Éditions Albert Lévesque (p. 54-75).

« Êtes-vous la Dame du Château des Érables ?… »

LA FÉE DES ÉRABLES


Kondiaronk était un petit Indien qui vivait, il y a plusieurs centaines d’années, dans l’Ouest canadien.

Ce n’était pas Kondiaronk, le grand chef Huron dont le nom est resté célèbre dans l’histoire du Canada, mais un de ses lointains ancêtres.

Kondi, comme on l’appelait, était un enfant de douze ans, franc et bon, mais espiègle et gamin, plein de tours et de plans aventureux.

Son père, autrefois riche chef de tribu, était maintenant pauvre. Pour le soutien de sa famille, il faisait la chasse dans les grandes forêts, ce qui occasionnait de nombreuses absences.

Kondi n’était pas assez âgé pour le suivre dans ces excursions et il restait à la hutte ou wigwam, comme on appelait ces abris, sous la garde de sa belle-mère… (Il y avait déjà des belles-mères même dans ces siècles reculés !)

Elle n’était pas vraiment méchante, cette Indienne, mais impatiente, souvent maussade et parfois même en colère, lorsqu’elle était trop vivement contrariée.

Or, il arriva que, pendant une de ces absences de chasse, Kondi avait joué tant de tours, et fait tant d’espiègleries, que sa belle-mère était à bout de patience. Un jour, il s’empara de sa belle parure de plumes multicolores, et se sauva dans un petit bois avoisinant ; peu après, il rentrait dans le wigwam avec son ourson apprivoisé, celui-ci ayant la précieuse parure bien posée sur sa petite tête brune… L’Indienne eut un cri de colère, arracha ses plumes de sur la tête de l’ours, saisit un bâton à portée de sa main et en frappa la bête, puis, saisissant Kondi par la nuque, elle le jeta dehors avec rage, en criant :

— « Va-t-en, petit misérable ! Va périr dans la forêt ! Je ne veux plus te revoir ici !… »

Kondi lui cria qu’il regrettait son mauvais coup et qu’il serait bon à l’avenir, mais rien ne put apaiser l’Indienne. Elle saisit son tomahawk et menaça de lui couper le cou s’il osait revenir et le pauvre gamin, pris de peur, se sauva à toutes jambes vers la forêt.

C’était tard dans l’automne ; les arbres étaient dénudés, la terre couverte de feuilles mortes et, par cette fin d’après-midi, l’air était presque glacial. Kondi courut longtemps à travers le bois ; enfin, essoufflé et épuisé il s’arrêta pour reprendre haleine.

Il était assis depuis quelques minutes sur un banc de mousse, lorsque, tout-à-coup, il vit un petit nain surgir de terre… un drôle de petit bonhomme avec une énorme tête et un corps minuscule.

— « Allô ! » fit Kondi.

— « Allô ! » fit le nain.

— « Où vas-tu » dit Kondi.

— « Au travail », dit le nain, « mais il est tard pour un petit garçon comme toi d’être dans la forêt il serait temps de rentrer ! »

— « Je n’ose retourner », dit l’enfant, « j’ai été très méchant et ma belle-mère m’a jeté dehors ! »

— « Retourne, Kondi, dis-lui que tu seras bon maintenant et vois ce qu’elle te dira… Je vais retourner avec toi, et je t’attendrai dehors. »

Kondi se leva et suivit le nain. Il sentait qu’il avait été vraiment fautif et il était sûr que son père en serait mécontent à son retour.

Plein de bonnes résolutions, il rentra dans la hutte…

— « Je t’ai dit de ne pas revenir ! » fit une voix pleine de colère.

— « Oui, c’est vrai, dit l’enfant, mais je regrette d’avoir été si méchant… et je ne volerai plus jamais vos belles plumes !

— « Va donc ! » dit l’Indienne, d’une voix sourde, « chemine par les forêts et à travers les prairies, va retrouver la Flèche d’Or volée à ton père par un sorcier, il y a bien longtemps, et quand tu l’auras trouvée, tu pourras revenir. »

Le pauvre Kondi se sentait bien triste et misérable. La noirceur venait, et bien qu’il ne fut pas du tout poltron, l’idée de passer la nuit seul dans la forêt le faisait un peu trembler…

Soudain, il se rappela son ami le nain qui l’attendait et reprenant courage, il leva résolument la tête :

— « Dites à mon père que je retrouverai la Flèche d’Or ! » s’écria-t-il, et ramassant une petite peau d’ours qui était par terre, il sortit précipitamment.

Le nain attendait. Kondi lui dit qu’il était chassé pour toujours à moins de pouvoir retrouver la Flèche d’Or.

— « Laisse-moi penser un peu », dit le nain ; puis, après un instant de réflexion, il reprit :

— « Pour ce soir, en tous les cas, tu pourras rester chez moi, et demain, j’aurai sans doute songé à quelque plan pour toi. »

L’enfant suivit volontiers son bon ami. Rendus à un certain endroit du bois, ils s’arrêtèrent. Le nain frappa le sol… une ouverture parut, avec un petit escalier que tous deux descendirent rapidement.

Le nain avait un logis souterrain éclairé par de toutes petites lampes. Trois autres nains vivaient avec lui et paraissaient lui être soumis. Des branches de sapin, au parfum résineux, formaient quatre petits lits, quelques bancs minuscules et une table faite d’un tronçon d’arbre complétaient l’ameublement.

Le souper fut servi et Kondi eut sa place avec les petits bonshommes. Il causa gaiement avec eux, les amusant avec sa verve enfantine et ses histoires drôles, pendant qu’il partageait leur nourriture. Plus tard, on lui dit de se coucher sur un des petits lits.

— « Mais, je ne veux prendre le lit de personne ! protesta-t-il, je puis me coucher par terre et m’envelopper dans ma peau d’ours ! »

Les nains insistèrent ; alors, les remerciant, il leur dit bonsoir, se coucha et s’endormit presqu’aussitôt.

Le lendemain, à son réveil, il fut surpris de ne pas voir la lumière et le soleil, puis, se rappelant où il était, il se hâta de se lever, anxieux de savoir ce qu’allait lui conseiller son ami le nain.

Il ne vit pas celui-ci dans le petit logis, mais les autres étaient là et lui dirent bonjour. Ils le questionnèrent sur la cause de son renvoi de la demeure paternelle, et Kondi leur raconta ce qui était arrivé.

— « Est-elle bien méchante, cette Indienne ? » dit l’un d’eux.

— « Non », répondit Kondi avec franchise, je ne la crois pas méchante, bien qu’elle soit en colère, mais moi j’ai été bien fautif, vous savez, je lui ai fait tant de tours et c’était bien vilain de mettre ses belles plumes sur la tête de mon ours ! »

— « N’aimerais-tu pas la punir en lui jetant quelque mauvais sort ? » questionna un autre nain.

— « Non », répondit l’enfant, « ça ferait de la peine à mon père à son retour. D’ailleurs c’est moi qui ai mérité la punition… mais j’aime tant à m’amuser… j’aime tant à jouer des tours ! Chez nous, j’ai toujours l’idée de faire des espiègleries… Mais, ça va changer, lorsque j’aurai trouvé la Flèche d’or. »

Les petits hommes se regardèrent en souriant et à ce moment, l’autre nain entra :

— « Eh bien, petit », dit-il, « as-tu songé qu’il te faut partir en voyage ? »

— « Pas encore », répondit Kondi, « mais si tu es assez bon de me donner des avis et m’indiquer le chemin à suivre, je suis prêt à partir dès maintenant. »

— « Alors, » dit le nain, « parce que tu es un bon enfant, quoique trop espiègle, je veux t’aider. La Flèche d’Or a été volée à ton père par un sorcier qui voulait en faire don à la Sorcière des Érables, qu’il aimait beaucoup. Cette Flèche apporte le succès et la prospérité là où elle se trouve, c’est pourquoi ton père était autrefois riche et puissant, mais depuis le vol de la Flèche il est pauvre et plus du tout prospère ; la Sorcière n’a pas besoin de la Flèche et on la dit douce et bienveillante… Il faudra lui demander de te la donner… Elle le fera peut-être, si tu réussis à lui plaire. »

— « Où puis-je trouver sa demeure ? » demanda Kondi.

— « Il va te falloir parcourir des milles et des milles, passer deux grandes forêts, traverser une prairie, gravir une montagne, et, sur le haut de la montagne tu trouveras le château. »

— « Est-ce bien grand, un château ? Je n’en ai jamais vu ! »

— « Imagine une vingtaine de wigwams placées en rond, et au-dessus de ceux-ci, dix autres ; au-dessus de ces dix, cinq autres, et un seul grand wigwam pointu pardessus le tout… et tu auras une idée de l’apparence d’un château ! Il se dresse au milieu d’une immense forêt d’érables. »

Kondi ouvrit de grands yeux à cette description extraordinaire. Puis, un peu nerveux, il demanda :

— « Y a-t-il des gros ours dans les forêts que je vais traverser ? »

— « Oui, un grand nombre… mais il ne faudra pas en avoir peur ; tant que tu seras brave, rien de nuisible ne pourra t’arriver ! Dans cette poche, il y a de la nourriture pour plusieurs jours. Et maintenant, déjeunons ! Ensuite tu pourras partir. »

Après un bon repas, Kondi, ramassant la poche et la peau d’ours, remercia le nain, son ami, prit congé des autres et se disposait à partir, mais un des nains l’arrêta :

— « Pas si vite ! Attends un peu ! Nous aussi, nous avons quelque chose à dire, n’est-ce pas, camarades ? Ce garçon est espiègle, mais il est franc et je veux lui donner, comme marque d’amitié, ce petit castor… », et le petit homme se mit à siffler doucement… un instant après, un castor sortit de dessous un des lits et alla droit à Kondi.

— « Qu’il est joli ! » s’écria-t-il, en se baissant pour caresser le petit animal, qui semblait tout-à-fait apprivoisé. « Que je suis donc content de l’avoir ! »

— « Lorsque tu ne seras pas sûr de ton chemin », dit la nain, « mets le castor devant toi, il te guidera. »

— « Ce gamin est espiègle », dit le deuxième nain, « mais il n’est pas rancunier, et moi aussi, je veux lui faire un présent ; tiens, garçon, prends ce petit tomahawk, tu pourras t’en servir en cas de danger ; c’est une arme magique, ni homme, ni bête ne pourront te nuire si tu l’agites devant eux pour te défendre ! »

— « Oh merci ! mon ami, » fit l’enfant, en mettant la petite hache à sa ceinture.

Alors le troisième nain s’avança et sortant de sa poche une toute petite boîte, il la tendit à Kondi, en disant :

— « Garçon, tu es espiègle, trop espiègle, je le sais, mais tu as bon cœur et tu ne voudrais pas chagriner ton père… Pour cela je t’aime bien et je te donne cette boîte. Elle contient un onguent qui guérit toutes les blessures… et pour ton long voyage, ça te sera peut-être utile ! »

Kondi fut très reconnaissant de la bonté que lui montraient les nains et avant de les quitter il leur dit :

— « Si je trouve la Flèche d’or, et que je retourne au wigwam de mon père, promettez-moi que vous viendrez tous, un soir, pour fêter mon retour ! »

Ils promirent volontiers ; alors Kondi grimpa rapidement le petit escalier, se retourna pour dire un dernier au revoir à ses bons amis, et avec le sac de vivres et la peau d’ours jetés sur son épaule et le petit castor sous son bras, il commença son voyage.

Il marcha longtemps, suivant le sentier dans la forêt, se demandant s’il reviendrait jamais chez son père… Lorsqu’il se sentit fatigué, il s’assit et prit un peu de nourriture qu’il partagea avec le petit castor. Des sources d’une eau claire et froide, rencontrées çà et là dans la forêt, l’empêchèrent de souffrir de la soif.

Le soir, il se fit un abri avec des branches de sapin et d’épinette et, avec le petit castor près de lui et la peau d’ours comme couverture, il dormit profondément jusqu’au matin.

Deux jours se passèrent ainsi et vers la fin de la troisième journée, il atteignit la lisière de la forêt. Deux chemins étaient devant lui… lequel allait-il prendre ?… Il mit le castor par terre et celui-ci fila aussitôt vers le chemin le plus large, et Kondi, confiant, s’engagea dans la route que lui montrait son petit guide.

Après quelques heures, ils rencontrèrent une autre forêt. Pas de chemin dans celle-ci… Que faire ? — « Petit Castor, conduis-moi ! » dit Kondi, et le castor partit sans hésiter à travers les broussailles, filant à droite, à gauche, suivi toujours par Kondi, jusqu’au moment où ils trouvèrent enfin un sentier.

Ce jour-là, après un repas partagé avec son petit compagnon fourré, Kondi se mit à chercher de l’eau. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver, près d’une source, un beau cerf couché parmi les branches et les feuilles mortes ! Une de ses pattes de derrière était cassée et la pauvre bête, souffrante et assoiffée, ne pouvait atteindre la source pour se désaltérer. Kondi trouva de l’écorce sur un arbre, en forma un casseau, l’emplit d’eau et l’apporta au cerf qui but avidement et parut soulagé, mais il ne pouvait se lever. Kondi, se rappelant la boîte du nain, prit de l’onguent et l’appliqua sur la patte blessée… tout de suite, elle se trouva guérie !…

Le cerf se leva et se mit à gambader, puis il s’arrêta, regarda Kondi et semblait attendre…

— « Sauve-toi, maintenant, Pattes-Agiles ! Moi, je ne puis te suivre, tu vas trop vite ! » Le cerf ne bougea pas. Kondi mit le castor par terre devant lui et dit :

— « Où donc, maintenant, petit castor ? »

Le castor sauta sur le dos du cerf, alors Kondi en fit autant et la belle bête partit au petit galop…

Kondi se cramponna aux cornes de Pattes-Agiles, et le castor et lui furent emportés rapidement à travers la forêt.

Tout-à-coup, le cerf s’arrêta et se mit à trembler… le castor aussi semblait pris de peur… et deux gros ours surgirent, leur bloquant le chemin et prêts à foncer sur eux !… Prompt comme l’éclair, Kondi saisit son tomahawk magique et l’agita en face des ours. Ceux-ci, se retournant subitement, prirent la fuite, et le cerf, voyant le danger passé, repartit au galop, dans la direction d’une montagne qui se dessinait dans le lointain.

— « Quelle veine, de voyager ainsi à dos de cerf, au lieu de marcher ! » se disait Kondi. « J’arriverai à destination des jours et des jours plus tôt que je ne m’y attendais ! »

Lorsqu’ils furent rendus presqu’au sommet de la montagne, Kondi vit un vieil Indien couché sur le bord de la route, soupirant et geignant et paraissant bien en peine. Il pria le cerf de s’arrêter, sauta à terre et allant à l’Indien, il lui demanda ce qu’il avait.

— « J’ai froid et j’ai faim ! » dit celui-ci, « c’est pourquoi je suis faible et ne puis marcher ! »

Kondi, ôtant la peau d’ours qu’il avait sur le dos la plaça autour des épaules de l’Indien et lui donna le peu de vivres qui lui restait, puis il sauta sur le dos du cerf qui repartit à une allure rapide et bientôt ils arrivèrent sur le haut de la montagne.

Là, le cerf s’arrêta et se mit à se secouer vigoureusement, comme s’il disait :

— « Descendez, maintenant ! »

Le castor sauta par terre, Kondi le suivit et, ne leur laissant pas le temps de se retourner, le cerf se sauva au gros galop !

— « Où allons-nous, maintenant, petit castor ? »

Le castor alla droit devant lui, Kondi le suivant, et bientôt ils atteignirent un grand bois d’érables, et là, ils virent le château !

Kondi, prenant le castor sous son bras, monta jusqu’à l’entrée et frappa doucement. La grille s’ouvrit et il entra.

— « Puis-je voir la Dame du Château des Érables ? » dit-il, d’une voix un peu tremblante, bien que ne voyant personne… Pas de réponse, mais une porte s’ouvrit et Kondi entra dans une vaste pièce tendue de rouge et de vert. Assise dans un fauteuil doré était une belle jeune fille, drapée dans une tunique de rouge et d’or. Ses longs cheveux bruns tombaient sur ses épaules et elle portait une couronne de merveilleuses pierres formant de minuscules feuilles d’érable, du vert le plus beau.

Elle regarda le petit garçon en souriant et dit :

— « Qui es-tu ? »

— « Je suis Kondi… Êtes-vous la Dame des Érables ? » (Il n’osait dire La Sorcière !)

— « Oui, je suis La Fée, Reine de ce château, et ta tribu m’appelle « La Sorcière des Érables ?… mais pourquoi me regardes-tu comme ça ? »

— « Ô Fée des Érables que vous êtes belle ! Vous devez sûrement être la fille du Grand Manitou qui a fait le soleil. Je croyais avoir bien peur de vous, mais je ne puis avoir peur, vous êtes trop merveilleuse. »

La Fée sourit et ne parut pas mécontente de cet élan spontané. Elle fit asseoir Kondi près d’elle et lui dit de raconter son histoire. Kondi lui dit tout ce qui lui était arrivé depuis qu’il avait été chassé de chez lui, à cause de ses espiègleries. Il dit aussi comment il avait réussi à trouver le château et lui parla de sa rencontre avec l’Indien sur la montagne.

Pendant qu’il parlait, l’Indien lui-même entra :

— « Fée des Érables », dit-il, « ce garçon que je n’avais jamais vu, me donna de quoi manger lorsque, faible de ma trop longue absence, j’étais tombé de fatigue en gravissant la montagne, et sans se soucier du froid pour lui-même, il me couvrit avec une chaude peau d’ours. Je m’étais trop éloigné du château, et, sans ce secours, je n’aurais jamais eu la force de revenir ! »

La Fée regarda Kondi avec une expression de douceur et de bonté.

— « Enfant », dit-elle, « tu vas rester ici, chez moi, pour quelque temps ; je verrai plus tard ce qu’il faudra faire de toi… »

Kondi demeura au Château des Érables. Il y fut bien traité, et le vieil Indien (un parent de la Fée) devint son ami et lui enseigna bien des choses.

Avec lui Kondi apprit à faire filer adroitement ses flèches, à trouver le meilleur gibier lorsqu’il allait à la chasse ; il apprit à connaître les noms et les propriétés des plantes et aussi à étudier les étoiles et à comprendre ce que l’Indien considérait être leur signification.

L’hiver arriva… La neige couvrit le sol, mettant aux branches des arbres une parure floconneuse ; le toit pointu du château semblait émerger d’un amoncellement de nuages blancs, mais La Fée ne parlait pas de renvoyer Kondi !

Un jour, elle lui avait montré la Flèche d’or, qu’elle gardait dans un étui de cristal…

— « Si tu me parais mériter ce don, tu auras cette Flèche plus tard ! » lui avait-elle dit.

Parfois, Kondi était invité à prendre ses repas avec La Fée. Elle aimait sa gaieté et son babil amusant. Elle lui faisait raconter ses tours et ses gamineries et riait de bon cœur à ses récits animés.

Il se demandait quelle espèce de nourriture on lui donnait ; c’était tellement bon, tellement délicieux ! Il n’avait jamais rien mangé de semblable ! L’eau qu’on lui donnait à boire semblait meilleure qu’aucune autre, elle était limpide et sucrée. Puis on servait un liquide savoureux, parfois clair, comme un sirop, d’autres fois plus épais, comme une tire. Certains jours, on lui donnait un sucre exquis, blond et doré comme la teinte du sirop…

Un jour, Kondi demanda à la Fée ce qu’étaient ces mets délicieux.

— « Ces mets ? » dit-elle, « ils proviennent de mes chers érables. Je les aime tellement ces beaux arbres, qu’à l’automne, avant que la gelée ne fasse tomber leurs feuilles, je leur donne mes couleurs préférées et je transforme leur belle verdure en feuilles de rouge et d’or. Ils m’aiment aussi, car, au printemps, lorsque, avec la Flèche d’or, je fais une petite entaille dans l’écorce de leur tronc, ils me donnent ce liquide délicieux que tu connais maintenant. »

Kondi passa tout l’hiver au Château des Érables. Quand vint le printemps, il put voir la Fée entailler ses chers arbres avec la Flèche d’or, tandis que l’on recueillait la sève claire et sucrée qui en découlait.

Un jour, il était à regarder l’étui de cristal qui contenait la Flèche merveilleuse, et il se demandait s’il pourrait jamais l’apporter à son père.

— « À quoi songes-tu, Kondi ? Tu as l’air pensif ! » dit la Fée.

— « À mon père, chère Fée, et au chagrin qu’il doit avoir… et à la Flèche d’or ! »…

— « Enfant, je t’ai bien observé durant ces longs mois ; tu as de la franchise et du cœur ; ces qualités font oublier tes défauts. Demande-moi une faveur… si ta requête me plaît, je te donnerai la Flèche ! »

Kondi songea un instant, puis il dit :

— « J’ai appris à vous aimer, chère Fée, vous avez été si bonne pour moi, un pauvre petit garçon, mais j’ai appris aussi à aimer vos érables. La faveur que je demande est celle-ci : qu’à l’automne, non-seulement les érables autour de votre château, mais tous les érables du pays, aient, dans leur feuillage, le rouge et l’or de votre tunique, et qu’au printemps ils puissent donner la sève délicieuse lorsqu’on leur fera une entaille avec une lame ordinaire, au lieu d’avec la Flèche d’or ! »

Le visage de la Fée devint rayonnant de plaisir.

— « Ta requête est accordée ! » dit-elle, tu m’as demandée une faveur pour mes chers érables… tu m’as vraiment causé une grande joie ! »

Peu après, Kondi reçut la Flèche d’or des mains de la Fée. Une nuit, pendant son sommeil, le vieil Indien le prit dans ses bras mystérieusement et le ramena chez lui. Il s’éveilla à l’entrée du wigwam paternel. Si ce n’eut été de la précieuse Flèche qu’il avait dans sa main et du petit castor blotti près de lui, il eut pu croire qu’il avait rêvé…

Son père et même sa belle-mère, le reçurent avec joie.

Avec la Flèche d’or la prospérité et la richesse revinrent à la demeure.

Les petits nains ne furent pas oubliés et une grande fête, un pow-wow extraordinaire, fut donné en leur honneur.

Tous les printemps, les érables suivirent les ordres de la fée, et tous les automnes, la verdure de leurs feuilles se changea en teintes rouge et or !

Enfants, lorsque vous mangerez le bon sucre blond, la tire savoureuse et l’exquis sirop doré, rappelez-vous Kondi, le petit Indien et son heureuse aventure avec la merveilleuse Fée du Château des Érables.