Exégèse des Lieux Communs/044
XLIV
J’ai bien gagné de me reposer.
M. Répandu est propriétaire et il le sait. Il sait même qu’il a la loi pour lui. Mais il tient à ignorer ses locataires, son médecin lui ayant interdit les émotions qui sont l’effet ordinaire des engueulades. Il souffre, paraît-il, du grand sympathique.
Pour échapper aux plaintes et réclamations, il a un gérant au cœur ferme, un ex-huissier ou clerc de notaire qui la connaît dans les coins et qu’il avantage d’un tant pour cent pour que tout aille sur des roulettes.
Cette gérance, d’ailleurs, n’est pas une sinécure, M. Répandu possédant plusieurs immeubles, presque tous habités par des ouvriers dont il faut, chaque samedi, attraper, pour ainsi dire, l’argent au vol. Il y a aussi, dans ces casernes, un assez bon nombre de filles aimables dont les rentrées sont incertaines et les amitiés ondoyantes. La collecte des loyers chez ces personnes est moins consolante que périlleuse.
— Je suis le propriétaire qui ne veut rien savoir, disait M. Répandu, après vérification des sommes, un jour que son gérant était venu chez lui avec quatre dents de moins et une gueule qui ressemblait à un paysage forestier de la fin d’octobre, j’ai bien gagné de me reposer.
Parole admirable ! On l’avait toujours vu se reposer, depuis environ trente ans que la bienheureuse mort de ses parents l’avait mis en possession de leur fortune, acquise, disait la rumeur, aux coins des bois. Une tentative de noce, vers son bel âge, avait dégoûté ce garçon qui, de très bonne heure, aima l’argent d’un chaste amour.
Devenu homme pratique, il ne voit dans les passions juvéniles ou séniles que ce qu’elles rapportent au philosophe qui sait en tirer parti. Il a même relevé de ses ruines, on peut le dire, et glorieusement restauré, un historique et centenaire lupanar du temps des derniers Capétiens dont le rendement apanagerait un fils de France. Cette besogne, pourtant, ne l’a pas courbatu, et, comme il parle sans cesse de son repos bien gagné, on est réduit à conjecturer Dieu sait quelles fatigues antérieures qui défient la mémoire des hommes.
— Votre Répandu, m’a dit, l’autre jour, un concentrateur, est simplement un fantôme. Ce qu’il nomme le repos, c’est la mort. Vous savez peut-être qu’il y a des gens qui paraissent vivre et qui sont en réalité des morts. C’est le cas de presque tous les vampires que vous appelez bourgeois. On les croit debout et gesticulant. Ils sont couchés et immobiles. On est persuadé qu’ils parlent ou, si vous voulez, qu’ils profèrent des sons et la vérité stricte, c’est qu’ils sont au-dessous du silence même, enfoncés dans la vase la plus épaisse du mauvais silence. Pour que se manifestât leur putréfaction certaine, leur puanteur effroyable, il suffirait d’une parole simple, dite par un vivant. Quand un individu vous parle de « repos gagné », croyez-moi, flairez-le avec la plus grande attention.
Mon interlocuteur avait raison. Il y a quelques jours à peine, j’eus affaire à un de ces morts qui ne parlait même pas de se reposer, tant il avait peur de se réveiller lui-même. Dès le premier mot j’eus devant moi et contre moi un volcan de pourriture, un Orénoque de sanie où je crus périr.