Faits curieux de l’histoire de Montréal/17

ANCIENNES LOTERIES À MONTRÉAL

Sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, les finances publiques tombèrent parfois dans le chaos et les administrateurs durent recourir, pour se procurer des fonds, à toutes sortes d’expédients, entre autres au jeu de hasard qui est bien le moyen le plus sûr d’attirer promptement les économies du peuple : « si bien, dit un historien, que la plupart des emprunts furent alors souscrits à l’aide de loteries. »

Mais les loteries ne furent pas exploitées par les autorités seulement, le public s’en mêla lui aussi, et bientôt il y en eut partout, ce fut la rage de toute une époque.

À la page 24, tome deuxième, édition de 1780, de l’Histoire amoureuse des Gaules, Bussy-Rabutin n’écrit-il pas ce passage significatif : « Louis XIV revenait de Paris… c’était les loteries dont il était question et elles étaient tellement à la mode que chacun en faisait : les uns d’argent, les autres de bijoux et de meubles. »

Le Nouveau-Monde ne pouvait échapper à l’épidémie, n’en doutez pas, et les archives judiciaires de Montréal en fournissent plusieurs preuves.

En l’an 1701, Charles Alavoine, marchand, avait dans sa clientèle un ingénieur de renom, Gédéon de Catalogne. Pour une raison ou pour une autre, celui-ci refusant de solder un compte relativement élevé, le créancier fit comparaître sa pratique récalcitrante devant le tribunal. À l’appui de la réclamation, Marie-Thérèse Machard, femme d’Alavoine, produit une facture qu’elle a préparée et dans laquelle on remarque cet item :

« 9 juin 1701 — 30 livres qu’il (M. de Catalogne) doit avoir mis pour moi à sa lostris et je lui ai passé compte… »

Plus loin, un autre item nous donne le prix d’un billet :

« Et un billet de sa lostris de Mlle  le Baillis : 2 livres. »

Sa loterie ? Il s’agit donc d’une affaire privée.

Une autre pièce judiciaire de la même année nous fait assister à une scène de loterie.

Le 8 août 1701, vers les 9 heures du soir, diverses personnes se trouvaient dans la maison de Jacques Passard, sieur de la Bretonnière, rue Saint-Paul, où l’on disposait des billets d’une loterie faite par le sieur de Rigoville (Nicolas-Blaise des Bergères), enseigne d’une compagnie du détachement de la marine.

À un certain moment, un sieur de Saint-Lambert, officier, remontra au sieur de Rigoville qu’il ne s’y prenait pas de la bonne manière.

Jean Harnal de Cœurballe, « maistre d’hostel de monseigneur l’intendant » Bochart de Champigny, qui était présent, fit une observation semblable, mais il critiqua, sans doute, par la même occasion le sieur de Saint-Lambert puisque celui-ci se fâcha et accabla le « maistre d’hostel » d’invectives, le traitant de « sot, de Jean F… et de bougre », lui promettant, en outre, une vingtaine de coups de bâton. Et monsieur de Saint-Lambert voulut joindre le geste à la parole, ce que les spectateurs ne purent tolérer. Alors le sieur de Saint-Lambert sortit.

De Cœurballe, peu après, s’en fut chez le sieur Rocbert de la Morandière et il en revenait lorsqu’il reçut sur la nuque un coup formidable.

C’était M. de Saint-Lambert qui acquittait sa promesse ! La tâche était-elle ardue pour un seul homme ? Apparemment, car des fils de seigneurs se mirent de la partie et messieurs de la Gauchetière, de Belestre, de Repentigny et de Saint-Ours aidèrent l’assaillant à bâtonner le malheureux « maistre d’hôtel ».

De bonnes âmes s’opposèrent, enfin, à tant de violence et reconduisirent la victime de la belle jeunesse officière chez l’intendant.

Ne suivons pas cette affaire plus loin, il suffit de constater que les joueurs de loteries s’amusaient parfois énormément.

Passons au registre des audiences du tribunal de Montréal, à la date du 15 mars 1712. Léonard Jussiaume dit Saint-Pierre, soldat de la compagnie de M. de la Forest, poursuit le sieur Nicolas Perthuis, boulanger. Il prétend que l’habit de « pinchina » qui lui est échu pour son lot dans une loterie organisée par Perthuis devait valoir 108 francs, mais qu’on l’a trompé.

Le tribunal donne raison au plaignant ; Perthuis est blâmé d’avoir « mis dans sa loterie plusieurs articles sans permission et sans estimation, ainsi que le veut la coutume » et il est condamné « à payer 5 francs d’amende applicable aux pauvres de l’hôtel-Dieu de Montréal, avec défense, à l’avenir de mettre aucuns articles dans les loteries qu’ils ne soient au préalable déclarés et estimés. »

Donc voilà qui est bien établi : nos ancêtres se faisaient des loteries et cette coutume est parvenue jusqu’à nous. Au dix-neuvième siècle, il y avait un si grand nombre de « râfles » que les autorités durent les prohiber.

Ce n’est pas tout : des billets de loteries publiques ont circulé dans la Nouvelle-France et l’une de nos institutions de charité a pu en bénéficier.

Le 4 octobre 1757, la vénérable veuve Youville, directrice de l’Hôpital général fait rédiger, par le notaire Danré de Blanzy, une décharge générale en faveur du sieur Nicolas de Paris, bourgeois de Paris, pour le tenir quitte des certaines créances d’outre-mer. Or dans le corps de cet acte se glisse le menu renseignement suivant :

« Ainsi que pour le produit d’un billet de la loterie royale établie par arrêt du Conseil du 2 octobre 1747 qui lui avait été remis par la dame du sieur Lamarche et qui appartenait audit hospital » le numéro « dudit billet étant sorti au tirage de 1755. »

N’abandonnons pas ce sujet sans ajouter un mot sur quelques loteries canadiennes.

Le croira-t-on ? en 1783 et 1784, c’est par le moyen d’une loterie que les autorités anglaises de la province recueillirent les fonds nécessaires pour la construction de la prison de Montréal qu’on érigea rue Notre-Dame, à côté du site actuel de l’Hôtel de ville, Borthwick dans son Histoire des prisons de Montréal, nous donne même le texte bilingue des billets de cette loterie non banale.

Un siècle plus tard, nous eûmes une loterie nationale dont les bénéfices furent affectés à la colonisation de la province. Puis, successivement, s’organisèrent des loteries qui eurent la prétention d’aider à répandre la connaissance des beaux-arts, des belles-lettres, de ci, de ça ; tous les buts, tous les prétextes étaient bons.

De ces moyens faciles de faire fortune, pour quelques-uns, il ne reste que le souvenir.