Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/Le Combat des Rats et des Belettes

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VI.

Le combat des Rats & des Belettes.




LA nation des Belettes,
Non plus que celle des Chats,
Ne veut aucun bien aux Rats ;
Et ſans les portes étretes
De leurs habitations,

L’animal à longue eſchine
En feroit je m’imagine,
De grandes deſtructions.
Or une certaine année
Qu’il en eſtoit à foiſon,
Leur Roy nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les Belettes de leur part
Déployerent l’étendard.
Si l’on croit la Renommée,
La Victoire balança.
Plus d’un Gueret s’engraiſſa
Du ſang de plus d’une bande.
Mais la perte la plus grande
Tomba preſque en tous endroits
Sur le peuple Souriquois.
Sa déroute fut entiere :
Quoy que puſt faire Artarpax,
Pſicarpax, Méridarpax,

Qui tout couverts de pouſſiere,
Soûtinrent aſſez long-temps
Les efforts des combattans.
Leur reſiſtance fut vaine :
Il falut céder au ſort :
Chacun s’enfuit au plus fort,
Tant Soldat que Capitaine.
Les Princes perirent tous.
La racaille dans des trous
Trouvant ſa retraite preſte,
Se ſauva ſans grand travail.
Mais les Seigneurs ſur leur teſte
Ayant chacun un plumail,
Des cornes ou des aigrettes ;
Soit comme marques d’honneur :
Soit afin que les Belettes
En conçuſſent plus de peur :
Cela cauſa leur malheur.
Trou, ny fente, ny crevaſſe

Ne fut large aſſez pour eux :
Au lieu que la populace
Entroit dans les moindres creux.
La principale jonchée
Fut donc des principaux Rats.
Une teſte empanachée
N’eſt pas petit embarras.
Le trop ſuperbe équipage
Peut ſouvent en un paſſage
Cauſer du retardement.
Les petits en toute affaire
Eſquivent fort aiſément :
Les grands ne le peuvent faire.