Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre IV. Oraison Dominicale : Notre Père.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 291-292).
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CHAPITRE IV. ORAISON DOMINICALE : NOTRE PÈRE. modifier

15. Mais il est temps de voir quelle prière nous impose Celui par qui nous apprenons ce que nous devons demander et nous obtenons ce que nous demandons. « C’est ainsi donc que vous prierez, nous dit-il : Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, et remettez-nous nos dettes comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent, et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Toutes les fois qu’on prie, il faut d’abord gagner la bienveillance do celui à qui on s’adresse, ensuite exposer l’objet de sa demande. Or, on gagne la bienveillance de celui qu’on prie, en faisant son éloge, et cet éloge le place ordinairement au commencement de la prière. Pour cela le Seigneur nous ordonne simplement de dire : « Notre Père qui êtes dans les cieux. A Bien des choses ont été dites à la louange de Dieu ; quiconque lit les saintes Écritures les y trouvera partout et sous des formes différentes ; et cependant on ne voit nulle part que le peuple d’Israël ait reçu ordre de dire Notre Père, ou de prier Dieu le Père ; on lui donne l’idée de Dieu comme d’un Maître commandant à des esclaves, c’est-à-dire à des hommes qui vivent encore selon la chair. Je parle du moment où ils recevaient les préceptes de la Loi avec l’ordre de les observer ; car les prophètes montrent que souvent notre Seigneur aurait pu être leur Père, s’ils ne s’étaient pas écartés de ses commandements. Tel est ce passage, par exemple : « J’ai engendré des enfants et je les ai élevés, et ils se sont révoltés contre moi[1] » et cet autre : « J’ai dit : vous êtes des dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut[2] » et celui-ci encore : « Si je suis votre maître, où est votre crainte de moi ? Si je suis votre Père, où sont mes honneurs[3] ? » et une foule d’autres où l’on reproche aux Juifs prévaricateurs de n’avoir pas voulu être enfants de Dieu. Nous exceptons les textes qui s’appliquent prophétiquement au futur peuple chrétien en tant qu’il devait avoir Dieu pour Père, conformément à ces paroles évangéliques : « Il leur a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu[4]. » De son côté, Paul l’Apôtre dit : « Tant que l’héritier est enfant, il ne diffère point d’un serviteur » puis il rappelle que nous avons reçu l’Esprit d’adoption dans lequel nous crions : Abba, Père[5]. »
16. Et comme notre vocation à l’héritage éternel, pour être cohéritiers du Christ et devenir enfants d’adoption, n’est point le fruit de nos mérites, mais l’effet de la grâce de Dieu : nous mentionnons cette grâce dès le début de la prière, en disant : Notre Père. Ce nom excite tout à la fois et l’amour, qu’y a-t-il de plus cher pour des enfants qu’un Père ? et l’affection dans la prière, puisque nous disons Notre Père ; et un certain espoir d’obtenir ce que nous allons demander, puisque, avant même de demander, Dieu nous accorde déjà une si grande faveur, la permission de lui dire : Notre Père. Que peut-il en effet refuser à la prière de ses enfants, quand il leur a déjà préalablement permis d’être ses enfants. Enfin quelle sollicitude ces mots : Notre Père, n’éveillent-ils pas dans le cœur, pour ne pas se montrer indigne d’un Père si grand ? En effet si un sénateur, d’un âge avancé, permettait à un homme du peuple de l’appeler son père, sans doute celui-ci, saisi de frayeur, l’oserait à peine, en réfléchissant à l’humilité de sa naissance, à sa pauvreté, à sa basse condition ; à combien plus forte raison, faut-il redouter d’appeler Dieu son Père, si l’âme est tellement souillée, si la conduite est tellement coupable qu’elles inspirent à Dieu une répulsion bien plus juste que celle qu’un sénateur éprouverait pour les haillons d’un mendiant ? Car, après tout, ce riche ne dédaigne dans un mendiant qu’une situation où il peut tomber lui-même par l’effet de la fragilité des choses de ce monde ; tandis que Dieu ne peut jamais tenir une mauvaise conduite. Grâces donc à la miséricorde de ce Dieu qui exige que nous l’ayons pour Père : ce qui peut s’obtenir sans aucune dépense et par le seul effet de la bonne volonté. Avis aussi aux riches, ou aux nobles selon ce siècle, devenus chrétiens, d’être sans hauteur vis-à-vis des pauvres ou des gens d’humble condition ; parce qu’ils disent avec tous les autres : Notre Père, ce qu’ils ne pourraient faire avec vérité et avec piété, s’ils ne se reconnaissaient frères des autres hommes.

  1. Isa. 1, 2
  2. Ps. 81, 6
  3. Mal. 1, 6
  4. Jn. 1, 12
  5. Rom. 8, 16-23 ; 4, 1-6