Mercure de France (p. 109-110).

LV

Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.


Une nuit, Forain reçut une très-belle volée de coups de bâtons administrée sans erreur par deux estafiers au service d’une princesse offensée de la rue Pigalle. Le caricaturiste aimé des mufles avoua qu’il n’avait pas eu de plaisir et sa vie en dut être empoisonnée, car la vue d’une trique, même sur l’arbre, lui cause, m’a-t-on dit, un vif sentiment de gêne.

Il m’eût été difficile, en songeant à ce Lieu Commun, de ne pas me souvenir du personnage et de son aventure, qui a pu, d’ailleurs, se renouveler un assez grand nombre de fois, car elle remonte à plus de dix ans.

Mais l’exemple ne vaut rien. Les bourgeois ne sont pas régulièrement, invariablement rossés et il y a des commis-voyageurs ou des clercs d’huissier pour qui Forain est un grand artiste. C’est assez pour mon exégèse de faire observer que le mot gêne, dans ses deux sens de malaise douloureux ou de pénurie financière, est également exclusif de tout plaisir.

Par exemple, la sainte loi du divorce obtenue par un cocu préalable, avantagé d’une bosse de chameau de Tartarie, est venue tout à fait à point pour délivrer la joyeuse nation française de la gêne des indissolubles liens. Il est vrai que son effet se borne là et que les divorcés ne reçoivent pas d’argent pour faire la noce. Lacune fâcheuse qui sera certainement comblée, un de ces jours, par quelque législateur goitreux.

Inutile, n’est-ce pas ? de parler des chaussures trop étroites, ou des corsets aux baleines pénétrantes, ou des clous dans le derrière ou de toute autre péripétie s’opposant à la rigolade. Dans tous les cas imaginables, il faut le plaisir, à quelque prix que ce soit, et de la gêne il n’en faut jamais, dit le Prince de ce monde, père du Bourgeois, ennemi de la Rédemption par le Sacrifice.