Examen du livre de M. Darwin sur l’origine des espèces/9

IX

DE LA GÉNÉRATION DES INFUSOIRES

(EXPÉRIENCES DE M. BALBIANI)

M. Balbiani a fait ici, comme je viens de le dire, ce que M. Van Beneden avait fait pour les parasites, ce que Redi et Swammerdam avaient fait pour les insectes : il a mis dans tout son jour la génération réelle et effective des infusoires.

On avait remarqué, depuis longtemps, dans le corps des infusoires, deux petites masses, deux espèces de glandes, dont l’une était appelée nucleus, et l’autre nucléole. Qu’était-ce que ces deux corps ? L’un, le nucleus, est l’ovaire ; et l’autre, le nucléole, est le testicule.

Les infusoires ont donc à la fois un organe mâle et un organe femelle. Bien plus, ils ont des sexes distincts, c’est-à-dire portés sur deux individus différents ; enfin, ils s’accouplent, et ils produisent des œufs. Leur génération est donc effective, complète, pareille à celle des animaux les plus parfaits ; et il n’y a point de génération spontanée.


De tous les phénomènes qui s’observent dans les corps vivants, nul ne se présente avec des caractères plus uniformes que le phénomène relatif à la propagation. Les végétaux se reproduisent comme les animaux. L’appareil reproducteur est fait sur le même modèle, dans les deux règnes. Il y a, dans les végétaux comme dans les animaux, des organes mâles et des organes femelles : d’une part, des ovaires et des testicules ; de l’autre, des pistils et des étamines ; il y a des sexes, tantôt portés sur le même individu, tantôt portés sur des individus séparés ; il y a des œufs dans un règne comme dans l’autre : la graine du végétal répond, sous tous les rapports, à l’œufs de l’animal.

Ce n’est pas tout. De même qu’il y a, pour le végétal, deux manières de se reproduire : la graine et la bouture ; il y a aussi pour l’animal, du moins pour certains animaux, deux façons de se reproduire : l’œufs et la scission.

Avant Trembley, on ne connaissait point la génération scissipare des animaux. Il est le premier qui ait reconnu qu’indépendamment de ses œufs, le polype se reproduisait aussi par boutures. L’histoire naturelle compte peu de travaux aussi mémorables que ceux de Trembley sur le polype. Elle n’en compte aucun qui ait plus étendu les vues des naturalistes.

L’infusoire a, comme le polype, les deux modes de reproduction : il se reproduit par scission et par des œufs. On savait, depuis longtemps, que les infusoires se multiplient par division spontanée, par la production de bourgeons qui se détachent du corps. Mais, quant au mode le plus important de reproduction, quant à la génération par des germes fécondés, par des œufs, on n’en savait rien. Il n’y a guère plus de deux ans que les conjectures auxquelles on était réduit à cet égard, ont fait place à des notions positives.

Ehrenberg, le célèbre naturaliste Ehrenberg, prenait les infusoires pour des hermaphrodites complets, c’est-à-dire pour des hermaphrodites dont chaque individu pouvait se suffire. Il considérait comme un fait de l’organisme la division longitudinale que laissent entre eux les deux corps rapprochés pendant l’accouplement des infusoires.

Considérant donc les infusoires comme des hermaphrodites complets, Ehrenberg refuse d’admettre chez eux aucun accouplement, et ne leur attribue d’autre reproduction que la reproduction scissipare.

L’hermaphrodisme peut être complet ou incomplet. Dans l’hermaphrodisme complet, chaque individu a un organe femelle et un organe mâle, et chacun se suffit à lui seul ; chacun se féconde lui-même ; c’est le cas de l’huître parmi les mollusques : dans l’hermaphrodisme incomplet, il y a aussi un organe mâle et un organe femelle, mais l’individu ne se féconde pas lui-même ; il faut qu’il y ait deux individus qui se réunissent, il faut qu’il y ait accouplement, c’est-à-dire que l’organe femelle de l’un réponde à l’organe mâle de l’autre, comme, par exemple dans l’escargot parmi les mollusques.

Cet hermaphrodisme incomplet est celui des infusoires : chaque individu a un organe mâle et un organe femelle, mais il ne peut se féconder lui-même ; il a besoin d’un autre individu qui lui serve tout à la fois de mâle et de femelle, comme lui-même en sert à l’autre.

Lorsque M. Balbiani fit connaître, en 1858, ses premiers travaux, la question était entièrement neuve. Aujourd’hui elle est résolue.

Les infusoires se propagent, comme tous les autres animaux, à l’aide de sexes bien caractérisés. Ils cessent de faire exception à la loi commune ; et l’on peut aujourd’hui proclamer, dans toute son extension, le fameux axiome d’Harvey : Omne vivum ex ovo.