Exégèse des Lieux Communs/075
LXXV
Il est avec le ciel des accommodements.
Peut-être avec le ciel, mais pas avec le Bourgeois, quand il s’agit de Molière. Il ne permet pas qu’on y touche. Tout ce que vous voudrez, mais pas ça.
Profanez les sanctuaires, les Saintes Reliques, le redoutable Sacrement de l’autel. Soit, mais ne portez pas la main sur Molière.
Cette loi est d’autant plus remarquable que le Bourgeois ne connaît absolument pas Molière. Il sait à peu près que cet homme célèbre a beaucoup parlé des cocus, ce qui le flatte, et qu’il est l’auteur d’une comédie intitulée Tartufe, où l’infamie de la dévotion est divulguée. Il est inébranlablement convaincu que Louis XIV, dompté par tant de génie, le fit, un jour, manger à sa table et que toute la cour en fut dans l’admiration. C’est même, je crois, le seul fait du règne de Louis XIV qu’il soit capable de citer, et sa gratitude est immortelle pour ce repas auquel il sent si profondément qu’il fut invité en la personne de Molière !
Au temps de ma verte jeunesse, il n’y a pas loin de trente-cinq ans, Jules Vallès ouvrit une sorte de plébiscite contre Molière. Il y eut au journal hebdomadaire, la Rue, que dirigeait le futur agitateur, un registre où chacun était invité à protester avec énergie contre le Misanthrope. Je me rappelle qu’il y eut une petite clameur dans les journaux graves, mais fort peu de signatures. Le Bourgeois ne régnait pas plus qu’aujourd’hui, chose impossible, seulement il était un peu moins inculte et paraissait lire quelquefois. Je ne sais si l’entreprise de Vallès aurait maintenant plus de succès. Mais je trouve que notre époque est bien plus belle, puisque c’est un temps de foi. On y adore Molière comme les Athéniens adoraient le Dieu inconnu.