Les Merveilles de la science/La Locomotive et les chemins de fer - Supplément

Furne, Jouvet et Cie (Tome 1 des Supplémentsp. 251-316).
SUPPLÉMENT
à
LA LOCOMOTIVE
et aux
CHEMINS DE FER

Dans notre Notice sur la Locomotive et les Chemins de fer des Merveilles de la science[1], nous avons donné l’histoire complète de l’invention et des progrès des chemins de fer, depuis leur origine, en 1829, avec Marc Seguin et Stephenson, jusqu’à l’année 1870, avec Crampton, Lechâtellier et Polonceau. Nous avons également exposé la construction des voies ferrées en général, et décrit le matériel roulant, c’est-à-dire les locomotives et les wagons.

Dans le présent Supplément, nous avons à faire connaître les progrès accomplis par l’industrie des chemins de fer depuis l’année 1870 jusqu’au moment présent.

Ces progrès peuvent se résumer en deux faits principaux :

Accroissement dans la vitesse des trains ;

Accroissement dans la sécurité des transports.

La création des trains rapides, qui remonte à l’année 1875 environ, a été la conséquence de la construction des nouvelles locomotives à grande vitesse.

La sécurité, à peu près complète, acquise désormais aux transports par les voies ferrées, tient à trois inventions capitales, que nous aurons à faire connaître successivement, à savoir :

1o Les freins instantanés agissant par le vide ou par l’air comprimé.

2o L’aiguillage mécanique, ou enclenchement, exécuté dans un centre commun, au moyen de leviers confiés à un seul aiguilleur, logé dans une cabine spéciale, c’est-à-dire dans un poste-vigie, et qui est combiné mécaniquement de telle sorte que l’aiguilleur ne peut mettre en action que le levier utile, et par le même mouvement, immobilise tous les autres leviers.

3o Le block system, c’est-à-dire le sectionnement de la voie en espaces de longueur que les trains ne peuvent parcourir qu’un à un, quand ils marchent dans le même sens.

D’après cela, nous distribuerons en quatre Sections ce que nous avons à dire pour faire connaître les perfectionnements apportés aux locomotives et aux chemins de fer depuis l’année 1870 jusqu’à ce jour. Ces Sections auront les titres suivants :

I. Perfectionnements apportés aux locomotives à grande vitesse.

II. Freins instantanés.

III. Aiguillage central et enclenchements.

IV. Block system.

Le matériel roulant, c’est-à-dire les voitures, wagons et trucks, n’ayant reçu, du moins en France, aucune modification essentielle, depuis l’année 1870, et la construction des voies ferrées n’ayant été l’objet d’aucun perfectionnement particulier pouvant intéresser nos lecteurs, les quatre Sections énoncées ci-dessus suffiront à l’objet de ce Supplément.

Comme application pratique des perfectionnements apportés à la locomotive et à l’exploitation des chemins de fer, nous étudierons, dans une dernière Section, les trains rapides.




CHAPITRE PREMIER

perfectionnements généraux apportés aux locomotives à grande vitesse.

En 1870, les locomotives encore généralement employées pour les trains express se rapprochaient toutes, plus ou moins, du type Crampton, que nous avons décrit et représenté dans les Merveilles de la science[2], et qui avait dû à ses éminentes qualités son adoption sur presque tous les réseaux français et étrangers. Ce type de locomotive, dont le poids ne dépassait jamais 32 à 35 tonnes, est caractérisé par l’existence d’un seul essieu moteur, et par un mécanisme ayant son centre de gravité assez bas pour répondre à toutes les conditions qu’exigeait la traction à grande vitesse de trains légers dont le poids ne dépassait jamais 90 à 95 tonnes.

Comme on ne songeait pas encore à créer des trains rapides, ni de longs convois de voitures de toutes classes, représentant un poids énorme, la locomotive Crampton suffisait aux besoins du service. Mais de nos jours, le développement des réseaux, l’augmentation rapide et incessante du trafic, l’introduction des voitures de deuxième classe dans la formation des trains express, enfin l’accroissement du poids des voitures, occasionné par l’augmentation de confort, ont nécessité la création de nouvelles machines capables de remorquer, avec une aussi grande et même une plus grande vitesse, des trains dont le poids a presque aujourd’hui doublé et dépasse 140 tonnes.

Il a donc fallu modifier la construction des locomotives de façon à augmenter les deux éléments de leur puissance, à savoir leur effort de traction et leur adhérence.

Le premier résultat a été obtenu en élevant la pression de la vapeur et en donnant de plus grandes dimensions aux cylindres. De là la nécessité d’avoir de grands foyers pour les chaudières à vapeur, des grilles plus grandes, des tubes plus longs, et finalement, augmentation du poids de la machine. On est ainsi arrivé à construire des locomotives à grande vitesse qui pèsent jusqu’à 45 tonnes, et peuvent développer un effort de traction de 4 000 kilogrammes et plus.

Cette augmentation considérable de poids (qui n’a pas été sans influence sur l’adoption définitive du rail en acier) a eu naturellement pour conséquence d’accroître l’adhérence de la machine ; mais ce qui a permis surtout d’augmenter l’adhérence, c’est la révolution capitale qui s’est faite dans la construction des locomotives, par l’abandon définitif de l’essieu indépendant, et l’accouplement de deux essieux, au moyen de bielles, de manière à utiliser le plus grand poids adhérent possible, sans charger la voie outre mesure. Le poids adhérent qui ne pouvait pas dépasser 16 tonnes, dans les machines Crampton, a pu ainsi être doublé, et il a atteint aujourd’hui 25 à 30 tonnes, grâce aux deux essieux moteurs.

D’autre part, les progrès réalisés dans la fabrication de l’acier, et la nécessité d’augmenter la résistance des pièces, sans les alourdir d’une façon exagérée, ont amené la substitution de l’acier au fer, dans un grand nombre d’organes de la locomotive.

Ajoutons que l’ancien levier de mise en marche, lourd et d’autant plus incommode et dangereux à manœuvrer, pour le mécanicien, que la machine est plus puissante, a été remplacé par le changement de marche à vis, commandé par un simple volant à manettes.

Enfin, on a également cherché à diminuer la dépense de combustible, soit en perfectionnant les foyers, pour leur permettre de brûler des charbons de toute provenance, soit en essayant d’appliquer aux locomotives le système Compound, qui donne de si beaux résultats, au point de vue de l’économie, dans les machines à vapeur fixes et les machines marines.

Tous les efforts poursuivis parallèlement par les différentes Compagnies des chemins de fer ont amené l’adoption d’un certain nombre de types de machines à grande vitesse, réalisant le programme proposé, et que nous allons examiner successivement, en décrivant les machines adoptées aujourd’hui par les six grandes Compagnies des chemins de fer français.




CHAPITRE II

les locomotives à grande vitesse des six grandes compagnies françaises.

Machine à grande vitesse de la Compagnie d’Orléans. — La machine à grande vitesse adoptée par la compagnie d’Orléans a été étudiée par M. Forquenot, ingénieur en chef du chemin de fer d’Orléans.

Fig. 218. — Machine à grande vitesse de la Cie d’Orléans.

Cette machine, que nous représentons dans la figure 218, comporte quatre essieux, dont deux essieux moteurs accouplés, et deux porteurs, l’un en avant, l’autre en arrière. Ce dernier est placé sous le foyer, à l’arrière de celui-ci. Il a pour but de diminuer un peu la charge de l’essieu à grandes roues d’arrière, et d’augmenter la stabilité de la machine, pendant les très grandes vitesses, par la suppression du porte-à-faux du foyer et l’augmentation de la base de la machine. Le châssis de la machine étant intérieur, les boîtes à graisse de l’essieu de support d’arrière sont portées par deux petits longerons constituant des portions de châssis extérieurs.

La chaudière est en tôle de fer, le foyer est du système Tenbrinck, comme dans presque toutes les machines de la Compagnie d’Orléans, avec bouilleurs en cuivre, trémie de chargement et grille en éventail, à gradins latéraux. Les tubes sont en laiton ; la cheminée est en forme de tronc de cône ; le régulateur, à tiroir incliné, avec tringle extérieure, est installé dans un dôme de vapeur placé au milieu de la chaudière et muni de deux soupapes de sûreté ordinaires et d’une soupape à ressort à charge directe.

La charge est à peu près également répartie entre les deux essieux accouplés : elle est de près de treize tonnes, pour l’essieu le plus chargé.

Les cylindres sont extérieurs, horizontaux, et placés en avant de l’essieu porteur d’avant. Les tiroirs sont au-dessus, avec double inclinaison d’avant en arrière et de dedans en dehors. Ces derniers sont actionnés par des coulisses renversées, et la manœuvre du levier de changement de marche est à vis et à manette.

L’arbre de relevage général de la coulisse est en dessous, commandé par un mouvement de sonnette, supporté à la partie supérieure du longeron. Cette disposition est nécessitée par la présence de la partie inférieure du corps des cylindres à vapeur, qui descend très bas entre les roues.

L’alimentation de la chaudière se fait au moyen d’un injecteur Bouvret, et d’une pompe à deux pistons.

L’arrière de la machine porte un abri complet, reposant sur les colonnettes de rampe, avec évidements latéraux et renversées.

Le tender est à quatre roues, et d’une contenance d’environ dix mètres cubes d’eau.

Cette machine réalise une vitesse effective de 63 kilomètres à l’heure, avec les trains rapides de Paris à Bordeaux, et elle peut circuler à grande vitesse sur des lignes présentant des inclinaisons de 10 à 16 millièmes, avec courbes de 300 à 500 mètres de rayon.

Voici les principales dimensions de cette locomotive :


Longueur de la machine à l’extérieur des tampons 
9m,344
Nombre des tubes 
177        
Diamètre moyen du corps cylindrique 
1m,250
Timbre de la chaudière 
9k       
Surface de chauffe totale des tubes 
128m,760
Hauteur de l’axe de la chaudière au-dessus du rail 
1m,957
Diamètre des cylindres 
0m,44  
Course des pistons 
0m,65  
Diamètre des roues accouplées 
2m,00  
Diamètre des roues de support 
1m,26  
Poids de la machine en service 
41 800k
Effort de traction 
3 680k
Fig. 219. — Locomotive à grande vitesse de la Cie Paris-Lyon-Méditerranée.

Machine à grande vitesse de la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée. — La machine employée par la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, pour remorquer ses trains rapides (fig. 219), offre une grande ressemblance avec celle que nous venons de décrire. Comme cette dernière, elle présente quatre essieux, dont deux moteurs accouplés et deux porteurs, en avant et en arrière. Les plus notables différences consistent dans la chaudière, dont le foyer a des dimensions beaucoup plus grandes. La grille, du type ordinaire, est très inclinée, avec une petite grille mobile à l’avant. Le régulateur est placé dans un dôme posé sur le milieu du corps cylindrique, et portant deux soupapes de sûreté ordinaires. Le châssis est intérieur, et l’essieu d’arrière est également porté par deux longeronnets extérieurs. Les deux roues motrices, accouplées, ont un diamètre un peu plus grand que celles des machines d’Orléans. Les deux essieux d’avant et d’arrière ont un jeu latéral, réglé par des plans inclinés, pour faciliter l’entrée dans les courbes. Les cylindres sont extérieurs, horizontaux, et en avant de l’essieu porteur d’avant.

Les pistons en fer évidés font corps avec les tiges ; leur garniture est composée de cercles en fonte logés dans les gorges. L’arbre de relevage est aussi à la partie inférieure, mais il est commandé directement par le tirant de changement de marche.

La particularité essentielle de cette machine réside dans les dimensions considérables données aux cylindres à vapeur, dont le diamètre atteint 0m,500 avec une course de 0m,650, et qui permettent de fonctionner par conséquent avec d’aussi faibles admissions de vapeur et d’aussi longues détentes que possible.

Mais c’est évidemment là le reproche que l’on peut faire à ces machines. L’augmentation de poids qui résulte de ces dimensions anormales n’est pas suffisamment compensée par l’économie de vapeur qu’on peut en attendre.

La chaudière est alimentée par un injecteur vertical. Le tender est à 6 roues, d’une contenance moyenne de dix mètres cubes, que l’on peut au besoin porter à douze mètres. La machine est munie d’un simple écran-abri.

Cette locomotive est la plus pesante des machines express en service sur les différentes lignes de chemins de fer français. Elle traîne, à la vitesse de 50 kilomètres, des trains directs de 190 tonnes et à 70 kilomètres, et des trains rapides de 105 tonnes, sur des profils à rampes de 5 millièmes.

Voici ses dimensions principales :


Longueur de la machine à l’extérieur des tampons 
9m,560
Nombre des tubes 
164        
Diamètre moyen du corps cylindrique 
1m,238
Timbre de la chaudière 
9k       
Surface de chauffe totale des tubes 
125m,84  
Hauteur de l’axe de la chaudière au-dessus du rail 
1m,940
Diamètre des cylindres 
0m,50   
Course des pistons 
0m,65  
Diamètre des roues accouplées 
2m,10  
Diamètre des roues de support 
1m,30  
Poids de la machine en service 
44 840k
Effort de traction 
4530k

Machine à grande vitesse de la Compagnie de l’Est. — La machine à grande vitesse, actuellement en service sur le réseau de l’Est (fig. 220), a remplacé la machine du type Crampton, qui était employée exclusivement auparavant pour les trains rapides, lorsque la charge de ces trains était relativement peu considérable. Elle rappelle la machine Crampton par la position de l’essieu moteur, qui est à l’arrière, et par la disposition caractéristique du châssis, composé de longerons intérieurs, pour les grandes roues, et de longerons extérieurs, pour les petites roues. Ces deux longerons, fortement entretoisés, comprennent entre eux les cylindres à vapeur, dont l’attache devient dès lors très facile. Mais la présence du second essieu à grandes roues, destiné justement à donner plus d’adhérence et de puissance à la machine, ne permet plus l’abaissement du corps de la chaudière ; ce qui donnait à la machine Crampton sa grande stabilité, et constituait son avantage essentiel. Néanmoins, la position du foyer, par rapport aux deux essieux accouplés, lui donne une assez grande stabilité, bien qu’elle ne présente qu’un troisième essieu porteur en avant.

Fig. 220. — Machine à grande vitesse de la Cie de l’Est.

Les roues motrices ont un diamètre considérable (2m,30). C’est à peu près le seul reproche que l’on puisse adresser à cette machine, excellente à tous égards. Un diamètre de 2 mètres, ou 2m,10, n’aurait entraîné qu’une augmentation insignifiante dans le nombre des oscillations du piston, et aurait peut-être permis d’abaisser considérablement le centre de gravité de la machine.

Le foyer est carré ; la grille, disposée de façon à pouvoir brûler des combustibles menus, est en trois parties : celle d’arrière, très courte, est une sorte de sole en fonte ; la seconde est formée de barreaux en fer inclinés ; la troisième est une petite grille mobile pour nettoyer le feu. Le corps tabulaire de la chaudière est relativement court, comparé à celui des machines de la Compagnie d’Orléans et de la Méditerranée.

Le régulateur à vapeur est logé dans une boîte spéciale avec tringle extérieure. Il y a, de plus, au milieu du corps cylindrique, un dôme de vapeur portant deux soupapes de sûreté. Une troisième soupape à ressort, directe, se trouve au dessus du foyer.

L’essieu d’avant a un jeu transversal réglé par des plans inclinés interposés entre les coussinets et leurs boîtes. Grâce au système de suspension le poids adhérent total est réparti également entre les deux essieux moteurs à raison de 13 ½ tonnes par essieu.

Les cylindres sont placés entre l’essieu d’avant et l’essieu moteur d’accouplement. Ils sont pris entre le longeron intérieur et le longeron extérieur. Les tiroirs sont au-dessus des cylindres, avec double inclinaison,


comme dans les machines que nous venons de décrire, et ils sont actionnés par des coulisses renversées. La machine a un abri complet, évidé sur les côtés.

Le tender est à quatre roues : sa contenance est de dix mètres cubes d’eau.

Voici les dimensions principales de cette locomotive :

Longueur de la machine à l’extérieur des tampons 
8m,435
Nombre des tubes 
206        
Diamètre moyen du corps cylindrique 
1m,268
Timbre de la chaudière 
9k       
Surface de chauffe totale des tubes 
108m,16  
Hauteur de l’axe de la chaudière au-dessus du rail 
2m,100
Diamètre des cylindres 
0m,45  
Course des pistons 
0m,64  
Diamètre des roues accouplées 
2m,30  
Diamètre des roues de support 
1m,35  
Poids de la machine en service 
38 490k
Effort de traction 
3 300k
Fig. 221. — Machine à grande vitesse de la Cie du Midi.

Machine à grande vitesse de la Compagnie du Midi. — Nous représentons dans la figure 221 la machine à grande vitesse employée par la Compagnie du chemin de fer du Midi. Elle offre une grande analogie, au point de vue de l’ensemble, avec celle du chemin de fer de l’Est. Elle en diffère, toutefois, par l’emploi exclusif du châssis intérieur. Le ciel du foyer est cylindrique et de même diamètre que le corps des cylindres à vapeur avec lequel il se raccorde directement. Le foyer a des dimensions relativement restreintes pour une machine de grande puissance ; ce qui a permis de le descendre entre les essieux accouplés.

Le régulateur de vapeur à tiroir, avec tringle extérieure, est placé dans une boîte spéciale. Il est commandé au moyen d’un volant à manivelle et d’une tige filetée. Sur le milieu de la chaudière, un dôme de vapeur porte les deux soupapes de sûreté, du système ordinaire. L’alimentation d’eau dans la chaudière se fait au moyen de deux injecteurs du système Bouvret.

Le longeron est complètement intérieur, et la suspension, contrairement à ce qui existe avec les machines ci-dessus décrites, est faite au moyen de ressorts indépendants pour chaque essieu.

Cette dernière disposition, nécessitée par la grande profondeur du foyer, est défectueuse ; car elle rend difficile, sinon impossible, une répartition à peu près égale des charges sur les roues motrices. Il peut ainsi arriver que ce soit l’essieu d’arrière qui se trouve le moins chargé, alors, au contraire, que c’est ce dernier essieu qui devrait être le plus chargé. L’essieu d’avant a ses ressorts au-dessus, et ses boîtes à graisse sont de plans inclinés.

Les cylindres à vapeur sont extérieurs, horizontaux, fixés aux longerons entre l’essieu d’avant et actionnés par des coulisses renversées. La bielle qui les relie aux tiroirs étant longue, l’influence de l’obliquité est peu sensible.

La machine porte un abri, pour le mécanicien, ouvert sur les côtés et supporté par l’écran d’avant et par les colonnettes de rampe.

Cette machine remorque, en palier, des trains de 160 tonnes, avec une vitesse de 75 kilomètres à l’heure.

Voici ses dimensions principales :


Longueur de la machine à l’extérieur des tampons 
8m,570
Nombre des tubes 
180        
Diamètre moyen du corps cylindrique 
1m,280
Timbre de la chaudière 
9k       
Surface de chauffe totale des tubes 
100m,16  
Hauteur de l’axe de la chaudière au-dessus du rail 
2m,00  
Diamètre des cylindres 
0m,43  
Course des pistons 
0m,60  
Diamètre des roues accouplées 
2m,09  
Diamètre des roues de support 
1m,40  
Poids de la machine en service 
37 500k
Effort de traction 
3 105k
Fig. 222. — Machine à grande vitesse de la Cie du Nord.

Locomotive à grande vitesse de la Compagnie du Nord. — La locomotive à grande vitesse de la Compagnie du Nord, que nous représentons dans la figure 222, est caractérisée par l’emplacement des cylindres à vapeur, situés à l’intérieur des longerons, et surtout par la substitution à l’essieu porteur d’avant, d’un truck articulé, ou bogie, d’après le système employé à l’étranger et surtout en Autriche, dans le but de faciliter à cette machine l’accès des lignes à courbes de petit rayon.

La boîte à feu, du système Belpaire, est à enveloppe carrée. La grille est à barreaux inclinés, avec jette-feu en avant. Le régulateur de vapeur à tiroir est logé dans une boîte séparée, à l’avant de la chaudière. Le dôme de vapeur porte une des soupapes de sûreté, l’autre est au-dessus du foyer.

Le châssis est formé de deux cours de longerons comprenant les grandes roues. L’essieu moteur, placé à l’avant du foyer, est pourvu de quatre boîtes à graisse. L’essieu accouplé placé près du foyer n’a que deux boîtes à graisse.

Le châssis du bogie porte, au centre, une crapaudine, dans laquelle pénètre un pivot à génératrices curvilignes. Ce pivot ne sert que d’axe ; la charge est transmise par deux supports latéraux, à glissières, disposés comme les pièces analogues des anciennes machines Engerth.

Le châssis, avec traverses en fer à l’avant et à l’arrière, présente une très grande solidité. Les cylindres à vapeur, horizontaux, avec les tiroirs placés verticalement entre eux, forment un seul bloc serré entre les longerons intérieurs.

L’essieu coudé, chargé en quatre points, a ses coudes frettés. L’accouplement est fait par des manivelles et bielles extérieures.

La machine n’a pour le mécanicien qu’un abri-écran de très petites dimensions.

Le tender, à quatre roues, contient huit mètres cubes d’eau.

La machine à grande vitesse de la Compagnie du Nord rentre, on le voit, dans la catégorie des machines lourdes. On peut discuter la valeur de l’emploi du bogie, qui n’est pas sans avoir contribué à l’exagération du poids, pour des lignes où, en définitive, les courbes ne descendent jamais à de bien faibles rayons. C’est à la pratique à démontrer s’il est réellement utile de donner à une locomotive une mobilité qui a ses avantages, mais qui a aussi l’inconvénient de lui ôter beaucoup de sa stabilité sur les rails.

Nous donnons ci-après les principales dimensions de cette machine :

Longueur de la machine à l’extérieur des tampons 
9m,170
Nombre des tubes 
201        
Diamètre moyen du corps cylindrique 
1m,251
Timbre de la chaudière 
10k       
Surface de chauffe totale des tubes 
99m,88        
Hauteur de l’axe de la chaudière au-dessus du rail 
2m,10  
Diamètre des cylindres 
0m,432
Course des pistons 
0m,610
Diamètre des roues accouplées 
2m,100
Diamètre des roues de support 
1m,01  
Poids de la machine en service 
41 600k
Effort de traction 
3 520k

Fig. 223. — Machine à grande vitesse de la Cie de l’Ouest.

Locomotive à grande vitesse de la Compagnie de l’Ouest. — La locomotive à grande vitesse de la Compagnie de l’Ouest, que nous représentons dans la figure 223, est, comme la précédente, une machine à cylindres à vapeur intérieurs. Elle a trois essieux, dont deux accouplés. L’essieu moteur est celui du milieu, et l’essieu d’arrière est juste au-dessous du foyer ; ce qui a empêché de donner à ce dernier une grande profondeur.

La grille, faiblement inclinée, est en deux parties, dont la plus courte est à l’arrière, contrairement à ce qui se pratique d’ordinaire. Le régulateur de vapeur, à tiroir, est logé dans une boîte fixée, non sur le corps des cylindres, comme à l’ordinaire, mais sur la face antérieure du dôme de prise de vapeur. Le régulateur de vapeur est ainsi plus facile à visiter que s’il était sur le dôme, et d’autre part on n’a pas d’ouverture spéciale à percer dans le corps des cylindres à vapeur. Le dôme de vapeur porte une soupape de sûreté ; une seconde est au-dessus du foyer.

Le châssis est composé de deux longerons extérieurs, et d’un longeron partiel intérieur, portant une boîte, pour charger le milieu de l’essieu moteur, au moyen d’un ressort placé en dessous. Les ressorts des boîtes extérieures sont tous indépendants, et placés au-dessous des longerons.

L’essieu moteur est à coude simple ; les manivelles et les bielles d’accouplement sont situés à l’extérieur des longerons.

Les cylindres à vapeur sont placés à l’intérieur, ainsi qu’il a été dit, avec les boîtes à tiroir et le mécanisme de distribution intérieur aux longerons.

La distribution de la vapeur dans les cylindres se fait au moyen de coulisses droites, du système Allen. Le tender, à quatre roues, contient 6 300 litres d’eau.

Cette machine, qui est une des plus légères parmi les locomotives à grande vitesse, puisqu’elle ne pèse que 36 tonnes, et celle dont les roues motrices ont le plus petit diamètre, réunit les avantages des machines à cylindres à vapeur intérieurs, au point de vue de la stabilité, avec ceux des machines à cylindres extérieurs, sous le rapport de la facilité de surveillance et de nettoyage.

Voici ses dimensions principales :


Longueur de la machine à l’extérieur des tampons 
8m,50  
Nombre des tubes 
156        
Diamètre moyen du corps cylindrique 
1m,170
Timbre de la chaudière 
9k       
Surface de chauffe totale des tubes 
92m        
Hauteur de l’axe de la chaudière au-dessus du rail 
2m,150
Diamètre des cylindres 
0m,42  
Course des pistons 
0m,60  
Diamètre des roues accouplées 
1m,93  
Diamètre des roues de support 
1m,29  
Poids de la machine en service 
36 000k
Effort de traction 
3 210k



CHAPITRE III

les machines à marchandises.

Bien que nous n’ayons énoncé que les machines à grande vitesse, dans l’examen des perfectionnements apportés aux locomotives, nous ne pouvons nous dispenser de dire un mot des nouvelles machines à petite vitesse, en d’autres termes, des machines à marchandises.

Les machines à marchandises se sont moins vivement ressenties des perfectionnements apportés au matériel de traction des chemins de fer. On a seulement augmenté leur poids, de manière à leur faire remorquer des trains de plus en plus lourds. Les premières machines à marchandises ne pesaient que 22 tonnes et demi, tandis qu’on arrive aujourd’hui à dépasser 50 tonnes. On peut constater également une tendance générale à augmenter, dans les machines à petite vitesse, le nombre des essieux accouplés. On va maintenant jusqu’à huit.

Les machines à marchandises appartiennent toutes, d’ailleurs, à un type commun, et ne présentent que de légères différences de Compagnie à Compagnie. C’est ce qui nous permettra de les décrire toutes d’après un seul type.

Nous prendrons comme le type actuellement le plus répandu la locomotive à marchandises à huit roues accouplées, de la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, que nous représentons dans la figure ci-contre.

Fig. 224. — Machine à marchandises de la Cie Paris-Lyon-Méditerranée.

Cette machine, qui date de 1874, est employée sur les parties du réseau présentant des rampes de 25 à 30 millièmes. Le foyer est en porte-à-faux. Les tubes ont une longueur considérable (5m,360). La grille est inclinée, avec jette-feu, et desservie par deux portes de chargement. Le régulateur de vapeur est placé dans un dôme, sur l’avant du corps cylindrique. Les essieux d’ayant et d’arrière ont un jeu transversal, pour faciliter le passage dans les courbes de 180 à 200 mètres de rayon. Les pistons ont, à cause de leur très grand diamètre, des contre-tiges, qui font corps avec eux et avec les tiges motrices. Les tiroirs sont au-dessus des cylindres.

Voici les dimensions principales de cette puissante machine :

Longueur de la machine à l’extérieur des tampons 
9m,838
Surface de chauffe totale des tubes 
189m,77   
Timbre de la chaudière 
9k         
Hauteur de l’axe de la chaudière au-dessus du rail 
1m,99  
Diamètre des cylindres 
0m,54  
Course des pistons 
0m,66  
Diamètre des roues 
1m,26  
Poids de la machine en service 
51 700k



CHAPITRE IV

application aux machines locomotives du système compound. — machine locomotive compound de m. mallet, pour le chemin de fer de bayonne. — machine locomotive compound de m. webb pour le chemin de fer de London and North Western. — machine locomotive compound construite en 1881 par la compagnie du chemin de fer du nord. — résultat des expériences faites par les ingénieurs de la compagnie du nord, sur le service de cette machine.

Les avantages que l’on retire de la machine à vapeur du système Compound dans les manufactures, les usines et les navires à vapeur, ont conduit, naturellement, à tenter d’appliquer les mêmes dispositions aux locomotives. Nous allons exposer ce que l’expérience et la pratique ont appris concernant cette intéressante innovation.

La première application du système Compound aux locomotives date de 1850. Elle fut essayée, à cette époque, en Angleterre, par M. John Nicholson, sur deux machines du Great Eastern railway. Dans ces machines, la vapeur travaillait sans détente, c’est-à-dire avec la pleine pression de la chaudière, pendant la moitié de sa course, dans un petit cylindre ; puis elle passait dans un second cylindre de basse pression, deux fois plus grand ; elle se détendait ensuite simultanément dans les deux cylindres. Cette disposition était évidemment défectueuse. La moitié de la vapeur, celle qui était dans le petit cylindre, se détendant de quatre fois son volume et l’autre moitié de huit fois, le petit cylindre ouvert à l’échappement se refroidissait autant que dans la marche ordinaire et l’on perdait ainsi une partie des grands avantages du système Compound. L’insuccès relatif de ces expériences fit oublier ce système pendant plusieurs années.

En 1866, en France, M. J. Morandière, un des ingénieurs de la Compagnie de l’Ouest, proposa une locomotive Compound à 3 cylindres, agissant sur des groupes isolés, dont deux cylindres de détente et un seul fonctionnant à haute pression.

Mais il faut arriver à l’année 1875 pour trouver des essais véritablement sérieux et pratiqués sur une assez grande échelle pour fournir des résultats probants et décisifs. M. Mallet, ingénieur du chemin de fer de la Compagnie du Midi, reprenant la question, appliqua à douze locomotives construites par l’usine du Creusot, pour la ligne d’intérêt local de Bayonne à Biarritz, le système Compound, qui permet d’améliorer la détente en utilisant la vapeur dans deux cylindres successifs.

À l’Exposition universelle de 1878 figurait la douzième machine du type Mallet, avec tender à 6 roues accouplées et munie du système Compound. Cette machine portait deux cylindres intérieurs actionnant des boutons de manivelle calés à angle droit. Ces cylindres avaient des diamètres différents. Le plus petit, de 0m,240 de diamètre, recevait la vapeur directement de la chaudière et la transmettait, après une première détente, au grand cylindre, de 0m,400 de diamètre, qui la rejetait dans la cheminée. Au démarrage, ou dans les cas de résistances considérables, il était possible de faire arriver directement la vapeur dans le grand cylindre, tandis que le petit cylindre, au lieu d’évacuer sa vapeur dans le grand, l’envoyait directement dans la cheminée, La machine fonctionnait alors comme une machine ordinaire.

Ce système qui permet de pousser le degré de détente bien plus loin qu’avec les tiroirs simples commandés par des coulisses, procurait une certaine économie de combustible. Sur la ligne de Bayonne à Biarritz, où l’on trouve des rampes de 15 millimètres, on a constaté, après un parcours de 40 000 kilomètres, une consommation moyenne de 4 kilogrammes de charbon par kilomètre, la charge variant, sans la machine, de 40 à 60 tonnes.


La locomotive Mallet constituait donc un notable perfectionnement, au point de vue de l’économie du combustible ; mais le reproche qu’on lui adressait, c’était de manquer de stabilité, et de se refuser, par conséquent, aux grandes vitesses.


En 1880, un ingénieur allemand, M. Von Borries, s’inspirant plus ou moins des idées de M. Mallet, mit en service, sur la ligne du Hanovre, deux locomotives compound pour trains omnibus, et réalisa ainsi une économie de 18 pour 100 sur le combustible.

En 1883, sur la même ligne, deux locomotives compound à marchandises donnèrent seulement une économie de 9,5 pour 100 ; enfin, l’année suivante, dix locomotives pour trains omnibus et quatre locomotives express, furent mises en service.

Vers la fin de 1881, M. Webb, ingénieur anglais, fit construire, pour la ligne London and North Western railway, une locomotive express compound « l’Experiment », dont le système présentait de notables différences avec le système Mallet. Nous représentons dans les figures 225, 226 et 227 l’élévation, la coupe transversale et le plan de cette locomotive.

Fig. 225. — Locomotive compound-Webb (élévation longitudinale).
Fig. 226. — Locomotive compound-Webb (coupe transversale).
Fig. 227. — Locomotive compound-Webb (plan).

Le mécanisme comprend (fig. 227) trois cylindres, dont deux à haute pression a, a, et un à basse pression, b, c’est-à-dire précisément l’inverse du système Morandière, que nous avons mentionné plus haut.

Les cylindres à haute pression sont placés à l’intérieur du châssis, et reçoivent directement la vapeur de la chaudière ; ils actionnent l’essieu d’arrière par la conduite ee.

Le cylindre à basse pression b, situé à l’intérieur des longerons et sous la boîte à fumée, reçoit et achève de détendre la vapeur, qui a déjà été utilisée en partie par les cylindres à haute pression. Ce système actionne directement l’essieu d’avant, qui est indépendant de l’essieu d’arrière. Les manivelles de l’essieu d’arrière sont à angle droit l’une de l’autre.

La distribution adoptée par M. Webb est celle du système Joy, convenablement adaptée à une machine compound. La vapeur, en sortant des cylindres de haute pression, passe dans des tuyaux ff placés dans la boîte à fumée (fig. 226), dans lesquels elle se sèche, avant d’entrer dans le cylindre de basse pression.

Fig. 228. — Distribution de vapeur de la locomotive compound-Webb (détail du tiroir).

Nous représentons, dans la figure 228, la coupe du tiroir ou distributeur adopté par M. Webb, pour pouvoir marcher à volonté en marche simple, avec admission directe de vapeur aux trois cylindres, ou en compound. Le cylindre à basse pression, b, porte deux tiroirs, t′ et t″ : dans la position indiquée pour t′, la vapeur d’échappement des cylindres de haute pression, arrive en a′ sous le tiroir b′ et par a″ au cylindre b : on marche alors en compound. Si on déplace, par sa tige t″ le tiroir b′, de manière à l’amener dans la position indiquée par la figure 228, la vapeur de la chaudière arrive directement, par b′, a″, au cylindre b, et la vapeur d’échappement des cylindres de haute pression, se joint, par a′ b″, c, à celle du gros cylindre.

Afin de diminuer et de régulariser l’usure des tiroirs, M. Webb les fait reposer sur une pièce g (fig. 229) pouvant imprimer au tiroir un déplacement perpendiculaire à la direction de sa course toutes les fois qu’on manœuvre le changement de marche auquel est reliée la tige g′.

Fig. 229. — Détail du mouvement transversal du tiroir d’une locomotive compound-Webb.

En ce qui concerne le degré de détente auquel on travaille, le grand cylindre à basse pression marche, en pratique, avec pleine admission, et la détente se fait entièrement dans les petits cylindres à haute pression ; de telle sorte qu’on ne dépense que la quantité de vapeur absolument nécessaire pour le travail.

Un trait caractéristique de cette nouvelle machine, c’est l’adoption d’une chaudière dont l’espace réservé à l’eau, entourant la boîte à feu, s’étend au-dessous de la grille, le cendrier se composant ainsi de l’espace compris entre les barreaux de la grille et de la cloison d’eau inférieure. On supprime, de la sorte, le cadre rigide du fond, qui donne toujours lieu à des ennuis. On obtient en outre, ainsi, une meilleure circulation de l’eau, et on empêche enfin les boues de venir se déposer sur les parois de la boîte à feu, dans les parties exposées à la plus forte chaleur.

L’essieu porteur d’avant est placé immédiatement au-dessous du grand cylindre, et à peu près sur la même ligne que l’axe de la cheminée. Il en résulte que l’écartement des essieux extrêmes est beaucoup plus grand que d’ordinaire : il est de 5m,36. Afin d’obvier aux mouvements qui pourraient en résulter, si ces essieux se trouvaient assujettis à un parallélisme rigoureux, l’essieu d’avant est pourvu d’une boîte radiale, qui peut se déplacer latéralement de 0m,032 vers chaque côté de l’axe de la machine.

Le double but que s’était proposé M. Webb était d’arriver d’abord à la plus grande économie possible de combustible, ensuite de supprimer l’accouplement des roues, tout en obtenant une adhérence plus considérable que celle qu’on aurait pu atteindre avec un seul essieu moteur sans s’exposer à détériorer rapidement la voie.

Les expériences nombreuses, pendant un service journalier et prolongé, ont établi que ce type de locomotive possède les avantages suivants :

1o La détente étant augmentée, il y a évidemment économie de combustible. Ainsi la machine « Experiment » faisant le service sur la ligne du London and North Western, remorquait une charge nette moyenne de 100 tonnes à l’aller, de 135 tonnes, au retour. Son parcours journalier était de 508 kilomètres. La plus grande charge a été de 16 voitures, dont le poids ajouté à celui de la locomotive et du tender, représentait une charge de 260 tonnes. La vitesse moyenne était de 84 kilomètres à l’heure. Dans ces conditions, la dépense en combustible était de 6k,24 par kilomètre, au lieu de 8k,10, dépensée par les machines express ordinaires du London and North Western, soit une économie de charbon de 22 pour 100 environ

2o Le démarrage est facilité par la marche en non compound, et le patinage est diminué, par une répartition plus égale de l’effort de traction aux roues motrices, et par le contrôle, ou l’action de frein qu’exerce sur le cylindre à basse pression un échappement trop prolongé des cylindres de haute pression en cas de patinage de leurs roues, et inversement, les deux systèmes de cylindres tendant toujours à rétablir la répartition de puissance prévue par la distribution.

3o Les roues n’étant plus accouplées, le passage dans les courbes se fait avec moins de grippement ; il n’est même pas nécessaire que les deux paires de roues motrices aient le même diamètre.

4o Enfin, cette locomotive présente, à l’inverse de la locomotive Mallet, une grande stabilité pendant la marche ; ce qui est dû à la disposition des cylindres, et la machine, parfaitement équilibrée, tout en n’ayant pas de bielles d’accouplement, peut marcher à une très grande vitesse.

En résumé, il résulte des expériences faites, en 1881, sur le London and North Western Railway, que le système compound réalise une économie considérable, surtout pour les machines à grande puissance. Quant à l’avantage que peut offrir la suppression de l’accouplement des roues, essayé par M. Webb, il est très discutable, sinon pour les machines à huit roues couplées, ce qui faciliterait évidemment leur passage dans les courbes.


Dans l’Inde, un ingénieur anglais, M. Sandiford, fit des essais de locomotives compound sur le chemin de fer Scinde Pundjab et Delhy. Deux locomotives ainsi transformées fonctionnèrent très bien dans des conditions assez défavorables.


En Russie, de nombreux essais ont été faits par M. Borodine, sur des locomotives compound du système Mallet, avec ou sans enveloppes de vapeur, et munies d’un réservoir intermédiaire de vapeur, placé dans la boîte à fumée. Il résulte de ces expériences, qu’on peut, avec ces machines, réaliser une économie de 15 à 20 pour 100 ; mais l’emploi des enveloppes de vapeur n’a pas fourni des résultats bien décisifs. En effet, dans les machines compound, l’influence calorifique des parois du petit cylindre se trouvant considérablement réduite, l’emploi de l’enveloppe de vapeur semble devoir être réservé au grand cylindre ; mais là encore elle n’est pas indispensable, la vapeur y arrivant surchauffée par son séjour dans le réservoir de vapeur placé entre les deux cylindres.


Enfin, une nouvelle locomotive compound à quatre cylindres, étudiée et construite par la Compagnie du chemin de fer du Nord, a été mise en service sur son réseau, au mois de janvier 1886 ; et de nombreuses expériences, faites avec le plus grand soin, et portant sur les conditions de son fonctionnement, aussi bien que sur son rendement, ont permis aux ingénieurs de la Compagnie d’apprécier la valeur de cette machine.

Cette locomotive, dont les figures 230 et 231, représentent l’élévation et la coupe transversale, dérive du type de locomotive à grande vitesse de la Compagnie du Nord, à quatre roues couplées, avec essieu porteur, ou bogie à l’avant, cylindres intérieurs et grand foyer, que nous avons décrite dans notre revue des locomotives à grande vitesse employées par les différentes Compagnies françaises.

Le mécanisme intérieur, composé de deux cylindres, A′B′, actionnant l’essieu du milieu, a été conservé pour la haute pression ; il n’a subi d’autre modification que la réduction des diamètres des cylindres. Les tiroirs, placés dos à dos sur le côté, sont toujours commandés par des excentriques, avec coulisse Stephenson.

L’accouplement est supprimé, et deux cylindres à basse pression, BB′ (fig. 232), sont placés à l’extérieur des longerons, au milieu de l’intervalle entre l’essieu d’avant et le premier essieu moteur, actionnant l’essieu d’arrière. Leurs tiroirs sont placés en dessous.

Fig. 232. — Coupe transversale d’une locomotive compound du chemin de fer du Nord.

Les deux distributions de vapeur sont liées entre elles, mais une disposition semblable à celle déjà employée par M. Mallet sur sa locomotive compound, permet de faire varier l’une des distributions indépendamment de l’autre. La vis de changement de marche commande, à la manière ordinaire, l’arbre de relevage du mécanisme extérieur à basse pression. Sur le côté de la tête supérieure du levier de ce changement de marche, se trouve fixé un secteur denté, S, (fig. 231), qui entraîne un autre levier, commandant la barre du relevage du mécanisme intérieur à haute pression. Ce second levier, articulé en O, comme le premier, porte un verrou, qui s’engage à volonté dans la denture du secteur, surmonté d’une réglette fixe divisée. On peut ainsi opérer le changement de marche en même temps, pour les deux distributions, par la seule manœuvre du volant. On peut, par contre, les rendre différents, et faire toutes les combinaisons commandées par les diverses circonstances de la marche.

Au moment du démarrage, on peut envoyer directement la vapeur de la chaudière dans le réservoir intermédiaire ; mais il n’a pas été pris de disposition pour admettre franchement la vapeur aux grands cylindres, avec évacuation de la vapeur des petits cylindres dans l’atmosphère.

Le réservoir intermédiaire est en partie constitué par deux tuyaux C, C (fig. 232), à grand diamètre placés dans les boîtes à fumée et destinés au réchauffage de la vapeur qui passe des petits aux grands cylindres. Une soupape placée vers le haut du tuyau réchauffeur, est destinée à régler la limite de la pression dans le réservoir intermédiaire.

Des nombreuses expériences faites sur cette machine, pendant les mois de novembre et décembre 1886, février à mai 1887, il résulte que la consommation moyenne de charbon par kilomètre a été de 7k,81 ; tandis que la moyenne de consommation des six machines, qui pendant ces six mois et à raison de une par mois, ont le moins brûlé en faisant le même service, a atteint le chiffre de 8k,31 ; d’où un avantage de 0k,50 pour la machine compound sur les plus économiques des machines express.

D’autre part, la consommation moyenne de 7k,81 trouvée pour la locomotive compound, est inférieure de 1k,8 à 1k,9 à la moyenne générale de consommation se rapportant aux machines du même type non compound, soit une différence de 19 p. 100 environ en faveur de la locomotive compound.

Par contre, on a constaté une consommation de graissage pour cette machine de beaucoup supérieure à la moyenne de celle des autres locomotives faisant le même service.

Le rendement en pleine marche a atteint 75 pour 100, et a été, en moyenne, de 55 à 60 pour 100, chiffres qui se rapportent à la traction des rampes. La machine a pu, avec un train de 145 tonnes, gravir, en se maintenant en pression, des rampes de 5mm, à la vitesse soutenue de 72 kilomètres à l’heure.

On aurait pu, évidemment, d’ailleurs, reculer la limite de puissance de cette machine en augmentant le volume des cylindres détendeurs, ce qui eût diminué la pression d’échappement, tout en utilisant mieux la détente.

La locomotive compound du chemin de fer du Nord, d’un type absolument nouveau, a mis en évidence, une fois de plus, l’avantage incontestable de ce système, au point de vue de l’économie du combustible, et prouvé que le passage de la vapeur dans des cylindres successifs, peut procurer, dans les locomotives, autant d’avantages que dans les machines fixes et les machines marines. Les résultats qu’elle a fournis, et qui empruntent une grande autorité à la façon magistrale dont ils ont été obtenus et contrôlés par l’ingénieur de la Compagnie du chemin de fer du Nord chargé de cette étude difficile, M. Pulin, complètent et confirment ceux que nous avons rapportés plus haut au sujet des différents types de locomotives compound successivement expérimentés jusqu’à ce jour.

Un service plus prolongé de ce nouveau type de locomotive permettra seul de savoir si les avantages mécaniques qu’on peut en espérer, sont en rapport avec ses avantages thermiques.

En résumé, il est difficile de se prononcer dès aujourd’hui sur les avantages des locomotives compound, qui sont d’un emploi trop réduit encore, et comptent trop peu de types différents ; mais on ne voit pas quels obstacles pourrait rencontrer leur extension dans le service des voies ferrées.




CHAPITRE V

les moyens de sécurité sur les chemins de fer. — la marche à contre-vapeur. — les freins continus et automatiques. — le frein électrique. — le frein à vide. — le frein à air comprimé.

Pour satisfaire aux besoins d’une circulation devenue de plus en plus active depuis l’année 1870, sur les grandes lignes de nos chemins de fer, on ne s’est pas seulement borné à augmenter la vitesse et la masse des trains, ainsi que nous l’avons précédemment exposé ; on s’est vu également obligé d’accroître le nombre des convois. Mais pour assurer la sécurité du transport de masses aussi considérables, il a fallu apporter de profondes modifications dans la nature et la puissance des organes de protection des trains

Les dangers de collision entre les trains, soit aux points de croisement, soit entre trains de vitesses différentes, soit par suite de l’arrêt forcé de certains d’entre eux, ont nécessairement augmenté avec leur nombre ; et ces dangers sont devenus, en même temps, d’autant plus redoutables que les trains, par leur grande masse, animée d’une vitesse considérable, sont des agents de destruction d’une puissance inconnue jusqu’ici.

Pour éviter les chances de collision, il fallait pouvoir arrêter rapidement les trains, en un moment d’imminent danger. C’est dans ce but que l’on a créé de nouveaux freins, dont l’action, à la fois plus rapide et plus énergique, est en rapport avec la puissance des convois qu’ils ont à maîtriser.

Une raison d’un autre ordre rendait nécessaire l’emploi de nouveaux freins. Pour augmenter la vitesse commerciale des trains, on a espacé davantage les points d’arrêt, et créé des machines assez puissantes pour réaliser une grande vitesse effective sur de longs parcours, et la conserver autant que possible sur les rampes et dans les courbes. Mais pour atteindre plus complètement encore le but proposé, il était indispensable de diminuer et réduire au minimum les périodes de ralentissement dans le voisinage des gares. Il fallait, en un mot, pouvoir s’approcher à une petite distance des stations, avec la vitesse effective normale, et employer des freins assez énergiques, pour produire l’arrêt dans le moins de temps possible en arrivant à la station.

Le problème est aujourd’hui à peu près complètement résolu ; mais ce n’est pas du premier coup que ce résultat a été réalisé. Il a fallu, pour l’atteindre, faire des tentatives aussi nombreuses que variées.


La marche à contre-vapeur est le premier moyen qui ait donné de bons résultats. Ce moyen a, toutefois, perdu la plus grande partie de sa valeur après la découverte des freins automatiques et continus, qui permettent d’arrêter, à moins de 400 mètres, des trains animés d’une vitesse de 80 kilomètres à l’heure. Nous allons étudier successivement l’un et l’autre de ces systèmes, c’est-à-dire la marche à contre-vapeur et les freins continus.


Depuis l’origine des chemins de fer, les mécaniciens, dans les cas de danger imminent, ont eu recours pour obtenir un arrêt très prompt, à ce qu’on appelle le renversement de la vapeur, manœuvre difficile et souvent dangereuse, qui consiste à placer le levier de changement de marche dans la position qui convient à la marche en arrière, la machine continuant à marcher en avant et le régulateur de vapeur étant tout grand ouvert.

Dans ces conditions, les pistons continuant à se mouvoir dans le sens direct, en vertu de la vitesse acquise sous l’action de la bielle motrice, il se produit, derrière chaque piston, une aspiration de vapeur et des gaz de la boîte à fumée, et devant chacun d’eux, un refoulement de vapeur dans la chaudière. C’est ce travail résistant d’aspiration et de refoulement qui, s’opposant à la marche en avant des pistons, exerce sur eux une action retardatrice, et peut arriver, en peu de temps, à neutraliser complètement leur mouvement.

Mais une telle manœuvre a de grands inconvénients, et elle n’est pas exempte de dangers pour le mécanicien qui l’exécute. La masse métallique des cylindres à vapeur et de leurs accessoires, s’échauffe rapidement, par suite de la compression énergique du refoulement des gaz. Il en résulte le grippement des pièces frottantes, la carbonisation des garnitures, la destruction des joints, et la surélévation de pression dans la chaudière. On n’avait donc recours au renversement de la vapeur qu’en cas d’extrême nécessité, et on ne pouvait jamais l’employer dans les conditions normales du service.

Une modification heureuse et simple de ce mode d’opérer a été réalisée par M, Le Châtelier, ingénieur en chef des mines, qui a fait de la marche à contre-vapeur un moyen énergique et rapide pour l’arrêt rapide des trains en marche.

L’artifice imaginé par M. Le Châtelier consiste à faire pénétrer dans les cylindres à vapeur, d’une manière permanente, pendant la marche à contre-vapeur, une petite quantité d’eau chaude, empruntée à la chaudière.

Un tuyau, de faible diamètre, muni d’un petit robinet à la portée de la main du mécanicien, établit une communication entre la chaudière et la base du tuyau d’échappement de vapeur. Quand le mécanicien veut renverser la vapeur, il ouvre ce robinet ; l’eau sortant de la chaudière où elle est à haute pression et à haute température, entre instantanément en ébullition, par suite de la brusque diminution de pression ; et elle forme un mélange de vapeur et d’eau liquide contenant 85 à 90 pour 100 d’eau liquide.

Ce mélange, aspiré dans les cylindres, achève de s’y réduire en vapeur. La vapeur ainsi formée suffit pour remplir les cylindres, et elle fournit, en outre, un excédent, qui s’échappe dans la cheminée, sous forme de panache. Le mécanicien trouve même dans le seul aspect de ce panache, un indice précieux pour régler l’ouverture de son robinet d’injection, et la quantité d’eau envoyée par minute au cylindre. Le panache doit être bien apparent, sans être trop fort, ni accompagné d’émission d’eau.

La vaporisation qui se produit dans les cylindres à vapeur suffit donc amplement pour abaisser la température de cet espace, et pour absorber la chaleur dégagée par le fait même du travail à vapeur renversée ; car la quantité d’eau à vaporiser pour absorber cette chaleur, n’est qu’une fraction de celle qu’il faut vaporiser pour assurer le remplissage des cylindres et éviter la rentrée des gaz fixes.

Dans de telles conditions de fonctionnement, on peut dire que les inconvénients de la contre-vapeur que nous avons énumérés ci-dessus, sont totalement supprimés. Les pièces frottantes, constamment placées, pendant l’aspiration, comme pendant le refoulement, dans une atmosphère de vapeur chargée d’eau, sont dans d’excellentes conditions de lubrification.

M. Le Châtelier, en indiquant le premier ce mode de fonctionnement, en le mettant en pratique sur les chemins de fer du Nord-Espagne, et en le perfectionnant, à la suite d’expériences nombreuses, a attaché son nom au frein à contre-vapeur, qui s’est répandu sur presque tous les réseaux de l’Europe. Actuellement, la plupart des locomotives comportent un de ces systèmes ; et il est même des Compagnies où l’arrêt en gare, en service normal, s’effectue à la contre-vapeur.

Ajoutons que la substitution du changement de marche à vis à l’ancien levier, si dangereux à manier par le mécanicien, a singulièrement facilité la généralisation de la contre-vapeur.




CHAPITRE VI

les freins continus. — le frein électrique. — le frein à vide et le frein à air comprimé.

La marche à contre-vapeur, qui exerce directement son action retardatrice sur la marche de la locomotive, en tête du train, possède une grande efficacité, et constitue un moyen d’arrêt rapide autrement puissant que les freins à main de nos premières locomotives. Cependant, la véritable instantanéité de l’arrêt des trains ne devait être obtenue que par l’emploi des freins continus.

On appelle freins continus, les freins dont l’action s’exerce tout le long du convoi en mouvement, isolément et simultanément sur chaque wagon, tout en restant, néanmoins, dans la main du mécanicien, qui peut, s’il le veut, le faire fonctionner en même temps que la contre-vapeur. Placé en tête du train, le mécanicien est mieux placé que qui que ce soit, pour prévoir le danger, ou les circonstances qui nécessitent un arrêt subit.

On comprend aisément que si, en augmentant l’énergie de la pression des sabots contre les roues, on vient encore à multiplier les surfaces de pression, en échelonnant les frottements tout le long du train, c’est-à-dire sur les roues de chaque voiture, on doit arriver à avoir une somme de puissance énorme ; et par suite, une instantanéité presque complète.

Cependant, la pression des sabots ne peut dépasser certaines limites, sous peine d’échauffement excessif et de détérioration des bandages des roues. La continuité des freins modernes est, dès lors, le véritable élément de leur instantanéité. Cette continuité nécessite une communication entre tous les véhicules, et un agent de transport capable d’actionner les sabots des roues de chaque voiture, sur toute la longueur du train.


Le premier agent auquel on ait songé pour la commande des freins continus, c’est l’électricité, et le premier des freins électriques est celui de M. Achard, qui figurait déjà à l’Exposition universelle de 1855.

M. Achard a eu recours à deux procédés pour le serrage des freins par l’action du courant électrique.

Dans le premier système le serrage des sabots de chaque voiture était obtenu par la rotation d’une roue serre-frein, dont l’entraînement était produit par la rotation même des essieux de la voiture. Pendant la marche, cet entraînement était empêché par un verrou d’arrêt, solidaire d’une masse métallique, placée en regard d’un électroaimant. Un circuit électrique fermé régnant sur toute la longueur du train, s’enroulait sur tous les électro-aimants.

Pour arrêter, le mécanicien envoyait dans le circuit le courant d’une pile placée sur la machine : l’aimantation des électros produisait le déclenchement du verrou ; d’où résultait le serrage presque instantané des freins.

Modifiant ce premier système, M. Achard en proposa un second, dans lequel l’électricité était directement employée à opérer le serrage des freins. L’aimantation par le courant déterminait une attraction et un contact énergique entre l’essieu et l’électro-aimant ; et ce dernier, dans son mouvement d’entraînement, opérait le serrage par l’enroulement de chaînes qui actionnaient les leviers des sabots.

Le frein électrique de M. Achard, si simple de conception et si ingénieux, n’a cessé d’être expérimenté jusqu’à ces derniers temps ; mais son entretien coûteux et son installation minutieuse, l’ont empêché d’être adopté définitivement. La Compagnie des chemins de fer de l’Est, à laquelle revient l’honneur d’avoir fait les plus sérieuses et les plus persévérantes tentatives pour le faire entrer dans le domaine de la pratique, s’est vue forcée, récemment, de l’abandonner, par suite de la nécessité où elle s’est trouvée d’adopter un frein continu à brève échéance. Elle s’est alors décidée en faveur du frein Westinghouse.


Signalons, en passant, un frein également fort ingénieux, et qui a eu son heure de succès. Nous voulons parler du frein Guérin, dont le principe est de se servir, pour pousser les sabots contre les roues, de l’effet du ralentissement du train sur les tampons de choc, et de la compression de ces mêmes organes.

Ce frein, qui est encore à l’étude sur les lignes de l’État, avait l’immense avantage d’éviter toute communication entre les wagons du train, et de ne demander qu’un faible entretien. Il fournira peut-être un jour la seule solution pratique, pour l’arrêt des trains de marchandises.


Mais les deux freins continus qui se partagent aujourd’hui la presque totalité des voies ferrées, en Europe et en Amérique, sont le frein à vide, ou à air raréfié, et le frein à air comprimé, automatique ou non, avec leurs nombreuses modifications, résultant des perfectionnements dont ils n’ont cessé d’être l’objet l’un et l’autre, depuis leur apparition, vers 1871.

La première idée du frein à vide, ou frein à air raréfié, est due à deux ingénieurs français, MM. du Tremblay et Martin, qui en firent des essais en 1860. C’est l’ingénieur américain Smith qui eut le mérite de le faire entrer dans la pratique. D’où le nom de frein Smith, ou Smith-Hardy.

Fig. 233. — Installation générale du frein à vide.

Un frein à vide simple (Smith-Hardy) non automatique, dont nous donnons la disposition d’ensemble (fig. 233), comprend une conduite générale, circulant sur toute la longueur du train, au moyen de tuyaux d’accouplement. Elle est reliée, par des branchements, avec des sacs flexibles en caoutchouc, placés sous chaque voiture. Chacun de ces sacs, étanches et à soufflet, que nous représentons dans la figure 234, actionne les sabots des freins, par l’intermédiaire d’un fonds mobile, A, B, qui est mis en mouvement par la pression atmosphérique, quand l’air vient à se raréfier dans l’espace clos formé par la conduite générale et les sacs, et qui entraîne la tige CD, laquelle est reliée avec les sabots des roues.

Fig. 234. — Sac à vide.

Au moment où le mécanicien veut faire agir les freins, il détermine, dans la conduite générale, une dépression d’environ 2/3 d’atmosphère, au moyen d’un éjecteur de vapeur placé sur la machine et à sa portée.

Dans cet appareil, la vapeur s’échappe, à la pression de la chaudière, autour d’une tuyère conique, placée à l’extrémité de la conduite générale, ce qui détermine, par succion, un appel d’air, qui permet à la pression atmosphérique d’agir rapidement sur les fonds mobiles des sacs.

Fig. 235. — Éjecteur simple.

La figure 235 représente l’éjecteur de vapeur, l’organe essentiel du frein à vide. La vapeur arrivant de la chaudière par le tuyau B, traverse l’intervalle CD, et produit dans la conduite générale, EF, l’effet de succion dont il vient d’être parlé.

Il suffit, au moment de la mise en marche, de laisser l’air rentrer dans la conduite générale, par une valve d’introduction d’air, pour repousser les sabots et desserrer les freins.

Il est facile de mettre la commande de la valve de l’éjecteur à la disposition du conducteur du train, au moyen d’une corde qui longe le train. Un robinet éjecteur qui produit dans la conduite générale, une dépression insuffisante pour produire le serrage des sabots, mais sensible au manomètre, permet au mécanicien de s’assurer à chaque instant, si l’appareil est étanche et prêt à fonctionner.

Le frein à vide, qui est exclusivement adopté par la Compagnie du Chemin de fer du Nord, et appliqué sur tout son réseau, y fonctionne depuis 1876, et fournit les meilleurs résultats dus à sa simplicité, à l’absence de tout mécanisme, à la facilité de la manœuvre et à son action progressive, qui n’est pas incompatible avec son instantanéité.

Le frein à vide simple est employé, en outre, sur certaines lignes anglaises, en Suisse, en Autriche et dans l’Allemagne du sud.


Un bon frein continu doit être instantané, en ce sens seulement que son action doit croître le plus rapidement possible de zéro à son maximum d’intensité, mais en passant par toutes les valeurs intermédiaires, sous peine de déterminer entre les wagons un choc, qui pourrait être très dangereux pour les attelages de voitures et pour les voyageurs.

Le frein à vide est instantané, mais il n’est pas automatique. Il peut, toutefois, le devenir facilement par une légère modification dans la disposition des sacs à vide. Un éjecteur moins puissant maintient un vide relatif continuel dans la conduite générale, et c’est la rupture de cet état d’équilibre par une rentrée d’air, accidentelle ou intentionnelle, qui amène le serrage des freins.

Un frein automatique est donc un frein dans lequel un effort constant est employé à maintenir les sabots écartés des roues pendant la marche, de manière que la rupture de cet équilibre amenée par une diminution d’effort, entraîne l’application immédiate et automatique des sabots contre les roues. L’automaticité qui exige le fonctionnement continu de l’appareil, c’est-à-dire un travail constant, a le double avantage d’accroître l’instantanéité du frein, et d’assurer son fonctionnement immédiat, en cas d’accidents, de déraillement par exemple.

Nous dirons cependant que l’automaticité n’est pas, selon plus d’un ingénieur, un avantage à rechercher dans un frein continu. Sur les lignes où existe le frein continu automatique, il arrive souvent que, par une cause accidentelle, imprévue, les freins se mettent à fonctionner hors de propos. Une résistance anormale, une erreur du mécanicien, peuvent déterminer le fonctionnement des freins, en temps inopportun. Alors, le train s’arrête, on ne sait par quelle cause : c’est le frein qui a agi sans ordre, et par sa propre volonté, pour ainsi dire. Cet excès de zèle, de la part d’un appareil mécanique peut avoir des inconvénients ; ce qui fait, ainsi que nous le disions plus haut, que l’automaticité du serrage des freins continus n’est pas une qualité aux yeux de bien des personnes.

Le frein continu automatique, c’est le frein à air comprimé, inventé par l’ingénieur américain Westinghouse, que nous avons maintenant à décrire.

Le frein automatique à air comprimé est fondé sur le même principe que le frein à vide, avec cette différence que, dans le frein à vide, c’est la pression de l’air extérieur s’élançant dans un espace vide, qui pousse le sabot, tandis qu’ici, c’est l’air comprimé contenu dans un même espace, qui, par sa force propre, lance les sabots contre les roues.

Le frein Westinghouse, grâce aux derniers perfectionnements qu’il a reçus, peut produire un serrage progressif, ou un serrage brusque et instantané. Ce dernier effet peut être indispensable, en cas de danger absolument imminent, et lorsque, en présence d’une cause inévitable de choc ou de déraillement, la sécurité des attelages et la commodité des voyageurs sont des considérations secondaires.

Le mécanisme du frein à air comprimé est plus compliqué que celui du frein précédent, car il comporte un appareil délicat, la triple valve, que l’on est parvenu, d’ailleurs, à supprimer dans les modifications dues à MM. Wenger et Carpenter.

Nous allons donner la description complète d’une installation du frein Westinghouse.


Sur la locomotive se trouve une pompe à air, à double effet, actionnée par un petit cheval, alimenté lui-même par la vapeur de la chaudière, et dont la distribution est faite à l’aide de petits pistons automatiques, comme dans les machines à colonne d’eau. Cette pompe comprime de l’air à 4 ou 5 atmosphères, dans un réservoir de 300 litres environ de capacité, qui est généralement installé sous le tablier de la machine.

Un robinet à soupapes, le robinet du mécanicien, communique, au moyen d’un tuyau, avec ce réservoir principal, et au moyen d’un second tuyau, avec une conduite générale régnant sur toute la longueur du train.

Sous la locomotive, sous le tender et sous chaque véhicule, se trouve un petit réservoir à air comprimé, un appareil de distribution (la triple valve) et un cylindre à freins.

Fig. 236. — Disposition générale du frein à air comprimé.

Nous donnons, dans la figure 236, la disposition générale du frein placé sous chaque voiture. On voit que la conduite générale, EF, est mise en communication avec le grand réservoir, A, par la triple valve, B, qui sert aussi de moyen de communication entre le réservoir et le cylindre à frein, C, ainsi qu’entre le cylindre et l’air extérieur.

Voici le fonctionnement de l’ensemble :

Quand, à l’aide du robinet du mécanicien, on admet l’air du réservoir principal dans la conduite générale, cet air pénètre à travers les triples valves, et remplit les réservoirs A à une pression égale à celle de la conduite générale elle-même. Tant que cet équilibre de pression subsiste, les cylindres à freins, C, restent en communication avec l’atmosphère, et les freins sont desserrés.

Mais si l’air de la conduite générale vient à s’échapper, par suite d’une circonstance intentionnelle ou accidentelle, la diminution de pression qui en résulte provoque le jeu de la triple valve, et les freins sont instantanément appliqués contre les roues, par suite du passage de l’air des réservoirs A dans les cylindres à freins.

Ce résultat, qui s’obtient au moyen du robinet du mécanicien, peut également être déterminé à l’aide d’un robinet manœuvré par le garde-frein placé en queue du train, et qui laisse échapper l’air de la conduite générale.

Dans les cylindres à freins, C (fig, 236), se meuvent deux pistons, qui sont poussés avec la même énergie lors de l’arrivée de l’air comprimé dans l’espace qui les sépare. Quand la communication est rétablie avec l’atmosphère, les ressorts qui prennent leurs points d’appui sur les fonds des cylindres, repoussent les pistons en arrière, et desserrent les freins. Par l’emploi de deux pistons on évite un grand nombre d’organes intermédiaires, coûteux et compliqués, pour obtenir le serrage des huit sabots de la voiture.

Afin d’empêcher le serrage du frein par suite de simples fuites survenues à la conduite générale et les autres conduites, une rainure de fuite, pratiquée dans le cylindre à frein et dans le tiroir de la triple valve, permet à l’air qui a pu passer du réservoir dans le cylindre à freins, de s’échapper dans l’atmosphère, sans faire mouvoir les pistons. Si, pour serrer le frein, on réduit la pression, les rainures sont fermées par le mouvement des pistons, et tout échappement d’air est ainsi empêché.

Des robinets interrupteurs, D (fig. 235) placés entre la conduite générale et les triples valves, permettent, si cela est nécessaire, de supprimer l’action des freins sur une voiture quelconque, sans entraver leur action sur les autres.

F (fig. 236) est une valve de purge, qui peut être ouverte d’un côté ou de l’autre du train, et qui permet de relâcher les freins, s’ils viennent à se serrer en l’absence de la locomotive, en laissant échapper dans l’atmosphère l’air des cylindres à freins.

Grâce au volume du réservoir, A, qui est environ cinq fois celui du cylindre à freins, C, si l’on réduit seulement de 20 pour cent la pression dans la conduite générale, on serre les freins à fond ; chaque kilogramme de pression, dans la conduite générale, produisant une pression de plusieurs kilogrammes par centimètre carré dans le cylindre à freins.

Par l’action des triples valves, les freins ne peuvent être desserrés sans qu’on recharge en même temps les réservoirs A, et grâce à ce fait, la réserve de puissance ne manque jamais, la quantité d’air nécessaire ne dépasse jamais celle que la pompe peut fournir.

La triple valve, grâce à laquelle s’effectuent les opérations nécessaires entre les différentes parties du frein est, on le voit, l’organe essentiel du frein Westinghouse. C’est cet appareil mécanique qui donne au frein à air comprimé son automaticité, et en même temps, son pouvoir de serrage progressif.

Nous représentons, dans la figure ci-contre, cet appareil ingénieux, mais malheureusement trop délicat.

Fig. 237. — Triple valve du frein Westinghouse.

Un piston P entraîne avec lui un tiroir T, qui met en communication la lumière a, qui va au cylindre à frein B, et la lumière c, b, qui va à l’air extérieur par le conduit D. Le piston P a, néanmoins, un mouvement limité qui n’entraîne pas le tiroir. L’air comprimé de la conduite générale pénètre à la partie inférieure de la boîte, par le conduit E, et, soulevant le piston, il pénètre dans le réservoir C, On obtient ainsi une pression égale dans le réservoir, la triple valve et la conduite, les freins étant desserrés.

Dans le tiroir T, une petite valve de graduation, V, est destinée à graduer parfaitement l’action du frein. Quand on réduit légèrement la pression dans la conduite, le piston descend, ferme la rainure d’alimentation, et entraîne la valve V, qui ouvre le passage à l’air, lequel entre dans l’intérieur du tiroir par un orifice latéral en partie masqué par la valve. Le piston continuant à descendre, entraîne le tiroir T jusqu’à ce que le passage g communique avec l’orifice a, conduisant au cylindre des freins dont la communication avec l’échappement est en même temps interrompue.

Le tiroir T est arrêté dans son mouvement d’abaissement, par la diminution de pression au-dessus du piston, diminution qui a pour cause la détente de l’air dans l’intérieur du cylindre à freins. Dès que la pression du réservoir est légèrement inférieure à celle de la conduite générale, le piston P remonte par la pression de l’air, et ferme la valve V, tandis que le tiroir T reste à sa place.

En régularisant simplement la pression dans la conduite du frein, et obtenant ainsi la répétition du mouvement du piston et de la valve de graduation, le mécanicien peut introduire la pression voulue dans le cylindre à freins, depuis zéro jusqu’à son maximum de puissance. Si l’on veut serrer les freins, brusquement et à fond, il suffit de réduire subitement la pression dans la conduite générale ; l’orifice a est alors entièrement découvert.

Pour desserrer les freins, il suffit d’établir la communication à l’aide du robinet du mécanicien entre la conduite générale et le réservoir principal de la locomotive. Grâce à cette élévation de pression, le piston P remonte à sa position primitive, permettant ainsi à l’air des cylindres de s’échapper, tandis que les petits réservoirs sont rechargés.


Ces variations de pression dans la conduite principale sont obtenues à l’aide du robinet du mécanicien placé sur la machine, entre la conduite et le réservoir principal, et que nous représentons, en coupe et en plan, dans les figures 238 et 239.

Fig. 238. — Frein automatique Westinghouse. Robinet du mécanicien (coupe).
Fig. 239. — Robinet du mécanicien (plan).

La poignée A, en se vissant par un filet à pas rapide, comprime un ressort à spirales, B, qui ferme la valve d’échappement V. Cette valve porte, au-dessus et au-dessous, une aile aplatie, l’aile supérieure s’ajuste dans une rainure ménagée dans la poignée, et l’aile inférieure s’engageant dans la grande valve V, communique à cette dernière le mouvement de rotation de la poignée.

Pour la première position de la poignée, les lumières aa′ (fig. 239) de la valve principale correspondent avec les ouvertures EE′ (fig. 238), ménagées dans son siège ; la communication est établie entre le réservoir principal et la conduite générale. Les freins sont desserrés et les petits réservoirs en train de se charger.

Dans la deuxième position, l’air comprimé doit passer par la valve V′ (fig. 238) avant de gagner la conduite, en passant par le trou g (fig. 239), lequel, dans cette position du robinet, débouche dans le trou E.

Le ressort en spirale de la valve V′ ayant une pression de 3/4 d’atmosphère, la pression de la conduite est inférieure de 3/4 d’atmosphère à celle du réservoir principal. Cet excès de pression du réservoir est utilisé pour relâcher les freins ; c’est la position d’alimentation d’air pendant la marche.

Mais si on dépasse cette deuxième position, toute communication entre le réservoir principal et la conduite est coupée. En tournant la poignée, on diminue de plus en plus la pression exercée sur le ressort B ainsi que sur la valve supérieure V, et l’air de la conduite s’échappe dans l’atmosphère. L’application des freins a lieu avec une force correspondante à la diminution de pression.

Dans la troisième position, le ressort B est complètement libre ; l’air s’échappe rapidement et les freins sont serrés à fond.

Ce robinet permet ainsi de graduer d’une façon parfaite l’énergie qu’on veut donner à l’application des freins, quel que soit le nombre des véhicules du train.

Fig. 240. — Frein Westinghouse (coupe de la pompe à air).

Nous représentons dans la figure ci-contre une coupe de la pompe à air à action directe. La vapeur de la chaudière pénètre, en D, dans l’espace compris entre les deux pistons g et h du tiroir. Le piston g étant d’un diamètre supérieur à h, la pression tend à faire monter le tiroir, lorsqu’il n’est pas retenu par la pression plus grande du piston k, se mouvant dans le cylindre m. Ce dernier piston est maintenu abaissé par la pression de la vapeur arrivant de la chambre A, laquelle est toujours en communication à l’aide du conduit f avec l’espace compris entre les pistons g et h. Au moment où le piston P achève sa course ascensionnelle, la plaque n soulève la tige l et avec elle le tiroir p qui vient fermer la communication a entre la chambre A et le cylindre m et ouvrir en même temps l’orifice d’échappement b vers l’extérieur par le conduit c, supprimant ainsi la pression sur la face supérieure du piston k.

La vapeur soulève alors l’ensemble du tiroir, et vient agir sur la face supérieure du piston P ; la partie inférieure est ouverte à l’échappement.

En arrivant au bas de sa course le piston principal fait prendre de nouveau à la tige l et au tiroir p la position figurée, donne au tiroir principal la position inverse et prend par suite lui-même un mouvement en sens inverse. La tige T commande directement le piston Q de la pompe ; l’aspiration de l’air se fait par l’ouverture e, et le refoulement par le tuyau B au moyen des clapets i.

Le frein Westinghouse automatique est universellement adopté en Amérique, En France il fonctionne sur tout le réseau des chemins de fer de l’Ouest et de l’Est. La Compagnie d’Orléans a adopté le perfectionnement Wenger, et la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée le perfectionnement Henry. L’Allemagne du Nord a adopté le perfectionnement Carpenter, qui supprime la triple valve.

Nous venons de décrire les deux systèmes rivaux de freins continus. La pratique n’a pas encore permis de prononcer définitivement entre le frein à air raréfié et celui à air comprimé, qui se partagent actuellement le service des voies ferrées en Europe. Le frein à vide non automatique se recommande par sa simplicité, et il est facile de le rendre automatique ; d’autre part, dans le frein à air comprimé, les fuites sont difficiles à éviter complètement, et la triple valve est un organe malheureusement délicat. Il est vrai qu’on est à peu près arrivé, ainsi que nous l’avons dit, à la supprimer, tout en conservant au frein Westinghouse ses qualités essentielles.

Tels sont les avantages et les défauts de l’un et de l’autre procédé.

Un fait général peut être énoncé à la double louange des deux systèmes de freins continus. C’est que ce genre de frein, primitivement imaginé pour parer aux rencontres des trains, c’est-à-dire pour ne servir que dans les moments critiques d’accidents à prévenir, fonctionne aujourd’hui sur tous les trains, pour le service courant. Le frein à vide et le frein à air comprimé ne sont plus des appareils auxquels on ait recours uniquement en cas de danger. Ils sont installés sur tous les wagons, et servent à la marche normale des trains, comme aux manœuvres des gares. C’est là le plus grand éloge à faire de l’un et de l’autre.

Le seul point sur lequel hésitent encore les Compagnies de chemin de fer, c’est l’adoption de l’un ou de l’autre système. Le choix définitif sera fait un jour par les ingénieurs des Compagnies, à moins qu’un perfectionnement capital et inattendu ne permette au frein électrique, actuellement délaissé et même abandonné, mais dont le principe est certainement le plus simple et le plus rationnel, de reconquérir la première place.




CHAPITRE VII

la concentration et l’enclenchement des leviers d’aiguillage et de signaux. — les postes-vigies centraux.

À l’origine des chemins de fer, les leviers de manœuvre des aiguilles destinées à faire passer les trains ou les wagons d’une voie à une autre, ainsi que les signaux à exécuter pour les avis à donner sur la ligne, étaient disséminés et sans aucune liaison entre eux. L’aiguilleur chargé d’assurer la manœuvre de plusieurs leviers était forcé de se déplacer constamment de l’un à l’autre.

À mesure que le trafic s’est développé et que le nombre des trains s’est accru, il est devenu indispensable, non seulement de manœuvrer plus fréquemment les leviers d’aiguillage et les appareils à signaux, mais aussi de les multiplier sur les points où la circulation est particulièrement active. Le travail de l’aiguilleur était devenu ainsi de plus en plus difficile. On conçoit donc que l’on ait cherché à éviter aux aiguilleurs les nombreux déplacements qui fatiguaient leur attention, et occasionnaient des erreurs.

Il est prouvé que la majeure partie des accidents qui se produisaient autrefois sur les lignes de chemins de fer, provenaient des fautes du personnel, et particulièrement des erreurs commises par les aiguilleurs. Leur distraction, leur fatigue, qui les portait au sommeil, au moment où l’emploi de leurs bras était nécessaire, causaient de fausses manœuvres, qui pouvaient avoir des conséquences terribles.

C’est ainsi qu’est venue l’idée de concentrer les leviers de changement de voie sur un point unique, où ils sont manœuvrés par un seul et même agent, lequel, sans se déplacer, peut ouvrir ou fermer un grand nombre de voies confiées à sa vigilance. Sans doute, la responsabilité de l’aiguilleur devient ainsi plus lourde que n’était celle des anciens employés subalternes, jadis chargés d’un petit nombre de leviers. Mais d’autre part, on peut apporter plus de soin dans le recrutement de ce personnel, leur donner un salaire plus élevé et appeler à ce poste des hommes d’élite. On peut imposer à chacun d’eux une consigne plus rigoureuse, puisque tout le service est centralisé en ses mains. Enfin, et surtout, le groupement des leviers permet, au moyen du procédé de l’enclenchement, d’empêcher mécaniquement l’aiguilleur de commettre une erreur.

Nous allons examiner successivement comment on a réalisé ces deux perfectionnements, à savoir : 1o la concentration des leviers de changement de voie ; 2o l’enclenchement des leviers.

La concentration des leviers de changement de voie consiste à réunir sur un même point, que l’on appelle poste de l’aiguilleur, les leviers de changement de voie situés dans un certain rayon, et à commander, à une distance souvent considérable, les aiguilles, au moyen d’une transmission de mouvement, qui se fait par des tiges de fer rigides. Quant aux signaux qui accompagnent la manœuvre des changements de voie ils se transmettent, non par des tiges rigides, mais par de simples fils de fer.

Les transmissions rigides les plus répandues sont réalisées au moyen de tringles en fer creux, guidées, de deux mètres en deux mètres, par deux poulies à gorge creuse superposées. Afin de prévenir les effets de la dilatation linéaire du fer, qui devient très appréciable sur une pareille longueur, ainsi que pour les grands écarts de température, ce qui pourrait empêcher le fonctionnement de l’appareil commandé, on place soit dans un plan horizontal, soit dans un plan vertical, un appareil spécial de compensation.

Nous donnons dans la figure 241 l’élévation du levier de transmission et de ses supports, avec l’appareil compensateur vertical. Les tiges de transmission, T, mues par le levier, P, que le mécanicien fait basculer, sont supportées par des poulies, D E. Le compensateur vertical est formé de deux équerres H H’, reliées entre elles, à une extrémité par une bielle I, et à l’autre avec les tringles T.

Le balancier compensateur horizontal, est formé d’une tige B′B′ (fig. 242) oscillant autour d’un axe, en son milieu, O.

Les deux extrémités du balancier sont quelquefois attachées à des bielles articulées avec les tringles de fer creux, et dont le rôle est de rendre plus douce la manœuvre de la tringle, qui doit se mouvoir en ligne droite, tandis que les extrémités du balancier décrivent des arcs de cercle ; mais dans certaines transmissions, on supprime les bielles articulées, pour simplifier la construction. Il est évident que le fonctionnement est alors moins bon.

Si la transmission doit longer des voies courbes, elle forme les côtés d’un polygone inscrit à la courbe, et dont les différentes parties sont réunies, par des genouillères, aux points d’inflexion.

Tous les organes de la transmission du mouvement sont montés sur de solides bâtis en charpente, destinés à rendre indéformable le canevas géométrique de l’ensemble.

En Autriche, on fait usage, comme en France, de tiges de fer, mais au lieu de leur communiquer un mouvement de translation, on leur imprime un mouvement de rotation.


Le poste de l’aiguilleur se trouvant à une distance souvent considérable du changement de voie à effectuer, il lui devient impossible de s’assurer si l’aiguille a bien manœuvré, et si elle est bien placée pour assurer le passage du train attendu. Il a donc fallu disposer de nouveaux appareils, soit pour renseigner l’aiguilleur sur la position des aiguilles, soit pour assurer le calage effectif.

L’appareil contrôleur de l’aiguillage le plus répandu sur les chemins de fer français, est le contrôleur électrique de Lartigue, depuis longtemps employé par la Compagnie du chemin de fer du Nord, et que nous représentons en coupe dans les figures 243 et 244.

Fig. 243. — Contrôleur Lartigue (coupe longitudinale du commutateur).
Fig. 244. — Contrôleur électrique (système Lartigue).

Une boîte en ébonite est divisée en deux compartiments inégaux par une cloison percée d’un petit orifice. Le mercure qui remplit la boîte ne peut, lorsqu’elle vient à basculer, passer d’un compartiment dans l’autre que sous forme d’un mince filet. Dans l’intérieur du grand compartiment sont deux tiges en platine, entre lesquelles la communication électrique est établie, ou interrompue, suivant que le mercure les baigne toutes les deux ou n’en baigne qu’une seule ; ce qui dépend de la position horizontale ou inclinée de la boîte.

Cette boîte, qui joue ainsi le rôle de commutateur, est montée sur un levier coudé, B (fig. 244) articulé sur une plaque, A, fixée contre le rail et en face de la pointe de l’aiguille L. La tête d’un boulon D articulé avec ce levier, dépasse légèrement la saillie du champignon du rail ; de sorte que si l’aiguille vient s’appliquer exactement contre le rail, elle fait basculer le levier coudé et le commutateur. Alors le mercure s’écoule et la communication est interrompue.

Les tiges de platine communiquent l’une avec la terre, l’autre avec une pile et une sonnerie, situées près du levier de manœuvre. Comme il existe un pareil commutateur à chaque lame, si l’aiguille est bien faite, l’une des lames étant exactement appliquée contre le rail, l’autre en étant écartée, l’un des commutateurs est incliné, l’autre est horizontal, le circuit est interrompu et la sonnerie ne peut tinter.

Mais dès que pour une cause quelconque, les deux lames sont écartées des rails, ne fût-ce que de 3 ou 4 millimètres, les deux commutateurs occupent la position horizontale, le circuit est rétabli, et la sonnerie se met à tinter dans la cabine de l’aiguilleur, qui est ainsi averti que l’aiguille est mal faite et qu’il ne doit pas effacer le disque protégeant cette aiguille.


Le calage effectif des lames d’aiguilles, si important pour celles qui sont prises en tête par les trains, tant, au point de vue de la conservation des aiguilles, qu’au point de vue de la sécurité, est obtenu, soit automatiquement, au passage des trains, par les pédales de calage, soit à la main, au moyen de verrous, qui, manœuvrés à distance, ne peuvent être lancés que si les lames sont exactement appliquées.

Les pédales ont l’avantage, lorsqu’elles sont appliquées à une aiguille, d’empêcher l’aiguilleur de changer la direction de cette aiguille tant qu’elle n’est pas entièrement dégagée par les roues des véhicules.

Fig. 245. — Pédale de calage d’une aiguille.

Nous représentons (fig. 245) la disposition d’un calage au moyen de pédales. En avant de l’aiguille en pointe P est placée, extérieurement au rail fixe, une pédale, A, articulée en a, et qui porte une saillie antérieure, en forme de coin, au-dessous de laquelle un autre coin disposé en sens inverse et relié par un levier coudé, C, aux lames de l’aiguille, se meut horizontalement.

Quand on manœuvre l’aiguille, le coin inférieur passe d’un côté à l’autre du coin supérieur, en soulevant légèrement la pédale ; celle-ci étant pressée par les bandages des roues, au passage du train, le coin supérieur force toujours le coin inférieur dans un sens ou dans l’autre, ce qui maintient l’aiguille appliquée ou écartée du rail.

Fig. 246. — Plan et coupe du verrou d’aiguilles Saxby Farmer.

Quant au verrouillage qui donne le même résultat, il s’obtient de la manière suivante. L’entretoise d (fig. 246), qui établit la solidarité entre les deux lames de l’aiguille ll′ porte deux ouvertures, o, disposées de manière à venir se placer alternativement vis-à-vis du verrou cylindrique, c, suivant que les lames occupent l’une ou l’autre de leurs positions.

Au moyen d’un levier, et d’une transmission rigide, semblable à celle qui sert à manœuvrer l’aiguille, et par l’intermédiaire de deux renvois d’équerre, aa′, on communique un mouvement de va-et-vient à une tige, b, parallèle aux rails, et qui porte le verrou cylindrique c. Si, pour une raison quelconque, l’une des lames n’est pas exactement appliquée contre le rail correspondant, le trou o n’est pas en face du verrou, et il est impossible de lancer le verrou. Si, au contraire, le verrou peut pénétrer dans le trou o il cale énergiquement les lames de l’aiguille.

Dans le cas du calage par verrous, un contrôleur Lartigue est destiné à indiquer à l’aiguilleur, non pas si l’aiguillage est bien fait, puisque la possibilité ou l’impossibilité du verrouillage l’a déjà renseigné sur ce point, mais de lui montrer si le verrouillage est lui-même correctement fait.

Le levier de calage étant placé près du levier de manœuvre du disque d’arrêt, présente, en outre, l’avantage de pouvoir être enclenché avec ce dernier, de manière que l’aiguilleur ne puisse effacer le disque et donner passage au train, tant que le verrouillage n’est pas fait. Réciproquement il ne pourra déverrouiller, et par suite, changer l’aiguillage, avant d’avoir replacé le disque à l’arrêt.

La concentration d’un grand nombre de leviers de manœuvre dans un poste unique, à la portée d’un seul agent, qui a pour résultat immédiat de lui éviter les déplacements, a surtout l’avantage de permettre aisément de les enclencher entre eux ; ce qui est assurément le moyen le plus puissant d’assurer la sécurité de la circulation des trains.

Le but de l’enclenchement est de réaliser, entre les leviers servant à actionner des aiguilles, des signaux ou d’autres appareils, une dépendance mécanique, qui mette les aiguilleurs dans l’impossibilité matérielle de manœuvrer les leviers d’appareils autorisant un mouvement, tant que d’autres leviers sont dans une position permettant l’exécution de mouvements qui ne pourraient se faire sans danger en même temps que le premier.

À l’aide des enclenchements, quel que soit le nombre des appareils et des mouvements, on peut toujours obtenir une sécurité absolue et mathématique, en multipliant suffisamment le nombre des leviers, à condition que la circulation ait lieu dans le sens normal en vue duquel les appareils ont été installés. Cette solidarité est si parfaite, que l’on a pu dire, d’une façon imagée et pittoresque, mais sans aucune exagération, qu’un aveugle entrant dans un poste d’aiguillage, renfermant deux cents leviers et plus même, comme il en existe à l’entrée de certaines grandes gares anglaises, pourrait manœuvrer au besoin tous les leviers, sans qu’il en pût résulter d’autre conséquence fâcheuse que l’arrêt de tous les trains.

L’origine des enclenchements remonte, en France, à 1854. C’est, en effet, à cette époque qu’un ingénieur de la Compagnie du chemin de fer du Nord, M. Vignier, imagina de relier les leviers des aiguilles de bifurcation avec ceux des disques d’arrêt, de manière à empêcher le croisement ou la convergence de deux trains de directions différentes.

En Angleterre, M. Saxby proposa, vers 1856, un premier système d’enclenchement, qui, depuis cette époque, n’a cessé d’être perfectionné. D’autres systèmes d’enclenchement, soit dérivés de ceux de Vignier et de M. Saxby, soit reposant sur un principe tout différent, comme celui de Rothmüller, ont été proposés et appliqués sur certains points ; mais le système actuellement employé par MM. Saxby et Farmer est le plus répandu aujourd’hui, non seulement en Angleterre, mais aussi sur le continent. Il est d’une précision rigoureuse et a l’immense avantage de permettre la réunion dans un seul poste d’un nombre de leviers qu’il serait impraticable de réunir avec les autres systèmes.

On compte 34 leviers dans le poste de Fives, sur le réseau du Nord. Le poste central de la gare de Cannon-street, à Londres, ne contient pas moins de 70 leviers ; celui de Waterloo-Bridge en a 109, et celui de London-Bridge en renferme 280, desservis par quatre agents en service simultané. On peut dire qu’il n’y a pas de limite au nombre des leviers de manœuvre dans un même poste.

Le principe du système Saxby et Farmer le rend, de plus, parfaitement applicable à tous les cas que peut présenter l’exploitation des chemins de fer, et qui peuvent varier avec les circonstances locales.


Tous les enclenchements, considérés d’une manière générale, peuvent se ramener à deux types généraux : 1o enclenchements mutuels de leviers concentrés en un point ; 2o enclenchements à distance de leviers disséminés.

Il peut être nécessaire, en effet, d’empêcher le signaleur de manœuvrer certains leviers sans l’autorisation expresse d’agents placés en d’autres points de la gare, lesquels doivent, par conséquent, pouvoir enclencher les leviers à distance.

Nous ne nous occuperons que des premiers de ces enclenchements ; ce qui revient à dire que nous ne donnerons la description que de l’enclenchement Vignier et des appareils actuels de MM. Saxby et Farmer.

Dans un poste Vignier, les leviers sont généralement disposés perpendiculairement aux voies, de part et d’autre de la guérite de l’aiguilleur. Les enclenchements sont établis en plein air et au niveau du sol, sur une plate-forme située en avant des leviers. Ceux-ci, qui sont à contrepoids ou à secteur, mettent en mouvement, indépendamment de la transmission destinée à manœuvrer les appareils, aiguilles ou signaux, des bielles, auxquelles ils communiquent un déplacement longitudinal.

Lorsque le levier est enclencheur, la bielle commande une manivelle, qui donne un mouvement de rotation à un axe auquel sont fixés les verrous.

Lorsqu’au contraire le levier ne manœuvre pas de verrous, la bielle commande une tringle rectangulaire percée de trous ronds qui, suivant la position de l’appareil, viennent se placer en face des verroux verticaux et cylindriques auxquels les axes communiquent un mouvement de descente ou de remonte.


Le système Vignier est aujourd’hui à peu près abandonné, et remplacé par les cabines Saxby et Farmer.

Dans le système Saxby et Farmer, les leviers et leurs enclenchements sont généralement placés dans des cabines vitrées, dont le plancher est à une hauteur de 3, 4 et même 6 mètres au-dessus du sol (fig. 247), afin de permettre à l’agent appelé signaleur, qui manœuvre ces leviers, d’embrasser d’un coup d’œil l’étendue des voies à une certaine distance autour de son poste. Les leviers sont alignés dans le sens de la longueur de la cabine ; dans leur position normale ils sont tous inclinés du côté opposé au signaleur. Pour manœuvrer les appareils, le signaleur doit renverser ou amener à lui les leviers.

Fig. 247. — Une cabine d’aiguillage mécanique et la voie de croisement.

Le mouvement d’oscillation du levier se transmet, directement au-dessous de la cabine, aux tringles et aux fils de fer qui commandent les aiguilles ainsi que les disques d’arrêt, ou signaux. Pour cela, comme on le voit sur la figure 248, au-dessous du plancher de la cabine tous les leviers sont montés, à frottement doux, sur un axe R, puis coudés de part et d’autre. Une des extrémités porte un contrepoids P. À l’autre extrémité s’attache la chaînette, qui passant sur une poulie, va manœuvrer à distance les disques à l’aide d’une transmission par fils. Lorsqu’il s’agit d’aiguilles ou de verrous d’aiguilles, la transmission est formée tout entière de tringles et de renvois d’équerre, pour sortir de la cabine. Telle est la manière dont le mouvement des leviers se transmet à distance aux disques de signaux placés le long de la voie, ou aux aiguilles à déplacer.

Fig. 248. — Système d’enclenchement de MM. Saxby et Farmer (élévation et vue par bout).

Quant à la manière de produire le mouvement de ces leviers, la partie supérieure de la figure 248 qui donne une coupe de l’intérieur d’une cabine Saxby et Farmer, va le faire comprendre.

Les enclenchements sont mis en mouvement par les oscillations d’un balancier à coulisses, B, mobile autour d’un axe, O, et auquel la manœuvre du levier, L, communique un mouvement de bascule. Le levier, L, est muni d’une poignée à ressort, l′ articulée en i, et commandant une tige, l, qui peut glisser le long du levier L, et qu’un ressort, a, tend à ramener vers le bas, de manière que son extrémité se loge dans l’un ou l’autre des deux crans d’arrêt situés aux deux extrémités du secteur fixe, A. La tige, l, est, en outre, munie d’un coulisseau, d, qui parcourt la coulisse du balancier, B.

C’est à cette disposition que l’appareil Saxby et Farmer doit sa supériorité sur tous les autres. En effet, dès qu’on relève la tige, l, pour faire sortir son extrémité du cran du balancier, on fait remonter le coulisseau d, et par suite, l’extrémité du balancier, B, qui devient ainsi concentrique à l’arc décrit par le levier. Ce relèvement du balancier a immédiatement pour effet de paralyser tous les leviers que l’on doit enclencher, en manœuvrant celui dont il s’agit. Mais pour que le balancier achève entièrement son oscillation, il faut amener le levier L jusqu’à fin de course, et tant qu’il n’est pas arrivé à fin de course, aucun des leviers que doit dégager celui dont il s’agit n’est déclenché.

En un mot, dès que le mouvement est commencé, les leviers, qui doivent être enclenchés, le deviennent immédiatement. Ils restent enclenchés pendant toute la course du levier, tandis que ceux qui doivent être dégagés ne le deviennent que lorsque le levier enclencheur a terminé son mouvement.

Au moment où le levier est au point mort de sa course, c’est-à-dire quand il est vertical et que le coulisseau d est en ligne droite avec les axes R et O, on pourrait faire osciller le balancier B et obtenir le déclenchement de tous les appareils. Pour rendre cette fraude impossible, le levier L porte une pièce, T, faisant une saillie latérale et munie à l’intérieur de deux mâchoires m, séparées par une rainure évasée ; le balancier porte de son côté un rebord saillant V. Quand le levier est arrivé au point mort de sa course, les mâchoires ont déjà dépassé le milieu de l’arc du balancier et forment avec le coulisseau d et l’axe O, les trois sommets d’un triangle qui assure la fixité du balancier.

Le mouvement du balancier se transmet, par la bielle D, et la manivelle M, à un axe horizontal, G, parallèle au plan du balancier et qui fait corps avec une pièce de fonte horizontale H (fig. 248) appelée gril et percée d’ouvertures rectangulaires.

Au-dessus et au-dessous de ces ouvertures sont alignées des tringles, également en fonte, auxquelles certains grils impriment un mouvement horizontal de translation.

Fig. 249. — Coupe longitudinale de la table d’enclenchement Saxby et Farmer.

Ces derniers grils (fig. 249) portent, vis-à-vis de la tringle, un prolongement porté par un petit bouton saillant ; sur la tringle est monté un taquet échancré, dans lequel pénètre le bouton.

L’ensemble des grils et des tringles d’un poste constitue ce qu’on appelle la table d’enclenchement. Ce sont les tringles qui établissent une liaison entre tous les grils. À cet effet, elles sont armées, de place en place, de taquets K (fig. 249) qui, par suite du mouvement de translation de la tringle, viennent se placer soit vis-à-vis des ouvertures du gril, soit vis-à-vis de la bordure pleine des grils, autorisant ou empêchant la rotation des grils, et par conséquent permettant ou non la manœuvre des leviers correspondants. Inversement si le gril a exécuté sa rotation, il empêche la mise en marche ou le retour en arrière du taquet : c’est ce qui constitue le verrouillage.

Fig. 250. — Détail des enclenchements Saxby et Farmer (mécanisme de translation des tringles).

La forme de ces taquets et leur emplacement sur les tringles, varient avec les combinaisons d’enclenchement qu’ils ont à réaliser.

En arrière de la table d’enclenchement se trouvent montés, sur cette table, un support et une planchette longitudinale en bois recouverte de cuivre, sur laquelle est inscrite la nomenclature des leviers. Chaque levier porte lui-même une plaquette en cuivre, sur laquelle sont inscrits le numéro du levier et l’ordre dans lequel l’enclenchement exige que l’on manœuvre les autres leviers enclenchés avec lui.

Fig. 251. — L’aiguillage mécanique dans une cabine Saxby Farmer (poste-vigie).



CHAPITRE VIII

le « block system ». — les électro-sémaphores.

Dans les premiers temps de l’exploitation des voies ferrées, on se contentait de la prescription d’un intervalle de temps, pour espacer entre eux les trains qui suivaient la même direction. Cet intervalle de temps était de dix minutes. Une telle mesure aurait été suffisante si les trains se succédaient avec une vitesse égale ; s’il ne survenait ni déraillement des véhicules, ni éboulements de murs ; si un train ne demeurait pas en détresse, par suite d’un accident survenu à la locomotive ou aux wagons ; si, en un mot, le service s’exécutait d’une manière absolument conforme à l’itinéraire de la marche des trains arrêté par la Compagnie et inscrit sur les Indicateurs, dont les voyageurs se munissent.

Mais une telle régularité n’est pas l’expression de la pratique. En fait, les trains ne sont jamais espacés régulièrement à dix minutes de temps les uns des autres. Si les trains de grande vitesse viennent à patiner sur place, sans avancer, ils sont rejoints par un autre train rapide, qui les suit. Un train de marchandises dont la marche était calculée à une allure anormale, accélérée, peut se mettre en retard d’une façon imprévue, et il peut alors être tamponné par un train de voyageurs, marchant dans le même sens et animé d’une vitesse supérieure.

Disons encore que le conducteur du premier train peut s’endormir, et se laisser rejoindre par le train qui le suivait à dix minutes de distance.

Enfin, si un train a déraillé, les agents peuvent être blessés, et le train ne pouvoir être remis en marche en temps utile.

Sans doute, il ne faut pas généraliser ce qui précède. Sur une ligne dont le trafic est faible, et dont les trains sont largement espacés, les conditions sont plus rassurantes, et la règle relative au temps servant à séparer les trains, a sa pleine efficacité. Mais sur les réseaux français et étrangers, le trafic est aujourd’hui d’une telle importance, et souvent d’une telle complication, que l’intervalle réglementaire autrefois usité est devenu une grande gêne, et que l’on aurait intérêt à diminuer cet intervalle, si on pouvait le faire sans imprudence.

On a acquis une garantie presque absolue de sécurité en renonçant à la prescription de l’intervalle de temps, et adoptant, comme règle nouvelle, la distance à maintenir entre les trains circulant dans le même sens.

C’est ce qui a été réalisé par l’invention du block system, qui assure l’activité et la sécurité de la circulation, en protégeant les trains, non plus par la considération du temps, mais par celle de l’espace.

Pour réaliser le block system, on divise la ligne en sections de 3, 4, ou 5 kilomètres, par exemple, et l’on place des signaux indiquant que la voie est fermée en amont d’une section, tant qu’il y a un train circulant dans cette section. Quand il arrive à l’origine d’une section, et qu’il voit le signal de voie libre, le mécanicien est certain que la route est libre devant lui, sur toute la longueur de la section. Réciproquement, un train qui, pour une cause quelconque, se traîne ou s’arrête, est averti par le signal, qu’aucun autre train ne pénétrera dans la section qu’il occupe.

Tel est le système que les Anglais ont appelé block system (du mot block, bloquer).

Il importe d’ajouter que quelquefois l’application de ce principe est moins rigoureuse. Le mécanicien qui trouve une section fermée, est autorisé à y pénétrer à une vitesse réduite ; et de telle sorte qu’il puisse s’arrêter dans l’espace qu’il découvre devant lui. Le mécanicien marche alors à vue, dans toute l’étendue de la section fermée.

Cette dérogation à la règle est connue sous le nom de block permissive system. Dans l’un ou dans l’autre des cas précédents, les signaux sont, d’ailleurs, les mêmes ; seule l’interprétation de ces signaux est un peu différente.

Le block system consiste donc, nous le répétons, à diviser la ligne en sections, et à faire en sorte que le signal voie-libre, placé à l’entrée d’une section, donne au mécanicien l’avis que le train qui s’était engagé dans cette section, en est sorti à l’autre extrémité.

Avant l’année 1842, alors que l’électricité n’était pas encore appliquée à l’exploitation des chemins de fer, il n’existait aucune communication entre les postes de signaux distribués le long de la voie. À cette époque, sir W. Cooke indiqua, dans un ouvrage intitulé Telegraphic Railways, tout le parti que l’on pouvait tirer de l’électricité pour l’exécution de signaux assurant la sécurité des trains. Il fixa, grâce à l’emploi de signaux électriques, les principes essentiels du block system ; si bien que, dès l’année 1844, une partie du réseau du chemin de fer Eastern-Countries fut pourvue de signaux électriques installés à cet effet.

Ce mode d’exploitation fut pourtant bientôt abandonné, malgré les résultats satisfaisants qu’il avait fournis, parce que la Compagnie du railway le considérait comme trop coûteux.

Cette idée fut reprise en 1847, en France. Eugène Flachat, assisté de Regnault, chef du mouvement au chemin de fer de Saint-Germain, fit des essais attentifs de ce mode de surveillance de la voie.

En 1851, M. Walker, ingénieur électricien du South-Eastern Railway, reprenant les essais de W. Cooke, proposa un nouvel appareil indicateur à cadran. Puis ce fut le tour des appareils Tyer, Tyer et Jousselin, Regnault, Marqfoy, Spagnoletti, Preece, etc.

L’année 1872 vit naître, presque simultanément, de nouveaux appareils, qui réalisaient ce qu’on appelle le block and interlocking system. Tels sont les électro-sémaphores de MM. Siemens et Halske et de MM. Tesse, Lartigue et Prudhomme.

En Angleterre, l’exploitation des chemins de fer par le block system s’étendait, au 1er janvier 1875, à plus de 8 000 kilomètres de voies ferrées, soit à peu près à la moitié du réseau, et les ingénieurs anglais considéraient déjà ce mode d’exploitation comme la condition essentielle de la sécurité sur les lignes à grand trafic.

En Belgique, à la séance de la Chambre des représentants du 23 avril 1873, le Ministre des travaux publics déclarait que le block system était le seul moyen d’éviter les collisions, et leurs conséquences, souvent si désastreuses. Enfin, ce procédé fut rendu obligatoire, peu d’années après, sur les chemins de fer de la Hollande.

En France le block system a été adopté, dès l’année 1880, par les Compagnies du chemin de fer du Nord et de Paris-Lyon-Méditerranée, sur une grande étendue de leur réseau.

Les autres Compagnies ont adopté seulement le block permissive system, c’est-à-dire le système mitigé, tel que nous l’avons expliqué plus haut.

Nous avons maintenant à exposer les moyens pratiques de réaliser le block system, c’est-à-dire à expliquer comment les employés de la voie peuvent interdire à un train l’entrée dans une section, ou lui en permettre le passage.

La réalisation du block system exige : 1o la division de la voie en sections ; 2o l’établissement de postes à chaque extrémité des sections ; 3o l’installation d’un procédé de correspondance permettant au poste d’aval d’une section d’avertir le poste d’amont qu’un train engagé dans la section vient d’en sortir.

Si le télégraphe électrique pouvait suffire à signaler l’entrée et la sortie des sections par un train, le problème serait facilement résolu. Mais la correspondance par le télégraphe électrique exige du temps, et elle peut être traversée par des erreurs, qui seraient funestes. Il a donc fallu rechercher un autre mode de correspondance à distance, pour donner aux mécaniciens des trains en marche les avis dont ils ont besoin.

C’est par des signaux qu’exécutent les sémaphores et par un appareil télégraphique particulier, appelé appareil Tyer — du nom de son inventeur — que les stationnaires du block system envoient leurs ordres aux mécaniciens des trains en marche.

L’appareil indicateur Tyer, que nous représentons dans la figure 252, est simple ou double, suivant qu’il doit être placé en tête de ligne ou à un poste intermédiaire.

Fig. 252. — Appareil Tyer. Fig. 253. — L’électro-aimant de l’appareil Tyer.

Chaque récepteur simple se compose de deux aiguilles de fer, A, A′, de couleur différente, placées l’une au-dessous de l’autre, et qui, suivant qu’elles sont inclinées à droite ou à gauche, indiquent l’une, pour la voie de droite, l’autre pour la voie de gauche, que la voie est libre, ou qu’elle est occupée. Sur l’axe de chacune de ces aiguilles, A (fig. 253), à l’intérieur de la boîte, est fixée une armature en fer doux, E, qui oscille entre les pôles d’un aimant en fer à cheval B ; et elle s’incline vers l’un ou vers l’autre, suivant que l’électro-aimant qui vient l’animer reçoit un courant dans un sens ou dans l’autre.

Après le passage d’un courant dans la bobine de l’électro-aimant, l’aiguille se maintient dans la position où elle a été amenée, ou dans laquelle elle est restée par suite de l’adhérence de l’aimant naturel.

Fig. 254. — Appareil Tyer (poussoir).

Au-dessous du cadran sont deux poussoirs, P P′ ; l’un sert pour signaler la voie libre, l’autre pour la voie occupée.

La figure ci-dessus donne la coupe de ce poussoir. Le mouvement est produit par le courant électrique venant actionner deux touches, A, A, munies, à l’intérieur de la boîte, de deux pièces allongées, en ébonite, E, sur chacune desquelles sont incrustées deux lames de contact en cuivre, l, l’une à gauche, l’autre à droite. Celles de ces deux lames qui sont voisines, dans les deux poussoirs, sont munies de saillies disposées de manière à agir sur un ressort de contact, l, qui est en communication avec le récepteur du poste correspondant. Les lames extrêmes établissent la communication avec la terre, T. Quatre autres lames C Z complètent l’inverseur.


Un poste de block system, quand il est tête de ligne, renferme une pile voltaïque et un récepteur double, divisé en deux moitiés, destinées, l’une aux relations avec le poste qui le précède, l’autre aux relations avec le poste qui suit.

Des agents, ou stationnaires, sont attachés à chacun des postes. Ils sont chargés de manœuvrer les appareils, et doivent faire leur service de jour et de nuit, en se suppléant.

À chacun des postes est fixé un sémaphore, c’est-à-dire un poteau très élevé, portant un bras mobile.

Ajoutons qu’il n’y a pas toujours de cabines spéciales pour les stationnaires du block system, et que le plus souvent ce sont les employés de l’aiguillage, qui, dans les postes-vigies que nous avons décrits dans le chapitre précédent, sont chargés de la transmission des signaux sémaphoriques se rattachant au block system.

La consigne est que deux trains ne doivent jamais se trouver, en même temps, sur la même voie, dans l’intervalle compris entre deux postes consécutifs.

Pour cela, lorsqu’un train part d’un poste du block system, le stationnaire de ce poste avertit son correspondant du poste suivant (bien entendu après l’avoir appelé, par une sonnerie électrique ordinaire, et avoir reçu sa sonnerie en réponse) en poussant le bouton du poussoir de l’appareil Tyer, vers lequel le récepteur est incliné ; ce qui lui apprend que la voie est occupée. L’agent du poste correspondant pousse le bouton placé sur les mots : voie occupée ; ce qui ramène sur ces mots l’aiguille inférieure de son récepteur et l’aiguille supérieure du récepteur de son correspondant.

Dès que le train a dépassé le poste du stationnaire auquel il a été annoncé, cet agent pousse le bouton placé sur les mots voie libre ; ce qui ramène sur les mêmes mots l’aiguille inférieure de son récepteur et l’aiguille supérieure du récepteur de son correspondant. On peut alors considérer comme certain que la voie est libre entre les deux postes.

Comme il a été dit plus haut, c’est au moyen d’un sémaphore à bras mobile que les stationnaires du block system donnent les avis aux mécaniciens des trains en marche. Dès qu’un train est engagé sur la voie, le stationnaire met le bras du sémaphore dans la position d’arrêt, et il le maintient dans cette situation jusqu’à ce que le récepteur ait signalé que le train a dépassé le poste suivant.

Dès que le train a dépassé le poste Tyer, le stationnaire doit mettre à l’arrêt le bras du sémaphore correspondant à la voie que suit ce train, de manière à le couvrir, avant de signaler voie libre au poste précédent.

Les mêmes opérations se répètent successivement, de poste en poste, au fur et à mesure de l’avancement du train sur la ligne.

Dans les gares, les chefs de gare, véritables inspecteurs généraux de tout ce qui se passe sur la voie, ne doivent laisser partir les trains qu’après s’être assurés, auprès du stationnaire du block system, que la voie est libre juqu’au poste suivant.

En résumé, l’emploi du block system exige, pour un opérateur, les cinq manœuvres suivantes :

1o Le poste A avertit le poste B, au moyen des signaux de l’appareil Tyer, qu’un train s’engage dans la section ;

2o Le poste B met son appareil récepteur et le récepteur du poste A à la position de voie occupée ;

3o Le poste A met à l’arrêt les bras de son sémaphore, dès que le train est engagé sur la voie.

4o Le poste B met son récepteur et le récepteur du poste A à la position voie libre, lorsque le train a dépassé sa section.

5o Le poste A efface son signal d’arrêt du sémaphore.

Tel est le block system qui fonctionne, avec l’appareil Tyer, en Angleterre, sur un grand nombre de lignes, et qui est également en usage sur beaucoup de lignes françaises.

Un ingénieur français, M. Jousselin, a perfectionné l’appareil à signaux de Tyer, en lui donnant la faculté de fournir douze avis différents, au lieu de deux seulement (voie libre et voie occupée) que donne l’appareil anglais.

Fig. 255. — Transmetteur Jousselin. Fig. 256. — Vue intérieure du transmetteur Jousselin.

L’appareil Jousselin se compose de deux parties, le transmetteur et le récepteur.

Le transmetteur se compose d’une boîte plate B (fig. 255) portant un guichet devant lequel viennent successivement apparaître les cases d’un cadran, K, mobile à l’intérieur de la boîte et portant une série de numéros de 1 à 12.

Ce cadran est monté sur un axe (fig. 256) qui se meut à l’intérieur d’un ressort d’horlogerie, et qui porte une roue à rochets, N, munie d’autant de dents qu’il y a de numéros sur le cadran. Le disque P, qui commande cette roue à rochets, est fixé à une manette, L, qui joue à la fois le rôle d’un commutateur électrique et mécanique.

À chaque mouvement de la manette L, on fait avancer la roue d’une dent, et le cadran d’une division ; en même temps qu’on envoie un courant électrique dans l’appareil récepteur, et que l’on bande le ressort d’horlogerie. Pour ramener le cadran à la croix il suffit alors d’appuyer sur le levier de rappel, S ; on fait ainsi échapper le cliquet d’arrêt Z, et l’axe est entraîné par le ressort bandé, en sens inverse de la rotation qui lui avait été imprimée à la main ; de sorte que le cadran revient toujours automatiquement à la croix.

Fig. 257. — Récepteur Jousselin. Fig. 258. — Mécanisme du récepteur.

Le récepteur (dont la vue de face est indiquée par la figure 257 et le mécanisme intérieur par la figure 258) est une boîte, A, portant un cadran, devant lequel se meut une aiguille, I, qui peut s’arrêter devant douze cases numérotées de 1 à 12, ou revenir à la croix. Cette aiguille est montée sur l’axe d’un mouvement d’horlogerie (fig. 258), dont le déclenchement est commandé par la palette P, d’un électro-aimant E.

À chaque émission de courant, produite par le transmetteur, la palette P est attirée contre l’armature E, et dès que le courant est interrompu, elle est ramenée à sa position primitive, par un ressort antagoniste, K. Dans l’intervalle de ces deux mouvements le doigt de déclenchement N, qui retenait une goupille fixée à son extrémité, fait, par l’effort du ressort d’horlogerie, une révolution complète, en entraînant une came, en forme de limaçon, L. Celle-ci agissant à l’extrémité du levier, C, du marteau M, le lance contre le timbre T, et lui fait frapper un coup.

Le levier est ainsi ramené, après chaque coup de timbre, à sa position normale, par l’action du ressort O.

Pendant cette révolution du limaçon, l’arbre sur lequel il est calé, et qui porte à son extrémité un pignon, fait avancer d’un intervalle de 13 dents, correspondant à une division du cadran, la grande roue, R, commandant le déplacement angulaire de l’aiguille. Comme ce mouvement s’effectue à chaque émission de courant, l’aiguille avance, chaque fois, d’une division, dans le même sens que les aiguilles d’une montre.

Le ressort du mouvement d’horlogerie se débandant à chaque mouvement de l’aiguille, il suffit de ramener celle-ci à la croix, pour remonter le ressort.

À chaque poste intermédiaire, il y a deux appareils Tyer-Jousselin, l’un pour la correspondance avec le poste d’amont, l’autre pour celle avec le poste d’aval. Les premières cases sont réservées pour l’annonce des trains de voyageurs, de marchandises, et pour celle des machines isolées. Les neuf autres signaux sont relatifs à des incidents de service.

Nous n’avons pas besoin de dire que les indications fournies par l’appareil Tyer-Jousselin servent aux stationnaires à faire agir les sémaphores de manière à signaler au poste suivant que la voie est libre ou occupée.

Les sémaphores ordinaires, c’est-à-dire mus au pied du mât par des fils ou des tringles, suffisent pour exécuter les signaux adressés aux agents du block system ou aux mécaniciens.


Un appareil plus simple que l’appareil Tyer-Jousselin, est employé par plusieurs Compagnies de l’Angleterre. Nous voulons parler de l’appareil Preece, qui fait apparaître, au moyen du courant électrique, dans le poste même, un sémaphore en miniature, qui indique le signal que l’agent doit exécuter avec le sémaphore de la voie.


Il importe de faire remarquer, en passant, que les indications du sémaphore ne sont pas prises dans le même sens en Angleterre et en France.

En Angleterre, le signal sémaphorique qui protège une section, c’est-à-dire le bras horizontal, perpendiculaire au mât, est constamment à l’arrêt ; il ne s’abaisse que pour laisser passer le train qui se présente, lorsque la section dans laquelle il va entrer est absolument libre, et il est aussitôt relevé à la position horizontale.

En France, au contraire, les signaux sont toujours effacés, et ne se mettent à l’arrêt que pendant toute la durée du temps où la section est occupée.

Le premier mode d’opérer constitue l’exploitation par voie normalement ouverte.

Pour le système anglais, une section peut être absolument vide et le bras du sémaphore qui la protège a son bras effacé.


Tous les appareils que nous venons de passer en revue présentent un même inconvénient commun, qui diminue les garanties que peut fournir le block system ; c’est l’indépendance des signaux faits sur la voie et des appareils de transmission électrique d’un poste à l’autre, et par conséquent, l’absence de solidarité entre les signaux de deux postes consécutifs. Ils ne réalisent que le block system simple.

Pour que le block system fournisse une sécurité absolue, il faut qu’on ne puisse pas :

1o Annoncer un train, sans bloquer la section dans laquelle il vient d’entrer ;

2o Débloquer la section avant d’avoir reçu l’avis formel que la section est effectivement libre ;

3o Débloquer la section en arrière, sans avoir précédemment bloqué la section en avant. C’est ce qui constitue le block system interlocking.

Quel que soit le système d’exploitation, voie libre ou voie fermée, on passe aisément du programme du block simple à celui du block interlocking, en posant comme condition de rendre matériellement obligatoire l’ordre dans lequel chaque gare doit exécuter les manœuvres.

Les appareils les plus anciens pour réaliser ce but sont ceux de Siemens et Halske, inventés en Allemagne, et qui, répondant à certaines conditions d’exploitation spéciales aux lignes allemandes, ne se sont pas répandus dans les autres pays.

En France les appareils électro-sémaphoriques de MM. Lartigue, Tesse et Prudhomme, employés depuis 1874, par la Compagnie du chemin de fer du Nord, réalisent le programme suivant :

1o Solidarité des appareils électriques à donner et à recevoir les avis à distance avec les appareils mécaniques des signaux à vue ;

2o Électricité employée à annoncer en avant l’expédition d’un train, et à débloquer, en arrière, la section devenue libre par le fait d’une seule manœuvre mécanique effectuée sur place ;

3o Signaux maintenus à l’arrêt en cas de dérangement dans le fonctionnement des appareils électriques ;

4o Contrôle immédiat de tout signal électrique envoyé par un signal automatique en retour reçu par l’agent expéditeur ;

5o Impossibilité de débloquer l’origine d’une section sans l’intervention de l’agent de l’autre extrémité.


Les électro-sémaphores imaginés pour la réalisation du block system sur les lignes à deux voies, sont applicables, avec quelques modifications, aux lignes à une voie. Les premiers nous occuperont seuls pour le moment.

Fig. 259. — Mât Lartigue, électro-sémaphorique (coupe de la boîte). Fig. 260. — Mât Lartigue, électro-sémaphorique (élévation de la boîte).

Les figures 259 et 260 représentent le mât en fer de l’électro-sémaphore portant : 1o à la partie supérieure, les deux grandes ailes rouges, A, A1, s’adressant chacune à un sens de la circulation, et éclairées par un feu double rouge et vert ; 2o au milieu, deux petits bras jaunes, aa′1, ou voyants ; 3o enfin à hauteur d’homme, quatre boîtes B1, B2, B′1, B′2, munies de manivelles que l’on tourne pour manœuvrer les ailes, et en même temps pour produire les effets électriques consistant dans l’annonce des trains en avant et dans le déblayage des sections à l’arrière.

Les deux boîtes B1, B2 situées d’un même côté du mât, correspondent aux signaux d’une même voie ; l’une, la boîte no 1, sert pour la communication avec le poste d’aval, l’autre, no 2, pour la communication avec le poste d’amont. La manivelle no 1, lorsqu’on lui fait faire une rotation partielle, sert à amener l’aile A dans la position horizontale, en surmontant l’action du contrepoids qui tend à l’effacer ; l’autre manivelle, lorsqu’on lui fait achever le tour commencé, sert à remonter le petit bras a et à l’effacer le long du mât, en surmontant l’action du contrepoids qui tend à le ramener horizontal. Les choses se passent identiquement pour l’autre voie.

L’aile A, horizontale ou à l’arrêt, et le petit bras a, vertical, ou effacé, sont calés chacun dans cette position sous l’action d’un puissant aimant Hughes, contenu dans chaque boîte de manœuvre. Lorsqu’un courant de sens contraire à celui de l’aimantation est envoyé dans les bobines, le calage est annulé, l’aile supérieure s’efface, et le petit bras se développe horizontalement.

Lorsqu’un train passe à un poste intermédiaire situé en pleine voie, ce train ayant été annoncé par le poste précédent, le petit bras est horizontal et apparent. Le garde manœuvre l’une des manivelles, ce qui a pour effet d’annoncer le train en avant en faisant apparaître le petit bras au poste suivant et d’élever la grande aile à la position horizontale pour couvrir le train qui passe. Puis, le train étant passé, il manœuvre l’autre manivelle ; ce qui a pour effet de déclencher la grande aile du poste précédent pour débloquer la section devenue libre et d’effacer le petit bras au poste considéré. Mais il n’y a toutefois aucune obligation pour chaque garde à manœuvrer l’une des manivelles avant l’autre, les sections sont donc indépendantes, c’est-à-dire qu’on peut débloquer à l’arrière sans être obligé de bloquer en avant, ce qui permet le dépassement de certains trains par d’autres trains à marche plus rapide. Cette indépendance, qui devient un inconvénient quand il s’agit d’assurer le passage des trains qui se succèdent régulièrement, peut être supprimée par l’adjonction d’un appareil complémentaire, qui peut se monter sur un poste quelconque ou s’enlever sans interrompre le service.

Quand un train est annoncé à un poste, le petit bras déclenché produit, en s’abaissant horizontalement, un double effet : d’abord, un carillon se fait entendre au poste où le bras apparaît ; en outre la chute de ce bras produit un courant électrique, faisant retour vers le poste qui l’a déclenché et fait : 1o sonner un timbre, 2o apparaître derrière un guichet au poste expéditeur ces mots voie occupée à la place des mots voie libre : c’est ce qui constitue le double accusé de réception.

De même quand la section est débloquée par l’envoi d’un courant qui déclenche, la grande aile produit un double effet : d’abord un coup de timbre se fait entendre au poste débloqué ; un courant de retour vers le poste qui a déclenché fait apparaître derrière le guichet ces mots voie occupée, qui sont remplacés par les mots voie libre, ce qui constitue un accusé de réception de la manœuvre.

La boîte de manœuvre est en fonte, à fermeture hermétique, garnie de feutre. Nous la représentons dans la figure 261.

Fig. 261. — Coupe intérieure de la boîte de l’électro-sémaphore Lartigue.

Sur l’axe G de la manivelle Q sont montés : 1o un doigt K ; 2o une came en hélice, P ; 3o un disque en ébonite muni à sa circonférence de touches métalliques contre lesquels frottent quatre contacts à ressorts communiquant avec l’électro-aimant I ; 4o une contre-manivelle H, à angle droit, avec la manivelle de manœuvre Q, et commandant la tringle qui met en mouvement la grande aile du sémaphore.

Autour d’un second axe de rotation, peut tourner un système de deux règles prismatiques, faisant entre elles un angle invariable, et situées l’une B, dans le plan de la came P, l’autre N dans le plan du doigt qui, lorsque la manivelle occupe une position à 210° de la verticale, vient buter contre la pièce M, articulée, avec la règle N.

Cette règle porte, à son extrémité en fer doux, la palette J, qui se colle en temps normal contre les pôles de l’aimant I ; quand on fait passer un courant négatif dans les bobines, la force attractive est neutralisée et la palette J se détache.

À la partie supérieure de la boîte est un second aimant, U, plus faible, inverse du premier, c’est-à-dire qu’il faut faire passer dans ses bobines un courant positif pour détacher sa palette reliée au voyant S, et au marteau, de manière que, quand la palette se détache, le marteau frappe un coup sur le timbre, et que le voyant vient apparaître devant la fenêtre ménagée à cet effet dans la paroi de la boîte. Lorsque la palette g quitte l’aimant, la pièce vient d’ailleurs en contact avec lui pour le maintenir constamment armé.

Une roue à rochet avec son cliquet R empêche de tourner la manivelle dans un sens contraire au sens normal. Pour pouvoir échanger des signaux conventionnels en employant le fil de la ligne, un commutateur en ébonite L que l’on déplace en tirant sur la poire pendant à l’extérieur de l’appareil et sollicitée par un ressort antagoniste, porte des frotteurs qui produisent les inversions de courants nécessaires pour envoyer sur le fil de la ligne le courant positif qui est sans action sur l’électro-aimant, mais qui passe dans les bobines X et donne lieu à la production d’un coup de timbre.

Au moment du passage d’un train, le garde du poste expéditeur tourne de 210° la manivelle de la boîte no 1. Le doigt vient buter contre la pièce M ; pendant ce mouvement le commutateur O envoie au moyen des frotteurs un courant négatif dans la boîte no 2 du poste suivant.

Sous l’influence de ce courant, l’aimant I de ce poste est désaimanté, la palette J se détache, le battoir M s’éloigne et dégage le doigt K, qui s’appuyait sur lui en temps normal sous l’action du poids du petit bras, qui n’est plus enclenché et qui tend à retomber ; tout le système monté sur l’axe obéit au mouvement que lui imprime la contre-manivelle et achève la rotation de 150° pour prendre après l’annonce du train exactement la même position qu’occupait la manivelle de la boîte no 1 au poste expéditeur à l’état de repos. Pendant ce mouvement le commutateur prend une nouvelle position, dans laquelle un courant positif est envoyé à l’appareil no 1 du poste expéditeur. Ce courant, qui n’agit que sur l’électro-aimant U de ce poste, détache l’armature, fait apparaître le voyant rouge à la fenêtre et donne un coup de timbre, ce qui constitue le double accusé de réception.

À partir de ce moment, le doigt K bute contre la pièce M ; il est impossible au poste expéditeur d’achever la rotation de la manivelle, et comme d’autre part il ne peut la faire rétrograder, la grande aile mise à l’arrêt s’y trouve calée jusqu’à ce que le poste suivant la déclenche au moment de l’arrivée du train pour débloquer la section.

À ce moment ce poste tourne de 210° la manivelle de son appareil no 2 qui était automatiquement revenue à la position horizontale ; son commutateur envoie un courant négatif dans l’appareil no 1 du poste en arrière qu’il s’agit de débloquer.

L’électro-aimant I se désaimante, sa palette J se détache, le doigt K se dégage et, sous l’action du poids de la grande aile qui retombe, il s’efface ; la manivelle revient à sa position initiale ; dans ce mouvement un goujon fixé sur la face postérieure du commutateur en ébonite actionne un long ressort qui forme le prolongement des voyants, recolle la palette contre l’électro-aimant U et fait revenir le voyant au blanc ; puis la règle B est remontée par la came, et la palette J est recollée contre l’électro-aimant I.

En même temps le commutateur envoie un accusé de réception au poste débloqueur au moyen d’un coup de timbre et en ramenant le voyant au blanc.

Enfin un jeu de carillon se produit mécaniquement au moment où le petit bras prend la position horizontale ou quand la grande aile se déclenche et s’efface, carillon qu’il ne faut pas confondre avec le coup de timbre qui accompagne l’accusé de réception.

Les bras et les ailes du mât sont à claire-voie pour offrir moins de prise au vent.


Depuis l’année 1880, le block system a été réglementé en France, par une circulaire ministérielle. Aux termes de cette circulaire, il y a lieu d’établir le block system sur toutes les sections de lignes où le trafic atteint un mouvement de cinq trains à l’heure dans le même sens, à certaines heures de la journée, ainsi qu’à certains points particuliers, tels que les points de ramification ou de rebroussement des lignes.

La formule des cinq trains à l’heure, espacés, par conséquent, de 12 minutes, en moyenne, a évidemment pour point de départ l’ancienne règle des 10 minutes d’intervalle à ménager au départ d’un point d’arrêt, entre deux trains qui se suivent.

En règle générale, les parties de la ligne parcourues par des trains d’inégale vitesse, celles où des express ont des chances de rejoindre les trains omnibus ou de marchandises qui les précèdent, sont surtout celles qu’il y a lieu de munir de moyens de sécurité perfectionnés.


Les postes de block system sont généralement séparés par une distance de 2 à 3 kilomètres. L’espacement des postes, c’est-à-dire la longueur des sections, est peut-être la question dont l’examen approfondi est le plus nécessaire dans une installation de block system. De cette longueur dépend, en effet, la capacité de la ligne, si l’on applique rigoureusement la règle d’après laquelle deux trains ne doivent jamais se trouver à la fois dans une même section. Si les sections sont trop longues, on risque d’arrêter chaque jour les mêmes trains à l’entrée d’une même section, pour attendre que le train qui précède ait quitté cette section. Si elles sont trop courtes, on réduit la vitesse des trains, qui doivent toujours être forcés de s’arrêter. On est donc limité des deux côtés ; et la distance à établir n’est pas chose facile.

Aussi voit-on la longueur des sections varier extrêmement dans un même réseau, ou sur une même ligne. Aux abords de Paris, les postes sont distants de 1 000 à 1 200 mètres. Sur les lignes très fréquentées de la banlieue et sur les sections de grandes lignes communes à plusieurs directions, elle ne dépasse pas 15 à 1 800 mètres. Mais plus loin, elle peut atteindre 3 kilomètres.

Seulement, dès qu’il y a cinq trains à l’heure dans le même sens, il est difficile de laisser plus de 2 kilomètres 1/2 entre deux postes consécutifs. Il faut compter, en effet, que les trains de marchandises, dont la vitesse commerciale est réglée à 20 ou 25 kilomètres à l’heure, ne font souvent que 18 kilomètres à l’heure, et même moins encore, s’ils ont à gravir une rampe de 5 à 8 millimètres par mètre. Il faut tenir compte aussi du temps nécessaire à leur démarrage au départ des stations et de leur ralentissement aux abords des points où ils doivent s’arrêter.

En ce qui concerne les points où il faut établir les postes, on doit les choisir de manière que les signaux à vue qui en dépendent, soient dans les meilleures conditions possibles, au point de vue de la visibilité et du profil de la voie. On doit éviter de les placer dans les tranchées en courbe, ou aux abords de passages supérieurs, ou derrière les arbres qui ne pourraient être coupés ; — déplacer au besoin les lignes de poteaux télégraphiques ; — se garder d’installer le poste au pied ou au milieu d’une rampe dont la déclivité prononcée rendrait difficile le démarrage des trains lourds qui auraient été obligés de s’arrêter à l’entrée d’une section ; — enfin, choisir de préférence les passages à niveau existants, munis de logements et dont le garde pourra être, simultanément, chargé du service de la barrière et de celui des appareils.


En Angleterre, le block system s’exerce au moyen des appareils Tyer-Jousselin.

En France, les appareils varient selon les Compagnies de chemin de fer. Le chemin de fer du Nord a adopté les sémaphores électriques Lartigue et Prudhomme. Au chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée, on emploie les appareils Tyer-Jousselin. Sur le réseau de l’Ouest, le block system est réalisé au moyen de l’appareil Regnault modifié et établissant une solidarité entre les signaux visuels et l’annonce des trains. Sur la ligne de Paris à Marseille, on compte 233 postes de block system, munis de boîtes Tyer-Jousselin, modifiés de façon à obtenir une dépendance mécanique avec les signaux manœuvrés à la main, pour que le signalement ne puisse pas expédier un train sans bloquer la section en arrière.

Sur les chemins de fer allemands, le block system fonctionne avec des appareils autrement disposés. Nous voulons parler des appareils Siemens et Halske, dont la description spéciale nous entraînerait trop loin, mais qui reviennent, comme les précédents, à la méthode des avertissements donnés par des signaux visuels à chaque train isolé dans la section qu’il a à parcourir.


La dépense que nécessite l’installation du block system est assez élevée. C’est ce qui empêche beaucoup de Compagnies d’y recourir ; mais fût-elle encore plus coûteuse, la sécurité absolue qu’elle assure à l’exploitation des chemins de fer l’emporterait encore sur toute autre considération, en raison de la sécurité.




CHAPITRE IX

protection des lignes à une seule voie par les sémaphores et les cloches allemandes.

Tout ce qui précède s’applique aux lignes à double voie. Sur les lignes à une seule voie, la sécurité de l’exploitation exige que les trains soient, non seulement couverts en arrière, comme sur les lignes à deux voies, pour éviter qu’ils ne soient rejoints par un train marchant dans le même sens, mais encore qu’ils soient protégés en avant contre la possibilité d’une rencontre avec un train marchant en sens inverse.

Grâce à quelques modifications de détail, les électro-sémaphores Lartigue peuvent être adoptés aux voies uniques de manière à réaliser la double condition de sécurité.

Les deux bras inférieurs des mâts (fig. 262) deviennent des signaux adressés aux mécaniciens, et ils ont la même forme et la même dimension que les bras supérieurs. Ils sont enclenchés dans la position verticale pendante, mais un contrepoids, placé en queue, tend à les ramener dans la position horizontale.

Fig. 262. — Électro-sémaphore pour lignes à une seule voie.

Le déclenchement du bras supérieur est paralysé pendant tout le temps que le bras inférieur est déclenché. Sauf ces différences, tout le mécanisme reste le même.

Chaque poste est muni d’un de ces électro-sémaphores. Dans la position initiale ou de repos, les deux bras supérieurs des deux sémaphores sont à l’arrêt permanent, sans que l’agent du poste puisse lui-même les effacer mécaniquement ; les deux bras inférieurs sont perpendiculaires aux deux sémaphores, et par suite, à voie libre. La voie unique est régulièrement bloquée aux deux bouts.

Si un train se présente devant un poste, A, l’agent du poste ne peut effacer lui-même le grand bras du sémaphore sur lequel il est sans action ; mais, au moyen du commutateur de l’appareil no 1, il envoie un courant vers le poste suivant B, pour déclencher le bras inférieur du sémaphore, lequel, en vertu de son contrepoids, se relève à la position horizontale.

Ce mouvement produit trois effets distincts.

1o Confirmation en B aux trains circulant dans le sens BA, du signal d’arrêt donné par le bras supérieur au moyen du signal d’arrêt donné par le bras inférieur qui prend la même position que le premier du même côté du mât.

2o Clavetage du bras supérieur dans sa position horizontale, ce qui commande l’arrêt aux trains de sens BA.

3o Envoi automatique vers le poste A d’un courant qui déclenche le bras supérieur de ce poste, et permet l’expédition du train de sens AB.

Le train une fois expédié, l’agent du poste A remet à l’arrêt le bras supérieur, et par le même mouvement, envoie au poste B l’annonce du train allant de A vers B. Cette annonce est faite par l’apparition dans l’appareil no 2 du poste B, du voyant train expédié, apparition accompagnée d’un coup de timbre. Le train parcourt alors la section AB, en toute sécurité, puisque l’autorisation de passer en A dans le sens AB n’a été qu’une conséquence du doublement du signal d’arrêt en B pour les trains du sens BA.

Pendant ce parcours, d’ailleurs, aucune modification ne peut être faite dans les signaux. C’est seulement lorsque le train passe en B que l’agent de ce poste réenclenche le bras inférieur de son poste ; ce qui produit le déclavetage du grand bras au même poste et envoie au poste A l’annonce de l’arrivée du train à l’extrémité de la section. Cette annonce est faite par l’apparition dans l’appareil no  1 du poste A envoyant train arrivé, apparition accompagnée d’un coup de timbre.

En définitive :

1o La voie ne peut être débloquée à l’extrémité d’une section sans qu’elle soit préalablement bloquée à l’autre extrémité.

2o Pendant tout le temps qu’un train circule sur une section, il ne peut être envoyé ni dans un sens ni dans l’autre, de nouveaux signaux pouvant faire confusion dans l’esprit des agents.

3o Le rôle des agents des sémaphores consiste uniquement : 1o à appuyer sur un commutateur, pour faire, par l’intermédiaire du poste suivant, ouvrir la voie avant le départ du train ; 2o à couvrir le train après son départ en réenclenchant par un demi-tour de manivelle l’appareil qui venait d’être déclenché ; 3o à annoncer que le train est arrivé en effaçant le bras inférieur par un demi-tour de manivelle de l’appareil qui le manœuvre.


En Angleterre, les appareils ordinaires du block system sont presque partout appliqués, sans modifications, aux lignes à voie unique. Mais en France, en Allemagne, en Autriche, en Italie, un système particulier est en usage. On se sert des cloches dites cloches allemandes, qui sont de grosses sonneries installées aux stations, ainsi qu’aux passages à niveau gardés entre les stations. Les tintements de ces cloches, auxquelles on donne un son convenu, connu de tous les employés, signalent l’expédition et le sens de la marche des trains.

Ce système a l’avantage de faire concourir à la sécurité les agents espacés sur toute la ligne, et de fournir ainsi la possibilité de corriger une erreur commise par les stations pour les trains circulant en sens contraire. Il ne donne, sans doute, aucune garantie relativement à l’expédition des trains circulant dans le même sens ; car aucun signal n’annonce l’arrivée du train au poste suivant, et l’intervalle à maintenir entre les trains ne peut être qu’un intervalle de temps suivant les errements anciens ; cependant il donne de très bons résultats pratiques.


Nous avons à décrire avec détails le fonctionnement du block system, au moyen des cloches allemandes, qui est en usage sur les lignes à voie unique de la plus grande partie du réseau de Paris-Lyon-Méditerranée, et comme nous le disions plus haut, sur plusieurs lignes à voie unique de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie.

Nous empruntons cette description à un mémoire inséré dans la Revue des Chemins de fer (1879) par M. Jousselin, inspecteur de l’Exploitation à la Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Méditerranée.

Les cloches allemandes, c’est-à-dire les signaux électriques à cloches imaginés par l’ingénieur Leopolder, étaient en usage depuis un grand nombre d’années sur la plupart des chemins de fer de l’Autriche et de la haute Italie, lorsque la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée, après avoir fait étudier ce système, en 1876, l’établit, à titre d’essai, sur la ligne à voie unique du Rhône au Mont-Cenis. D’après les résultats favorables que donna cet essai, on l’installa sur la plus grande partie des lignes à voie unique de la même Compagnie.

Le système Leopolder consiste à faire sonner électriquement de grosses cloches placées sur les façades des gares et sur les guérites, ou postes des garde-lignes, de manière à prévenir, par un certain nombre de coups, convenus réglementairement, les employés de la voie, du départ des trains et de tous les accidents relatifs à leur circulation.

Supposons deux gares voisines placées sur une voie unique et correspondant entre elles par les cloches Leopolder. Tous les trains se dirigeant de la première gare sur la seconde, seront annoncés par plusieurs séries de coups de cloche en nombre pair ; les trains se dirigeant, au contraire, de la seconde gare vers la première, seront annoncés par des séries de coups de cloche en nombre impair. Tous ces coups de cloche se feront entendre à la fois à la gare correspondante et aux postes des garde-lignes intermédiaires. Les agents de la voie et les agents des gares seront ainsi prévenus, non seulement du départ du train, mais encore du sens de leur direction. Si deux trains étaient annoncés à la fois dans deux directions opposées, c’est-à-dire courant ainsi à la rencontre l’un de l’autre, les employés, ainsi avertis, prendraient les mesures nécessaires pour empêcher une collision.

Par d’autres séries de coups réglementairement convenus, on peut, en outre, expédier tous les signaux relatifs à la marche des trains circulant entre les gares, et notamment, faire arrêter deux trains marchant à la rencontre l’un de l’autre.

On peut donc, en faisant varier le nombre des coups de cloche, ainsi que la distance qui sépare ces coups, créer une sorte de vocabulaire de convention, analogue au vocabulaire du télégraphe électrique Morse.

Ces coups de cloche (nombre pair), donnés comme il suit :

• • – • • – • • – • • – • • – • • – • • – • • – • • – 
représentent trois groupes de deux coups de cloche, correspondant à l’annonce d’un train pair.

Donnés de cette manière,

• • • – • • • – • • • – • • • – • • • – • • • – • • • – 
ils représentent trois groupes de trois coups de cloche correspondant à l’annonce d’un train impair.

Deux coups de cloche consécutifs d’un même groupe doivent être séparés par un intervalle de temps de deux secondes au moins, et de trois secondes au plus. Deux groupes consécutifs doivent être séparés par un intervalle de temps de six secondes au moins, et de huit secondes au plus.

Les agents chargés de faire retentir ces cloches, en pressant tout simplement, comme il sera dit plus loin, un bouton, semblable à ceux des sonneries électriques d’appartement, s’habituent, avec la plus grande facilité, à espacer régulièrement les coups et les groupes de coups afférent à chaque signal spécial, d’autant plus que le nombre de signaux composant ce vocabulaire télégraphique sonore, n’est que de onze.

Chaque gare est munie de deux appareils à cloches, placés chacun à l’une des extrémités du bâtiment de la gare. Bien entendu que les gares terminus ne possèdent qu’un seul appareil à cloches.

Les postes ou les guérites de garde-lignes sont également pourvus d’un appareil à cloche en correspondance avec les deux gares voisines.

Entre toutes ces stations est tendu un fil conducteur. Le courant électrique qui circule dans ce fil, va se distribuer aux cloches établies près des postes.

Fig. 263. — Cloche allemande.

L’appareil à cloches proprement dit se compose, ainsi qu’on le voit par la figure ci-dessus, d’un poteau supportant un gros timbre très sonore, A, placé soit le long du trottoir, soit sur le sommet du toit des maisons de garde-lignes.

Le marteau du timbre est actionné par l’intermédiaire d’un fil, E, se détachant du fil général de la ligne, et qui vient déclencher un rouage D retenu par un contrepoids et un cylindre de tourne-broche. Quand on presse le bouton B placé le long du poteau, on fait arriver le courant électrique fourni par l’électro-aimant F, dans le petit levier qui supporte le contrepoids du tourne-broche. Ce levier, déclenché par le poids, fait agir le manche du marteau, lequel frappe un coup vigoureux sur la cloche. Quand on cesse de presser le bouton, le levier reprend sa place et le cylindre du tourne-broche étant redevenu immobile, il n’y a plus de mouvement de marteau. En pressant le bouton aux intervalles convenus, on produit les sonneries réglementaires.

Les cloches employées par la Compagnie du chemin de fer de Lyon, ont été construites par M. Bréguet, qui a apporté plusieurs modifications utiles au système mécanique en usage aux appareils des chemins de fer d’Autriche.

Les appareils à cloche Leopolder installés sur les lignes à voie unique de la Compagnie du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée, servent à annoncer simultanément au personnel de deux gares consécutives et aux employés de la voie répartis entre les deux gares :

1o Le départ de chaque train, en distinguant les trains impairs, c’est-à-dire les trains de retour des trains pairs ou trains d’aller.

2o Les demandes de secours.

3o L’ordre d’arrêter immédiatement tous les trains.

4o Les wagons marchant en dérive.

Onze signaux sonores expriment ces quatre avertissements.

Grâce à l’expérience des agents, tous ces signaux sont généralement transmis avec régularité, et sont compris de tous les employés de la voie, soit dans les gares, soit sur le parcours de la ligne, et même des poseurs de voie et du service de travaux.

M. Jousselin, dont le mémoire dans la Revue des chemins de fer nous a fourni les indications qui précédent, ajoute que ce système de correspondance destiné aux chemins de fer à voie unique, pourrait s’appliquer aux chemins de fer à voie double, si le block system ne s’y trouvait établi par tout un ensemble de dispositions répondant à tous les besoins et pouvant prévenir tous les accidents.

Les appareils à cloches, d’une disposition extrêmement simple et d’un mécanisme solidement établi, ne sont sujets à presque aucun dérangement dans leur service.

Comme le courant qui parcourt le fil est continu (ce qui est une exception dans la télégraphie, où l’on ne lance le courant qu’au moment de produire un signal), il faut une pile particulière fournissant un courant permanent. On se sert de la pile Meidinger, variante de la pile Callaud, que nous décrirons, toutes les deux, dans le Supplément à la Pile voltaïque.

Nous ajouterons que le courant électrique fourni par la pile Meidinger est supérieur, pour l’emploi pratique, à la pile à courant d’induction qui est employée sur les chemins de fer autrichiens, pour actionner les cloches Leopolder.

C’est, en effet, sur l’emploi des courants d’induction que repose le mécanisme des cloches Leopolder, adoptées par M. Siemens, le célèbre constructeur de Berlin, et désignées, en Allemagne, sous le nom de cloches Siemens. L’expérience a prouvé que les courants d’induction ont trop d’instabilité pour que l’on puisse y compter d’une manière absolue. L’influence de l’électricité atmosphérique suffit quelquefois pour déterminer le soulèvement du levier du marteau, et faire retentir inopinément la cloche.

C’est par ces considérations, que la Compagnie du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée a repoussé les cloches Siemens, pour s’en tenir aux cloches Leopolder actionnées par une pile à courant continu.

Nous devons dire pourtant que la Compagnie du chemin de fer du Nord a adopté les cloches Siemens, et que sur une étendue de 1 237 kilomètres de ses chemins à voie unique, il existe plus de mille sonneries de ce genre, qui ont servi bien des fois à éviter des accidents.

La Compagnie d’Orléans fait également usage de cloches-sonneries modifiées de telle manière que les agents intermédiaires de la voie puissent faire agir les sonneries, avantage que ne présentent pas les cloches Siemens usitées en Autriche et en France, sur le chemin de fer du Nord.

À la Compagnie de l’Ouest, Regnault a modifié le mécanisme qui fait agir le marteau des cloches.

Les piles Meidinger servent à fournir le courant électrique à toutes les sonneries d’annonce des Compagnies que nous venons de nommer et auxquelles il faut joindre celle du Chemin de fer de l’État, qui a également adopté ce mode d’avertissement électrique.


En résumé, les cloches allemandes, sans rentrer, à proprement parler, dans le block system, lequel exige un personnel et un ensemble de dispositions d’une importance considérable, rendent, sur les lignes à voie unique, des services qui sont l’équivalent du block system, si l’on considère que le trafic sur une ligne à une seule voie n’exige pas le grand développement de mesures préservatrices qui le caractérisent.




CHAPITRE X

les trains rapides.

Les perfectionnements apportés aux locomotives, qui ont permis de réaliser de très grandes vitesses, et d’autre part, la sécurité acquise par l’emploi des freins continus et par la généralisation du block system, ont amené l’établissement, sur les grandes lignes européennes, de trains justement appelés rapides, ou express, tous termes dont la désignation s’explique par elle-même.

C’est l’Angleterre, c’est-à-dire le pays dans lequel l’industrie des chemins de fer s’est développée, pour la première fois, avec une certaine ampleur, qui eut le mérite d’inaugurer l’ère des voyages rapides. On dit généralement que l’Amérique réalisa la première les grandes vitesses en chemin de fer, mais c’est une erreur complète, car la marche générale des chemins de fer américains est lente. On fait sur les routes ferrées du Nouveau-Monde, d’interminables voyages, sans quitter son wagon, mais les Compagnies américaines ne se préoccupent que de procurer un certain confort au voyageur, qui doit passer des semaines entières dans son car, et elles ne prennent point l’engagement de le transporter à grande vitesse. La forme particulière des wagons, c’est-à-dire leur longueur excessive, ainsi que leur train articulé, s’opposeraient, d’ailleurs, à une vitesse anormale.

Après l’Angleterre, la France est entrée de bonne heure dans la carrière, en ce qui concerne l’organisation des convois à grande vitesse. Les trains express sont déjà de date ancienne, en France. Pendant ce temps, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie marchaient avec une prudente lenteur.

Traitant dans ce chapitre des trains rapides, nous devons établir les distinctions que font les ingénieurs en ce qui touche la vitesse des trains. Nous dirons, en conséquence, que l’on distingue trois genres de vitesse : la vitesse commerciale, — la vitesse moyenne de marche — et la vitesse réelle à un moment donné.

La vitesse commerciale d’un train est le chiffre que l’on obtient en divisant le nombre total de kilomètres parcourus d’un point à un autre, par le nombre d’heures employées à le parcourir, sans déduire le temps des arrêts aux stations intermédiaires, ni des ralentissements prévus en marche.

La vitesse commerciale est celle qui intéresse le voyageur ; mais elle varie suivant les convenances du trafic et suivant certaines circonstances particulières propres à chaque pays et à chaque ligne. On a réussi, de nos jours, à l’augmenter, en diminuant le nombre des arrêts aux stations.

La vitesse moyenne de marche a un caractère plus technique. C’est le chiffre que l’on obtient en divisant la distance des deux stations extrêmes par le temps réellement employé, pendant la marche, à parcourir cette distance. Le calcul est alors fait en défalquant le temps absorbé par les arrêts aux stations, mais, sans défalquer le temps perdu, par les ralentissements forcés, les démarrages et les arrivées en gares.

Cette vitesse, qui dépend de la puissance de la machine, dépend aussi du nombre de ralentissements prévus que le train doit subir sur sa route, du nombre de bifurcations qu’il rencontre au profil de la ligne, et du nombre de points fixes, sinon dangereux, au moins exigeant impérieusement une marche prudente, tels que ponts tournants, etc.

La vitesse réelle de marche est celle qu’on peut mesurer à tout instant avec des appareils appropriés. C’est celle qui intéresse l’ingénieur et le machiniste, et qui donne l’idée exacte de la puissance de la locomotive ; elle atteint et peut dépasser par moments 100 kilomètres à l’heure.

Des tableaux réunis par M. Gerhardt, ingénieur de la Compagnie du chemin de fer de l’Est, sur la vitesse des trains en Angleterre, et des itinéraires des lignes allemandes et américaines, on a déduit le tableau suivant :


  Kilomètres
à l’heure.
En Angleterre ( sur voie normale), le maximum de vitesse 
commerciale est de 70.8
moyenne 77.6
réelle 105.0
En France, le maximum de vitesse 
commerciale est de 63.4
moyenne 69.8
réelle 100.0
En Allemagne, le maximum de vitesse 
commerciale est de 63.0
moyenne »
réelle 100.0
En Amérique, le maximum de vitesse 
commerciale est de 67.3
moyenne 76.7
réelle 100.0

Les trains express français marchent à la vitesse moyenne de 60 à 70 kilomètres à l’heure. C’est ce qui résulte du tableau suivant :


COMPAGNIES. TRAJET. LONGUEUR
du
trajet.
VITESSE
commerciale.
VITESSE
moyenne
de marche.
    Kilom. Kilom. par heure. Kilom. par heure.
Paris-Orléans 
Train rapide Paris-Bordeaux (Bastide) 578 63,4 69,8
Paris-Lyon-Méditerranée 
Train éclair Paris-Marseille 863 57,0 62,3
Est 
Train rapide Paris-Delle 464 57,6 65,0
Est et Nord 
Train rapide Calais-Bâle jusqu’à Delle 714 Est 59,7
52,4
Est 64,5
62,6
Nord 45,25 Nord 60,8
Nord 
Train express de Paris à Lille 250 62,5 65,2
Ouest 
Train rapide du Havre 228 54,7 60,0
Midi 
Train rapide de Bordeaux, Cette, etc. 476 58,9 63,3

Pour créer des trains rapides continus, pouvant, à l’imitation des trains américains, retenir le voyageur plusieurs jours et plusieurs nuits, sans qu’il change de voiture, il a fallu créer un matériel tout particulier, et essentiellement différent de celui qui est destiné au service ordinaire. On a répondu à ce besoin nouveau par la création des wagons-lits, imités des Pulman’s cars américains.

Les wagons-lits des Compagnies de Paris-Lyon-Méditerranée, du Nord, de l’Ouest, d’Orléans, en France ; et en Angleterre, du London and North Western, sont des voitures d’un poids très considérable, mais dans lesquelles on a réuni toutes les conditions du confort. Elles peuvent circuler sur les lignes des différents pays, évitant aux voyageurs les ennuis des transbordements des bagages et des personnes, ce qui produit une augmentation notable de la vitesse.

Fig. 264. — Train d’Orient-express.

Depuis le mois de juin 1883, un train rapide, désigné sous le nom d’Orient-express, et composé de trois ou quatre voitures, comprenant un restaurant, fait, deux fois par semaine, le voyage de Paris à Constantinople, en passant par Vienne. La durée du voyage est de trois jours environ. Chaque voiture, longue de 15 mètres, est montée sur deux trucs. Deux plates-formes placées aux deux extrémités de la voiture, permettent de prendre l’air ou de fumer. Un couloir longe toute la voiture, et toutes les portes des compartiments s’ouvrent sur ce couloir. Il y a 7 compartiments, dont 4 renferment deux lits et trois renferment 4 lits, ce qui donne 20 places. L’aménagement et le confort répondent à ce que recherche le voyageur dans un train de luxe. Les voitures sont chauffées par un thermo-siphon, et éclairées au gaz comprimé.

L’un des wagons est réservé au salon et au restaurant. Il comprend une grande salle à manger, un salon plus petit, pour les dames, enfin un fumoir, renfermant tables de jeu, bibliothèque. La cuisine, qui est placée à l’extrémité de la voiture, est suivie du fourgon à provision.

La Compagnie des paquebots transatlantiques a créé, en 1885, un train rapide spécial, pour amener, dans la nuit de chaque samedi, de Paris au Havre, les voyageurs qui vont prendre le paquebot transatlantique à destination de New-York, Ce train contient un wagon-restaurant.


fin du supplément à la locomotive et aux chemins de fer.
  1. Tome Ier, pages 262-398.
  2. Tome Ier, pages 323-325.