Examen du livre de M. Darwin sur l’origine des espèces/10

X

DE LA PRÉEXISTENCE DES GERMES ET DE L’ÉPIGÉNÈSE

(MES EXPÉRIENCES SUR LES MÉTIS)

La génération spontanée n’est qu’une chimère.

Ce point établi, restent deux hypothèses : la préexistence et l’épigénèse. Ces deux hypothèses sont aussi peu fondées l’une que l’autre.

La préexistence des germes vient de Leibnitz, cet infatigable inventeur d’expédients en philosophie.

Quand Leibnitz ne peut résoudre une difficulté, il la tourne. Ne pouvant donc concevoir la formation des êtres, il imagine qu’ils étaient tout formés. Le dernier individu de chaque espèce était contenu en germe dans le premier individu : le dernier animal dans le premier, le dernier homme dans le premier homme. C’était un emboîtement infini de germes.

De Leibnitz, la préexistence passa à Bonnet, de Bonnet elle passa à Haller, qui, d’abord, avait été pour l’épigénèse.

Le dernier partisan de la préexistence des germes a été Cuvier, non qu’il vît de ce côté-là quelque raison bien déterminante, mais parce qu’il avait horreur (c’est le mot dont il s’est servi vingt fois avec moi) de l’épigénèse, cette formation par morceaux d’un organisme clos et un, et que son grand esprit lui démontrait avoir dû être formé d’ensemble.

L’épigénèse vient d’Harvey : suivant de l’œil le développement du nouvel être sur les biches de Windsor, il vit chaque partie successivement apparaître, et prenant le moment de l’apparition pour le moment de la formation, il imagina l’épigénèse. D’Harvey, l’épigénèse est passée directement dans l’École, où elle règne exclusivement.

La préexistence est l’hypothèse de l’esprit seul ; l’épigénèse est l’hypothèse de l’œil seul.


Mes expériences sur les métis ont démontré que le nouvel individu, l’individu produit, le métis, est formé de deux moitiés, de deux parts égales, ou à peu près égales : l’une du mâle, l’autre de la femelle.

Évidemment, si le germe est préformé, le germe, qui est dans le chien, est tout chien.

Cependant, lorsque j’examine ce germe développé, je le trouve moitié chacal et moitié chien.


Comme que l’on prenne la chose, à quelque subtilité qu’on s’accroche, dès qu’il y a du chacal dans le germe venu du chien, le germe n’était pas préformé dans le chien.

Je prends l’exemple de mes expériences sur les métis de chien et de chacal. Mes expériences sur les métis de chien et de loup donnent les mêmes résultats. J’en dis autant de celles qui se font tous les jours sur les métis de cheval et d’âne : il est impossible de ne pas reconnaître, dans le mulet ou dans le bardot, un mélange à peu près égal, d’âne et de cheval.

La préexistence des germes n’est donc pas fondée.


Passons à l’épigénèse : l’est-elle plus ? Non, sans doute.

Le nouvel être se forme tout d’un coup, tout d’ensemble, instantanément : il ne se forme point parties par parties, et en divers temps. Il se forme à la fois ; il se forme à l’instant unique, indivis, où se fait la conjonction du mâle et de la femelle.

Passé l’instant de la conjonction, le mâle et la femelle n’ont plus de rapports ensemble ; et cependant le nouvel être, le métis, est formé moitié de l’un et moitié de l’autre.

L’épigénèse n’est donc pas fondée.


J’ai déjà dit cela bien des fois ; mais pour avoir raison contre la routine, il faut se répéter sans cesse.