Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/L’Âne et le petit Chien

Pour les autres éditions de ce texte, voir L'Âne et le Petit Chien.





V.

L’Aſne & le petit Chien.




Ne forçons point noſtre talent ;
Nous ne ferions rien avec grace.
Jamais un lourdaut, quoy qu’il faſſe,
Ne ſçauroit paſſer pour galant.

Peu de gens que le Ciel cherit & gratifie,
Ont le don d’agréer infus avec la vie.
C’eſt un point qu’il leur faut laiſſer ;
Et ne pas reſſembler à l’Aſne de la Fable,
Qui, pour ſe rendre plus aimable
Et plus cher à ſon Maiſtre, alla le careſſer.
Comment, diſoit-il en ſon ame,
Ce Chien, parce qu’il eſt mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec Monſieur, avec Madame,
Et j’auray des coups de baſton ?
Que fait-il ? il donne la pate,
Puis auſſi-toſt il eſt baiſé.
S’il en faut faire autant afin que l’on me flate,
Cela n’eſt pas bien mal-aiſé.
Dans cette admirable penſée,
Voyant ſon Maiſtre en joye, il s’en vient lourdement,

Leve une corne toute uſée ;
La luy porte au menton fort amoureuſement.
Non ſans accompagner, pour plus grand ornement
De ſon chant gracieux cette action hardie.
Oh oh ! quelle careſſe, & quelle melodie !
Dit le Maiſtre auſſi-toſt. Holà, Martin bâton.
Martin bâton accourt ; l’Aſne change de ton.
Ainſi finit la Comedie.