Mercure de France (p. 193).

CXIII

Si on savait tout !


On serait Dieu, situation infiniment désagréable, parce qu’alors on serait forcé de nier sa propre existence sous peine de passer pour un imbécile, de se brouiller avec le Vénérable de sa loge et d’être mal noté dans le quartier. On ne trouverait plus de crédit nulle part et on ne serait plus salué par personne. On passerait pour faire des miracles et pour avoir un crucifié dans sa famille. Enfin une vile populace dénuée de philosophie et confondant la Substance avec l’Accident, appellerait calotin l’omniscient Bourgeois inculpé de divinité.

Ah ! croyez-moi, le plus sûr, c’est de ne rien savoir et surtout de ne rien tirer du néant, à commencer par soi-même. Au surplus, n’est-ce pas la tradition ? À quelle époque, voulez-vous me le dire ? les ancêtres de nos bourgeois ont-ils cru profitable de créer la lune et les étoiles ? Il y a tant de choses qu’il est avantageux d’ignorer et tant d’autres qu’il est utile de ne pas faire ! Le but de la vie n’est-il pas uniquement de gagner beaucoup de galette et d’acquérir, par ce moyen, la Mort éternelle ?