté en brick ; il porte six grandes embarcations, dont quatre de sauvetage.

Les aménagements intérieurs permettent de recevoir, en dehors des officiers et de l’équipage, 60 passagers de première classe, 40 de seconde, 60 de troisième, 700 hommes de troupes peuvent être confortablement installés dans le faux-pont.

Nous donnons dans la figure 183 une coupe longitudinale du Moïse, et dans les figures 184 et 185 le plan du pont supérieur et de l’entrepont.


Telle est la flotte qui sillonne, à grande vitesse, les eaux de la Méditerranée. Marseille, Port-Vendres et Alger sont les trois centres principaux de ses opérations.

Pour résumer ce qui précède, nous donnerons le tableau de la flotte actuelle de la Compagnie transatlantique, pour ses deux lignes de l’Océan atlantique et de la Méditerranée.

atlantique.
  Tonneaux. Force en chevaux-vapeur.
Champagne 
7 000 8 000
Bourgogne 
7 000 8 000
Gascogne 
7 000 8 000
Bretagne 
7 000 8 000
Normandie 
6 300 7 000
Amérique 
4 700 3 300
France 
4 700 3 300
Labrador 
4 700 3 300
Canada 
4 200 3 300
Saint-Germain 
4 700 3 200
Saint-Laurent 
4 200 3 300
Lafayette 
3 600 3 200
Washington 
3 600 3 200
Pereire 
3 200 3 300
Ville-de-Paris 
3 200 3 300
Olinde-Rodrigue 
3 200 2 800
Saint-Simon 
3 200 1 800
Ferdinand-de-Lesseps 
2 900 1 700
Ville-de-Marseille 
2 900 1 700
Colombie 
2 900 1 700
Ville-de-Bordeaux 
2 800 1 700
Ville-de-Brest 
2 800 2 200
Ville-de-Saint-Nazaire 
2 800 2 700
Caldera 
2 150 1 600
Salvador 
1 000 700
Saint-Domingue 
1 000 700
méditerranée.
  Tonneaux. Force en chevaux-vapeur.
Ville-de-Tunis 
1 850 2 000
Moïse 
1 850 2 000
Saint-Augustin 
1 850 2 000
Isaac-Pereire 
1 850 2 000
Abd-el-Kader 
1 850 2 000
Charles-Quint 
1 850 2 000
Ville-de-Madrid 
1 850 2 000
Ville-de-Barcelone 
1 850 2 000
Ville-d’Oran 
1 850 2 000
Ville-de-Bône 
1 850 2 000
Ville-de-Rome 
2 850 2 000
Ville-de-Naples 
1 850 2 000
Kléber 
1 850 2 000
Guadeloupe 
1 850 400
Afrique 
1 250 1 158
Ajaccio 
1 250 1 150
Bastia 
1 250 1 450
Désirade 
1 450 1 000
Corse 
1 250 1 150
Lou-Cettori 
1 250 1 150
Maréchal-Canrobert 
1 250 1 160
Mohamed-el-Sadok 
1 250 1 150
Malvina 
1 200 1 150
Manouba 
1 000 750
Ville-de-Tanger 
1 100 750
Insulaire 
650 650
Dragut 
575 600
Mustapha-Ben-Ismaïl 
575 600
La Valette 
575 600

La Compagnie des Messageries maritimes, dont nous avons dit un mot dans les Merveilles de la science [10], est plus ancienne que la Compagnie transatlantique. Elle est consacrée au service de la Méditerranée et de l’Extrême-Orient.

C’est en 1852 que fut fondée la Compagnie des Messageries maritimes, par les actionnaires de l’ancienne Compagnie des Messageries terrestres françaises. Le service postal de l’Extrême-Orient lui fut confié par le Ministère des finances, avec une subvention médiocre et un matériel fort au-dessous des besoins. Cependant, en dépit des mauvaises conditions qui lui étaient faites, son succès fut rapide. Le service maritime de la Méditerranée, qui se faisait par des compagnies anglaises, fut ruiné, et le transit avec l’Inde et la Chine fut disputé aux Compagnies anglaises, qui en avaient eu jusque-là le monopole, La ligne du Brésil fut établie et créée, et là encore, on entra fructueusement en lutte contre les flottes de transport anglaises.

Les paquebots mis en service par les Messageries maritimes furent l’Indus, en 1855, et le Danube, en 1856. Le premier avait 74 mètres de longueur et 11 mètres de largeur.

Voici les principaux types qui furent mis en service de 1860 à 1867.

Le Donnaï (1861) dont les dimensions étaient les suivantes :


Longueur 
92m,50
Largeur 
11m,73
Creux 
10

Le Tigre, construit en 1863, avait les dimensions suivantes :


Longueur 
100 mètres
Largeur 
12
Creux 
10

Le Hoogly :


Longueur 
105 mètres
Largeur 
12
Creux 
10

Les machines à vapeur qui actionnaient ces paquebots étaient les anciennes machines de bateaux à roues. Seulement, on avait remplacé les roues par une hélice, mue elle-même par des engrenages, selon le procédé alors en usage.

Ces machines à vapeur avaient tous les inconvénients inhérents à ce système, c’est-à-dire les poids excessifs de l’appareil moteur et des chaudières, ainsi qu’une grande consommation de charbon. La voilure, il est vrai, venait suppléer à ces imperfections : elle n’était pas moindre de vingt fois la surface du maître-couple du navire.

Les Messageries maritimes accueillirent, au fur et à mesure qu’ils se produisaient, les perfectionnements réalisés par le progrès de la science et de l’art des constructions navales. L’engrenage de l’hélice fut supprimé, les machines à vapeur Wolf et Compound remplacèrent les machines à pleine pression. Malgré leurs trois cylindres, les nouvelles machines étaient moins lourdes et moins encombrantes que les machines à engrenage, et la détente successive de la vapeur permit de réaliser une économie d’un sixième environ sur la consommation du charbon.

Les chaudières, à leur tour, furent transformées. On les construisit dans le système tubulaire, avec retour de flamme ; ce qui réalisa une économie de 20 pour 100 sur le poids du charbon brûlé.

Les dimensions des paquebots étaient devenues insuffisantes pour faire de grands chargements de marchandises et de passagers : on augmenta la longueur des coques, pour les nouveaux types à construire. La Gironde et l’Amazone, qui reçurent les premières machines de Woolf, avaient 300 tonneaux de déplacement de plus que l’Hoogly. L’Ava, le Peï-ho, le Sindh et le Meï-Kong, qui leur succédèrent, réalisaient une augmentation de 400 tonneaux. Le Sénégal et le Niger, qui vinrent ensuite, étaient du type de l’Ava, mais allongés de 8 mètres.

L’Anadyr, l’Iraouaddy, l’Orénoque, le Djemnah et l’Équateur, avaient les mêmes dimensions principales que le Sénégal, mais avec des formes plus pleines, qui donnaient 500 tonneaux de plus de déplacement.

Par cette série de transformations apportées, tant à la coque qu’au moteur, le poids disponible pour les chargements doubla, bien que la vitesse se fût accrue d’un nœud, depuis l’Hoogly.

Nous représentons dans la figure 186 le Meï-Kong, le paquebot de la Cie des Messageries dont il vient d’être question.

Fig. 186. — Le Meï-Kong, paquebot de la Cie des Messageries maritimes.

Voici les dimensions des divers types qui étaient en service en 1875.


ava.
Longueur 
112 mètres
Largeur 
12
Creux 
10
Puissance en chevaux-vapeur 
2 000 ch. v.
Vitesse aux essais 
13n,75
Consommation de charbon par heure et par cheval 
1k,4

anadyr.
Longueur 
120 mètres
Largeur 
12
Creux 
10
Puissance en chevaux-vapeur 
2 452 ch. v.
Vitesse aux essais 
14n,35
Consommation de charbon par heure et par cheval 
1 kilogr.

Les dimensions absolues de ces types dépassaient celles des paquebots rivaux des deux compagnies anglaises.

Depuis l’année 1875, la compagnie des Messageries maritimes a fait construire de nouveaux paquebots, dans lesquels on a profité des progrès nouveaux réalisés par la construction navale. Voici les paquebots actuellement en service sur ses diverses lignes.


ligne de la méditerranée et de la mer noire
  Force en chevaux-vapeur.
Sindh 
500
Amazone 
500
Tigre 
500
Donnaï 
500
Cambodge 
500
Rio-Grande 
500
Mendoza 
500
Peluse 
400
Mieris 
400
Saïd 
400
Alphée 
400
Erymanthe 
400
Cordouan 
350
Médoc 
350
Matapan 
350
Ortéga 
350
La Seyne 
300
La Bourdonnais 
280
Niemen 
280
Éridan 
280
Indus 
250
Gange 
250
Yorouba 
250
Copernic 
200
Delta 
150
ligne de l’océan indien.
  Force en chevaux-vapeur.
Melbourne 
600
Natal 
600
Saghalien 
600
Oxus 
600
Yang-Tsé 
600
Djemnah 
600
Iraouaddy 
600
Anadyr 
600
Peïho 
500
Ava 
500
Tibre 
280
Godavery 
280
Volga 
200
Tanaï 
280
Menzalek 
280

Il y a encore les lignes de l’Australie et de la Nouvelle-Calédonie, de la Cochinchine, et de l’Océan atlantique, contenant 16 paquebots de 600 à 250 chevaux-vapeur, tous à hélice.

Les Messageries maritimes, dont les deux têtes de ligne sont Marseille et Bordeaux, possèdent à la Ciotat, près Toulon, des ateliers importants. Le paquebot le Yang-Tsé, construit en 1885, est un des derniers.

En résumé, la flotte des Messageries maritimes se compose d’environ 60 navires. Le trajet effectué par chaque paquebot est de 4 806 kilomètres sur la ligne du Brésil, de 9 632 sur celle de Chine, et de 4 954 sur celle d’Australie. La durée de la traversée de Marseille à Calcutta est de 29 jours ; celle de Marseille à Shang-Haï ou à Yokohama est de 40 à 45 jours. Enfin le voyage de Bordeaux à Rio-Janeiro et à Montévidéo se fait habituellement en 17 et 21 jours.


Pour continuer la description des paquebots à grande vitesse appartenant à des compagnies françaises, nous mentionnerons la flotte des Chargeurs réunis, qui fait le service du Havre à l’Amérique du sud.

La Compagnie des Chargeurs réunis est une des plus puissantes entreprises de transports maritimes de l’Europe. Elle comprend trois lignes, celle du Havre au Brésil, celle de la Plata et celle du Parana (Buenos-Ayres et Montévidéo).

Voici le tableau de la flotte de la Compagnie des Chargeurs réunis.


  Tonneaux. Force en chevaux-vapeur.
Paraguay 
3 600 1 900
Rio-Negro 
3 500 1 600
Uruguay 
3 500 1 600
Parana 
3 500 1 600
Don-Pedro 
3 000 1 300
Pampa 
3 000 1 300
Portena 
2 000 1 200
Cordoba 
3 000 1 400
Entre-Rios 
3 000 1 400
Santa-Fé 
3 000 1 400
Belgrano 
2 000 850
San-Martin 
2 000 850
Ville-de-Céara 
2 500 1 200
Ville-de-Maceio 
2 500 1 200
Ville-de-Maranhao 
2 500 1 200
Ville-de-Pernambuco 
2 000 1 000
Ville-de-Montevideo 
2 000 1 000
Ville-de-Buenos-Ayres 
2 000 1 000
Ville-de-San-Nicolas 
2 000 1 000
Ville-de-Rosario 
2 000 1 000
Ville-de-Santos 
1 500 750
Ville-de-Bahia 
1 500 750
Sully 
1 200 500
Mosca (Remorqueur
1 200 160

Il faut citer encore, parmi les compagnies françaises, la Société des Transports maritimes, qui a son siège à Marseille, et qui dessert la Méditerranée, d’une part, le Brésil et la Plata, d’autre part.

Voici la composition de la flotte de cette Société de transports, avec le tonnage et la force en chevaux-vapeur de chaque bâtiment.


ligne du brésil et de la plata.
  Tonneaux. Force en chevaux-vapeur.
Béarn 
5 000 650
Bourgogne 
2 000 300
La France 
4 000 500
Poitou 
2 000 300
Provence 
5 000 650
Savoie 
3 000 350
ligne de la méditerranée.
  Tonneaux. Force en chevaux-vapeur.
Alsace 
1 200 120
Anjou 
600 120
Artois 
1 200 120
Auvergne 
2 000 250
Berry 
2 000 300
Bretagne 
3 000 250
Dauphiné 
1 200 120
Franche-Comté 
1 200 120
Languedoc 
2 000 300
Lorraine 
1 200 120
Touraine 
1 200 120

Tous ces navires sont à hélice.


Nous passons aux Compagnies maritimes étrangères. Nous examinerons d’abord les compagnies anglaises, qui sont de beaucoup les plus importantes. À leur tête se place la compagnie Cunard, de Liverpool, la plus ancienne de toutes.

Parmi les paquebots les plus remarquables de cette ligne, nous citerons, par ordre de construction et de vitesse : la Servia, l’Aurania, l’Oregon, l’Umbria et l’Etruria.

La Servia est le plus ancien des steamers à grande vitesse qui aient été mis en service sur la ligne de Liverpool à New-York. Elle fut construite en 1880, et lancée en 1881. C’est le plus grand paquebot des Compagnies étrangères, si l’on en excepte la City of Rome. Voici les principales dimensions de la Servia :


Longueur 
161m,50
Largeur 
15m,90
Creux 
12m,40
Tirant d’eau 
7m,90
Port 
5 000 tonneaux.

La construction, tout en acier, est d’une solidité parfaite. Les aménagements, qui sont des plus luxueux, sont organisés pour recevoir 500 passagers.

Les appareils de sécurité sont nombreux et bien établis. La machine à vapeur, du type Compound, à 3 cylindres, présente des dimensions énormes. Les deux cylindres à basse pression n’ont pas moins de 2m,53 de diamètre.

Sept chaudières, comportant en tout 39 foyers, fournissent la vapeur à la machine. L’hélice mesure 7m,33 de diamètre, et pèse 38 tonnes.

L’appareil moteur de la Servia a développé, aux essais, 10 400 chevaux-vapeur, à l’allure de 53 tours par minute. La vitesse atteignait 17 nœuds, 8 dixièmes. Ce paquebot traverse l’Atlantique en 7 jours et quelques heures.

L’Aurania, de dimensions plus modestes que le précédent, mesure 143 mètres de longueur, sur 17m,40 de large, et 11m,20 de creux ; il jauge 7 270 tonneaux. La machine développe 10 000 chevaux, et imprime au navire une vitesse de 18 nœuds.

L’Orégon, ce superbe paquebot, qui malheureusement disparut des flottes commerciales, le 14 mars 1886, à la suite d’une collision, était le plus rapide de la ligne Cunard. Il avait les dimensions suivantes :


Longueur 
158 mètres
Largeur 
16m,40
Creux 
12m,42
Tonnage 
7 280 tonneaux.
Déplacement 
11 900 tonnes.

Il comportait 5 ponts, l’avant était protégé par une tengue et un dos de tortue en acier. Il pouvait embarquer 340 passagers de première classe, 92 de deuxième et 110 de troisième.

Tout ce qui pouvait rendre agréable la vie du bord était réuni dans ce navire. La ventilation et le chauffage étaient parfaits ; l’éclairage électrique était réparti dans tous les aménagements. L’appareil moteur Compound, à 3 cylindres, avait les dimensions suivantes :


Petit cylindre, diamètre 
1m,75
Les deux cylindres de détente 
2m,60
Course commune 
1m,80
Puissance 
12 400 ch.

9 chaudières doubles de 5 mètres de diamètre sur 5m,50 de longueur, à 8 foyers chacune, fournissaient la vapeur.

La vitesse aux essais a dépassé 20 nœuds ; en service elle dépassait 18 nœuds.

L’Orégon a fait un voyage de New-York à Queenstown en 6 jours, 9 heures, 30 minutes. Il n’avait jamais été battu de vitesse que par les deux paquebots Umbria et Etruria.

Construit pour la ligne Guion, l’Orégon avait été acheté 7 500 000 francs, par la Compagnie Cunard.

Un an après la construction de l’Orégon, la compagnie Cunard mettait en chantier l’Etruria et l’Umbria, les deux meilleurs marcheurs des flottes du monde entier.

Voici les dimensions de ces remarquables bâtiments :


Longueur 
158 mètres
Largeur 
17m,35
Creux 
12m,60
Tonnage 
7 720 tonneaux.

Ils ont coûté chacun 7 750 000 francs.

Nous représentons dans la figure 187 l’Umbria.

Fig. 187. — L’Umbria, paquebot de la Cie Cunard.

Ces paquebots n’embarquent que des passagers de première classe : les émigrants en sont exclus. Ce sont des paquebots de grand luxe, des navires aristocratiques.

La coque, toute en acier, est divisée en 10 compartiments étanches.

Le gréement est celui d’un trois-mâts barque.

Les machines à vapeur, les plus puissantes qui aient encore été mises sur un navire, sont du type Compound, à 3 cylindres. Voici le signalement de ces appareils :


Petit cylindre : diamètre 
1m,803
Les deux cylindres de détente 
2m,660
Puissance développée 
14 500 chevaux

Les chaudières, au nombre de 9, comportent 72 foyers.

La vitesse, aux essais, a été de 20nds,4.

L’Umbria atteint, en service, 18nds,72.

L’Etruria a fait la traversée de Queenstown à Sandy-Hook, en 6 jours, 5 heures.

Voici la liste des paquebots actuellement en service de la Compagnie Cunard.


flotte transatlantique.
Umbria, Catalonia, Atlas,
Etruria, Samaria, Saragosse,
Aurania, Marathon, Kedar,
Servia, Aleppo, Morocco,
Gallia, Trinidad, Malta,
Bothnia, Demerara, Palmyra,
Scythia, Cherbourg, Tarifa,
Favonia, Nantes,  
Céphalonia, British-Queen,  

La même Compagnie a une ligne de Liverpool à la Méditerranée et au Havre, ainsi que les lignes d’Italie et du Levant.


La Compagnie anglaise l’Anchor-line possède le plus grand navire du monde (le Great-Eastern ayant été désemparé en 1887). Nous voulons parler du City of Rome. Ce gigantesque paquebot a été construit en 1886, à Barrow, pour la Compagnie Inman ; mais il est actuellement la propriété de l’Anchor-line. Voici ses dimensions :


Longueur, de tête en tête 
179 mètres
Longueur à la flottaison 
163
Largeur 
15m,67
Creux 
11m,00
Tonnage 
8 500 tonneaux
Déplacement en charge 
13 500 tonnes.

Ce steamer (fig. 188), très élégant de formes, réunit une grande solidité de construction à un luxe extraordinaire. Il a coûté dix millions de francs.

Fig. 188. — Le City of Rome, paquebot de la Cie Anchor-line.

Il peut embarquer 271 passagers de chambre et 1 500 émigrants, soit 1 771 personnes, en dehors de l’équipage.

Pour donner une idée des dimensions colossales de ce paquebot, nous dirons que l’étambot seul pèse 33 000 kilogrammes.

L’appareil moteur est une machine Wolf, à pilon et à 6 cylindres, dans le genre de celle de la Normandie. En voici les dimensions :


Petits cylindres, diamètre 
1m,075
Grands cylindres 
2m,150
Course commune 
1m,800
Puissance 
9 000 chevaux.
L’hélice mesure 
7m,20 de diam.

Nous devons dire pourtant que le City of Rome est loin de marcher aussi vite que ses concurrents anglais. Aux essais, il a difficilement atteint 18 nœuds, et il ne les fait pas en service.


Une autre machine anglaise, la National line a mis en ligne un paquebot rapide, moins grand que ses rivaux, mais tout aussi bien établi : l’America.

La longueur de ce paquebot est de 134 mètres, à la flottaison. Il est gréé en brick. L’étrave est surmontée d’une guibre allongée ; 300 passagers de première classe et 700 émigrants peuvent trouver place à son bord. Les aménagements ne laissent rien à désirer, sous le rapport du luxe et du confort. La machine Compound, à 3 cylindres, développe 9 500 chevaux, et reçoit la vapeur de 7 chaudières, comportant 39 foyers.

La vitesse, aux essais, a été de plus de 18 nœuds.


La Compagnie Guion possède l’Alaska, paquebot qui, pendant un an, jusqu’à l’apparition de l’Orégon, a été le plus rapide des navires des flottes commerciales. Pour cette raison, les Anglais l’avaient surnommé le Lévrier des mers.

L’Alaska mesure 158 mètres de long. Il jauge 8 000 tonneaux, et peut embarquer 1 000 passagers. Il est mû par une machine de 11 000 chevaux. Il a effectué une traversée de Queenstown à New-York en 6 jours 22 heures, soit une vitesse moyenne de 17 nœuds, 38.


La Compagnie Orient-line qui fait le trafic entre Londres et l’Australie a lancé, en 1882, un paquebot très remarquable, l’Austral. Ce navire, destiné à voyager longtemps sans faire escale, possède de vastes soutes à charbon, contenant pour six mois de combustible. Les aménagements sont parfaitement compris et très confortables.

Voici les dimensions de ce navire :


Longueur 
142 mètres
Largeur 
14m,45
Déplacement 
9 500 tonnes.

La machine développe 6 300 chevaux et imprime au navire une vitesse de 17 nœuds 75.

L’Austral est disposé pour pouvoir être armé en guerre et servir de croiseur rapide.

En parlant des navires de transport, nous signalerons le North-America, qui est aussi un navire rapide, et qui a inauguré les grandes vitesses dans la marine commerciale.


Parmi les compagnies étrangères desservant les mers orientales, c’est-à-dire la Chine et l’Indo-Chine, il faut citer d’abord la Compagnie générale italienne de navigation, qui ne possède pas moins de cent steamers. Les départs pour Bombay ont lieu à Naples, et la distance de Naples à Bombay est parcourue en 19 jours.

Les meilleurs navires de cette compagnie sont : China, Singapore et Manilla. Leur vitesse atteint 13 nœuds et demi. Les Anglais qui se rendent aux Indes recherchent ces navires, à cause de leur confortable, de leur vitesse et de l’économie de temps, qui résulte du passage de Calais à Naples par le tunnel du Mont-Cenis.

La Compagnie générale italienne fait aussi le service de l’Amérique du Nord. Les navires, tels que le Washington, L’Archimède, le Gottardo, d’un tonnage qui atteint 4 500 tonneaux, ont la vitesse de 13 nœuds. Ils vont en 15 jours de Naples à New-York. Les voyageurs américains préfèrent cette ligne à celles de l’Angleterre et de la Belgique, parce que la route croise le gulf-stream dans sa partie la plus supérieure (entre le 35e et le 36e degré de latitude), ce qui permet d’éviter les tempêtes du gulf-stream, les brouillards de Terre-Neuve et les glaces flottantes de l’Océan atlantique du Nord.


La Compagnie du Lloyd du nord de l’Allemagne fait le service transatlantique. Pour donner une idée de la vitesse de ses paquebots, nous dirons que l’un d’eux, l’Eider, a fait, en avril 1885, la traversée de Southampton à New-York en 7 jours et 6 heures.


Une rivale de la Compagnie du Lloyd allemand, mais aujourd’hui bien dépossédée, c’est la Compagnie hambourgeoise-américaine de paquebots à vapeur, qui fait le service de Hambourg à New-York. Mais elle ne possède qu’un seul navire ayant une vitesse de 15 nœuds. La vitesse de ses autres paquebots n’est que de 12 à 14 nœuds.

La Compagnie hambourgeoise-américaine dessert deux autres lignes, l’une de Hambourg au Mexique, l’autre de Hambourg aux Antilles. Ces deux lignes sont desservies par de simples cargo-boats, dont la vitesse n’est que de 10 nœuds et demi.


Une autre compagnie maritime qui franchit les mers orientales, c’est la Compagnie de navigation à vapeur du Lloyd austro-hongrois, dont le siège est à Trieste. Les nombreux steamers composant sa flotte font le voyage de la Chine et de l’Inde. La vitesse de la traversée de ces paquebots entre Trieste et Bombay est de 10 nœuds et de 9 seulement sur la ligne de Bombay à Hong-Kong, ce qui est équivalent, tout au plus, à la vitesse des cargo-boats de seconde classe.


On peut conclure de cette revue rapide des diverses Compagnies transocéaniques que les Messageries maritimes et la Compagnie générale transatlantique, c’est-à-dire deux compagnies françaises, tiennent aujourd’hui la première place, au point de vue de la vitesse, du luxe de l’aménagement et du confortable de leurs paquebots, et qu’elles ne sont dépassées, sous ce rapport, par aucune des entreprises étrangères qui sont leurs rivales sur les mers.




CHAPITRE IX

les paquebots de la manche et de la mer d’irlande.

Nous ne terminerons pas le chapitre de la navigation par paquebots sans dire qu’à côté des grands paquebots à hélice que nous avons décrits, il faut mentionner tout une catégorie de navires à roues, qui font, comme les paquebots à hélice, le service des voyageurs et des postes. Nous voulons parler des paquebots du détroit de la Manche et de ceux de la mer d’Irlande. Ces petits navires, extrêmement rapides, ont, pour actionner leurs roues, des machines à vapeur très puissantes et très perfectionnées.

Le faible tirant d’eau des ports que desservent ces paquebots ne permettant pas de faire usage d’hélices assez grandes pour la vitesse à réaliser (17 à 18 nœuds), les constructeurs ont été forcés de recourir à l’ancien propulseur, c’est-à-dire aux roues. Tous ces bâtiments, construits avec beaucoup de goût, sont richement aménagés. Ils sont, d’ailleurs, très marins, et d’un aspect heureux. Le plus remarquable et le plus récent de ces paquebots est l’Ireland, qui fait le service de Londres à Birkenhead.

Ce navire a été construit en 1885, par MM. Laird, de Birkenhead. Voici ses dimensions principales :


Longueur 
116 mètres
Largeur 
12
Tirant d’eau arrière 
4
Jauge 
2 600 tonneaux.

La machine de l’Ireland présente des particularités qu’il est indispensable de signaler. Les constructeurs, comprenant qu’il fallait faire avant tout une machine légère où la consommation de combustible ne fût pas à considérer, en raison de la brièveté des traversées et de la grande vitesse à obtenir, ont adopté le système oscillant, non Compound, c’est-à-dire à deux cylindres à basse pression, marchant avec condenseur à mélange. Ils en sont même revenus aux chaudières à faces planes, qu’il est plus facile d’arrimer à bord. Ce pas général en arrière, justifié d’ailleurs, est d’autant plus à signaler qu’il s’applique au paquebot le plus rapide du monde. La machine développe 6 340 chevaux, à la vitesse de 27 tours, en marche à outrance avec tirage forcé. Les cylindres mesurent 2m,75 de diamètre, et ne pèsent pas moins de 32 tonnes chacun. L’arbre moteur, qui mesure 88 centimètres de diamètre, pèse 47 tonnes, et chaque roue pèse 55 tonnes.

La vitesse moyenne de ce paquebot atteint 20 nœuds 2 dixièmes, c’est-à-dire celle des torpilleurs.

Les aménagements sont particulièrement bien étudiés et très luxueux.

La mâture, très rudimentaire, se compose de deux petits mâts, très inclinés vers l’arrière, propres surtout à recevoir des signaux.

La manœuvre du gouvernail a lieu au moyen d’un servo-moteur.

La plupart des autres paquebots à roues de la mer d’Irlande sont construits d’une manière analogue, mais sous de plus petites dimensions.


Les paquebots qui font le service des voyageurs et des postes de Calais à Douvres, ou de Boulogne à la côte d’Angleterre et à Londres, sont du même type que l’Ireland, que nous venons de décrire. Tel est le paquebot la Victoria.

Nous représentons (fig. 189) la Victoria.

Fig. 189. — La Victoria, paquebot anglais faisant le service de Douvres à Calais.

Avant la Victoria, le meilleur marcheur de la Manche avait été le paquebot Invicta, qui fait la traversée de Calais à Douvres en une heure dix minutes. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Le nouveau paquebot Victoria dont nous donnons le dessin a vaincu l’Invicta, en accomplissant la même traversée en cinquante-quatre minutes.

Ce rapide, luxueux et confortable paquebot, qui a coûté près de deux millions, et peut transporter 900 voyageurs, sort des chantiers de John Elder de Glasgow. Il mesure 94m,25 de longueur, sur 30 mètres de largeur ; son tirant d’eau est de 2m,54 ; ses machines développent une force de 5 000 chevaux ; et il file près de 20 nœuds, soit près de 37 kilomètres à l’heure.

La Victoria possède cinq magnifiques salons, dont un réservé aux fumeurs, 13 élégantes cabines particulières, le tout éclairé à la lumière électrique. Chacune de ses roues pèse 38 000 kilogrammes. Sa largeur, annulant le roulis, supprime le mal de mer.

Le mouvement des voyageurs qui, par la voie de Calais à Douvres, était déjà, annuellement, de 200 000 — chiffre supérieur à celui des ports de Boulogne et de Dieppe réunis, — s’est encore augmenté, depuis le service de la Victoria qui est en correspondance directe, journalière, avec les trains rapides, contenant des wagons-lits de la Compagnie internationale pour Paris, Bruxelles, Bâle, Milan, Rome, Brindisi, Vienne et Constantinople.


De Folkestone à Boulogne, il existe un service de bateaux à vapeur du même type que ceux de Douvres à Calais. Nous représentons (fig. 190) la Mary-Beatrix qui fait le trajet de Boulogne à Folkestone.

Fig. 190. — La Mary-Beatrix, faisant le service de Boulogne à Folkestone.

La Mary-Beatrix est un des paquebots que la Compagnie anglaise du South-Eastern railway a ajoutés à sa flotte qui fait le service de navigation entre Boulogne et Folkestone, et qui correspond avec ses trains et ceux de la Compagnie du chemin de fer du Nord français. Actuellement, le voyage entre Paris et Londres se fait par cette voie (terre et mer), en 8 heures 1/2, et comme la Compagnie du South Eastern a maintenant (sans compter ses autres bateaux) trois bateaux à vapeur construits sur le même modèle que celui que nous reproduisons et qui est compris dans le nombre, l’exactitude du service est assurée.

La Mary-Beatrix a 88 mètres de longueur, et 1 063 tonneaux de capacité. Grâce à ses puissantes machines, qui développent 2 800 chevaux-vapeur, elle atteint la vitesse de 18 nœuds (plus de 33 kilomètres à l’heure) et fait ainsi, en 1 heure, 20 minutes, la traversée de Boulogne à Folkestone, qui durait près de deux heures avec les anciens bateaux.




CHAPITRE X

les navires de transport. — navires de transport commercial de marseille à l’indo-chine.

Après avoir étudié les grands paquebots, nous ferons connaître l’état présent de la marine de commerce, c’est-à-dire les navires spécialement consacrés au transport des marchandises.

Pendant longtemps le trafic des marchandises, même après l’adoption de la vapeur dans la navigation, avait été abandonné aux bâtiments à voiles ; et il semblait que cet état de choses dût subsister longtemps encore, d’après l’économie que procure l’emploi du vent comme moteur. Cependant, l’irrégularité de marche des navires à voiles, qui sont immobilisés par des temps calmes, et bien souvent détournés de leur route par les tempêtes, ne tarda pas à leur faire préférer les bâtiments à vapeur.

En effet, un navire à vapeur, surtout depuis les perfectionnements apportés à la machine à vapeur par l’emploi des grandes détentes, peut, en se contentant d’une vitesse modérée, effectuer les transports à bon marché, et comme il jouit d’une régularité de service hors de toute comparaison avec les navires à voiles, il s’est peu à peu emparé des transports de marchandises, et a réduit presque absolument les navires à voiles au service du cabotage.

Le cargo-boat, pour employer le terme anglais consacré, chez nous, par l’usage, est caractérisé par des formes plus massives que celles des paquebots, par la machine qui est moins puissante et plus simple, tout en restant très robuste. Ce que l’on cherche surtout à obtenir, c’est un très faible prix de transport pour les marchandises. La construction de ce genre de navire doit donc être aussi économique que possible. Tout est réduit au strict nécessaire pour le voyage.

En général, la machine et les chaudières d’un navire de commerce occupent sa partie centrale, afin que le balancement longitudinal soit toujours assuré, quelles que soient les variations de poids ou de volume des marchandises reçues à bord.

Cependant beaucoup de bâtiments de commerce placent leur machine à l’arrière, afin de laisser aux cales tout le reste de la place. La plupart des bateaux à vapeur consacrés au transport des charbons sont dans ce cas.

Les bâtiments de commerce de la marine française et anglaise, du moins le plus grand nombre, ne dépassent guère la vitesse de 10 nœuds. Cependant, quelques-uns, qui portent des passagers, atteignent 12 et 14 nœuds.

Comme exemple de cargo-boat, à grande vitesse, nous citerons le transport anglais le North-America. Ce navire construit en vue de la Course au thé[11] a atteint 17 nœuds, dans ses voyages entre Londres et Hong-Kong. Il a inauguré l’ère des bâtiments de commerce rapides.

Le North-America fut construit sur la Clyde, en 1882. Il portait alors le nom de Stirling castle. Voici ses dimensions :


Longueur 
133 mètres.
Largeur 
15m,25
Creux 
10m,03
Tonnage 
4 300 tonneaux.
Puissance de la machine 
8 237 ch. v.

En 1884, il fut acheté par une compagnie génoise, qui changea son nom. Enfin, le gouvernement italien en fit l’acquisition, pour le transformer en croiseur.

En 1882, la Société nationale de navigation de Marseille a fait construire, par les Forges et chantiers de la Méditerranée, trois paquebots, qui ne sont, à proprement parler, que des Cargo-boats propres à recevoir des passagers. Ce sont le Colombo, le Canton et le Comorin, qui font le service entre Marseille et l’Indo-Chine.

Voici leurs dimensions :


Longueur extrême 
120 mètres.
Largeur 
12m,18
Creux 
9m,50
Tirant d’eau moyen en charge 
6m,14
Déplacement 
5 850 tonn.

Ces bâtiments, qui sont tout en fer, comportent trois ponts, dont deux, le pont principal et le spardeck, sont bordés en fer, avec bordage en bois de teck. Le faux-pont est bordé en pitch-pin.

Sur le spardeck s’élève, à l’avant, une teugue, puis une série de roofs en fer, contenant les logements des officiers, enfin un château central, contenant le servo-moteur Stapfer de Duclos, et la chambre de veille, surmontée de la passerelle.

Les cabines et les deux salons, qui peuvent contenir 52 passagers, sont situés à l’avant et à l’arrière, sur le pont principal et sous le spardeck ; tout cela confortablement aménagé. Une glacière est disposée dans le faux-pont. Cet accessoire est indispensable aux navires qui traversent la mer Rouge, où les boissons glacées sont absolument nécessaires aux passagers, cette mer étant, dit-on, la plus chaude du globe.

Quatre treuils à vapeur desservent les écoutilles ; ils conduisent également des pompes de cales, qui secondent celles de la machine.

Le gréement est celui d’un brick à phares carrés. La machine à vapeur est du système Compound, à deux cylindres. Le diamètre du petit cylindre est de 1 mètre, celui du grand cylindre de 1m,850. La course de l’un et l’autre cylindre est de 1m,081. L’hélice a 4m,825 de diamètre et 5m,65 de pas de vis. La vapeur est fournie par 4 chaudières cylindriques, timbrées à 5 kilogrammes.

Ces navires donnent les résultats suivants, en service courant :


Vitesse 
10 nœuds, 51
Puissance 
925 ch. v.
Consommation par heure et par cheval 
0k,769 de charbon.

Dans des essais pour apprécier la vitesse maximum, on a obtenu 14 nœuds, avec une puissance de 2 050 chevaux-vapeur.

Ces résultats sont très beaux pour des navires destinés à un service de transports de marchandises.

En somme, ces trois bâtiments de commerce peuvent être classés parmi nos meilleurs longs-courriers.

La grande pêche a aussi profité des perfectionnements apportés à la construction navale, et actuellement, de nombreux bateaux à vapeur se joignent aux flottilles de pêche.

Fig. 191. — Le chalutier à vapeur Pauline.

La figure ci-dessus représente un chalutier à vapeur occupé à la pêche du hareng. C’est le type le plus communément employé. Il comporte, à bord, un vivier pour conserver le poisson. La machine, simple et robuste, est ordinairement du système Compound ordinaire, mais elle est étudiée pour marcher régulièrement aux plus faibles allures, condition nécessaire à une bonne pêche.



CHAPITRE XI

les bateaux de fleuve et de rivière. — les bateaux de la seine. — Hirondelles, Express et Omnibus. — les Mouches du port de Marseille. — les remorqueurs à vapeur et les porteurs de marchandises. — le touage à vapeur.

Après les paquebots de commerce, aux longues traversées maritimes, nous avons à examiner la navigation par la vapeur sur les fleuves, rivières et canaux.

La Seine, à Paris, est sillonnée de quelques bateaux à vapeur, dont la description pourra intéresser le lecteur.

Trois types différents composent la flotte parisienne : les Bateaux-Mouches, les Express et les Hirondelles.

Les Hirondelles ont été construites en 1878, à Argenteuil, par les Usines et chantiers de la Seine.

Le type établi à cette époque, par les constructeurs, a été conservé depuis, pour les bateaux analogues ; et les Express, qui sont venus après, présentent, sauf quelques détails, les mêmes dispositions.

La coque des Hirondelles est entièrement en fer, et d’une assez grande légèreté, en même temps que d’une solidité parfaite. Les lignes d’eau sont extrêmement fines, et l’ensemble de la coque présente des façons fort élégantes. La coque, très rase sur l’eau, est surmontée d’un wroof qui, allant de l’arrière à l’avant, permet d’éclairer par de larges fenêtres les deux salons avant et arrière, ainsi que la chambre de la machine. Le toit de ce roof forme, en réalité, le pont du bateau. Il est garni de banquettes et surmonté d’une tente.

La machine est du système Compound, à deux cylindres avec condenseur à surface.

Une particularité de cette machine, c’est son appareil de changement de marche, à un seul excentrique, système Bouron. Cet appareil n’agit que sur le tiroir du cylindre d’admission ; le tiroir du grand cylindre est conduit par un excentrique à toc. Ce système très simple ne peut s’appliquer qu’à une machine à un seul cylindre, ou à une machine Compound à deux cylindres, comme c’est le cas ici, et à la condition que la transmission du mouvement de la machine ne se fasse pas par le bout de l’arbre, du côté du changement de marche.

La machine des Hirondelles est de la force de cent chevaux-vapeur.

La vapeur est fournie par une chaudière cylindrique, à retour de flamme et à un seul foyer. Comme les règlements de la navigation sur la Seine exigent la fumivorité des foyers, le combustible employé est le coke, ce qui a forcé d’adopter une vaste grille. La cheminée est du système télescopique, c’est-à-dire qu’elle peut s’allonger et se raccourcir, comme les tubes d’une lunette, au moyen d’un renvoi de mouvement à poulie, suivant les besoins du tirage. Le pilote, placé sur une passerelle à l’arrière, manœuvre le bateau au moyen d’une barre franche, c’est-à-dire directement fixée sur la mèche du gouvernail, et sans l’intermédiaire de roue ou d’appareil de renvoi. Ce système, quoique très fatigant pour le pilote, est préféré sur la Seine, à cause de la rapidité de manœuvre qu’il procure, et que ne pourrait donner qu’un appareil à vapeur (servo-moteur) qui serait trop compliqué pour un bateau de fleuve.

Le pilote commande à la machine par un porte-voix. La machine actionne une hélice à 4 ailes, en fonte, qui imprime au bateau la vitesse moyenne de 16 kilomètres à l’heure, fixée par les règlements.

Les Express sont construits sur des plans dérivés de ceux des Hirondelles.

Leur machine est du système Compound ordinaire, elle a été exécutée par M. J. Boulet. La chaudière, à retour de flamme, vient des ateliers de Lyon, et la coque a été construite par la Société des Forges et ateliers de Saint-Denis, qui avait l’ensemble de la commande.

Fig. 192. — L’Express, bateau à vapeur de la Seine à Paris.

La figure 192 représente le bateau l’Express et les figures 193, 194 la coupe longitudinale et le plan du même bateau.

Disons pourtant que ces bateaux n’ont pas donné les résultats qu’on en attendait. La chaudière est trop faible, pour la machine à vapeur. D’autre part, la machine à vapeur, trop légèrement construite, est sujette à de fréquentes avaries.

Les Bateaux-omnibus de la Seine, plus petits que les Express, ne diffèrent que par la machine à vapeur, des anciens bateaux-omnibus que nous avons décrits dans les Merveilles de la science [12].

Les machines de ces bateaux sont du système Compound ordinaire. Elles sont dues à la Société de construction de Passy.

Rappelons que c’est sur un de ces bateaux, portant le no 30, que l’on fit, en 1881, un des premiers essais de la machine à vapeur à triple expansion.


La navigation intérieure à vapeur a été réalisée, dans le port de Marseille, avec des innovations assez intéressantes pour être mentionnées ici.

Les Mouches du port de Marseille sont de deux types : celles qui font le service devant la mairie, et celles qui vont jusqu’au Fort Saint Jean. Les premières sont des bateaux en fer, formés de deux flotteurs réunis par une plate-forme en bois, abritée par une toiture légère. Le moteur est une machine à haute pression, sans condenseur, qui actionne une hélice à axe incliné.

Il y a deux gouvernails, réunis par un même arbre de transmission.

Le bateau va indifféremment en avant et en arrière, avec une vitesse de 5 kilomètres à l’heure. Les commandements se font par un timbre, manœuvré par une courroie, comme dans les tramways, dont les bateaux reproduisent l’aspect général.

Devant le fort Saint-Jean, c’est-à-dire à l’entrée du port, où la houle se fait souvent sentir, le service est fait par des bateaux en bois, plus aptes à tenir la mer, et plus perfectionnés, que nous représentons en perspective dans la figure 195, et en coupe dans la figure 196. Les deux extrémités de ces bateaux ont la forme d’un arrière de bateau de mer, large, mais de formes assez fines.

Fig. 195. — La Mouche, bateau à vapeur du fort Saint-Jean, à Marseille.
Fig. 196. — Coupe de bateau-mouche du fort Saint-Jean, à Marseille.

À chaque extrémité tourne une hélice. Il existe aussi deux gouvernails, protégés par une garde en fer, pour l’accostage. Ces deux gouvernails sont indépendants.

Les deux hélices sont montées sur le même arbre, qui va d’un bout à l’autre du bateau, en passant sous la chaudière. Cet arbre est actionné par une machine Compound, à condenseur à surface. La machine est pourvue d’un grand levier de changement de marche. La chaudière est verticale, tubulaire, timbrée à 7 kilogrammes, avec 10 mètres carrés de surface de chauffe. Le tirage a lieu naturellement. La machine développe 20 chevaux-vapeur, et donne au bateau une vitesse de 10 kilomètres à l’heure. La circulation de l’eau dans le condenseur a lieu naturellement, au moyen d’un tuyau qui débouche à chaque extrémité du bateau, au-dessus du niveau de l’eau.

Les bancs disposés en deux lignes sur le pont, à droite et à gauche du capot de la machine, peuvent recevoir environ quarante personnes.

La toiture est en zinc léger ou en tôle. Ce petit navire fait un très bon service.

Les Mouches du port de Marseille ont été construites par MM. Stapfer, de Duclos et Cie à la Joliette.

Les Bateaux-omnibus de la Seine et les Bateaux-mouches de Marseille ne répondent qu’à un transport local. Il nous reste à considérer, d’une manière plus générale, la navigation à vapeur sur les fleuves, rivières et canaux.

S’il est un mode de transport généralement négligé, quoique d’une haute importance, c’est, sans contredit, la navigation de commerce sur les fleuves et les canaux. En effet, la navigation fluviale, malgré les avantages économiques qu’elle présente, ne frappe pas les yeux, comme les transports rapides par les chemins de fer ; de sorte que l’intérêt général qu’elle devrait inspirer s’efface devant les avantages supérieurs qu’offrent, en apparence, les voies ferrées.

Cependant, depuis quelques années, les transports par eau ont reconquis en partie la faveur publique, et de grands travaux ont été exécutés, en vue d’accélérer l’essor de la navigation intérieure en France. Nous citerons principalement l’augmentation du tirant d’eau de la Seine, en aval de Paris, ainsi que la construction d’écluses plus vastes et à manutention rapide ; puis, la création des 189 écluses du canal de Bourgogne. Ce dernier travail, terminé en octobre 1882, a permis aux bateaux de 38 mètres de passer de l’Yonne dans la Saône, c’est-à-dire qu’il a ouvert une nouvelle voie aux bateaux du Nord et de l’Est.

Le transit par eau, très faible en 1882, a doublé depuis cette époque, et il dépasse aujourd’hui 80 000 tonnes, pour le canal de Bourgogne, tandis qu’il en a gagné 50 000 sur la basse-Seine.

Voici, d’ailleurs, les raisons qui ont amené cette rentrée en faveur de la navigation fluviale.

D’abord les frais de traction, soit qu’elle ait lieu par chevaux, soit par remorqueurs à aubes ou à hélice, soit par toueur sur chaîne, sont infiniment meilleur marché que sur les voies ferrées. Ensuite, l’organisation de la batellerie en sociétés concurrentes a amené un abaissement considérable du prix du fret. Enfin la réduction des tarifs de navigation sur les canaux a facilité considérablement le transit.

De toutes ces causes il est résulté une économie énorme de frais de transport par eau pour les marchandises qui n’exigent pas un transit rapide, telles que les houilles, les vins, les matériaux de construction, et même certains articles d’épicerie. De là, la réaction qui s’est produite de nos jours en faveur de la navigation commerciale à vapeur sur les rivières et canaux.


Jetons un coup d’œil sur les bateaux à vapeur consacrés à la navigation sur les fleuves et canaux, en France.

Parmi les bateaux à vapeur de fleuves ou de rivières, il faut citer : 1o les remorqueurs à vapeur, qui entraînent tous les grands chalands que l’on voit naviguer le long des rivières, 2o les porteurs de marchandises, qui transportent les marchandises lourdes, telles que matériaux, vins, pierres, fruits, etc. Ces bateaux ont leur moteur installé à l’arrière, pour laisser le reste de la place aux objets transportés.

Les machines à vapeur des remorqueurs, ou des porteurs de marchandises, n’offrant rien de particulier, nous ne nous arrêterons pas à les décrire.


Un système de transport à vapeur sur les rivières, qui n’est pas d’invention récente, mais qui présente beaucoup d’intérêt, mérite d’être étudié à cette place. Nous voulons parler du touage à vapeur sur chaîne.

Tout le monde connaît ces bateaux toueurs qui servent à remorquer, sur les rivières, une longue file de bateaux, pesamment chargés ; mais peu de personnes ont une idée nette du moyen employé pour ce système de traction fluviale.

Entre les deux points terminus de la ligne de touage et sans interruption, on dépose, au fond de la rivière, une forte chaîne en fer. Cette chaîne, ou toue, vient s’enrouler sur deux tambours en fonte, porteurs d’une gorge hélicoïdale, et qui sont actionnés par la machine à vapeur du bateau toueur.

Si l’on vient à faire tourner les tambours, la chaîne s’enroulera d’un côté, pour sortir de l’autre. Mais comme elle est fixe, le bateau toueur se trouve sollicité dans la direction de la chaîne, et il entraîne les bateaux qui sont attelés derrière lui. Cela revient à dire que le bateau se hale le long de la chaîne, en ayant pour force propre sa machine à vapeur.

La chaîne entre et sort du bateau toueur par deux poulies montées sur un bras qui peut décrire un arc de cercle. Deux gouvernails permettent de faire varier la direction du bateau toueur : l’excès de longueur de la chaîne permet ces variations. La chaîne passe, d’ailleurs, sous les portes d’écluses sans difficulté ; car ces portes présentent à leur partie inférieure un jeu plus que suffisant pour lui livrer passage.

Les bateaux toueurs de la Seine, outre leur appareil à chaîne, sont munis de deux hélices, pour le cas où, soit par suite des hautes eaux, soit par suite d’une rupture de la chaîne, ils ne pourraient plus faire leur service. Ces hélices sont commandées, soit par un moteur indépendant, soit par la grande machine, au moyen d’engrenages.

La coque d’un bateau toueur n’est autre chose qu’une grande boîte à section rectangulaire et arrondie aux deux bouts. C’est ce que montrent les figures 197 et 198, qui donnent la coupe et le plan d’un toueur à vapeur.

Ce système de remorquage présente cet avantage remarquable que toute la puissance de la machine est utilisée pour la marche, sauf la perte due aux frottements. On sait, au contraire, que les roues et les hélices perdent beaucoup par le recul, surtout dans les faibles vitesses.




CHAPITRE XII

la navigation par la vapeur sur les fleuves et rivières en amérique. — les Steam-Packet. — les Bacs à vapeur en Amérique et en Angleterre.

Tout le monde a lu, dans les ouvrages traitant de l’Amérique, la description des bateaux à vapeur qui sillonnent les grands fleuves du nouveau monde. Les machines à vapeur qui actionnent ces bateaux n’ont cependant rien de particulier. Elles appartiennent même aux types les plus anciens, c’est-à-dire à la machine à balancier et à pleine pression de la vapeur. Mais leur aménagement est tout différent de ce qui se voit dans nos bateaux de rivière. Généralement, un bateau de fleuve américain a plusieurs ponts superposés, ce qui lui donne l’aspect d’une maison flottante, plutôt que d’un bateau. L’étage inférieur est consacré au service, et les étages supérieurs renferment des cabines, des salons, des restaurants, en un mot tout ce qui constitue le confort que l’Américain veut trouver en voyage. Le vaste balancier qui s’élève et se meut au milieu de cette maison flottante, la domine majestueusement, comme le clocher d’une cathédrale.

C’est ce que l’on voit sur la figure ci-dessus qui représente, d’après une photographie, un bateau à vapeur de l’East-River, à New-York.

Fig. 199. — Un steam-packet américain, dans le port de New-York.

On donne, en Amérique, le nom de ferry-boats à des bâtiments spéciaux, que l’on pourrait nommer des bacs à vapeur. Destinés à transporter d’une rive à l’autre des passagers, des voitures, etc., ils se composent d’une coque longue et large, dont le pont supérieur, très renforcé, reçoit deux ou plusieurs files de rails. Indépendamment de ces dispositions, ils contiennent, pour les passagers, un salon et des cabines, généralement très confortables. Le navire est presque toujours mu par des roues à aubes.

Dans la baie de New-York, des ferry-boats, en très grand nombre, transportent passagers et marchandises de New-York à Brooklyn. Le nouveau pont de Brooklyn, qui a été précisément construit pour éviter la traversée de la baie par les ferry-boats, ne les a pas fait entièrement disparaître.


Les bacs à vapeur ne sont pas particuliers à l’Amérique. Quelques-uns de ces bâtiments sont très marins et affrontent les mauvais temps. Tels sont les ferry-boats construits pour le compte du Danemark, et qui font la traversée du Belt.


Les bacs à vapeur ne manquent pas en France. Citons particulièrement ceux qui existent en Normandie : à Duclair, à Caudebec et à Quillebœuf.

La navigation maritime à haute mâture empêchant d’établir de Rouen au Havre des ponts fixes sur la Seine, on a dû, pour faciliter le passage du fleuve, créer à Duclair, à Caudebec et à Quillebœuf, des ponts volants, ou bacs à vapeur.

Fig. 200. — Le bac à vapeur Le Duclair.

La figure ci-dessus représente un de ces bacs, celui de Duclair, le plus petit des trois. Il a 18 mètres de long seulement. Il est muni d’une machine de trente chevaux, sortant des ateliers de M. Powell, de Rouen, qui a construit également les machines des deux autres bacs.

La facilité qu’offrent ces bacs à vapeur pour la traversée de la Seine a fait beaucoup accroître le mouvement de translation d’une rive à l’autre.


Dupuy de Lôme avait conçu le projet de créer un bac à vapeur assez vaste pour transporter les trains de chemin de fer et les marchandises de l’Angleterre en France, et réciproquement. Ce plan n’a pas été pris au sérieux. Il mérite pourtant d’être consigné ici.

Voici ce que nous disions à ce sujet, en 1873, dans l’Année scientifique :


Le service par paquebots entre la France et l’Angleterre n’est en aucune façon, dans son état actuel, digne des deux grandes nations qu’il est chargé de réunir. Steamers petits et sans aucun confortable, assujettis aux heures des marées, départs peu fréquents ; en un mot, l’analogue du service entre le Havre et Honfleur.

Depuis quelques années on a multiplié les études des ponts et des tunnels destinés à la traversée de la Manche ; mais jusqu’à l’époque assurément fort éloignée où ces projets pourront être mis en service (s’ils le sont jamais), il importe peu d’assurer les communications dans des conditions convenables.

Construire de grands paquebots qui permettent de faire un service indépendant des heures de marée, c’est se lancer dans des dépenses considérables, que les voyageurs ne peuvent pas suffire à payer. Il faut, pour pouvoir se passer de subvention, transporter des marchandises, et en quantité considérable.

Mais le transport des marchandises exige, avec les méthodes ordinaires, des manipulations longues et coûteuses, qui sont incompatibles avec un service rapide et à départs fréquents. Il faut compter au moins deux heures pour débarquer 150 à 200 tonneaux de marchandises, et autant pour en mettre à bord la même quantité.

Ce stationnement prolongé est une circonstance tout à fait rédhibitoire.

M. Dupuy de Lôme a résolu le problème d’une manière victorieuse, en embarquant un train entier de chemin de fer en dix minutes, sans qu’un seul des wagons où sont disposées à loisir les marchandises, ait besoin d’être ouvert.

La même rotation appliquée aux voitures à voyageurs évitera les ennuis et les fatigues du transbordement, qui s’accomplit si péniblement par les nuits d’hiver.

Sur la côte d’Angleterre, à Douvres, il y a une rade profonde et bien abritée, où des travaux, qu’il sera facile d’exécuter, permettront l’embarquement et le débarquement des trains.

Sur la côte de France, il faudra créer une gare maritime, pour parer à la faible profondeur de la mer, et assurer le service à toute heure de marée.

Nous décrirons plus loin cette gare maritime. Auparavant, nous donnerons une idée des navires porte-trains, qu’elle est appelée à recevoir.

Ces navires, à roues et à pales articulées, mus par une machine de 800 chevaux nominaux, ont 135 mètres de longueur, 11m,20 de largeur et un tirant d’eau de 3m,50. Ils doivent réaliser, en calme, une vitesse de 18 milles nautiques, et faire la traversée en une heure dix minutes par beau temps, et en une heure et demie dans les circonstances les plus défavorables. Ils reçoivent (par une porte pratiquée à l’arrière) un train formé de 17 à 20 wagons, selon sa composition en voitures de voyageurs ou en wagons de marchandises. Ce train, abrité dans un vaste entre-pont et entouré de salons, buffets, waters-closets, etc., sera rapidement fixé sur les rails, et le navire fera aussitôt sa route.

Mais, dira-t-on, comment va se comporter, dans une mer souvent houleuse, un navire chargé au-dessus de son plan de flottaison, d’un poids aussi considérable ? N’a-t-on pas à craindre des roulis désordonnés ? etc.

La disposition des poids dans le navire porte-train ne sera pas une nouveauté. Dans les navires cuirassés, matés et chargés d’une pesante artillerie, l’élévation des poids est bien autre chose, et pourtant on sait que les frégates cuirassées le Solférino et le Magenta se sont montrées, au point de vue des roulis et des tangages, de parfaits navires de mer.

On peut donc être sûr que l’illustre ingénieur à qui notre marine a dû ses constructions si justement estimées, a choisi pour ses navires porte-trains les dimensions les plus propres à leur assurer la tranquillité désirable.

Avec deux navires en service et un troisième en réserve, on pourra faire par jour seize traversées simples ; on échangera 288 voitures ou wagons de marchandises, soit 2 500 voyageurs et plus de 2 000 tonneaux de marchandises (dans l’hypothèse, bien entendu, où toutes les places et tous les espaces seraient constamment utilisés).


Arrivons à la description de la gare maritime de Calais. C’est un îlot situé à 1 500 mètres des jetées, assez loin pour que les courants entretiennent une profondeur d’eau convenable.

Cet îlot est formé de deux arcs de cercle accolés par leur corde commune, dont la longueur est de 900 mètres. Cette corde est dirigée de l’est à l’ouest, et par conséquent à peu près parallèle au rivage. L’îlot, semblable à un grand navire échoué, présente donc ses deux pointes aux grands courants et les divise facilement.

Le côté du large est défendu par une jetée en maçonnerie, très solide.

Du côté de la terre, une jetée moins forte protège contre le ressac le bassin intérieur. C’est dans cette seconde jetée et vers son extrémité ouest, que s’ouvre l’entrée, large de 80 mètres. La surface intérieure du bassin est de 18 hectares ; sa profondeur, par les plus basses marées, est de 5 mètres.

La jetée extérieure (ou du large) sert à la fois à la défense du bassin et à la circulation des trains qui y arrivent, par l’extrémité est, sur un pont métallique.

Le train parcourt la jetée jusqu’à son extrémité ouest, puis s’aiguille sur une rampe intérieure de 9 millimètres de pente, aboutissant successivement à trois embarcadères situés à des hauteurs différentes, appropriés aux diverses hauteurs de marée et auxquels les navires porte-trains viennent présenter leur arrière.

Avec ces trois embarcadères, chacun d’eux n’a plus qu’à racheter le tiers de la dénivellation maxima, qui est de 7m,29, soit donc 2m,43. La hauteur de chaque embarcadère est réglée de telle sorte que, pour la période de la marée qu’il dessert, le pont du navire se présentera tantôt au-dessous, tantôt au niveau, tantôt au-dessus de la charnière du pont-levis de 30 mètres de longueur, qui sert à passer du quai dans le navire.

On n’aura donc jamais sur ce pont-levis une pente supérieure à 4 centimètres par mètre.

La locomotive ne quittera pas le quai, et elle tirera ou poussera le train par l’intermédiaire de quatre wagons vides formant, entre le train et elle, une sorte de chaîne entrecroisée, maniable et d’un faible poids.

À Douvres, un système analogue, mais plus simple, servira à faire la même opération.

Le bac à vapeur conçu par Dupuy de Lôme, pour transporter les trains entiers de chemins de fer, n’a pas été exécuté. Mais les Américains ont repris cette idée, et le journal La Nature a publié, en 1881, la description d’un floating-railway, appartenant à la Compagnie du Great Central Pacific, qui transporte des trains de chemin de fer à l’embouchure du Sacramento, dans la baie de Carquinez, en Californie.

Le Solano (c’est le nom du bac à vapeur) mesure 129 mètres de long, 35 mètres de large, avec un tirant d’eau, en charge, de 2 mètres, et un tonnage de 3 000 tonneaux. Il a deux roues à aubes, de 9 mètres de diamètre, indépendantes l’une de l’autre, pour la facilité et la rapidité des manœuvres. Sur le pont sont encastrées quatre voies de chemin de fer, pouvant recevoir quarante-huit wagons de marchandises, ou vingt-quatre voitures de voyageurs. De vastes plates-formes, mues par des machines hydrauliques, mettent en communication la voie du bateau et la voie terrestre. Le train glisse de la rive sur ce bateau, et réciproquement.

Un autre ferry-boat très curieux a été construit à Melbourne (Australie), en 1884.

Le cours de la Java formait un obstacle gênant pour les relations d’un quartier de la ville à l’autre ; car la largeur de la rivière devient très considérable à la traversée de la ville. Le pont de Falls, le seul qu’on eût osé construire, est très éloigné, et on ne pouvait pas y avoir recours sans un détour, qu’il s’agissait d’éviter. En raison de ces circonstances, la ville décida la construction d’un bac à vapeur spécial.

Malgré ses grandes dimensions, le ferry-boat de Melbourne n’est pas destiné à porter des trains de chemins de fer, mais simplement des charrettes pleines de marchandises, ainsi que les nombreux voyageurs qui vont d’une rive à l’autre.

Pour assurer l’embarquement facile des voyageurs et des bagages, le bateau a la forme carrée. Il est muni, sur les deux côtés, de trois ponts volants, qui permettent de le rattacher aux deux quais des deux rives du fleuve. Ces trois ponts sont assez larges pour recevoir de grosses voitures, et les attelages y viennent avec la même sécurité que sur la terre ferme. La machine motrice est assez puissante pour entraîner le bac avec sécurité, quelle que soit la charge remorquée, et la traversée ne dure que quelques minutes.




CHAPITRE XIII

les bateaux de plaisance à vapeur. — historique de la navigation de plaisance. — classification des différents types de yachts à vapeur. — construction des yachts à vapeur. — description de quelques-uns des plus remarquables.

La navigation de plaisance n’est pas chose nouvelle, tant s’en faut. Ce passe-temps était fort en honneur dans l’antiquité. Les galères de Denys de Syracuse, de Caligula, de Cléopâtre, d’Hiéron, étaient bien des bateaux de plaisance. Il en était de même du gigantesque vaisseau de Ptolémée Philopator.

La galère qui conduisit Mahomet II à la conquête de Constantinople n’était qu’un navire de plaisance, que l’on avait seulement armé pour la guerre.

Le Bucentaure, la superbe galère du bord de laquelle les doges de Venise procédaient à la cérémonie du mariage avec l’Adriatique, était un magnifique navire de luxe et de plaisir. Les nombreuses descriptions que l’on en possède en sont la preuve.

La Réale, la splendide galère de Louis XIV, n’était aussi, malgré ses canons, qu’un navire de plaisance.

Tous ces navires, célèbres dans l’histoire des peuples modernes, se distinguaient par le luxe inouï de leur décoration. Aujourd’hui les amateurs de la navigation de plaisance tiennent plutôt aux qualités nautiques et au confortable des aménagements qu’à l’ornementation. Nous ne voulons pas dire pourtant que nos yachts soient d’apparence négligée ; seulement ils n’empruntent leur beauté qu’à la pureté de leurs lignes, à la perfection de leur gréement, au soin qui préside à leur entretien, à la solidité et à la puissance de leur machine à vapeur, quand la vapeur est le moteur dont ils sont munis.


Ceci posé, nous jetterons un coup d’œil sur le yachting moderne, et nous signalerons les progrès qu’il a faits de nos jours.

Et d’abord, il faut établir combien cette distraction est supérieure aux divers genres de sport. Nous sommes loin de vouloir rabaisser les autres exercices du corps, car nous comprenons trop bien l’utilité et la valeur de la gymnastique, de l’équitation, de la chasse, de l’escrime, etc. ; mais on peut dire qu’aucun autre exercice n’exige une plus grande somme de qualités physiques et d’énergie morale que la navigation de plaisance.

L’amateur sérieux du yachting, c’est-à-dire celui qui a fait l’apprentissage de la manœuvre du bord et du commandement, a acquis, comme le chasseur, un bon jarret et un coup d’œil certain. Il a le pied assuré comme le gymnasiarque ; le corps souple et les reins solides comme le cavalier ; la jambe ferme comme le tireur de salles d’armes ; et de plus, il a exercé son esprit et accru son intelligence, car il a dû apprendre cette vaste et difficile science du marin, qui exige une si grande somme de connaissances variées.

Et quand un jeune homme, qui peut se procurer le luxe heureux du yachting, a développé, par cet exercice, ses forces physiques et intellectuelles, que de plaisirs ne l’attendent pas sur son yacht rapide ! Faire un voyage en mer, et commander seul à bord, c’est-à-dire être la loi, le maître de tout un équipage ; — lutter contre les éléments, contre les vents et les flots, et les dominer sans cesse ; — partir, c’est-à-dire laisser derrière soi les ennuis, les tristesses, les obligations de la vie sociale ; — voyager, c’est-à-dire jouir des mille spectacles que donne la mer, tant le jour que la nuit, sous le soleil étincelant, ou à la sereine clarté des étoiles ; — franchir à travers l’Océan des parages inconnus, où le changeant horizon vous apporte des surprises toujours nouvelles ; — saluer, en passant, des navires de toutes les nations, qui dévorent l’espace, grâce à la vapeur qui les emporte ; — arriver, c’est-à-dire éprouver les satisfactions de l’œuvre accomplie et du danger conjuré ; — enfin, rencontrer au port l’imprévu et l’inconnu : — tels sont les plaisirs qu’assure au jeune yachtman son heureux passe-temps.

Ainsi s’explique la passion que la navigation de plaisance inspire à bien de nos jeunes gens, épris de ce moyen séduisant et poétique de se donner, aux yeux du monde, un relief honorablement conquis.

C’est que le luxe du yachting n’est pas banal. Celui qui lutte, aux jours des solennelles régates, dans un port à la mode ou sur le bassin d’un fleuve, environné par la foule attentive et curieuse ; celui qui navigue sur son joli yacht, tout reluisant de cuivres bien polis, peint de jolies couleurs, se distinguant par ses formes élégantes et fines, et bondissant fièrement sur la lame, entraîné par une machine à vapeur, présent heureux de la science docile, ou poussé par une vaste voilure, qui, de loin, frappe et attire les yeux des mille spectateurs rassemblés sur les rives, n’éprouve-t-il pas un plaisir supérieur à tous les autres ? Et le propriétaire d’un yacht vainqueur à la course maritime, ne doit-il pas ressentir un juste mouvement de fierté satisfaite bien au dessus du plaisir qu’éprouve le sportsman qui ramène à l’écurie, énervé et fumant, son cheval qui vient de triompher sur le turf de Longchamps ?

C’est ce que les Anglais ont les premiers compris ; car c’est en Angleterre qu’a pris naissance et que s’est développé d’abord le genre de sport qui nous occupe. Vers 1820, le nombre des yachts qui se trouvaient à flot dans le Royaume-Uni était déjà d’une cinquantaine. En 1850, il atteignait le chiffre de 500, et depuis il s’est accru dans de vastes proportions ; de sorte qu’en 1878, il atteignait le nombre de 3 268. Nous devons dire pourtant que dans ce dernier chiffre, les yachts à vapeur ne figuraient que pour 282.

La flotte des yachts de plaisance emploie aujourd’hui, en Angleterre, près de 10 000 marins.

Le développement rapide qu’a pris en Angleterre la navigation de plaisance est dû à l’institution de nombreuses sociétés de yachtmen, dans toute l’étendue du Royaume-Uni. Ces sociétés encouragent par des prix le développement de ce sport. Le chiffre total des prix qu’elles ont décernés s’est élevé, en 1888, à 13 300 livres sterling (335 825 francs).

Les Américains, dont on connaît l’esprit de progrès, ne sont pas restés en arrière du mouvement né chez les Anglais. Les bateaux de plaisance sont très nombreux aux États-Unis, et dans plusieurs circonstances les Américains ont démontré leur supériorité sur les Anglais, par des courses restées célèbres dans les annales du yachting.

Le yachting est relativement récent en Amérique, car c’est seulement en 1847 que se forma la première société nautique américaine, le New-York yacht-club. Au fur et à mesure que cette société se développa, il s’en créa d’autres (une centaine au moins) parmi lesquelles nous citerons le Brooklyn et le Boston yacht-club.

En France, les progrès de la navigation de plaisance ont été plus lents qu’en Angleterre et en Amérique. Aux expositions de 1867 et de 1878, on put voir de remarquables constructions navales de plaisance, et actuellement nous n’avons rien à envier aux Anglais ni aux Américains, en ce qui concerne le sport nautique.

Le yacht-club français a vigoureusement secoué la torpeur nationale, et a fini par acquérir une grande importance. Il compte parmi ses membres, indépendamment de yachtmen distingués, des officiers de marine, dont plusieurs amiraux, qui lui ont apporté leur profonde connaissance du métier de la mer.

À côté de la navigation de plaisance à voile et à vapeur, il faut placer le canotage à l’aviron, le rowing, comme l’appellent les Anglais, qui est également fort en honneur de l’autre côté de la Manche. De nombreuses sociétés de rowing existent en Angleterre. Les plus célèbres sont celles des universités d’Oxford et de Cambridge, qui, tous les ans, se livrent à une lutte homérique sur la Tamise.

Voici, par ordre d’ancienneté, les noms des plus importants clubs de yachting et de rowing anglais :


Royal Cork d’Irlande, fondé vers 1720
Royal Yacht Squadron en 1815
Royal Thames Yacht club en 1823
Thames rowing club en 1840

En France, le rowing a pris une grande extension, comme le prouvent les nombreuses embarcations de course à l’aviron qui sillonnent nos rivières et nos canaux, ainsi que la quantité de sociétés de rowingmen qui se sont fondées dans notre pays, et dont les plus remarquables sont le Rowing-Club, le Cercle nautique de France, le Sport nautique de la Gironde, etc., etc.

Les autres nations européennes se sont lancées dans le même mouvement à la suite de l’Angleterre et de la France. L’Italie et la Suisse occupent une place fort honorable dans le yachting et le rowing européens.


D’après l’objet spécial de cette Notice, nous devons nous renfermer dans l’examen du yachting à vapeur. Cependant, pour la clarté de nos descriptions, il ne sera pas inutile de jeter un coup d’œil, avant de passer à l’étude spéciale des yachts à vapeur, sur les types d’embarcations les plus répandus dans la navigation de plaisance à voile et à l’aviron.

Les types les plus usités, comme bateaux de mer à voile ou à l’aviron, sont les goélettes ou schooners, les yawls, et les cotres ou cutters ; et en rivière, les clippers à dérive.

Fig. 201. — Un schooner (goélette de plaisance).

Les goélettes (fig. 201) portent deux mâts gréés chacun d’une brigantine et d’une flèche, et quelquefois un phare carré au mât de misaine. Le grand mât se place juste au maître-couple et le mât de misaine très en avant. À l’avant est un beaupré, portant focs et trinquettes. Les cotres ou clippers de mer (fig. 202) et les yawls (fig. 203) ont un gréement analogue, composé d’un mât portant brigantine et flèche et quelquefois un hunier et un beaupré ; les yawls ont en plus à l’arrière un mâtereau portant une petite voile dite tapecul.

Fig. 202. — Cotre, ou clipper de mer (de 10 mètres).
Fig. 203. — Un yawl.

Les clippers de rivière sont généralement gréés en houari (fig. 204), c’est-à-dire ont une grande voile triangulaire, portée par un petit mât, et un beaupré portant un foc.

Fig. 204. — Un houari.

Ce n’est pas ici que nous pouvons entrer dans le détail des particularités que présentent la construction de ces bâtiments à voiles. Bien que le sujet soit plein d’intérêt, nous nous bornerons à dire que l’on cherche surtout à donner aux yachts de mer des lignes d’eau très fines, peu de largeur, une voilure énorme, et que la stabilité s’obtient par une quille très haute et lestée fortement au moyen de feuilles de plomb.

Quant aux voiliers de rivière, ils portent généralement une quille mobile, appelée dérive, qui permet d’augmenter à volonté le tirant d’eau et la stabilité du bateau.

Les bateaux couramment employés en rivière, pour le canotage à l’aviron et les courses, sont la yole-gig, le skiff, l’outrigger et la périssoire ; puis des embarcations diverses se rapprochant des canots des navires de mer, et qui sont employées à la promenade.

La yole qui reçoit de un à quatre rameurs, est représentée (fig. 205).

Fig. 205. — Yole.

Le skiff (fig. 206) diffère de la yole par sa plus grande longueur, son étroitesse, son pont avant et arrière en taffetas imperméable, ses grands porte-nage en fer, et la fargue qui entoure la chambre de nage. C’est un véritable kaïak esquimau perfectionné.

Fig. 206. — Skiff.

Quant à la périssoire (fig. 207), c’est une embarcation extrêmement légère et mobile.

Fig. 207. — Périssoires.

Nous arrivons aux yachts à vapeur. Pour faciliter leur étude, nous les classerons en trois catégories :

1o Yachts de mer.

2o Yachts de rivière proprement dits.

3o Canots à vapeur.


yachts de mer.

Les caractères distinctifs des yachts de mer se rapprochent considérablement de ceux de la marine de guerre, c’est-à-dire qu’ils doivent être, autant que possible, rapides à la voile ainsi qu’à la vapeur. Outre ces qualités, on exige d’eux un confortable qui n’existe pas sur les bâtiments de guerre.

Au milieu d’une réunion de navires de tout genre, le yacht se distingue au premier coup d’œil. Il a ce que les Anglais appellent le yacht-like (l’air d’un yacht). L’élégance de ses formes, son avant, ordinairement terminé par une guibre de clipper très élancée ; son arrière très fin et comportant une longue voûte ; sa cheminée, de couleur claire ; sa mâture très inclinée sur l’arrière ; les embarcations souvent en bois naturel verni ; les cuivres resplendissants ; le pont, toujours d’une blancheur éclatante, tous ces signes sont tellement caractéristiques qu’on ne s’y trompe jamais.

Parmi les grands yachts à vapeur, nous citerons, par ordre de construction, d’abord le yacht de M. Perignon, la Fauvette, qui avait été construite, en 1869, au Havre. C’était un bâtiment jaugeant 250 tonneaux, mesurant 38 mètres de longueur sur 6,15 de largeur et 3,60 de creux, gréé en goélette et pourvu d’une machine compound de 200 chevaux, qui lui donnait une vitesse de 10 nœuds ½. Inutile de dire que les aménagements très bien étudiés étaient dignes du vice-président du yacht-club de France.

Nous citerons ensuite l’Anthracite, qui inaugura le système de la triple expansion de la vapeur, avec ses chaudières et ses machines du système Perkins.

Viennent après, la Bretagne, qui est, avec le yacht de M. van der Bilt, l’Alva, le plus grand yacht actuellement à flot.


L’Henriette de M. H. Say, mérite une description spéciale.

Ce bâtiment qui a été construit en Amérique, est en bois doublé de cuivre. Il mesure 52m,50 sur le haut, 58 mètres de tête en tête, et 47 mètres à la flottaison, avec 258 tonneaux de jauge. Il est mû par une machine à vapeur compound à 2 cylindres, de 208 chevaux, recevant la vapeur de 2 chaudières à 2 foyers chacune. L’hélice a quatre ailes, de 2m,74 de diamètre.

Cinq embarcations, dont une chaloupe à vapeur, pendent à des supports ; un guindeau à vapeur sert à démouiller. L’équipage se compose de 30 hommes, y compris le capitaine.

L’installation, qui est des plus luxueuses, comporte, en outre des cabines, un grand salon, servant aussi de bibliothèque. On accède aux cabines par deux escaliers à rampes nickelées.

Ensuite viennent l’Eros, appartenant à M. de Rothschild ; le Wanderer à M. Lambert ; ensuite le Miranda, construit par Thornycroft, qui atteint la vitesse de 16 nœuds ¼ (30 kilomètres à l’heure) et qui peut être considéré, tant au point de vue de la vitesse que de la disposition de son appareil moteur, comme le prototype des torpilleurs actuels.

On doit citer encore le Giralda, la Phupie, Pyrrha, Nubienne, Margaret, Nemo, Civile.

Parmi les plus récents, signalons le Lady Torfryda, appartenant à M. Pearie, directeur des chantiers John Elder, de Greenwich, et le plus important des yachts qui aient été lancés sur la Clyde. Sa coque, en acier, mesure 61m,16 de long sur 7m,64 de large et 4m,57 de creux. Il déplace 610 tonnes. Il possède un guindeau et un appareil de gouvernail à vapeur. Le bronze manganésique remplace le fer pour tout ce qui est placé sur le pont. Les aménagements sont des plus riches et des mieux compris. Les boiseries sont en essences précieuses, les tentures en soie et en brocatelle.

La machine compound, à 3 cylindres, développe 1 020 chevaux de force, et actionne une hélice en bronze manganésique de 3m,35 de diamètre et de 4m,28 de pas, qui imprime au navire une vitesse de 15 nœuds à toute vitesse, et de 13 nœuds et demi en marche normale.

Deux chaudières en acier fournissent la vapeur à 7 kilogrammes et demi de pression.

Fig. 208. — L’Eros, yacht de M. de Rothschild.

Le Nouvel Eros (fig. 208), appartenant à M. le baron de Rothschild, a été construit en Angleterre, chez MM. Shutleworth et Chapmann, et terminé par M. Nicholson, de Gosport. Les machines sortent des ateliers Day et Simmers, à Southampton. Elles sont du système compound, à deux cylindres. Les plus grands perfectionnements ont été apportés à sa construction, tant au point de vue marin, qu’au point de vue de l’habitation. Sa vitesse atteint 14 nœuds. Ses dimensions sont :


74 mètres de longueur.
8m,44 de largeur.
8m,60 de creux.


Le gréement est celui d’une goélette latine.

Fig. 209. — Le Korrigan, ou Saint-Joseph.

Le Korrigan (fig. 209) a fait un certain bruit dans le monde des yachtmen, sous le nom de Saint-Joseph. Entièrement de construction française et d’après les résultats remarquables qu’il a fournis, il nous intéresse particulièrement.

Le Saint-Joseph, construit aux chantiers de la Loire, et lancé en 1878, appartenait au marquis de Préaulx. Il devint, en 1884, la propriété du comte de Montaigu. Voici son signalement :


Longueur à la flottaison 
45m,00  
totale 
52  ,20  
Largeur 
6  ,28  
Tirant d’eau arrière 
3  ,10  
avant 
1  ,83  
Déplacement 
308 tonneaux.

La machine compound, à deux cylindres, développe 2 400 chevaux de force.

Voici ses éléments principaux :


Diamètre petit cylindre. 
0m,520  
grand cylindre 
0  ,880  
Course des pistons 
0  ,650  
Surface de chauffe 
120m,80    
Hélice à 4 ailes 
2m,60 de diamètre.
Vitesse aux essais 
14 nœuds.  

Ce yacht, qui obtint à Nice, en 1883, le grand prix international, a toujours montré de belles qualités marines et porte superbement la voile. Il a effectué une traversée de 220 milles, en 48 heures, sans le secours de sa machine ; ce qui donne une vitesse de quatre nœuds un dixième, très beau résultat pour un steamer, car les navires de ce genre n’ont guère de qualités à la voile.

Le Korrigan a été acheté en 1886, par la Compagnie minière du Boléo, pour faire le service des passagers et des marchandises dans la mer Vermeille (Californie).

Fig. 210. — L’Alva.

Nous citerons encore la Némésis, à M. Albert Menier — le Sans-Peur à M. Fould — enfin, l’Alva à M. van der Bilt (fig. 210), le plus grand des yachts à flot. Il mesure :


87m      de longueur de bout en bout.
76  ,85                     à la flottaison.
9  ,80 de largeur.
5  ,80 de creux.
4  ,88 de tirant d’eau.

Pourvu d’une machine Compound, à 3 cylindres, il donne une vitesse de 15 nœuds, quoique le propriétaire ne se soit attaché à vouloir qu’un bon bateau qui pût faire une longue traversée et fût muni de vastes et confortables aménagements. Rien ne manque, en effet, sur ce navire, et ce n’est pas sans raison que les Américains l’ont surnommé le roi des yachts.


yachts de rivière.

Le yacht de rivière doit, avant tout, présenter un faible tirant d’eau, et comme dans la plupart des cas, soit par suite de l’étroitesse du chenal, soit à cause des coudes fréquents de la rivière, il est impossible de lui donner de grandes dimensions, sa vitesse est modérée. Une autre cause qui oblige à réduire la vitesse des yachts de rivière, c’est le dégât produit sur les berges par le remous des bateaux rapides. En général, on recherche aussi pour le bateau de rivière une certaine économie de construction, et une grande simplicité de machine.

Aussi rencontre-t-on presque toujours des machines à haute pression, sans condensation. Cependant, depuis quelque temps les amateurs de navigation fluviale ont cherché à rendre l’instrument de leur sport favori plus économique ; et pour cela, ils ont adopté les machines Compound.

Parmi les grands yachts de rivière, nous nommerons le Voltigeur, appartenant à M. Varennes. C’est un grand bateau en fer, à roues ; et c’est peut-être le seul bateau de plaisance de rivière français qui ait adopté ce mode de propulsion.

Le prince Alexandre Ier de Bulgarie a fait construire en France, dans les chantiers de la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée, situés à la Seyne, près Toulon, un bâtiment de plaisance destiné à la navigation du Danube, et que nous représentons dans la figure 211.

Fig. 211. — Le Yacht de rivière, Alexandre Ier.

Ce yacht qui, par son élégance et sa richesse, peut rivaliser avec tout ce qui a été construit de plus beau jusqu’à ce jour, est en acier et il est mu par des roues.

Destiné à naviguer sur un fleuve dont la profondeur est très variable, il a un tirant d’eau très réduit, qui lui permet de remonter jusqu’aux parties des fleuves qui n’ont que 1m,25 de profondeur d’eau.

La coque, dont les lignes ont été étudiées et tracées avec le plus grand soin, dans le but d’utiliser de la meilleure manière possible la puissance de la machine motrice, est tout entière en acier.

Les dimensions principales du bateau sont les suivantes : la longueur extrême est de 65 mètres ; la largeur, hors membres, 7m,50. La largeur, hors tambours, s’élève à 13m,20. Quant au tirant d’eau maximum, il ne dépasse pas 1m,22.

Dans les installations intérieures, les constructeurs ont fait preuve d’un goût parfait pour l’ornementation.

Sur le pont, à l’arrière, s’élève un long roof, dont la partie supérieure, qui se prolonge jusqu’en abord, forme une charmante plate-forme, servant de promenade.

Ce roof contient, à l’avant, un petit salon, réservé au prince. Les menuiseries sont en acajou ; les panneaux sont tendus d’incrusta-walton, et les canapés, qui tiennent toute la largeur des façades avant et arrière, sont tendus de velours frappé vert émeraude.

À la suite, on rencontre le vestibule de descente aux appartements du prince, éclairé par une claire-voie polygonale. Les menuiseries sont en frêne de Russie, relevées par des baguettes d’amarante. Un large escalier donne accès aux logements du prince et de sa suite.

Enfin, dans le roof arrière se trouve la salle à manger, du style Louis XIII, largement éclairée par une vaste claire-voie et par six fenêtres à coulisses.

La table, où peuvent prendre place quatorze personnes, ainsi que la cheminée, qui est placée au fond, et qui porte, sculptées sur bois, les armes de la principauté de Bulgarie, sont aussi en noyer ciré, et ont été dessinées avec beaucoup d’élégance.

Les appartements destinés au prince de Bulgarie et à la princesse sont situés dans l’entrepont ; on y accède par un large escalier donnant dans le vestibule du roof. Les deux logements sont juxtaposés, et identiques comme installation.

Les chambres à coucher sont en érable verni relevé par des filets amarantes. Elles sont tendues en incrusta-walton, d’une grande richesse.

À la suite, vers l’arrière du navire, se trouvent les cabines réservées à la suite du prince.

Enfin, à l’extrême-arrière, un petit salon de conversation, destiné aux officiers.

Dans le milieu du navire sont installés les appareils moteurs et évaporatoires, qui actionnent les roues. La machine à vapeur, du système Compound, à condensation par surface, est à deux cylindres, inégaux, inclinés et juxtaposés, et à connexion directe.

Dans le but de réduire le plus possible le poids des appareils, et de leur donner la plus grande légèreté, la fonte a été presque entièrement proscrite, et toutes les pièces un peu importantes ont été faites en fer ou en acier poli.

À l’avant des machines et chaudières, on a placé quatre chambres à coucher, disposées autour d’un petit carré, pour le commandant du yacht et les officiers du bord.

Immédiatement à l’avant du logement des officiers, est un poste, renfermant dix couchettes pour les gens de service. Enfin à l’extrême-avant, un poste pour l’équipage et les chauffeurs.

La mâture se compose de deux petits mâts, portant chacun une petite voile goëlette.

Avant de partir pour Routschouk, le yacht fit ses essais de vitesse, aux îles d’Hyères. Les résultats furent extrêmement satisfaisants. La vitesse stipulée dans le contrat n’était que de 11 nœuds, 75 ; le bateau a filé, sur la base de la marine militaire française, une vitesse moyenne de 13 nœuds et demi.

Quant à la consommation de charbon, elle n’a pas dépassé 0 kgr. 850 par cheval et par heure.


À côté de ce bateau princier, nous en citerons d’autres, de dimensions plus modestes, mais non moins intéressants, car leur modèle est accessible, par son prix, à un grand nombre d’amateurs, qui ne peuvent songer à faire construire de grands yachts. Tels sont : l’Etincelle, le Trois-Etoiles, le Colibri, et tant d’autres, que connaissent bien ceux qui fréquentent les parages d’Asnières et d’Argenteuil.


canots à vapeur.

Nous donnerons la description de quatre canots à vapeur récemment lancés, et qui sont remarquables, soit par leur vitesse, soit par leur construction.

Ce sont les canots de MM. Simpson et Denison de Darmouth, construits par M. Mors, et dont un, le Microbe, fut très remarqué à l’Exposition du travail ; puis le Petit Edmond, de M. Abel Pifre, la Pâquerette, de M. Besson, enfin la yole à vapeur de MM. Trépardoux.

Fig. 212. — Machine à vapeur du canot de MM. Simpson et Denison, construit par M. Mors (Demi-vue extérieure et demi-coupe). Fig. 213. — Élévation latérale de la machine.

Les canots de MM. Simpson et Denison, de Darmouth, sont surtout très remarquables par leur machine Wolf, système Kingdon. Dans ces machines, ainsi que le représentent les figures 212 et 213, les cylindres à haute pression, A, A, sont superposés aux cylindres de détente, B, B, avec tige de piston commune, T. Les deux cylindres et la boîte à tiroir sont fondus d’un seul jet ; les deux cylindres sont séparés par un fond c rapporté dans l’intérieur du cylindre de détente, et portant une douille d, dans laquelle passe la tige du piston. Cette tige présente une disposition très originale, qui supprime le presse-étoupe. À cet effet, la tige porte, sur toute la longueur t comprise entre les deux pistons, une série de rainures circulaires. Si la vapeur pénètre dans une des rainures, par suite du jeu dans la douille, en passant d’une rainure à l’autre, elle se détend, et finit par ne plus avoir une tension suffisante pour amener une perte de force appréciable. D’ailleurs cette fuite ne peut avoir d’inconvénient que lorsque la vapeur de la chaudière agit sur la face inférieure du petit piston, et que, pendant ce temps, la partie supérieure du grand cylindre est en relation avec le condenseur, c’est-à-dire pendant un demi-tour seulement. Pendant l’autre demi-tour, le bas cylindre d’admission et le haut cylindre de détente étant en communication par le tiroir, une fuite par la tige n’a aucune importance.

La distribution de vapeur se fait au moyen d’un seul tiroir E, à orifices multiples ; ce qui diminue le nombre de pièces de la distribution et simplifie le réglage. De plus, la vapeur d’échappement du petit cylindre, étant en contact, à travers le dos du tiroir, avec la vapeur d’admission, elle se réchauffe, et agit, par suite, beaucoup mieux dans le grand cylindre.

Le changement de marche s’opère au moyen de deux paires d’excentriques FF et d’une coulisse de Stephenson J. Le palier de butée, P, de l’arbre moteur, fait partie du bâti de l’appareil.

Une autre particularité de cette machine consiste dans son condenseur à surface, qui se compose simplement d’un tube placé à l’extérieur de la coque, le long de la quille, et qui, par suite, reçoit le maximum de refroidissement. On obtient, par ce système, un excellent vide.

Les pompes à air et alimentaires ont reçu des dispositions spéciales de clapets, qui leur permettent de marcher à 4 et 500 tours d’une façon très satisfaisante.

Les canots Simpson et Denison ont une chaudière tubulaire verticale, très soigneusement étudiée, mais à laquelle on fait le reproche d’avoir des tubes trop minces ; ce qui empêcherait de forcer le feu, si besoin était.

La coque de ces canots est ordinairement en acajou, avec dernier bordage supérieur, ou préceinte, en bois de teck. Les quilles, étrave et étambot sont en chêne, les membrures en acacia. Tout l’ascastillage intérieur est en acajou.

Fig. 214. — Canot à vapeur de M. Abel Pifre.

Dans le Petit-Edmond (fig. 214), M. Abel Pifre s’est attaché à créer un type d’embarcation de rivière qui permette au premier venu de se livrer au yachting à vapeur, sans le secours d’un mécanicien. Il lui a suffi, pour cela, d’adapter à un canot le moteur économique dont on lui doit l’invention, et qu’il désigne sous le nom d’automoteur. Nous représentons cet appareil dans les figures 215, 216 et 217, en profil, en coupe et en élévation.

Fig. 215 et 216. — Automoteur de M. Abel Pifre (Profil et Coupe).
a, cylindre. — b, piston. — c, colonne. — d, crosse. — e, bâti. — f, arbre manivelle. — g, volant. — h, bielle. — i, régulateur. — j, pompe alimentaire. — k, condenseur. — l, bâche d’alimentation. — m, sortie d’eau. — n, arrivée d’eau. — o, sonnerie. — p, chaudière. — q, couronne. — r, lyre. — s, registre à tirette. — t, registre à papillon. — u, boîte à fumée. — v, couvercle.
Fig. 217. — Automoteur de M. Abel Pifre (Élévation).

Comme on le voit, le générateur est vertical. Il se compose de deux enveloppes concentriques. Dans le vide central se trouve un cylindre, recevant le combustible, qui brûle, sur la grille inférieure, d’une façon entièrement semblable à celle d’un poêle Choubersky. À la partie inférieure du corps cylindrique intérieur, sont des tubes bouilleurs, qui reçoivent directement le coup de feu, et produisent une vaporisation très active. Les produits de la combustion s’élèvent le long du cylindre à charbon, et s’échappent par la cheminée : le réservoir de combustible peut en contenir pour une marche de 1 heure ½ à 2 heures.

La machine à vapeur est du type pilon, à un seul cylindre. Le cylindre et sa boîte à tiroir, le tiroir et le piston, sont en bronze, et ne reçoivent aucun graissage. La vapeur, après son échappement, se condense dans un tube extérieur. Comme dans le canot précédent, la vapeur est reprise par la pompe alimentaire.

Les légendes qui accompagnent les trois figures se rapportant à cet appareil font connaître la construction et le jeu de chacun des organes qu’il renferme.

On voit que M. Pifre a cherché à rendre le chauffage et l’alimentation automatiques, et qu’il s’est efforcé de supprimer le graissage, qui est si désagréable d’ordinaire. À tous ces points de vue, son canot méritait d’être signalé.

L’absence de tout bruit d’échappement, de toute fumée, de toutes projections d’huile et de mauvaises odeurs, la suppression des soins pénibles de l’entretien du feu, qui sont l’écueil de tous les canots à vapeur ordinaires, la simplicité de conduite, la sécurité et la propreté qui en résultent, permettent la manœuvre du canot par une personne seule.

La Pâquerette, appartenant à M. Bisson, du Cercle de la voile de Paris, a été construit par M. Tatin, ingénieur, et a fait ses essais en 1886, Les conditions imposées aux constructeurs étaient celles-ci : réaliser 16 kilomètres à l’heure, et ne pas dépasser un prix modéré.

La coque de la Pâquerette mesure 12 mètres de longueur, sur 1m,80 de largeur maxima, et 0m,57 de creux, avec un tirant d’eau avant de 0m,75 et arrière de 0m,82. La machine à vapeur, du type à pilon, à un seul cylindre, avec détente Farcot, développe 8 chevaux de force, et reçoit la vapeur d’une chaudière verticale tubulaire, d’un type spécial, de 8 mètres carrés de surface de chauffe. Cette chaudière ne pèse pas plus de 320 kilogrammes, à vide. La machine pèse environ 80 kilogrammes.

La vitesse varie entre 14 et 16 kilomètres ½ à l’heure, ce qui est remarquable pour une embarcation aussi petite.

Après la Pâquerette, nous placerons une embarcation encore plus extraordinaire sous le rapport de la vitesse et des faibles dimensions. C’est la yole de M. Trepardoux, l’Éclair, construite aux chantiers du Petit Gennevilliers, et qui a fait ses essais en décembre 1886.

La coque, en acajou, mesure 10 mètres de longueur, 1m,10 de large, et 0m,65 de tirant d’eau arrière. Elle est mue par une machine à vapeur à deux cylindres inclinés, à pleine pression, marchant à 400 tours, et développant 9 chevaux de force. La chaudière, du système Dion, Bouton, Trepardoux, a 2 mètres carrés de surface de chauffe, et est timbrée à 10 kilogrammes. Le bateau, avec sa machine et sa chaudière, ne pèse, à vide, que 366 kilogrammes. Dans ce poids la machine entre pour 50 kilogrammes et la chaudière pour 200 kilogrammes, soit 30 kilogrammes par force de cheval.

La vitesse a atteint 20 kilomètres, 07 à l’heure, ce qui est un magnifique résultat.


La construction des canots à vapeur a donc fait beaucoup de progrès depuis quelques années. De lourdes et disgracieuses autrefois, les embarcations à vapeur sont devenues élégantes, gracieuses et rapides. Leur coque se fait en acajou ou en bois verni (pitchpin), quelquefois même en acier. La machine à vapeur est une Compound, souvent munie d’un petit condenseur à surface. Les chaudières sont devenues légères et économiques. Aussi, beaucoup d’amateurs les préfèrent-ils souvent à de véritables yachts, pour les excursions en rivière, sur les côtes de la mer, et pour la pêche.

Les canots à vapeur, en raison de leurs petites dimensions, ont été souvent employés pour servir aux essais de propulseurs ou de machines plus ou moins pratiques, destinés aux navires.


À ce propos, il convient de dire que M. Mors, constructeur à Paris, a fait les essais d’un canot à hélice, dont la machine est un moteur à pétrole. Dans cette machine, le pétrole est employé à l’état de vapeur, ou du moins dans un état de division très grand, et il agit dans le cylindre comme le fait le gaz d’éclairage dans le moteur à gaz Otto.


Pour continuer ce sujet, nous signalerons une expérience, étrange et triste à la fois, qui a eu lieu à Asnières, le 10 décembre 1886, et dont les conséquences funestes ont ému un instant le public parisien.

Deux inventeurs, l’un Français, l’autre Roumain, MM. Just Buisson et Ciurcu (prononcez Tchiurcou) étudiaient un propulseur basé sur le principe de la réaction qui accompagne le recul des armes à feu, c’est-à-dire le même effet mécanique qui provoque la marche de l’Éolipyle et qui produit la fusée volante.

Imaginez une grande fusée enfermée dans un canon fixé à l’arrière d’un véhicule quelconque, bateau, aérostat, etc., de telle sorte que sa bouche soit placée dans une direction opposée à la marche que l’on veut produire. Si l’on vient à allumer la fusée, les gaz produits par la combustion de la matière explosive s’échapperont de la bouche du canon, et par la seule force de leur réaction, ils pousseront le canon et le mobile auquel il sera fixé, dans une direction opposée à celle de leur écoulement.

Les deux inventeurs de ce système, — quelque peu renouvelé des Grecs, puisque déjà Hiéron, le savant de l’école d’Alexandrie, essayait des moteurs à réaction et à recul, et construisait l’éolipyle, — ne prenaient aucun point d’appui sur l’eau, le bateau n’ayant ni rames, ni roues, ni hélice. C’est l’effet de recul produit par les gaz détonant à l’air, qui produisait le mouvement d’arrière en avant, absolument comme le recul d’un canon. Seulement, au lieu de canon, les inventeurs avaient un récipient en bronze, dans lequel brûlait la composition destinée à produire les gaz moteurs. Ce récipient possédait, à l’arrière, un orifice, qui pouvait être rétréci au besoin, à l’aide d’un papillon, semblable à celui que l’on emploie pour modérer la marche des machines à vapeur. Un manomètre placé sur le récipient indiquait, à tout instant, la tension des gaz.

Plusieurs essais avaient été faits du 3 août au 10 décembre 1886, et avaient plus ou moins bien réussi.

Lors de l’expérience du 10 décembre les inventeurs avaient installé sur leur yole deux récipients : le premier destiné à contenir la matière fusante, le second servant d’accumulateur des gaz. Malheureusement, par une fatale idée, ils avaient remplacé le papillon primitif, qui se manœuvrait de l’extérieur, à l’aide d’un levier, par une valve intérieure, pourvue d’un volant à vis. Cette modification fut la cause de la catastrophe.

La yole était montée par M. Buisson, qui se tenait à l’accumulateur, par M. Ciurcu, qui manœuvrait le générateur de gaz, et par un jeune homme que l’on avait pris à Asnières et qui tenait le gouvernail depuis l’avant, au moyen de deux cordelettes, ou tireveilles.

Pour faire marcher le bateau, M. Buisson mit le feu aux produits explosifs. Mais il lui fut impossible de faire manœuvrer la valve du récipient. La pression dans les deux cylindres atteignit, dès lors, très rapidement une tension formidable : plus de 20 atmosphères (soit près de 100 000 kilogrammes). La machine éclata, le générateur de bronze vola en éclats, tua le pilote, et blessa mortellement M. Buisson. Quant à l’embarcation, elle fut mise en pièces. M. Ciurcu seul échappa à la mort, grâce au manomètre qui lui indiquait la tension excessive des gaz ; ce qui lui permit de se jeter à temps de côté. Il en fut quitte pour tomber à l’eau, avec de fortes brûlures.

Quant au jeune pilote d’Asnières, on n’en retrouva pas une trace : il fut escamoté, suivant l’expression de M. Ciurcu, dans la relation qu’il a donnée de l’accident.


Nous venons de décrire les divers types de bâtiments, ou bateaux de plaisance, depuis le modeste canot à vapeur, portant une ou deux personnes, jusqu’aux grands yachts à vapeur, au nombreux équipage, et dont l’entretien exige des fortunes princières, en passant par toute une série de bateaux des tonnages les plus divers. La construction de ces navires et de ces embarcations à voile ou à vapeur constitue une branche nouvelle et spéciale de l’art des constructions navales, et représente un chiffre considérable de travail et de capitaux.

Nous ne terminerons pas ce qui concerne le sport nautique, sans faire remarquer qu’il y a une grande rivalité entre les partisans du yachting à la voile et du yachting à vapeur. La navigation de plaisance à voile compte beaucoup d’amateurs passionnés, qui ne cachent pas leur dédain pour le sport à vapeur. La vérité est entre l’une et l’autre opinion. Sans doute, la navigation à la voile procure tous les plaisirs et toutes les émotions de la mer, en même temps qu’elle exerce utilement les forces musculaires, par le mouvement en plein air et l’emploi d’une grande somme d’activité physique. Mais le yacht à vapeur réunit en sa faveur bien des avantages. Un yacht à vapeur est assurément beaucoup plus cher qu’un yacht à la voile, et son entretien est fort coûteux. Mais quelle facilité il offre à la navigation de plaisance ! Les marées, les vents contraires, les calmes prolongés, qui arrêtent la navigation à la voile, ne suspendent pas un seul moment la marche d’un yacht à vapeur. Souvent, un yacht à voile est immobilisé, en pleine Méditerranée, pendant des semaines entières ; et celui qui se voit condamné à rester en panne, sous un soleil de feu, avec des vivres en quantité insuffisante, regrette souvent que son cotre ou sa goélette ne puisse se transformer en un yacht à vapeur, qui le soustrairait à cette situation pénible.

En résumé, le sport nautique à la voile convient aux jeunes hommes qui aiment la vie à la mer et l’existence du matelot, à ceux qui se plaisent à exécuter les manœuvres du bord, à se mouiller d’eau salée, à briser leurs membres, pour se préparer aux jours solennels des fêtes et des luttes des régates. Au contraire, le sport nautique exécuté sous l’égide et avec le concours puissant et sûr de la machine à vapeur est l’apanage des touristes sérieux, qui veulent naviguer commodément, avec sécurité, et entreprendre de longues excursions à travers les mers.

Est-il rien de plus agréable que de posséder un yacht à vapeur ? Et quel plaisir sans pareil que de faire, en compagnie de bons et jeunes amis, une croisière de quelques mois, à travers la Méditerranée, dans les mers du Nord, et même de franchir l’Atlantique ! Les riches particuliers peuvent seuls se procurer ces fantaisies charmantes, qui demandent beaucoup de loisirs et une grande fortune.

Nous, cependant, les pauvres ouvriers de la plume, de l’outil, ou de la charrue, considérons d’un œil exempt d’envie les luxueuses distractions permises aux heureux de ce monde, et reprenons le joug de la tâche accoutumée, en nous disant, toutefois, qu’il y a quelque chose de supérieur à la richesse et aux plaisirs : c’est le travail et l’espérance.

fin du supplément aux bateaux à vapeur.
  1. Tome I, pages 245 et suivantes.
  2. Tome I, page 234.
  3. Tome I, page 134.
  4. Ce nom vient de ce que les cylindres, directement placés au-dessus des coudes de l’arbre, se présentent de façon à rappeler la disposition des marteaux-pilons à vapeur.
  5. Ce mot tandem est emprunté au sport hippique. On appelle attelage tandem celui dans lequel les chevaux sont attelés les uns à la suite des autres, et par unité. Une machine à vapeur tandem est une machine Compound dans laquelle les cylindres à vapeur se trouvent à la file, deux à deux, en ligne droite.
  6. Mémoire de M. Hall à la North-East Coast Institution of Engineers and shipbuilders.
  7. Tome Ier, page 228 et suivantes.
  8. Tome Ier, page 230 et suivantes.
  9. Page 123, figure 117.
  10. Tome Ier, page 231.
  11. Une prime considérable est allouée au bâtiment qui apporte de la Chine à Londres la première cargaison de thé de la saison.
  12. Tome Ier, pages 255-256.