Éditions Albert Lévesque (p. 29-53).

Une vue du Mont-Royal.

LA FÉE DU MONT ROYAL


Il y avait autrefois à Montréal, alors que cette ville s’appelait Ville-Marie, un vieil Indien nommé Tessouchas.

Il était devenu chrétien et avait eu pour parrain et marraine à son baptême deux personnages célèbres dans l’histoire du Canada, surtout dans celle de Montréal : Monsieur de Maisonneuve et Mademoiselle Jeanne Mance.

Tessouchas avait été un guerrier intrépide et, dans ses guerres nombreuses avec les Iroquois, les ennemis jurés de sa nation, il avait perdu un œil, ce qui l’avait fait surnommer à Ville-Marie « le Borgne de l’Île ».

Mademoiselle Mance avait remarqué que son vieux filleul avait une affection particulière pour la belle montagne au pied de laquelle se groupaient les quelques bâtisses de la ville naissante, et qu’il faisait souvent allusion à un temps fort éloigné où l’Île de Ville-Marie était habitée par les Algonquins.

Ceci lui semblait étrange, car lors de sa fondation par Monsieur de Maisonneuve en 1642, nulle trace d’habitations n’avait été trouvée. Cependant les récits de Cartier, lors de la découverte du Canada, indiquaient l’existence, à cet endroit, d’un village indien, qu’il désignait comme le village fortifié d’Hochelaga.

Mademoiselle Mance comprenait très bien les Indigènes et elle aimait à les faire causer.

Un soir d’été, Le Borgne étant venu, suivant son habitude, faire visite à sa marraine, celle-ci le questionna au sujet du village disparu.

— « C’est une longue et terrible histoire, bonne Dame, » dit l’Indien, « et qui remonte à des temps bien éloignés. »

— « J’ai tout le temps de vous écouter, mon ami. Asseyez-vous là, sur ces marches, près de mon fauteuil. Il fait une soirée délicieuse et je puis rester dehors. Parlez ! Je suis très anxieuse de connaître votre histoire. »

Le Borgne s’installa sur les marches et fuma sa pipe en silence pendant quelques instants, puis, étendant le bras vers la montagne, couverte à ce moment de la lueur rose que lui prêtait le reflet du soleil couchant, il dit :

« Cette montagne que vous voyez couverte de beaux arbres, si verdoyante, si belle à nos yeux… eh bien, autrefois, c’était un volcan. De tous les environs, l’on voyait s’élever de son sommet une légère fumée blanche. Si parfois des bourgades, trouvant cette île belle et attirante, venaient y planter leurs wigwams et s’y établir avec leurs familles, aussitôt, dans la nuit, survenait une terrible détonation… La terre tremblait et une pluie de pierres brûlantes venait tout dévaster ; les wigwams brûlaient et les Indiens, affolés de terreur, prenaient la fuite.

« Voyant qu’ils ne pouvaient s’établir sur cette île, ils retournèrent à leur place originaire, l’endroit que vous appelez Fort Richelieu[1], et y demeurèrent, abandonnant à regret le projet de pouvoir établir un village sur cette île.

« Un jour, un de mes lointains ancêtres, appelé comme moi Tessouchas, mais que son adresse et sa vivacité avaient fait surnommer « La Mouche », vint à passer dans la grande forêt. Il aperçut une dizaine de jeunes Iroquois qui dansaient une ronde de guerre autour d’une vieille Indienne, qui paraissait tremblante de frayeur. (Il faut vous dire, Bonne Dame, expliqua le Borgne, que le nom La Mouche est resté synonyme de bravoure chez ma nation, et même chez les Hurons, nos amis, plusieurs braves guerriers se sont nommés ainsi).

« La Mouche vit que la femme avait les mains liées derrière son dos, et que tout en dansant, les jeunes gens la traînaient avec eux, criant que c’était une sorcière et qu’ils allaient la brûler.

« Voyant que les agresseurs étaient des Iroquois, La Mouche se jeta sur eux à l’improviste… Son tomahawk à la main, vlan ! vlan ! plus vite que l’éclair les coups se mirent à tomber. Si bien que plusieurs tombèrent blessés et les autres prirent la fuite…

« Se tournant alors vers la prisonnière, il coupa ses liens et lui demanda d’où elle venait. Sans répondre à sa question, elle lui dit :

« Brave jeune homme ! Tu as mis mes ennemis en fuite, peux-tu maintenant retrouver la baguette d’or que m’ont ravie ces méchants, mais qu’eux-mêmes ont laissé tomber parmi les branches ? »

« La Mouche se mit à chercher d’un côté et de l’autre et enfin il vit briller quelque chose sous une branche de cèdre… c’était la baguette perdue.

« Il la rendit à la vieille qui le remercia et lui dit :

— « Quel est ton nom ? »

— « Je suis Tessouches, qu’on appelle La Mouche. »

— « La Mouche, tu es adroit aussi bien que brave. Ah ! si tu pouvais me sauver !  ! »

— « Te sauver ? » répéta-t-il, qui donc es-tu ?

— « Je suis Morala, la Montagnarde, fée d’une belle montagne, mais une terrible sorcière de la nation des Nez-Percés a transformé en brasier le cœur même de ma demeure, brûlé mes arbres et chassé mes oiseaux… Moi-même, de fée que je suis, elle m’a transformée, me donnant l’apparence d’une vieille Indienne, et je n’ai rien pu sauver, sauf cette baguette, qui m’est ainsi d’autant plus précieuse ! »

— « Resteras-tu toujours ainsi ? » demanda La Mouche.

— « Oui, à moins qu’il ne se trouve un fils de guerrier assez brave et assez adroit pour brûler la sorcière dans son propre brasier. »

— « Mais, où se trouve-t-il ce brasier ? »

— « Vois », dit l’Indienne, en montrant le fleuve, à une grande distance d’ici, il y a une île, d’environ une centaine de milles de circuit. Cette île était un endroit enchanteur, mais, maintenant… plus rien !… plus d’arbres ! plus de fleurs ! plus d’oiseaux ! plus de wigwams !… rien… rien… »

— « Mais tu me parles de cette île où mes parents et tant d’autres ont voulu s’établir ? »

— « De celle-là même. »

— « Alors je vais la tuer, moi, cette sorcière de malheur ! Son feu a brûlé mes grands parents, trop vieux pour s’enfuir ! »

— « Tessouchas, c’est une mission dangereuse et fort difficile, mais si tu veux l’entreprendre je t’aiderai de tout le pouvoir qui me reste. Il te faudra partir seul, en canot, ne voyager que la nuit, te cacher dans le jour, et ne parler à personne de ton voyage. Rendu à l’île, avant le lever du soleil, siffle trois fois entre tes deux mains et plante cette baguette en terre… et quelqu’un te fera voir la sorcière ! »

— « Et si je réussis à la brûler ? »

— « Tout de suite, tu me reverras, en m’appelant de la même façon. » Lui donnant alors la baguette, elle lui dit :

— « Et maintenant, puisque tu es décidé, prends cette baguette et cache la bien, car si tu la perds, tout est fini ! »

La Mouche prit la baguette, et regardant à ses pieds, vit un amas de tiges vertes et brunes. Il les arracha ; de ses doigts agiles il banda toute la longueur de la baguette, masquant complètement sa couleur, et ainsi transformée, il la plaça à sa ceinture, à côté de son tomahawk.

« Lorsqu’il leva la tête pour parler à l’Indienne… elle avait disparu !

« La Mouche n’avait plus qu’une idée… Partir ! Aller détruire cette horrible sorcière !… C’était un grand garçon de quinze ans, brave cœur et bon fils. Il eut bien voulu parler à ses parents de l’aventure projetée ! Mais il se savait tenu au silence. Une nuit, cependant, quand tout le village fut plongé dans le sommeil, il se leva et sortit furtivement du wigwam paternel. Un faible croissant de lune éclairait son chemin ; il descendit sur la grève.

« Les eaux du fleuve, calmes et attirantes, semblaient l’inviter à tenter l’aventure. Prenant son canot, il le poussa doucement à l’eau, sauta dedans et, à grands coups d’aviron, partit dans la direction de l’île.

« Le canot glissait rapidement et lorsque parut le jour, il était déjà avancé dans son voyage, mais il poussa vers la terre et se cacha jusqu’au soir, suivant les instructions de l’Indienne mystérieuse. La seconde nuit et la seconde journée se passèrent de même ; la troisième nuit n’était pas terminée lorsqu’il arriva au rivage de la grande île tant convoitée par sa tribu, comme lieu d’établissement.

« Tirant son canot à terre, il se hâta de donner le signal convenu, sifflant trois fois entre ses deux mains et plantant en terre la baguette de l’Indienne…

« Aussitôt, il vit apparaître un petit gnome, bossu, boiteux, avec une grosse tête, une figure ridée et une longue barbe blanche. Ses yeux francs et doux lui semblèrent familiers, mais il ne pouvait se rappeler où il avait vu ces yeux-là.

« Qui es-tu, dit-il, toi qui te sers des signaux de la pauvre Morala ? »

— « Je suis Tessouchas, appelé La Mouche, fils d’un guerrier Algonquin. C’est Morala qui m’envoie pour la venger, et pour venger aussi la mort de mes grands parents. Fais-moi voir la sorcière ! »

— « Ami de Morala, tu es aussi mon ami ! Je suis Zippo, le gnome, ami de la Fée de la Montagne… mais, hélas ! je crains qu’elle ne puisse jamais redevenir elle-même ! »

— « Elle le sera bientôt, Zippo ! Je vais tuer, brûler la sorcière !… Il faut vite me la faire voir !  ! »

— « C’est une entreprise de géant et tu n’es qu’un adolescent !… Je vais te donner une idée de ce qui t’attend. »

« Le nain passa derrière La Mouche, lui appliqua sur le front ses deux petites mains ridées, lui fit fermer les yeux, puis, lui tournant la tête vers la montagne, il lui dit à voix basse : Regarde ! »

« La Mouche ouvrit les yeux… il ne pouvait d’abord rien distinguer — puis, peu à peu, il vit la montagne, il en vit les abords arides et brûlés, il vit un filet de fumée blanche qui s’échappait de son sommet, mais tout lui semblait visible seulement à travers un voile de brume… tout-à-coup, la vision devint claire et il aperçut une ouverture, comme l’entrée d’une caverne lumineuse au pied de la montagne.

« Le nain le prit par la main et lui dit :

— « Avance vingt pas. »

« La Mouche obéit. Alors, il aperçut la sorcière ! !

« Elle était assise sur une pierre en face d’un brasier dont elle semblait attiser le feu avec une longue fourche noire. Elle avait le nez crochu et un anneau passé dans les narines ; ses cheveux noirs et raides étaient surmontés de deux plumes rouges, à la façon des femmes iroquoises ; ses yeux, ronds et petits, brillaient comme des charbons ardents, sa bouche édentée était mince et cruelle. Un haillon de cuir lui servait de vêtement…

— « Qu’elle est horrible !  ! », s’écria La Mouche, mais, sans l’écouter, le nain lui dit :

— « Regarde encore ! C’est là ce qu’elle jette
« La sorcière avait le nez crochu et un anneau passé
dans les narines… »
dans son brasier pour faire trembler la terre et pleuvoir du feu et des pierres ! »

« La Mouche vit, dans un coin de la caverne, un amas de bûches qui semblaient faites de verre ou d’un transparent quelconque et qui contenaient une terre fine et noire.

— « Regarde ! » dit encore le nain, voici un de ses gardiens ! »

« La Mouche aperçut, en arrière de la sorcière un terrible dragon à sept têtes ; chaque tête, armée de deux cornes, avait une large gueule, avec une langue longue et noire et des dents formidables !

« La Mouche ne put réprimer un frisson d’horreur !  !

— « Encore un gardien ! » lui souffla le nain.

— « La Mouche vit, couché auprès de la sorcière un loup noir d’aspect féroce et il lui sembla entendre un sinistre grognement.

— « Le dernier et le plus terrible !  ! » dit encore le nain.

« La Mouche aperçut alors, à l’entrée de la caverne, un géant de la tribu des Nez-Percés ; il agitait fébrilement dans ses mains un bâton de la grosseur d’un petit arbre !…

« Le gnome repassa sa main sur le front du jeune Indien et tout disparut… il ne voyait plus que la grève, la rivière et Zippo qui le regardait.

« La Mouche resta pensif. Comment venir à bout de tous ces monstres ?

— « Comment as-tu pu leur échapper, toi, » dit-il au nain.

— « Ils me voient rarement et ils me croient muet, c’est pourquoi je vis. »

— « Où te mets-tu, quand elle fait trembler la montagne ? »

— « Dans la caverne, couché par terre. Là je suis en sûreté. »

— « Peux-tu m’aider ? »

— « Oui, pour deux choses : d’abord pour te renseigner, puis pour te suivre, afin que tu ne sois pas toujours seul. Mais il faut user de ruse. D’abord, cache bien la baguette de Morala, c’est le seul pouvoir qui leur manque. Cette baguette peut te défendre du loup et du dragon, elle ne peut rien contre le géant ni la sorcière. Cette dernière ne peut périr que par le feu de son brasier. Quant au géant, le point faible de ce colosse, c’est la gourmandise ! Alors, penses-y, lorsque viendra son tour ! »

« La Mouche resta silencieux, se demandant comment, à lui seul, affronter ce quadruple danger de la sorcière et des trois terribles gardiens de la caverne. Il était brave aussi bien que rusé mais il n’avait que quinze ans !…

« L’idée lui vint d’abandonner la partie et de retourner chez ses parents… Puis, au souvenir de ceux-ci, il se rappela leur grand désir d’habiter cette île et aussi leur chagrin de la mort affreuse de ses grand’parents, il reprit courage et résolut de remplir sa mission.

« Le nain s’était éloigné, et revint peu après avec de la nourriture que La Mouche accepta de grand cœur, car il avait bien faim.

« Pendant qu’il était à prendre son repas, il aperçut un ours qui, sortant de derrière un buisson, vint se jeter sur le nain ! Vif comme l’éclair, La Mouche saisit son tomahawk et se lança au secours du petit homme. À coups redoublés, il frappa la bête, à la tête, dans la gorge, sur la poitrine, et cria au nain :

— « Sauve-toi vite, pendant que je le tiens ! »

« Le nain se sauva et l’ours furieux leva une énorme patte pour assommer son adversaire, mais il se trouva à toucher la baguette de Morala, et à ce contact, il roula aux pieds de La Mouche… Il était mort !…

— « Ouf !  ! » dit le jeune homme en s’essuyant le front. Reviens, Zippo ! Tu as failli servir de déjeûner à l’ours ! Je lui ai donné plusieurs bons coups de tomahawk, mais par les plumes de la sorcière, je te jure que je ne pensais pas l’avoir tué ! »

— « C’est la baguette d’or », dit Zippo, « il a dû la toucher. »

— « C’est donc une défense, la baguette ? »

— « Oui, mais pas contre la sorcière ni le géant. Mais tu es brave, tu m’as sauvé ! Je ne l’oublierai pas ! »

« De nouveau, son regard qui semblait plein de bonté rappela à La Mouche un autre regard, mais il ne pouvait dire lequel. Sur les conseils de son ami le nain, le jeune Indien s’enfonça dans un bois touffu et se prépara un abri. Il fallait se cacher et réfléchir avant de commencer son attaque.

— « Est-ce que la sorcière s’endort parfois ? » demanda-t-il.

— « Elle dort le jour, ainsi que le dragon et le loup. Le géant est seul gardien alors. La nuit, le géant dort et les autres veillent. Maintenant, je dois partir, repose-toi et cache-toi bien, et si tu es en danger, appelle-moi de la manière que tu sais. »

« La Mouche se coucha dans son abri de verdure, mais il ne pouvait dormir. Il se disait :

— « C’est le jour, donc la sorcière dort, le géant veille. Si je pouvais le faire sortir ! Il est gourmand, qu’est-ce qui pourrait bien le tenter ? »

« Tout-à-coup, une idée lui vint. Se glissant jusqu’à l’endroit où l’ours était tombé, il le traîna jusqu’à l’entrée du bois. Il coupa un gros morceau de sa chair et descendant sur la grève il fit du feu et y mit rôtir le morceau découpé. Puis il se cacha et attendit… Au bout de quelques minutes une odeur de chair brûlée se fit sentir, une fumée épaisse s’éleva de la grève. La Mouche guettait… Soudain il entendit un craquement de branches et un bruit de pas pesants… C’était le colosse. Il regarda autour de lui ; ne voyant personne, il se rendit sur la grève, vit le feu et le morceau de chair rôtie… Avec avidité il s’en empara et l’avala dans deux bouchées ! Puis il s’en retourna vers la montagne.

« La Mouche, content de savoir comment attirer le géant, eut l’idée de le punir par sa gourmandise. Il avait vu, près d’un arbre, un tout petit nid de guêpes. Il savait que les guêpes rentrent toutes dans leur nid sitôt le soir venu. Alors, il prit un morceau de la peau de l’ours qu’il roula en bouchon, et l’appliqua à l’ouverture du nid, y renfermant ainsi les guêpes. Un beau clair de lune lui permettant de voir autour de lui, il coupa un gros morceau de la chair de l’ours, et y renferma le nid minuscule. Au point du jour, il descendit encore sur le rivage, fit du feu, et y mit rôtir une des pattes velues de l’ours, ayant soin de mettre le précieux morceau de chair bien en évidence, mais pas sur le feu. L’odeur de poil brûlé et de chair rôtissante attira bientôt le géant. Il arriva à grands pas, saisit la patte qui cuisait et voulut la manger, mais la trouvant trop dure il la jeta par terre. Tout-à-coup, il vit la belle boule de chair… Il la saisit, la palpa et l’avala d’une bouchée !  !… Il s’en retourna ensuite vers son antre…

« La Mouche, caché dans les branches, avait tout vu et se demandait ce qui allait arriver. Soudain des hurlements de rage se firent entendre. Le géant revint, les yeux injectés de sang, les cheveux hérissés… il se roulait par terre et poussait des rugissements de colère… Un hoquet le secoua et trois guêpes lui sortirent de la bouche !… mais celles qu’il avait avalées devaient le piquer terriblement car il se mit à enfler à vue d’œil… se traînant jusqu’à la rivière, il s’y jeta et sans chercher à nager, se laissa couler au fond et se noya.

« La Mouche, joyeux, siffla Zippo et lui annonça la bonne nouvelle et le nain se réjouit avec lui de cette heureuse fortune.

— « Couche-toi et dors, maintenant, » dit-il à La Mouche, « car, pour les autres il te faut travailler la nuit. »

« Le jeune Indien se coucha et dormit jusqu’au soir. Dès que le soleil fut couché, il se leva et crut entendre un léger bruit de pas autour de son abri. Pensant que c’était le nain, il sortit… Horreur !  ! C’était le loup ! Attiré par l’odeur de la chair de l’ours, il avait trouvé l’abri et guettait sa proie !…

« Pris à l’improviste, La Mouche se rejeta dans l’abri et saisit son tomahawk, mais dans sa hâte, il le laissa tomber… Il n’avait plus d’arme !… Soudain, il se rappela la baguette de l’Indienne et au moment où le loup allait foncer sur lui, il lui lança la baguette à la tête !… Le loup s’abattit en hurlant… le deuxième ennemi était vaincu !

« La Mouche ramassa la précieuse baguette ainsi que son tomahawk, les remit à sa ceinture et partit dans la direction de la montagne. Ne pouvant trouver son chemin, il planta la baguette en terre et appela le nain. Celui-ci accourut et fut content d’apprendre le sort du loup. Il montra à La Mouche le chemin de la caverne au pied de la montagne :

— « Courage », lui dit-il, « la lune éclaire la nuit ; va et délivre Morala ! ! »

« Et il sembla au jeune Indien que Zippo lui avait parlé avec la voix de la fée.

« Lorsqu’il atteignit la caverne, il aperçut le dragon près de l’entrée et l’aspect féroce des sept têtes le fit reculer. Comment le détruire ? En lui jetant la baguette, il ne pouvait atteindre qu’une des têtes et il serait impuissant à reprendre son arme merveilleuse pour se défaire des autres. Qu’allait-il faire ! Il retourna vers la forêt, prit quelques lianes et de longues tiges flexibles, les tressa ensemble et s’en fit une courroie ; au bout de cette tresse, il attacha sa ceinture et lia solidement à celle-ci la baguette de Morala. Ainsi armé, il retourna vers la caverne.

« Les branches noircies d’un arbre à demi brûlé, surmontaient l’entrée de la grotte. La Mouche grimpa sur une de ces branches et frappa légèrement, avec son tomahawk, quelques coups sur l’arbre… À ce bruit, la sorcière se leva… curieuse, elle voulut voir ce que c’était et mit la tête dehors…

« La Mouche, avec son fouet improvisé, lui envoya un coup de la baguette… Elle se redressa et l’aperçut :

— « Ah ! petit misérable ! Tu oses venir me relancer jusque dans mon domaine ? Dans sept bouchées tu vas disparaître !  ! »

« Puis appelant : — « Dragon ! Ici ! Vite, fais ta besogne !  !  ! » Elle s’éloigna de quelques pas et le dragon survint. Plus rapide que le vent, La Mouche fit jouer son fouet : Paf !… une tête… Paf !… une autre tête… Paf !… une troisième… quatre… cinq… six… la courroie se brisa !… Alors La Mouche sautant de sa branche sur le dos du dragon, asséna sur la septième tête un formidable coup de tomahawk et la bête roula morte, l’entraînant dans sa chute… Mais La Mouche garda sa présence d’esprit ; il se releva et voyant que la sorcière s’avançait vers les bûches volcaniques, il courut en arrière d’elle, saisit sa fourche qui gisait à terre et d’un mouvement rapide et vigoureux, il l’enfourcha et la précipita dans le brasier.

« Joyeux de son succès, il sortit, planta la baguette en terre et appela Zippo, mais à sa grande surprise, au lieu du nain, il aperçut une fée d’une beauté merveilleuse… Elle se pencha, ramassa la baguette et dit à La Mouche :

— « Enfant loyal et courageux, tu as rendu à Morala son caractère de Fée, tu as détruit ses ennemis et brisé leur pouvoir ! Comme récompense de ton courage et de ta valeur, je te confère pour toi et tes descendants le don de la bravoure ! Va maintenant ! Retourne vers les tiens et dis-leur qu’ils peuvent sans crainte venir s’établir sur l’île… la montagne ne sera plus leur ennemie ! »

— « Et Zippo ? » fit La Mouche.

— « Zippo ? C’était moi, sous la forme d’un nain, forme que je ne pouvais revêtir que de temps en temps. Va donc ! Mais, avant de partir, entraîne vers le fleuve ces bûches de destruction… Il y en a dix. »

« Déjà le soleil se levait à l’horizon.

« La Mouche chargea une bûche sur ses épaules et la descendit à la rivière ; neuf fois il descendit ainsi ; il venait de soulever la dixième bûche, lorsque la fée lui apparut dans toute sa splendeur. Ébloui et charmé, il ouvrit les bras et échappa la bûche, qui se brisa en mille morceaux…

— « Que faire ? » demanda-t-il.

— « Rien à craindre », dit la fée, « Ces fragments ne pourront que faire trembler un peu, parfois, sans danger, le sol de l’île. Je vais maintenant renouveler ma montagne chérie et lui redonner sa verdure, ses oiseaux et ses fleurs. Va, petit Algonquin, dis aux gens de la tribu que la Fée de la Montagne les protège et que si son pouvoir ne peut les défendre contre les nations ennemies, il saura du moins les protéger pour toujours contre les tremblements de terre et les pluies de feu ! »

« En disant ces mots elle disparut dans une nuée de lumière…

« La Mouche reprit son canot et s’en retourna dans son pays. Heureux de la bonne nouvelle, plusieurs familles de ma tribu vinrent s’établir ici. Ils y vécurent longtemps, mais les Iroquois, en nombre supérieur, leur firent une guerre acharnée et brûlèrent leurs villages et ils furent forcés d’émigrer. Mais la montagne resta toujours belle et verte et ne fut plus jamais un volcan… La Fée a été fidèle… »

Le Borgne avait fini son récit. Sa marraine, charmée de la légende, remercia son filleul, et lui fit cadeau d’un minuscule miroir et d’une médaille de la Vierge et le vieux partit content.

Le lendemain, vers l’heure du couchant, Mademoiselle Mance tourna ses regards vers le Mont-Royal et encore sous le charme de la légende du vieil Indien, il lui sembla voir l’ombre lumineuse de la Fée voltiger à travers les grands arbres et la montagne lui parut empreinte d’une nouvelle beauté et d’une mystérieuse poésie.

  1. Sorel, aujourd’hui.