Éditions Albert Lévesque (p. 76-90).

Le Cap Diamant (Québec).

LA FÉE DU CAP DIAMANT


Il y a environ trois cents ans, par une belle journée de printemps, un vaisseau partait de France pour se rendre au Canada.

Parmi les passagers, il y avait une petite fillette de six ans que l’un des marins appelait sa fille.

En réalité, ce n’était pas son enfant ; c’était une petite abandonnée, laissée, une nuit, sur le seuil de sa porte, alors qu’il habitait une ville aux environs de Marseille.

Le marin, quoique célibataire, avait recueilli la pauvrette et elle grandissait auprès de lui, entourée de tendresse et de soins. Maintenant, il partait pour un pays inconnu et lointain, mais il amenait l’enfant avec lui, ne voulant pas laisser entre des mains étrangères la fillette qu’il apprenait à chérir chaque jour davantage.

Son nom était Louise et celui du marin était Pierre Morel.

Louise fut très gentille pendant toute la durée du long voyage. Toujours gaie, de belle humeur, jamais encombrante ni maussade, elle devint bientôt la petite amie de tous ceux qui étaient à bord.

Dans ces temps reculés, le voyage de France au Canada durait près de deux mois ; le vaisseau était un voilier et sa vitesse dépendait du vent. Cependant, les longues semaines passèrent, et par un beau matin ensoleillé, le vaisseau remontait le Saint-Laurent et jetait l’ancre devant un endroit que les Indiens appelaient Kébec mais qui, plus tard, eut le nom de Québec, tel que nous l’appelons maintenant.

Là, dans la petite colonie française, Pierre trouva facilement de l’emploi. Au bout de quelque temps il décida de s’y fixer, et il se bâtit une petite maison à proximité d’un cap, où il y avait déjà quelques demeures de colons français.

Louise grandit ; bientôt elle put tenir le petit ménage et Pierre, revenant de son travail, trouvait un bon repas pour le réconforter.

Le soir il prenait la fillette sur ses genoux et lui parlait de la France. Il lui apprenait les vieilles chansons et ballades de son lointain pays.

Souvent, aussi, il lui racontait des histoires de fées, de sylphes, de sorciers et de géants, et Louise ne se lassait jamais de les entendre.

— « Papa Pierre, lui dit-elle un soir, y a-t-il des fées, ici, au Canada ? »

— « Je ne sais pas, fillette, mais il doit y en avoir. »

— « Pensez-vous qu’elles viennent parler aux petits Indiens ? »

— « Pourquoi non ? » répondit Pierre, « les fées vont partout… elles ne sont pas paralysées, comme nous, par le temps et l’espace ! »

— « Oh ! Que je voudrais donc voir une fée ! » dit Louise.

— « Tu en verras peut-être, quelque jour, ma chérie…, mais va te coucher, maintenant. Tu n’es pas très forte et il te faut beaucoup de sommeil ! »

Louise allait souvent jouer sur le flanc de la petite montagne non loin de leur demeure. Cette montagne n’était pas très haute, c’était plutôt comme une grande colline. Dominant la rivière, la vue, de cet endroit, était très belle. Des points les plus élevés, l’on pouvait voir, au loin, les gros voiliers remontant le fleuve, l’île pittoresque que nous appelons aujourd’hui Île d’Orléans, et, tout au pied de la falaise, les canots des sauvages filant rapidement en tous sens sur les eaux un peu mousseuses de la rivière.

L’enfant aimait cet endroit et y jouait parfois avec des petits Indiens et Indiennes et elle apprit bientôt leur langage.

Pierre était préoccupé… Il trouvait Louise si mince, si frêle… ses yeux noirs brillaient d’un éclat un peu fiévreux dans l’ovale délicat de son visage, et parfois ses joues se teintaient aux pommettes d’un rouge trop vif, qui inquiétait le bon Pierre.

« Lorsqu’un vaisseau partira, à l’automne, je l’enverrai en France, se disait-il. Je la confierai aux bonnes religieuses pour un an ou deux et elle deviendra forte et bien. Les hivers ici sont trop longs et trop froids pour elle. »

En attendant, c’était l’été, et Papa Pierre envoyait l’enfant jouer dehors au soleil autant que possible.

Par une fin d’après-midi, Louise était à s’amuser sur le flanc de la montagne avec de petits
« Louise écoutait le récit… »
Indigènes, lorsqu’elle vit arriver un vieil Indien, la figure contractée par la souffrance, boîtant péniblement et paraissant avoir peine à continuer son chemin.

En l’apercevant, les petits sauvages se mirent à rire et à crier et, laissant Louise, ils se prirent par la main et se mirent à danser une ronde autour de l’Indien, disant que c’était une danse de guerre !

Le vieillard essaya en vain de les renvoyer, ils criaient et dansaient de plus en plus, enfin, il tomba assis par terre : l’image de la désolation.

Louise accourut :

— « Méchants enfants ! Rire d’un blessé ! Vous ne serez jamais des guerriers, vous ne serez jamais des braves !… et vous autres, petites filles, honte ! honte !… allez-vous en toutes ! vite ! oust !… ou je vais avertir Papa Pierre et c’est lui qui vous punira !… et je ne jouerai plus jamais avec vous !  ! »

La jeune bande se sauva à toutes jambes et Louise s’approcha de l’Indien.

— « Comment avez-vous été blessé ? » demanda-t-elle.

— « Je suis tombé, » dit-il, « Vois, petit Visage Pâle, le sang coule de ma jambe et je crois bien que j’ai aussi le pied démis. »

— « Quel est votre nom ? » demanda Louise.

— « Je suis le Huron Tippecondac, ami des Français. »

— « Et moi, je suis Louise, la petite fille de Papa Pierre Morel. Laissez-moi voir ce que je puis faire pour vous et à l’heure du souper, papa viendra vous chercher pour vous amener chez nous. »

— « Me laissera-t-il rester jusqu’au moment où je pourrai marcher un peu mieux ? »

— « Oh ! oui, Tippecondac, je le lui demanderai. Il est si bon et veut toujours ce qui me fait plaisir !… Mais, voyons la jambe malade ! »

La jambe du pauvre homme était très blessée et le sang coulait. Les Indiens sont ordinairement vaillants et savent endurer la douleur sans broncher. Ils n’aiment pas qu’on les voie souffrir, mais Tippecondac était faible et malade et aussi très vieux, et il ne pouvait lutter complètement contre la douleur que lui causait sa blessure.

Louise ôta son tablier et le déchira en bandes, avec lesquelles elle entoura le membre blessé ; dès que la jambe fut bandée, le sang cessa de couler et le vieillard éprouva un soulagement presque immédiat.

Louise s’assit près de son nouvel ami et se mit à causer gaiement avec lui.

— « Papa me raconte de belles histoires des fées qu’il y a en France, mais je voudrais bien qu’elles puissent venir jusqu’ici ! »

— « Des fées ? Mais, il y en a un grand nombre dans ce pays ! Ainsi il y a celle qui a soin de ma tribu, c’est la Fée Huronade ; elle nous garde contre les sorts que voudraient nous jeter les mauvais génies. Il y en a plusieurs que nos enfants connaissent et elles viennent parfois leur parler dans nos bois et nos buissons… Il y en a une ici même, sur ce cap ! »

— « Vraiment ? » s’écria Louise, frémissante d’intérêt, « où est-elle ? »

— « Personne ne le sait exactement, mais elle vient souvent ici vers le soir ; elle porte quelque chose de brillant autour de son front, c’est comme une couronne d’étoiles. »

— « L’avez-vous déjà vue, Tippecondac ? »

— « Oui, » dit-il, pensif, « oui, je l’ai vue, il y a bien, bien longtemps, lorsque mon petit papoose me fut enlevé pour être envoyé vers le Grand Esprit ! »…

— « Dites-moi l’histoire de cette Fée, voulez-vous ? Je vais m’étendre ici près de vous, parce que je me sens très fatiguée ! »

Couchée sur l’herbe, la tête appuyée sur le bras du vieil Indien, Louise écoutait le récit. Bientôt les paroles du Huron ne firent plus qu’un sourd bourdonnement à ses oreilles et elle s’endormit… Elle rêva que c’était la nuit… mais rêvait-elle vraiment ?… Non ! Elle se sentait bien éveillée et les yeux ouverts bien grands… C’était bien sûr qu’elle avait les yeux ouvert, car elle vit, tout-à-coup une forme indécise, puis, de plus en plus distincte, qui montait doucement le long de la falaise… Peu à peu elle approcha de l’endroit où Louise était couchée…

— « Une Fée !! s’écria l’enfant, enfin, une Fée !! »

Quand la vision se fut un peu rapprochée, Louise vit ce qui paraissait être la forme d’une jeune fille. Elle était drapée dans un long vêtement nacré. Elle souriait et de ses mains tendues semblait saluer Louise. Ses cheveux tombaient en boucles dorées sur ses épaules et son front était cerclé d’une parure de diamants qui brillaient comme des étoiles dans la noirceur de la nuit…

— « Ô Fée ! » dit Louise, ravie, « quelle merveilleuse couronne vous avez ! »

— « Tu la trouves belle, petite Française ? » dit la Fée. « Ce sont des gouttes de rosée que ma baguette a recueillies. Dans ce diadème que je porte, il doit en avoir des centaines et des centaines ! »

— « Est-ce qu’elles ne tombent jamais ou ne redeviennent jamais des gouttes de rosée, après que vous les ayez touchées ? »

— « Jamais, » dit la Fée, « à moins que je ne le désire… Veux-tu avoir un de ces brillants ? »

— « Oh oui ! » s’écria Louise, « je serai ravie d’en avoir un ! »

Alors la Fée prit une pierre dans sa parure étincelante et la mit dans la main de l’enfant.

— « Est-ce que je vais vous revoir encore ? » dit Louise en la remerciant.

— « Je ne crois pas, fillette. Je pars pour de lointains pays et je ne reviendrai peut-être jamais. »

— « Alors, » fit Louise tristement, « les autres enfants ne vous connaîtront jamais !… Faites quelque chose pour eux, chère Fée, avant votre départ ! »

— « Je consens, » dit la Fée. « À ta demande je veux bien faire quelque chose à leur intention. Vois ! » (et elle ôta sa couronne de diamant). « Je vais jeter ces pierres de tous côtés, au loin, au près, partout sur cette colline et lorsque les enfants les trouveront parmi les sables et les graviers, ce sera un message de ma part ! »…

Et brisant son diadème, la Fée lança en tous sens les pierres étoilées… Elles brillèrent un instant puis disparurent dans le sol… La Fée sourit à Louise, une auréole de lumière sembla l’envelopper… puis tout redevint sombre… la Fée avait disparu…

Lorsque Pierre revint chez lui ce soir-là, il n’y avait pas de lumière à la demeure. Louise n’était pas revenue. Plein d’anxiété, et craignant un accident, il partit à la recherche de la petite. Sachant que d’habitude elle allait jouer sur le flanc de la montagne, il prit cette direction. Chemin faisant, il rencontra un vieil Indien boitant péniblement et portant dans ses bras une fillette endormie. C’était Louise… Elle semblait évanouie tant son sommeil était profond.

Pierre la prit dans ses bras robustes et la ramena à la maison. Il la mit au lit et l’enveloppa de chaudes couvertures.

— « Qu’est-il arrivé ? » demanda-t-il au vieil Indien qui l’avait suivi.

Tippecondac raconta ce qui s’était passé.

— « Elle s’endormit ensuite près de moi, pendant que j’étais à lui raconter une histoire, » dit-il. « Ma jambe blessée m’a empêché de la ramener plus tôt. »

Au bout de quelques minutes, Louise ouvrit les yeux.

— « Papa Pierre, » dit-elle, la Fée…

— « Oui, oui, petite » dit Pierre en l’embrassant, tu en verras une quelque bon jour. »

— « Je l’ai vue ! » insista Louise, « là-haut, sur le cap… les diamants dispersés… » elle s’arrêta, respirant avec effort « Papa Pierre, laissez-moi vous dire ce qui m’est arrivé ! »… et en phrases entrecoupées et haletantes, elle raconta sa vision.

Pierre écouta, de grosses larmes tombant le long de ses joues.

— « Vite ! un médecin ! Va ! Tâche d’en trouver un tout de suite », dit-il à l’Indien. « L’enfant est bien malade ! elle délire ! »

Mais lorsque le médecin arriva, il était trop tard !… Avec un sourire de bonheur sur les lèvres, Louise était partie pour toujours… Dans sa petite main crispée l’on trouva un minuscule diamant…

Pierre fut inconsolable, car il aimait la frêle enfant comme si elle eut été vraiment sienne.

Il garda Tippecondac chez lui et le vieux Huron ne se lassait jamais d’entendre parler de la chère petite disparue.

Bien des années plus tard, un groupe d’enfants était à jouer à l’endroit même où, dans le lointain passé le Huron blessé avait fait la rencontre de la fillette française. L’un d’eux vit briller quelque-chose sur le sol ; il le ramassa, c’était un petit diamant… Plus tard, et à plusieurs reprises, d’autres pierres semblables furent trouvées, et la petite montagne devint presque fameuse !

Ces pierres n’avaient pas de valeur réelle, mais elles étaient jolies et brillantes et faisaient la joie des enfants qui les trouvaient.

Même de nos jours, le cap où la Fée jeta à pleines mains les brillants de son diadème, est bien connu, surtout des Québécois, et quoique tous ne sachent pas l’histoire de Louise et de la Fée, ils donnent toujours à cette montagne, le nom de CAP DIAMANT.