Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/Le Singe et le Dauphin
Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Singe et le Dauphin.
VII.
Le Singe & le Daufin.
’eſtoit chez les Grecs un uſage,
Que ſur la mer tous voyageurs
Menoient avec eux en voyage
Singes & Chiens de Bâteleurs.
Un Navire en cet équipage
Non loin d’Athenes fit naufrage.
Sans les Dauphins tout euſt pery.
Cet animal eſt fort amy
De noſtre eſpece ; En ſon Hiſtoire
Pline le dit, il le faut croire.
Il ſauva donc tout ce qu’il pût.
Meſme un Singe en cette occurrence,
Profitant de la reſſemblance,
Luy penſa devoir ſon ſalut.
Un Daufin le prit pour un homme,
Et ſur ſon dos le fit aſſeoir,
Si gravement qu’on euſt crû voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le Daufin l’alloit mettre à bord ;
Quand par hazard il luy demande :
Eſtes-vous d’Athenes la grande ?
Oüy, dit l’autre, on m’y connoiſt fort,
S’il vous y ſurvient quelque affaire
Employez-moy ; car mes parens
Y tiennent tous les premiers rangs ;
Un mien couſin eſt Juge-Maire.
Le Daufin dit bien-grammercy.
Et le Pirée a part auſſi
A l’honneur de voſtre preſence ?
Vous le voyez ſouvent ? Je penſe.
Tous les jours ; il eſt mon amy,
C’eſt une vieille connoiſſance.
Noſtre Magot prit pour ce coup
Le nom d’un port pour un nom d’homme.
De telles gens il eſt beaucoup,
Qui prendroient Vaugirard pour Rome ;
Et qui, caquetans au plus drû,
Parlent de tout & n’ont rien vû.
Le Daufin rit, tourne la teſte,
Et le Magot conſideré
Il s’apperçoit qu’il n’a tiré
Du fond des eaux rien qu’une beſte.
Il l’y replonge, & va trouver
Quelque homme afin de le ſauver.