Faits curieux de l’histoire de Montréal/16

LE TRAVAIL DES ENFANTS, À MONTRÉAL, AU XVIIe SIÈCLE

Au cours de nos travaux dans les archives judiciaires de Montréal nous avons noté certaines pièces qui peuvent attirer l’attention de ceux qui s’intéressent à la vie sociale de nos ancêtres.

Ces pièces sont des contrats d’engagements d’enfants de quatorze ans et moins, en qualité de domestiques ou d’apprentis et pour des termes assez longs.

Sans avoir établi la liste complète de ces contrats, il nous paraît qu’ils ne sont pas fort nombreux et que, dans la plupart des cas, c’est la misère, le veuvage ou le convoi qui semblent être les causes de ces engagements prématurés.

Ajoutons que les engagés semblent avoir été bien traités par leurs maîtres, car nous ne rencontrons aucune procédure attestant que des serviteurs ont eu à se plaindre.

Le 29 avril 1688, Anne Goupille, femme d’Edme Le Comte, tailleur, lequel est dans le moment à l’hôpital, souffrant d’une blessure reçue dans la guerre avec les Iroquois, engage son fils, Jean, âgé de 6 à 7 ans pour dix ans, à Jean Dupuy (Adhémar.)

Le 3 octobre 1688, engagement par son père, de Pierre Buignon, âgé de 6 ans, pour dix ans, à Nicolas Godé (Adhémar).

Le 18 octobre 1688, engagement, par son père, d’Isabelle Olivier, âgée de 8 ans, pour cinq ans, à Dominique de la Mothe de Lucière. (Basset.)

Le 29 octobre 1688, engagement, par son père, de Louis Ablin, âgé de 3 ans, pour 14 ans, à Pierre Chantereau, bedeau. L’enfant devra travailler dès qu’il le pourra. (Adhémar.)

Même date, engagement par son père, de Pierre Ablin, âgé de 2 ans, pour 15 ans, à J.-B. Pottier, de Lachine. (Adhémar.)

Annexé à ce contrat est une pièce du dit Pottier par laquelle il déclare que le 10 janvier 1692 il a remis l’enfant à Marguerite Plumereau, femme de Jean Cardinal et que la nouvelle dépositaire en prendra soin comme il devait.

Le premier janvier 1689, engagement, par son beau-père Aimé Lecomte, de Michel Bréban, âgé de 11 ans, pour trois ans, à Louis Gervaise. (Adhémar.)

Le 31 mai 1689, engagement, par son beau-père, Bercy dit Beausoleil, d’Isabelle Drouet, âgée de 6 à 7 ans, pour dix ans, à Julien Beloy. (Adhémar.)

Le 16 mai 1690, engagement, par son père, de Nicolas Madeleine, âgé de 4 ans, pour douze ans, aux sœurs de la Congrégation de Notre-Dame. (Adhémar.)

Le 18 octobre 1690, engagement, par son père, chirurgien, de Charlotte Chaudillon, âgée de 14 ans, pour deux ans, à Abraham Bouat, aubergiste. (Adhémar.)

Voici un contrat peu banal. Le 9 décembre 1690, bail à loyer d’une « cavalle » sous poil rouge, par M. Langevin petit Lacroix, à Louis Hurtebise, moyennant que le dit Hurtebise nourrisse Charles, le fils du bailleur, âgé de 3 à 4 ans et le traite humainement jusqu’à la fin du mois de mai. À cette date, le bailleur reprendra son enfant et sa jument. (Adhémar.)

Le 22 avril 1691, engagement par sa mère de Jean Chamaillard dit Lafontaine, âgé de 11 à 12 ans, pour trois ans, à Augustin Lalonze, dit l’Espaignol. Ce dernier épouse ensuite la mère de l’enfant. (Adhémar.)

Le 22 juillet 1691, engagement par son beau-père, Joseph Séran dit l’Espagnol, de René Besnard, âgé de [illisible]ans, à Joseph Aubuchon. (Cabazié.)

Le 5 novembre 1691, engagement par sa mère, de Nicolas Dasny, âgé de 14 ans, pour sept ans, en qualité d’apprenti, à Vincent Lenoir, menuisier. (Adhémar.)

Le 11 mars 1692, engagement par sa mère, de René Dasny, âgé de 13 ans, pour huit ans, en qualité d’apprenti, à Jacques Robillard, dit le Manceau, cordonnier. (Adhémar.)

Et pour finir, choisissons un hors d’œuvre !

L’on sait que les parents européens avaient parfois l’idée d’envoyer leurs enfants incorrigibles dans les colonies. Ils s’imaginaient, à tort ou à raison, que le changement de milieu aurait une influence salutaire sur leur progéniture.

Il en est venu par-ci par-là de ces fils de famille, mais l’accueil qu’on leur fit ne fut pas toujours enthousiaste.

L’acte suivant nous signale le cas d’un garçon envoyé en ce pays pour être réformé. Nous le trouvons dans le greffe de Basset, à la date du 2 janvier 1686.

Paul Dazé, marchand bourgeois de Montréal, et sa femme Françoise Gobillard, veuve d’Augustin Magué, déclarent devant le notaire que l’année précédente (1685) étant à Paris, « ils furent chargés par la veuve Odic, cabaretière au faubourg Saint-Antoine, de Michel Odic, son fils, âgé de 16 ans, pour l’emmener en ce pays afin de l’engager à quelque bon habitant dans le but de le réduire par le travail de sa vie libertine et que pour satisfaire et s’acquitter de cette promesse… ils engagent ledit Michel Odic à Pierre Magué, fils de ladite Gobillard, pour l’espace de trois ans. »

Quel fut le succès de cette expérience ? Nous l’ignorons. Il est probable, cependant, que le fiston se hâta de retourner au beau pays de France dès la fin de son engagement, car l’existence dans un cabaret de Paris devait offrir un petit peu plus d’attraits qu’on en pouvait trouver dans une maison de cultivateur, à Montréal, en l’an de grâce seize cent quatre-vingt-six !