Éditions Albert Lévesque (p. 7-28).

LA FÉE DES CASTORS


Sur les bords de la rivière Oigoudi (aujourd’hui rivière Saint-Jean), vivait il y a plusieurs centaines d’années un petit Indien du nom de Memtou.

Il s’appelait, en réalité, Membertou comme son père, mais on avait raccourci son nom, comme cela se faisait souvent chez les peuplades indiennes d’alors.

Cet enfant des forêts, à l’esprit aventureux, aurait bien voulu suivre son père dans les longs voyages qu’il faisait durant l’été, dans son léger canot d’écorce, mais il était trop jeune, il n’avait que huit ans, et devait rester à la cabane avec sa mère et les papooses.[1]

Memtou aimait la nature, les grands arbres lui semblaient des géants protecteurs, les oiseaux le charmaient et ses amis les plus chers étaient les petits castors, dont il y avait, à cet endroit, un nombre extraordinaire.

Memtou avait vu, un jour, dans la forêt, un étrange cortège. C’était une troupe de castors, traînant, comme un chariot, un de leur bande couché sur le dos et ayant, entre ses quatre pattes, une petite charge de bois. La troupe s’en allait vers un ruisseau qui coulait dans la forêt.

Lorsqu’il raconta la chose à son père, celui-ci lui expliqua que les castors transportent ainsi le bois pour leurs habitations.

— « Elles sont bien faites, mon petit, leurs maisons. Elles ont souvent deux ou trois étages. Ils se blottissent dans les étages supérieurs, car dans le bas il y a souvent de l’eau. La porte de la maison est sous l’eau, alors les castors vont et viennent comme ils veulent, sans crainte de se faire prendre. Ces maisons sont aussi bien couvertes que nos wigwams, mais c’est une couverture de terre arrondie ; les murs en sont solides et à l’épreuve du vent. Il faut les voir, ces petits fourrés, quand ils se rassemblent dans les forêts sombres pour couper leur bois de charpente ! Tu rirais, Memtou, de les voir couper si aisément les branches avec leurs dents ! »

L’enfant s’installait souvent au bord de la rivière et appelait ses petits amis :

— « Ici, petits castors ! venez ! C’est Memtou, votre ami ! »

Les castors accouraient en bande. Le petit gars leur parlait, les caressait et parfois il leur disait :

— « Invitez-moi donc pour aller voir vos maisons ! On les dit si bien faites et jamais vous ne me les faites voir ! »

Mais les castors ne semblaient pas le comprendre.

Un jour, vers l’heure du couchant, Memtou aperçut sur la grève un castor noir, beaucoup plus gros que les castors ordinaires. Chose étrange, il avait au cou un cercle brillant, comme un collier d’or… Memtou voulut l’approcher, mais le castor étrange s’enfuit rapidement.

Le lendemain, vers la même heure, Memtou, jouant au bord de la rivière, vit encore le castor au collier, et de nouveau il tenta sans succès de l’approcher.

Le Rocher de Percé
Ce soir là, il y avait grande réjouissance dans

la tribu. Membertou, le grand chef, le Sagamo, comme disaient les Indiens, était revenu. Memtou aimait beaucoup son père et fut joyeux de le revoir. Il avait fait un long voyage sur mer et avait visité beaucoup de lacs, de rivières et de landes.

— « J’ai voyagé, dit-il, sur la grande mer de Kanada (c’est ainsi que les Indiens désignaient le Golfe, à l’entrée de la rivière Saint-Laurent). Après six jours de voyage, je suis arrivé à un village de la région de Gachepé, où j’ai été bien reçu et fêté par les tribus de là-bas. Tout près de là, il y a une île de pierre qui est comme un rocher géant dans la mer ; un peu plus loin, j’ai visité une île où il y a tellement de castors que l’on pourrait avoir des douzaines de tuniques pour toute la tribu, et il y en aurait encore des centaines à prendre. Il y a là des castors deux fois plus gros que ceux d’ici et presque noirs. »

— « Il y en a un comme ça ici, » dit Memtou : « il a un collier au cou. »

— « Un collier ? Tu rêves ! »

— « Non, je l’ai vu deux fois ! »

— « La troisième fois, mon petit, il faut prendre une flèche et le viser ton castor à collier ! »

Mais Memtou ne voulait pas blesser ce bel animal, il espérait plutôt l’apprivoiser.

Un jour, dans la forêt, l’enfant entendit comme une plainte, un gémissement qui semblait venir du pied d’un arbre tout près de lui. Il chercha dans les broussailles et trouva son beau castor, gisant ensanglanté, percé d’une flèche qui le blessait cruellement tout près de son beau collier que le sang rougissait !… Memtou se baissa ; avec douceur et adresse il enleva la flèche. Courant à une source d’eau, il y trempa une poignée de feuilles et vint les appliquer sur la blessure, mais le sang coulait toujours… Désolé, pensant que son beau castor allait mourir, il appliqua ses lèvres sur la partie blessée… mais à peine avait-il donné ce baiser, qu’il se sentit brusquement rejeté en arrière et une lumière éclatante lui fit fermer les yeux. Quand il les ouvrit, il aperçut une Fée d’une beauté merveilleuse, qui le regardait en souriant… Elle était vêtue d’une longue draperie aux reflets dorés, ses cheveux tombaient en boucles blondes sur ses épaules et elle tenait dans sa main droite une longue baguette, surmontée d’une petite tête de castor, fixé par un cercle d’or brillant…

Memtou, stupéfait, charmé, mais un peu craintif, n’osa d’abord rien dire, puis, voyant que l’apparition souriait toujours, il dit :

— « Qui es-tu, belle Visiteuse ? »

— « Je suis la Fée des Castors et l’amie des Oiseaux. Mon royaume s’étend dans tout ce vaste pays, mais j’avais établi ma demeure sur une île charmante, fort éloignée d’ici. Les chers petits castors dont je suis la Souveraine m’attendent là en vain, depuis tantôt deux ans ! Un sorcier de la bande des Armouchiquois, venu sur mon île pour y exercer ses maléfices, fut écrasé à mort par mes petits défenseurs, mais avant de mourir, il se vengea… me changea en castor et m’exila de mon île ! »

— « Comment as-tu fait pour changer encore et redevenir une fée ? »

— « Il me fallait, Memtou, le baiser d’un enfant. Tu as toujours aimé les petits castors qui m’ont suivie dans ton pays pour rejoindre ceux qui s’y trouvaient auparavant et aussi pour me suivre ; eux aussi te connaissent et ils t’aiment, et moi, je te chérissais déjà sans savoir que tu pourrais me sauver !

— « C’est toi, le castor au collier ? »

— « Oui, c’était moi, et c’est une flèche de ton père qui m’a blessée, mais je ne lui en veux pas, j’en suis heureuse puisqu’elle a amené ma délivrance… Je vais maintenant te quitter, ne parle à personne de ce qui est arrivé, mais prends ce petit collier qui fera juste le tour de ton bras. Ne t’en sépare jamais et si, lorsque tu seras devenu grand, tu as un jour besoin de mon aide, viens auprès de mon île et jette ce collier sur la grève… Je viendrai tout de suite à cet appel. Tu peux dire à ton père que le collier que tu portes comme un bracelet est celui du castor que sa flèche avait percé !…

Memtou fixa le collier à son bras, mais lorsqu’il leva les yeux vers la fée… elle avait disparu.

Peu à peu, dans les années qui suivirent, les castors disparurent des environs de ce pays et on n’en vit plus qu’un très petit nombre.

Memtou grandit. Il avait maintenant seize ans. C’était un jeune Indien fier et hardi, qui devait succéder à son père comme Sagamo de la nation ; mais auparavant, il lui fallait accomplir un acte de bravoure qui le rendrait digne de cet honneur.

Memtou n’avait jamais oublié la belle fée qui avait mis à son bras d’enfant le collier du castor. Depuis bien longtemps ce cercle d’or était trop petit pour son bras vigoureux, mais il le portait toujours suspendu à son cou comme une amulette.

Un jour, arriva un coureur, venant du pays de Gachepé, apportant au Sagamo, un message de la part des Indiens de ce pays. Ils étaient attaqués par les Armouchiquois, qui devaient venir au nombre de plusieurs centaines pour tuer leur monde et brûler leurs villages. N’étant pas assez nombreux, ni assez forts pour leur résister, ils faisaient appel à Membertou, le grand chef, pour leur venir en aide, en souvenir de l’hospitalité que lui avait jadis donnée le village présentement en danger.

On assembla le Conseil de la Nation et on décida d’envoyer une certain nombre de guerriers.

Memtou s’avança vers son père, en disant :

— « Père, laisse-moi conduire la bande. Ce sera ma chance de montrer si je suis digne de te succéder ! »

— « Il y aura de la misère, des dangers… peut-être la mort !…

— « Je ne crains rien », dit Memtou, « ton fils ne doit pas connaître la peur… Je porte le même nom que toi, mon père. »

Membertou consentit ; alors tout fut décidé, et, peu de jours après, une trentaine de canots, remplis d’indiens armés de flèches et de tomahawks, filaient rapidement à destination de Gachepé.

Après bien des jours de voyage, ils arrivèrent près d’une île couverte d’arbres et de plantes. Les canots passèrent tout près de ses rives et les Indiens virent qu’il y avait là une grande quantité de castors.

— « Je pense qu’il vaut mieux arrêter ici et nous cacher, » dit Memtou, « et ne pas approcher de la côte avant la nuit. Nous avons fait bien des détours pour arriver par cet endroit et je crois que l’ennemi doit s’attendre à nous voir venir par la grande mer. »

Memtou, se souvenant tout-à-coup de l’épisode de son enfance, se dit :

— « C’est peut-être ici le royaume de la Fée des Castors. »

Au moment d’atterrir, ils virent arriver une Indienne, qui, sans parler, faisait signe à Memtou d’approcher.

— « N’y va pas ! » disaient les autres. « C’est une espionne ou peut-être une sorcière ! »

— « Je ne la crains pas, voyons ce qu’elle veut », dit Memtou, et il dirigea son canot vers l’Indienne.

En approchant, il vit que c’était une toute jeune fille, presque une enfant, mais son air grave et anxieux indiquait qu’elle avait vraiment un message.

— « Que veux-tu ? » dit-il en l’abordant.

— « Je viens vous avertir, » dit-elle, « nos ennemis sont là, en embuscade, derrière l’île de pierre, ils attendent pour vous attaquer en surprise ! »

— « Qui es-tu ? » demanda Memtou.

— « Je suis Bessabas, fille du chef Ouagimont, que les ennemis ont tué et je suis venue vous mettre en garde, parce que vous êtes des alliés et que vous aiderez à venger mon père. »

Memtou fit signe à ses guerriers d’approcher
« Que puis-je faire pour le fils du grand
Sagamo Membertou ?… »
et expliqua l’embuscade qui se trouvait de l’autre côté de l’île de pierre. Il leur dit de tirer leurs canots à terre et de se cacher dans les branches.

Lorsque les canots furent en lieu sûr et les guerriers partis, Memtou demanda à Bessabas :

— « Comment as-tu pu laisser la côte ? »

— « Je me suis enfuie, une nuit, après la mort de mon père. J’ai pris un canot et je suis partie vers l’île où nous sommes. »

— « Comment appelles-tu cette île ? »

— « L’île de la Fourrure, » (c’est à cause des castors qui s’y trouvent en si grand nombre).

— « Mais comment as-tu connu les plans de nos ennemis ? »

— « Ils savent que cette île est inhabitée », dit-elle ; « ils sont passés tout près d’ici dans leurs canots. Cachée dans un taillis j’ai entendu ce qu’ils disaient et j’ai voulu vous avertir ! »

— « N’y a-t-il pas une fée ici ? » demanda Memtou.

— « On le dit », répondit la jeune fille, « elle protège les castors et les oiseaux. »

Alors Memtou, prenant le minuscule collier d’or qui pendait à son cou par une mince courroie, il le jeta avec force sur la grève…

En silence, debout auprès de Bessabas qui ne savait que penser de son étrange action, il attendit… Tout-à-coup, un léger bruit, comme un bruissement d’ailes, se fit entendre, les branches d’un sapin s’écartèrent, et la Fée parut… radieuse et souriante, comme elle était restée dans le souvenir du jeune Indien. Elle regarda Memtou et lui dit :

— « Que puis-je faire pour le fils du grand Sagamo Membertou ? »

Le jeune homme lui expliqua sa mission et lui présenta la petite Indienne du village de la région de Gachepé, qui était venue l’avertir de l’embuscade.

La fée resta quelques instants sans parler, puis elle dit à Memtou :

— « L’Île de Pierre est comme une haute muraille sans issue qui s’élève dans la mer, non loin de la côte de ce village de Gachepé. Cette muraille a, dans son extrémité qui est le plus avant dans l’eau, une fissure qui la traverse du haut en bas. Toi, Bessabas, tu as dû la voir, cette fissure ? »

— « Oui, belle Fée », répondit la fillette, un peu tremblante, « mais elle est si étroite que personne ne pourrait y passer ! »

— « L’ennemi est-il au guet à chaque bout de l’île de Pierre ? », demanda Memtou à Bessabas.

— « Oui », répondit-elle, « mais surtout à l’extrémité près de terre. »

— « Alors », dit la Fée, « pour les surprendre, il faut que les guerriers de Memtou puissent, à mer haute, passer par cette fissure. Attendez ! Je vais appeler mes ouvriers. »

La Fée se dressa toute sa hauteur, siffla doucement entre ses doigts et soudain une multitude de petits castors vint se masser autour d’elle, semblant attendre ses ordres.

— « Petits castors, » dit-elle, « vous que j’ai toujours protégés et qui me comprenez si bien, écoutez mes ordres !… Je vous donne aujourd’hui une force spéciale qui vous permettra de nager rapidement jusqu’à l’Île de Pierre. Là, vous vous masserez dans la fissure, et peu à peu, sans que l’on s’en aperçoive, vous pousserez le rocher de manière à permettre le passage d’un canot. Au moment d’achever, vous laisserez une lisière de rocher qui masquera le passage, mais tellement mince qu’un coup de tomahawk la fera tomber. Pour ce travail, je vous donne la durée de cette nuit, et lorsque vous reviendrez à l’aurore, il faut que votre tâche soit accomplie ! Si vous êtes fidèles je vous récompenserai. Partez, et soyez forts ! » et agitant au-dessus d’eux sa longue baguette, elle leur indiqua le grand fleuve…

Les castors prirent la mer. Il semblait y en avoir des milliers tant était longue la bande noire qu’ils formaient sur l’eau, mais bientôt ils se dispersèrent, plongèrent et on ne put les distinguer. La Fée les regarda partir, puis elle dit à Memtou :

— « Lorsque la nuit sera venue, partez tous dans vos canots ; dans l’obscurité vous arriverez, sans être vus, à l’Île de Pierre. À mesure que le travail de mes castors avancera, cachez un canot dans la fissure agrandie, et massez les autres tout près de la muraille. Sitôt le jour venu, donnez au passage le coup définitif, puis filez tous par là et tombez sur vos ennemis ! »

— « Bonne Fée, » dit Memtou, « que puis-je faire pour cette jeune fille qui a risqué sa vie pour nous sauver ? »

— « Laisse-la ici, avec moi, et après la bataille, tu reviendras la chercher. »

— « Vous reverrai-je ? » dit-il.

— « Oui ; prends de nouveau ce petit collier d’or qui est là dans le sable, appelle-moi comme tu as déjà fait, et je viendrai t’amener Bessabas. »

Memtou ramassa le collier et la Fée reprit :

— « Maintenant, petite fille, pose ta main sur ma tunique et ferme les yeux… Memtou, va rejoindre tes guerriers et soyez prêts pour le départ ! »

Memtou partit et, un instant après, la Fée et la jeune Indienne avaient disparu…

La mer montait… Dès que l’obscurité fut presque complète, ils se mirent en route. Rapidement, mais en silence, leurs canots filaient dans la nuit noire, sur les eaux calmes du fleuve. Ils arrivèrent enfin au rocher, virent que la fissure était déjà passablement agrandie… Sans parler, ils attendirent, se plaçant tel que la Fée leur avait dit ; avant le lever du soleil le passage traversait l’Île de Pierre. Les guerriers de Memtou, se glissant par le canal, ignoré de leurs ennemis, tombèrent sur les Armouchiquois et une bataille terrible s’engagea.

Memtou fit des prodiges de valeur et sut si bien conduire ses guerriers qu’avant midi, l’ennemi était en déroute. Les Indiens de Gachepé, accourus pour prendre part à la bataille, trouvèrent leurs alliés victorieux et aperçurent un grand nombre de canots qui filaient vers la grande mer… c’était les Armouchiquois qui étaient en fuite.

Memtou leur raconta le beau geste de Bessabas et les paroles de la Fée, et à mer basse, tous allèrent voir le merveilleux travail accompli par les castors.

Memtou fut acclamé, on loua sa bravoure et son adresse et on lui dit qu’il était digne du titre de Sagamo de sa nation.

Les Indiens des deux pays prirent alors leurs canots et se dirigèrent vers l’Île de la Fourrure. Memtou aborda le premier, les fit placer debout près de lui sur le sable du rivage et prenant le petit collier, il le jeta sur la grève.

Au bout d’un instant, aux yeux éblouis et étonnés de tous les guerriers, la Fée parut, tenant la jeune Indienne par la main : souriante, elle les accueillit avec bonté et s’adressant à Memtou, elle dit :

— « Digne fils de Membertou, tu peux retourner vers ton père et lui dire que son fils est un brave ! Ta tribu peut sans crainte te sacrer Sagamo, tu es digne de cet honneur ! Et vous, hommes de Gachepé, vous allez ramener cette enfant, fille de votre chef, tué par vos ennemis et dans trois ans vous la donnerez pour femme au jeune brave que voici ! »

Prenant la main de Bessabas, la Fée la plaça dans celle de Memtou… Les deux jeunes gens se regardèrent avec joie.

S’adressant ensuite à eux tous, la Fée continua :

— « Mes fidèles castors ont mérité une récompense. Je vais la leur donner. »

Elle siffla légèrement entre ses doigts et les castors accoururent à son appel. La Fée leur parla ainsi :

— « Petits castors, pour votre fidélité et votre travail sur le rocher de l’île de Pierre, je vais vous récompenser.

Je sais qu’un grand nombre parmi vous auriez voulu avoir des ailes et voyager dans les airs vers de lointains pays… D’autres préfèrent leurs solides demeures et leur manteau fourré et ne désirent pas quitter la terre… Alors, que ceux qui parmi vous désirent l’air, l’espace, les envolées dans le ciel bleu et des nids dans les grands arbres, que ceux-là, dis-je, se placent à ma droite et que les autres restent à ma gauche ! »

Immédiatement les castors, en nombre extraordinaire, se placèrent à droite de la Fée.

Elle regarda de chaque côté avec un sourire un peu triste, puis, levant sa baguette, elle dit aux castors de droite :

— « Devenez donc des oiseaux de tous genres et de toutes sortes, peuplez cette île et les îles plus lointaines… Allez ! Allez ! Vous avez des ailes ! » et elle passa sa baguette au-dessus d’eux… À l’instant, ils disparurent, et une nuée d’oiseaux s’envola dans toutes les directions…

La Fée abaissa alors ses regards vers le sol et dit aux petits castors :

— « Et vous, fidèles petits sujets, je vous donne en ce jour votre liberté ! Fuyez où bon vous semblera, allez partout bâtir vos demeures et peupler les forêts, vous êtes libres. Je vais quitter cette île, où je ne puis plus demeurer… Trop de regards humains font s’envoler les fées !… Mais avant de vous quitter je vais vous accorder une faveur : par un don tout spécial, vous deviendrez à jamais célèbres dans ce pays, votre nom sera synonyme de travail et de diligence et vous figurerez comme emblème sur l’étendard du peuple qui, plus tard, habitera ces rives ! Allez, petits castors, fuyez !… »

Les castors partirent de suite vers l’intérieur de l’île.

S’adressant alors aux Indiens, la Fée leur dit :

— « Et vous, hommes des forêts, retournez dans vos landes et n’oubliez pas la Fée que vous ne reverrez plus.

Toi, Memtou, dont la pitié enfantine me sauva jadis des maléfices d’un sorcier, tu seras le chef d’une tribu remarquable ; le nom que tu tiens de ton père et que tu transmettras à tes fils sera en honneur, non-seulement parmi les tiens, mais aussi chez un grand peuple de Visages Pâles. »

En disant ces mots, la Fée leva trois fois sa baguette, un nuage vaporeux sembla l’envelopper et elle disparut.

Les Indiens retournèrent dans leur pays.

Trois ans plus tard, Bessabas épousa Memtou et vint avec lui sur les bords de la rivière Oigoudi.

Le titre de Sagamo resta toujours dans la famille de Membertou, et, longtemps plus tard, lorsque les Français vinrent dans ce pays, ils trouvèrent dans cette région des amis et des alliés dans les Indiens de la tribu dont le chef portait ce nom.

Aujourd’hui, la région de Gachepé est devenue celle de Gaspé, l’Île de Pierre (dont la fissure s’est élargie avec les années), s’appelle le Rocher de Percé, l’Île de la Fourrure est devenue l’Île Bonaventure. Mais la Fée a tenu ses promesses : les oiseaux peuplent toujours cette île du Saint-Laurent et l’emblème du castor se place avec honneur sur un étendard canadien.


  1. Bébés Indiens