Mercure de France (p. 108-109).

LIV

L’habitude est une seconde nature.


« … J’ai la peste ! Il n’est pas impossible que la peste soit la conséquence de Terreur et du mal ; vous le dites et je ne le nie pas. Il est certain que je suis sur la route de la mort ; il est possible que je sois sur la route de l’enfer, et que tout cela vienne de l’erreur. Il est vrai que je m’ennuie, que les sensations s’émoussent avec l’âge et que la mort viendra. Cette pensée est désagréable.

« Cependant, si Dieu me proposait de quitter un instant ces choses ennuyeuses, monotones, menteuses, mourantes et mortelles, qui me conduisent au désespoir présent et au désespoir éternel ; puis, de les échanger contre la Vie, la Joie et la Béatitude, je refuserais, je ne l’écouterais même pas. J’irais jouer un jeu qui m’ennuie et je lui dirais : va-t’en ! Va-t’en, maître de l’extase et propriétaire de la joie, va-t’en ! Va-t’en, soleil qui te lèves dans tes flots de pourpre et d’or ! Va-t’en, majesté ! Va-t’en, splendeur ! Va-t’en ! Va-t’en ! toi qui as sué le sang au jardin des Olives ! Va-t’en ! toi qui as été transfiguré sur le Thabor ! Va-t’en ! je vais au café, où je m’ennuie.

« Pourquoi y allez-vous ?

« Parce que j’en ai l’habitude. »


Ernest Hello. L’Homme. 1re édition, page 33.