Mercure de France (p. 141-142).

LXXIV

Que voulez-vous ! l’homme est l’homme.


Combien Pilate est joli garçon et digne d’amour quand on le compare à la multitude considérable des gens qui se lavent les mains ! Cette parole archi-traînée, depuis deux dizaines de siècles, me fut servie, l’autre jour, par un bourgeois doux qui paraissait avoir les mains propres, pour la justification d’un bourgeois féroce dont j’avais eu l’enfantillage de lui parler avec une extrême indignation. Il n’osait pas ajouter comme dans saint Jean : Ecce rex vester, celui-là est votre roi, parce que le Bourgeois ne met jamais hors de lui ce qui est en lui, mais comment aurait-il pu faire pour n’y pas penser dans son lieu le plus intime ?

L’homme qu’il me montrait dans l’indéfini était vêtu de la pourpre du sang des faibles et, de son effrayante couronne, ruisselaient des larmes de sang. Or, il n’y a qu’un seul homme qui soit vraiment l’Homme et c’est terrible de l’évoquer de la sorte, car il peut arriver qu’on ne distingue pas très bien Celui qui assume de celui qui est assumé et Celui qui sauve de celui qui tue. Quelle épouvantable situation que celle d’un désolateur des âmes descendu si bas qu’il ne peut plus avoir l’air d’un homme qu’en mettant sur lui, par une mascarade sans nom, la défroque inexprimablement sainte de Gabbatha !