CHAPITRE XXI.


Lyrisme italien. — Pétrarque, Médicis, Politien. — Veine lyrique dans le génie espagnol. — Herréra, Luis de Léon, Rioja, sainte Thérèse. — Érudition et réveil poétique de la France. — Faux lyrisme de Ronsard. — Quelques heureux préludes de grâce et d’harmonie.


Le Dante n’avait pas épuisé la richesse du sol italien rajeuni ; ou du moins, lorsqu’il eut enlevé sa triple moisson, si la terre, comme brûlée de ses feux, dut reposer deux siècles, à côté de lui, au souffle de son génie, une autre flamme était née, brillante et légère. Pétrarque n’est pas moins immortel que le Dante. Il n’a de commun, cependant, avec cette austère physionomie que les teintes de douceur et de pathétique gracieux qui, par moment, surprenaient en elle. Mais il les a dans une perfection de langage qui les élève au niveau d’une œuvre plus grande. Ainsi, de Virgile à Dante, s’est formé Pétrarque, mélodieux et concis, trouvant la pureté dans la brièveté, le naturel dans la délicatesse de l’art.

Ce n’était pas l’enthousiasme de l’ode que vous pouviez attendre d’un tel poëte. Il fut à la muse lyrique de l’antiquité ce que l’Italie du moyen âge était aux cités glorieuses de l’ancienne Grèce. Il représenta cette vie plus oisive que libre, plus agitée que forte, où l’Italie du quatorzième siècle souffrit et lutta, sans rien faire de grand au dehors, et sans s’affranchir elle-même. Il excella dans la peinture des sentiments privés, bien plus que dans l’expression des grands devoirs et des vertus civiques. Il fut le plus ingénieux et le dernier des troubadours, plutôt qu’un Pindare ou un Stésichore.

Ne l’oublions pas, toutefois : si l’Italie elle-même avait alors porté ses pensées plus haut, Pétrarque était digne de lui servir d’interprète. Chantre de la beauté, il ne fut pas le flatteur intéressé de la puissance injuste. Il aima son pays ; il le servit de ses efforts, pour la concorde au dedans et contre l’étranger. Il le voulait libre, aussi bien que florissant par les arts ; et il ne déshonora d’aucune lâche faiblesse cette couronne de poëte qu’il reçut au Capitole.

Non qu’il ait jamais donné une vie actuelle et puissante aux grands souvenirs qui font la gloire et l’illusion de l’Italie. Il partagea l’espérance prolongée tant de siècles après lui. Il crut un moment même à l’audace et à la fortune de Rienzi. Il félicita, dans une belle ode, le jeune Étienne Colonna d’être nommé sénateur, et rêva, sous ses auspices, la renaissance de Rome. Surtout il maudit ce que les grands papes du moyen âge avaient tant combattu, et ce que Milan avait imprudemment réclamé, l’invasion ou le secours des armes étrangères ; nobles et vains accents, qu’il suffit de redire :

« Italie, ma chère Italie ! bien que la parole soit impuissante contre les mortelles blessures que je vois si pressées sur ton beau corps, je veux exhaler des soupirs tels que les attend le Tibre, l’Arno et le Pô, dont j’habite les rives, douloureux et pensif. Roi du ciel ! je prie que la pitié, qui t’a conduit sur la terre, te fasse prendre en gré cette fertile contrée. Vois, Dieu bienfaisant ! quelle guerre cruelle, sur quel léger prétexte ! Ces cœurs qu’endurcit le farouche Mars, ouvre-les, Dieu paternel ! et attendris-les… — Vous à qui la fortune a mis en main le gouvernement de ces belles contrées, dont il semble que vous n’ayez nulle pitié, que font ici tant d’épées étrangères ? »

« La nature avait sagement pourvu à notre indépendance, » disait encore le poëte, « lorsqu’elle avait élevé les Alpes entre nous et la rage tudesque. » Puis, se lamentant sur cet obstacle inutile et franchi tant de fois, il s’écriait, avec plus de douleur que de force : « N’est-ce pas ici le sol que j’ai touché d’abord ? N’est-ce pas le nid où je fus nourri si doucement ? N’est-ce pas cette patrie, à laquelle je me confie, mère tendre et pieuse, dont le sein recouvre ceux qui m’ont donné le jour ? Au nom de Dieu, que cela touche votre âme ! et regardez en pitié les larmes d’un peuple malheureux qui attend son repos de vous seul, après Dieu. Pour peu que vous donniez quelque signe de pitié, le courage s’armera contre la fureur ; et le combat sera court : car l’antique vigueur n’est pas morte encore dans les cœurs italiens. »

Je ne puis relire sans émotion cet ancien témoignage, qui rappelle des accents presque semblables échappés, de nos jours, dans une prose toute poétique, au cœur de Rossi[1] et à son espérance de ranimer le cadavre de la belle Italie, au moment où lui-même allait tomber sous le poignard d’un assassin.

Impuissante illusion ! l’Italie de Pétrarque n’était déjà plus capable de s’affranchir elle-même ; elle s’appuyait au joug de cette Germanie que Rome avait autrefois vaincue. Mais une gloire renaissait pour elle, dans son malheur, et la trompait sur sa propre faiblesse : c’était la gloire des arts, l’inspiration et la science sortant de l’Église et des tombeaux, l’éclat prochain d’un âge tout littéraire. Pétrarque servit noblement à cette œuvre d’élégance ingénieuse, bien plus que de grandeur virile et de force véritable. L’entendez-vous, dans son langage devenu lyrique, invoquer une croisade, en appelant à son aide la puissance de l’empereur d’Allemagne et le zèle des évêques de France ?

Il n’armera pas de nouveau l’Occident ; il ne suscitera pas un second âge héroïque de la chrétienté. Mais il prélude à la naissance du Tasse, et il marque sur la lyre ces modes brillants et gracieux dont l’Italie va charmer l’Europe encore à demi barbare. À la poésie grecque, à l’inspiration d’Eschyle et de Pindare il avait appartenu d’être à la fois idéale et vivante, de parer l’intelligence et d’animer le courage, de faire du génie d’un homme la vertu publique d’un peuple. La Renaissance, ne visait pas si haut ; son poëte n’était qu’un artiste ému qui plaisait à l’imagination, sans exalter les courages.

« Ô toi, » disait-il en beaux vers[2] à l’évêque de Lombez, « heureuse et belle âme espérée dans les cieux, qui marches revêtue et non appesantie de notre humanité, pour que les chemins te soient plus faciles, servante fidèle et bien-aimée de Dieu, voici que ta barque, déjà détournée de ce monde aveugle vers un meilleur port, reçoit le souffle d’un vent occidental, qui, par cette sombre vallée où nous pleurons nos fautes et celles d’autrui, la conduira dégagée des écueils antiques à cet Orient où elle aspire. »

Rien de plus animé que ces images, dans la langue du poëte ; rien de plus guerrier que son espérance et son appel : « Tout homme, » s’écrie-t-il, « entre la Garonne et les monts, entre le Rhône, le Rhin et les flots de la mer, suit le drapeau chrétien. Quiconque, des Pyrénées aux dernières bornes de l’horizon, estime le vrai courage, va laisser déserts l’Aragon et l’Espagne. L’Angleterre, les îles que baigne l’Océan, entre la Grande Ourse et les Colonnes d’Hercule, aussi loin que retentit la voix de l’Hélicon, tous ces peuples divers de langues, d’armes et de vêtements, la charité divine les précipite à cette grande entreprise. Quelles légitimes et saintes amours, quelles filles, quelles femmes ne seraient pas sacrifiées à si noble devoir ? »

Mais ce langage du poëte n’avait déjà sur les hommes d’un siècle nouveau rien de la puissance qu’exerçaient jadis la rude parole de Pierre l’Ermite, ou l’éloquence passionnée de saint Bernard. À travers ses souffrances, l’Italie, de toute part enrichie par le commerce, s’embellissait, s’éclairait, retrouvait çà et là quelque liberté, mais non l’unité ni l’indépendance. Honorons-la surtout de ce qu’elle fit alors, pour le goût et les arts ! voyons en elle le premier musée de l’Europe moderne ; n’en espérons pas ces élévations de génie qui tiennent à l’énergie des âmes, à la grandeur des vertus civiles. Le progrès et le déclin, l’élégance et la corruption, eurent en Italie même date. Par là, tout en l’admirant, on ne peut la proposer pour modèle, ni surtout y chercher, en dehors des arts du dessin, cet enthousiasme moral qui est le sublime du génie. Ce sublime a jailli du ciseau de Michel-Ange sur le front inspiré de sa statue de Moïse : il n’a point passé dans cette poésie du Tasse ou d’Arioste, gracieuse, variée, brillante, égale à tout hormis ce qu’il y a de plus pathétique et de plus grand.

Que maintenant, parmi les fêtes et les chefs-d’œuvre des galeries de Florence, Médicis, nourri des pensées de Platon, les ait redites parfois en strophes élégantes ; que Politien ait retrouvé, dans ses deux langues natales, quelque chose de l’harmonie d’Horace et de sa curieuse hardiesse d’expression, ce sont des plaisirs délicats pour le goût, des sujets pour l’étude, mais non de grandes influences qui aient agi sur la pensée et pris place dans l’histoire des lettres.

Au seizième siècle cependant, malgré le poids de l’érudition et de la controverse, le poëte pouvait encore paraître appelé à son rôle antique de conseiller du peuple, de chantre du courage et de la délivrance. Un grand péril menaçait alors l’Europe déchirée par tant de divisions intérieures. Car enfin, il y a moins de trois siècles, les Turcs, maîtres absolus des plus beaux climats de l’Occident, dominaient la Méditerranée, menaçaient ses rivages, et, délivrés de Charles-Quint, semblaient ne plus compter d’adversaires en Europe.

L’imagination peut à peine concevoir l’horreur des peuples chrétiens du seizième siècle, à l’approche de Soliman ou de Sélim. L’empire des Turcs était encore dans le cours impétueux de sa croissance, et sous l’élan de cette politique atroce qui semblait la condition de sa grandeur. Une succession au trône régulièrement cimentée par des meurtres de famille, un gouvernement de sérail discipliné par la mort, à la moindre faute, au moindre revers, un trésor enrichi par les confiscations et le pillage, une armée de janissaires recrutés dans l’élite du sang chrétien pris et fanatisé dès l’enfance, puis cette autre armée de possesseurs turcs payant du service guerrier le domaine qui leur était échu, et défendant le sol comme une proie, tout cela rendait les armes ottomanes égales au moins à celles de l’Europe ; et, devant les divisions et les troubles des États chrétiens, elles semblaient supérieures.

De ce génie des arts, déjà levé sur l’Occident, la Turquie n’empruntait encore que des instruments de force matérielle, l’artillerie, la construction des forts et quelques notions de marine appliquées par des renégats ; mais, loin que la confiance des Turcs fût diminuée par ce besoin de secours étrangers, elle devenait plus ambitieuse et plus hautaine, comme se sentant prédestinée à prendre captive la chrétienté tout entière, avec ses richesses et ses arts.

On n’avait pas oublié le débordement de la conquête turque sous Mahomet II, et comment de Constantinople le sultan menaçait déjà Rome quand la mort l’arrêta. Le long règne de Soliman II accrut ce danger, prit Rhodes, ravagea la Hongrie, humilia l’Autriche, et pesa sur l’Europe comme sur l’Orient. Même sous son obscur successeur Sélim, surnommé l’Ivrogne, l’empire turc, encore dans le torrent de son invasion, allait enlever Chypre aux Vénitiens.

C’est alors que, devant la force barbare et les envahissements de la Turquie, malgré la connivence de Charles IX, qui préludait par cette lâcheté au grand crime intérieur de son règne, entre l’inaction calculée de l’Angleterre, la timidité de l’Autriche, l’épuisement de la Pologne en guerre avec la Moscovie sauvage encore, on vit apparaître le réveil du génie chrétien et resplendir l’étoile d’Occident.

À qui l’honneur de cette résistance et des représailles victorieuses qu’exerçait enfin la chrétienté ? Nommons d’abord un pape, Pie V, le religieux dominicain parvenu de la plus humble origine au siége pontifical, prêtre austère et zélé, d’un esprit violent, a-t-on dit, mais ayant de la grandeur et de la prévoyance.

C’est ce pontife qui, dès la première menace des Turcs contre l’île de Chypre, sollicita vivement une ligue de quelques États chrétiens. Prêcher la croisade n’était plus possible dans l’Europe divisée par les ambitions des princes et le schisme religieux. Mais, si le pape ne pouvait plus entraîner toute l’Europe à une guerre sainte, que Luther avait blâmée comme injuste et inhumaine, il pouvait du moins y prendre part et donner à sa souveraineté temporelle le plus glorieux emploi.

Rien n’arrêta, dans cette œuvre, le zèle du généreux pontife, pas même les lenteurs égoïstes et la froide astuce du monarque dont il devait le plus espérer le secours. Philippe II, en effet, impitoyable pour les débris de mahométisme épars encore dans ses États, hésitait à lutter contre la puissance des Turcs et surtout à défendre contre eux Venise, dont il enviait le riche commerce. Invoqué avant tout autre, dans la ligue projetée contre Sélim, il s’était fait concéder par le pape un tribut annuel extraordinaire, à lever sur les biens ecclésiastiques, dans toute l’étendue de ses royaumes. Mais cette amorce même devenait cause de retard, l’avare et rusé monarque différant les préparatifs, multipliant les obstacles et les lenteurs avant la guerre, pour jouir plus longtemps du privilége arraché. Peut-être aussi, dans ses craintes jalouses, répugnait-il à donner au fils de Charles-Quint et d’une femme inconnue, à son frère bâtard, l’héroïque don Juan, une si grande occasion de gloire.

C’est ainsi que, malgré la confédération résolue, et devant la flotte des alliés, maîtresse de la mer, l’île de Chypre fut subjuguée, après les siéges opiniâtres et la prise de ses deux capitales, Nicosie et Famagouste, sans aucune diversion tentée dans l’intervalle.

Cette victoire était odieuse, et faite pour soulever l’indignation de l’Europe. À Nicosie, les Turcs, entrés par capitulation, avaient massacré la garnison entière ; à Famagouste, le pacha, reçu également à conditions, sur des ruines, devant une garnison exténuée de misère et de faim, avait, dans un transport de colère, violé toute promesse, fait égorger les nobles vénitiens et écorcher vif l’héroïque gouverneur de la place. Puis le joug de fer des Turcs, aggravé par la foule de pillards asiatiques qu’avait attirés la longueur du siége, s’était étendu sur la malheureuse île.

Pie V en versa des larmes, et fit retentir dans l’Europe troublée le cri de son affliction. Rien de comparable à l’ardeur dont il pressa l’exécution du traité déjà conclu, le ralliement de la flotte confédérée, et la vengeance, puisque le secours arrivait trop tard. La plus grande marque de cette ardeur était dans la présence même, inouïe jusque-là, d’une escadre et d’une armée pontificales. Pie V en avait remis le commandement à un Colonna, de cette ancienne famille romaine longtemps suspecte à la papauté. Mais tout cédait alors, aux yeux du pape, devant la grandeur du devoir et du péril. Cet exemple parlait plus haut que tous les appels faits à la chrétienté ; et, de presque tous les États d’Italie, des vaisseaux de guerre et des troupes s’étaient réunis, avec les galères de Rome, à la flotte vénitienne, dans l’automne de 1571.

Ainsi, cinq mois après la conquête de Chypre, s’avançait sur la Méditerranée cet armement chrétien, formé de deux cents hautes galères, d’une foule de navires, et portant cinquante mille hommes de troupes. La journée de Lépante ! il n’est pas plus beau souvenir historique dans l’Europe du seizième siècle. Ce fut le dimanche, 7 octobre 1571, dans cet ancien golfe de Corinthe qui se prolonge entre la côte de l’Albanie et la presqu’île de Morée, près du détroit où s’était livrée la bataille d’Actium, que le génie romain gagnait, au profit d’un maître, contre l’amas confus et les pavillons barbares de l’Orient.

La flotte ottomane, forte de plus de deux cents galères poussées par les rames d’esclaves chrétiens, et traînant à sa suite une foule de navires, s’était embossée au rivage. La flotte chrétienne longea, du nord au sud, la côte d’Albanie, marchant à l’ennemi précédée de six galéasses vénitiennes, ou grands vaisseaux, dont les hauts bords et les feux étaient irrésistibles.

Là commandait don Juan, résolu de vaincre et négligeant les conseils timides et jaloux de quelques généraux de Philippe II. Sa grande force en navires et en soldats était italienne, ou plutôt italienne et grecque ; car c’est un fait aujourd’hui vérifié, qu’à part les douze galères du pape, les galères de Savoie, de Gènes, et de quelques villes ou même de quelques généreux citoyens d’Italie, les Vénitiens avaient seuls cent quatre galères, et, sur cette escadre, un grand nombre de Grecs, soit réfugiés de Morée, soit recrutés de Candie, de Corfou et des îles où flottait encore le pavillon de Saint-Marc. Selon les défiances de la politique vénitienne, aucun de ces sujets de la république n’avait de commandement maritime ni de grade militaire ; mais ils combattirent avec courage sous ce drapeau, que teignirent de leur sang quinze capitaines vénitiens et leur premier amiral.

Don Juan d’Autriche avait disposé lui-même l’ordre du combat et parcouru l’avant-garde et les côtés de la flotte, debout sur un esquif, un crucifix à la main, exhortant du geste et de la voix tous les confédérés, dont il avait mêlé les pavillons, pour ne faire qu’un seul peuple ; puis, remonté à son bord, où l’entourait une élite de jeunes nobles castillans et de soldats sardes, après que les grands navires vénitiens eurent porté les premiers coups et fait une large trouée, il s’acharna lui-même à l’attaque du vaisseau amiral turc, et, par cette prise et la mort de l’amiral, hâta la victoire.

Comme il était arrivé jadis aux Romains, dans leurs premiers combats de mer contre Carthage, les galères des deux partis se heurtant et s’accrochant avec des crampons de fer, le combat était devenu souvent un duel de pied ferme et corps à corps, où les vieilles bandes d’Espagne, les Italiens et les Grecs vainquirent, après cinq heures de mêlée.

Le désastre des Ottomans fut immense, dans l’enceinte resserrée de ce détroit tout couvert de débris fumants et de cadavres. Cent trente galères turques tombèrent aux mains des vainqueurs ; un grand nombre se brisèrent au rivage, ou furent incendiées. On porta jusqu’à trente mille hommes le nombre des Turcs tués ou prisonniers ; cinq mille esclaves chrétiens furent délivrés des fers et de la rame : et leur cri de joie semble retentir encore, dans plus d’un éloquent souvenir de cet immortel Cervantès, qui combattait, soldat obscur alors, sur la flotte espagnole.

Dans ce désastre, aggravé par l’imprévoyance ottomane, il n’échappa guère, à la faveur de la nuit, qu’une section de la flotte turque, l’escadre d’Alger, commandée par le dey lui-même, indépendant du pacha turc, et manœuvrant de hardis navires habitués aux écueils de ces mers, et non moins alertes à la fuite qu’au pillage.

Ce fut même ce prince, sujet de la Porte, qui vint rassurer, ou épouvanter Constantinople, et montrer à Sélim, comme un dernier secours, les seuls vaisseaux ottomans échappés à la ruine commune.

La saison avancée, les pertes des alliés, et surtout la politique secrète de Philippe II, docilement respectée du jeune vainqueur quand la vue de l’ennemi n’entraînait plus son courage, ne laissèrent pas les chrétiens user de leur succès comme ils auraient dû, assaillir à coups pressés l’empire ottoman, et lui reprendre du moins sa récente conquête. Abrités d’abord dans la rade de Corfou, les confédérés s’y partagèrent le butin de la victoire, les galères, les pièces d’artillerie, les captifs, donnant à l’Espagne cinquante-huit galères turques, trente-neuf à Venise et dix-neuf au pape, mais n’essayant plus rien contre le joug à demi brisé des barbares.

Aux efforts passionnés du pape, à ses bulles triomphales, à ses ambassades, pour presser la guerre et pour étendre l’alliance, Philippe II répondit seulement par la promesse de laisser sa flotte hiverner en Italie, afin d’en protéger les rivages. Il avouait d’ailleurs que, pour son compte, il redoutait moins aujourd’hui les Turcs que les dissidents religieux de Belgique. L’empereur d’Allemagne, Maximilien, persistait dans sa neutralité, jusqu’au terme de la trêve, qu’il se promettait bien d’ailleurs de renouveler avec la Porte.

Tel n’était pas sans doute l’esprit des peuples d’Espagne et d’Italie. Leur joie de la défaite des Turcs fut grande ; le Te Deum retentissait dans toutes les églises. Des voûtes de Saint-Pierre aux mosquées bénies et transformées de Grenade, une poésie pieuse et guerrière célébrait le triomphe de la Croix et réclamait la délivrance de l’Orient chrétien. Ces sentiments, parés du plus beau langage, éclataient alors dans les vers, non pas d’un poëte de cour (Philippe II n’en avait pas), mais d’un Espagnol de Séville exprimant avec enthousiasme la joie religieuse et l’orgueil national de son pays.

Une première ode toutefois, en célébrant don Juan d’Autriche, est trop savante de mythologie, trop imitée de Pindare, trop chargée du souvenir d’Encelade, de Mars et des Muses. Ce n’étaient pas les Olympiques, c’était le chant du passage de la mer Rouge qui convenait à l’art du poëte et devait l’inspirer. Aussi nous le voyons, sous cette forme, s’élever bientôt après avec le prophète, et en imiter sinon la brièveté rapide, du moins la grandeur :

« Chantons le Seigneur, qui, sur la face de la vaste mer, a vaincu le Thrace cruel. Toi, Dieu des batailles ! tu es notre droite, notre salut et notre gloire. Tu as brisé les forces et l’altière audace de Pharaon, guerrier cruel. Ses chefs choisis ont couvert de leurs débris l’abîme de la mer ; ils sont, comme la pierre, descendus jusqu’au fond. Ta colère les a soudain dévorés, comme le feu dévore la paille sèche.

Ce superbe tyran, plein de confiance en l’appareil de ses navires, qui tient courbées les têtes de nos frères et fait travailler leurs mains au service injuste de sa puissance, abat de ses bras redoutables les cèdres à la plus haute cime et l’arbre qui se dresse le plus droit, buvant des eaux étrangères et foulant avec audace notre territoire inviolable.

Les faibles, éperdus, ont tremblé de sa fureur impie. Il a haussé le front contre toi, Seigneur Dieu ! et, d’un visage insolent, étendant ses deux bras armés, il a remué sa tête furieuse. Il a fortifié son cœur d’une ardente colère contre les deux Hespéries que baigne la mer, parce que, assurées en toi, elles lui résistent et qu’elles se revêtent des armes de ta foi et de ton amour.

Il a dit, dans son arrogance et son mépris : « Ignorent-elles, ces contrées-là, mon courroux, et les exploits de mes aïeux ? Ont-elles osé leur faire face, avec le Hongrois timide, et dans la guerre de la Dalmatie et de Rhodes ? qui les a pu délivrer ? qui, de leurs mains, a pu sauver ceux d’Autriche et les Germains ? Leur Dieu pourra-t-il par hasard aujourd’hui les préserver de ma main vengeresse ?

Leur Rome, tremblante et humiliée, convertit ses cantiques en larmes. Elle et ses fils affligés attendent ma colère et la mort après la défaite. La France est brisée de discordes ; et, en Espagne, l’affreuse mort menace quiconque honore les bannières du croissant. Ces nations belliqueuses sont occupées à se défendre elles-mêmes ; et, ne le fussent-elles pas, qui peut me faire offense ? »

Toi, Seigneur ! qui ne souffres pas que ta gloire soit usurpée par celui qui mesure sa propre force au gré de son orgueil et de sa colère. Ce superbe ennemi, vois comme il a, dans sa victoire, dégradé les autels ! Ne souffre pas qu’il opprime ainsi les tiens, qu’il nourrisse de leurs cadavres les bêtes féroces, qu’il atteste sa haine dans leur sang répandu, et, qu’après cet outrage, il dise : Où est le Dieu de ces hommes ? de qui se cache-t-il ? »

Le beau mouvement par où débute cette strophe ne peut échapper au lecteur. Le poëte continue :

« Pour la gloire méritée de ton nom, pour la juste vengeance de ton peuple, pour les gémissements de tant de malheureux, tourne ton bras redoutable contre celui qui s’indigne d’être homme… et, trois et quatre fois, frappe d’un châtiment rigoureux ton ennemi : et que l’injure faite à ton nom soit l’erreur fatale de sa vie !…

Il a levé la tête, ce puissant qui te porte si grande haine ; il a tenu conseil pour notre ruine, et contre nous ont machiné ceux qui assistaient à ce conseil : Venez, ont-ils dit ; et, sur la mer houleuse, faisons un grand lac de leur sang ; détruisons cette race et le nom du Christ avec elle ; et, partageant leurs dépouilles, rassasions nos yeux de leur mort.

De l’Asie et de la merveilleuse Égypte sont venus des Arabes, des Africains légers, et ceux que la Grèce leur a mal associés, guerriers à la fière encolure, d’une grande force et en nombre infini. Ils ont osé promettre d’incendier nos frontières, de mettre à mort par l’épée notre jeunesse, de prendre nos jeunes enfants et nos vierges, et de souiller la gloire, la pureté de celles-ci.

Ils ont occupé les golfes de la mer, la terre demeurant muette et frappée de terreur ; et nos braves sont restés silencieux et indécis, jusqu’à ce que, le Seigneur opposant à la furie des Sarrasins un ennemi nouveau, devant eux se soit levé le noble jeune homme d’Autriche, avec l’illustre et vaillant Espagnol ; car Dieu ne souffre pas que dans Babylone vive toujours esclave sa cité chérie de Sion. »

Le noble jeune homme d’Autriche, voilà, ce semble, un digne langage pour le modeste vainqueur de Lépante ! Peut-être ici le goût du poëte fut heureusement aidé par la crainte de blesser un despotisme jaloux ; nulle vaine pompe n’a surchargé l’éloge du héros. Selon le génie des prophètes hébreux, Dieu seul a tout fait, Dieu seul a paru.

« Les grands se sont troublés ; les forts, les puissants, se sont rendus avec effroi ; et toi, ô Dieu, comme la roue du vanneur jette les barbes de l’épi au souffle impétueux du vent, tu as livré ces méchants, qui, fugitifs par milliers, se pâmaient devant un seul homme. Tel qu’un feu embrase les forêts et sur leurs épaisses cimes a répandu sa flamme, tel, dans ta colère et tes foudres, tu les as suivis, et tu as couvert leur face de honte. »

Cet aspect du Dieu des armées, ces images empruntées aux souvenirs bibliques, sont dignes de la verve du poëte. Malheureusement il y mêle un ingrat et injuste anathème contre cette race grecque décimée par la servitude, mais dont une partie alors même combattait les barbares. Puis, sans plus songer à elle, il croit l’Asie vaincue : et, apostrophant, comme le prophète, la nouvelle Tyr et ses vaisseaux détruits, il s’écrie :

« Ceux qui ont vu ta force brisée et la mer libre et dégagée des forêts de navires qui troublaient ses ondes, en voyant ta mort honteuse, diront de tes débris errants : Qui donc a eu tant de puissance contre la terrible Asie ? Le Seigneur, qui a montré sa forte main pour la foi de son prince chrétien, et qui, pour la gloire de son saint nom, accorde à son Espagne ce triomphe.

Bénie soit ta grandeur, ô Seigneur ! pour avoir, après tant de maux soufferts, après nos fautes et nos châtiments, brisé l’antique orgueil de l’ennemi ! Que tes élus t’adorent, ô Seigneur ! que tout ce que le vaste ciel enserre confesse ton nom, ô notre Dieu et notre appui ! et que la tête condamnée du rebelle périsse dans les flammes ! »

On a depuis nommé la victoire de Lépante vaine et stérile : elle ne porta pas tous ses fruits, en effet. Gâtée par la jalousie de Philippe II contre ses alliés et ses proches, elle s’arrêta, pour laisser aux Turcs, dans un lâche traité de paix, tout ce qu’ils avaient conquis. Déjà ce peuple couvrait la Méditerranée d’une flotte nouvelle de deux cents galères. Tant sa barbarie, prompte à se remettre d’un désastre, était alors armée de vigueur et d’activité ! Que n’eût-elle pas osé, sans la victoire de Lépante, ce premier exemple de nos journées modernes de Tchesmé et de Navarin ? Honorons, dans les vers d’Herréra, cette voix du peuple qui ne trompe pas sur la vraie politique d’un temps, et cet instinct généreux trop lent parfois à renaître et à triompher.

Au fond, c’était déjà l’antipathie de la civilisation contre la barbarie, de l’Europe éclairée contre l’Orient féroce et dissolu, l’impatience d’un contact odieux et d’une dégradante usurpation des plus belles contrées qui nous environnent. C’était, sous le coup d’un vrai péril, l’élan spontané de quelques États chrétiens, pour couvrir l’Italie, en écarter l’esclavage, le meurtre et la peste, et, en rejetant les Turcs de l’Occident, effacer la dernière trace des invasions barbares.

C’est ce que l’instinct de l’humanité a poursuivi, depuis lors, malgré bien des fautes de spéculation et des mécomptes d’égoïsme ; c’est l’œuvre que notre siècle verra s’accomplir ; c’est l’œuvre que l’occupation des îles Ioniennes depuis 1800, la délivrance de l’Attique et de la Morée, la conquête de l’Algérie, la garantie donnée aux provinces danubiennes, acheminent incessamment vers un terme encore obscur et désavoué.

L’immense et contradictoire incident qui nous a montré naguère l’empire turc protégé par une croisade partielle de l’Occident, le langage que l’orthodoxie même a pris quelquefois dans cette cause, par défiance d’un schisme bien moins éloigné d’elle que la barbarie du Coran, tout cela n’est qu’un retard et point un obstacle à l’œuvre inévitable du temps, à la dette sacrée de la Providence, à l’épuration des frontières orientales de l’Europe, au défrichement nouveau des rivages de l’Asie-Mineure, de cette banlieue de l’Europe si fertile jadis sous la liberté grecque et même sous l’empire romain. Ne l’oublions jamais ; supplions la science et la poésie, tout ce qui reste d’organes à la raison publique de le redire sans cesse : ces beaux climats de l’Ionie, ces deux rives du Bosphore, cette ceinture asiatique de l’Europe, n’attendent pour revivre que le souffle et les arts du monde chrétien. Ce seraient là nos colonies les plus proches et les plus sûres. C’est pour l’Europe le dédommagement tout préparé à la séparation, à la croissance du nouveau monde, qui lui est échappé sans retour.

Dans la tradition moderne, et entre ses instincts nationaux maintenus à degrés divers, il n’est pas de vérité plus sentie que l’aversion pour la barbarie mahométane, et ce besoin de l’éloigner de l’Europe, partout attesté dans l’histoire. Ce que la religion seule avait d’abord réclamé, ce que toute grande politique devait ambitionner, la civilisation, le bon sens, la nécessité, l’accompliront dans un terme prévu ; et le poëte illustre qui, de nos jours, avait des premiers invoqué et promis cette délivrance, malgré sa rétractation qui nous afflige, aura été, nous l’espérons, non pas rêveur, mais prophète.

Un compatriote d’Herréra, du même temps, et d’un plus rare génie, c’est un religieux de Grenade, Luis de Léon, qui mourut à Madrid, en août 1591, avec la renommée de grand prédicateur et de grand poëte. Luis de Léon dément la prévention de recherche et d’emphase attachée à son pays. C’est l’Espagnol classique ; et chez personne, cependant, l’imagination religieuse n’eut plus d’enthousiasme et de libre ferveur. Mais l’étude des grands modèles avait réglé cette vive et heureuse nature. L’hébreu, le grec, lui étaient familiers comme les œuvres récentes de l’Italie ; et rien ne lui manqua de ce qui peut fortifier et ennoblir le talent. Professeur à l’université de Salamanque, Luis de Léon, sur l’accusation d’avoir traduit pour un ami le Cantique des cantiques fut persécuté par le saint office, et subit cinq ans de pénitence et de prison. Rendu enfin à la lumière du jour et à sa chaire, devant un immense auditoire, il reprit ainsi son enseignement : « Je vous disais, à notre dernière séance… » Puis il rappela simplement quelque précepte littéraire, quelque vérité déjà connue, comme si tout autre souvenir de sa longue séquestration eût disparu de sa mémoire.

À l’abri sous cette paisible fermeté d’âme, Luis de Léon cependant n’eut jamais, dans la suite, aucune part aux dignités de l’Église, aux faveurs de la cour. Il écrivit avec éloquence des Méditations pieuses ; et ses poésies, imitées des anciens ou originales, furent admirées, sans être aussi populaires que les vieilles romances du pays et les chants irréguliers du théâtre. Il y avait en lui veine lyrique par l’imagination et l’harmonie. Ce n’est pas d’une ode de Pindare élégamment traduite que nous savons gré à Luis de Léon ; ce n’est pas même de sa belle imitation de l’ode d’Horace sur la Prédiction de Nérée. L’art de ce poëte est partout exquis et brillant ; mais son charme est surtout religieux. Je ne sais si cette poésie des premiers temps chrétiens, à laquelle nous nous sommes arrêtés, offrit émotion plus naïve, le lendemain des miracles et du martyre, que ne la ressent, après tant de siècles, le poëte inspiré par sa foi. Jamais solitaire n’entrevit davantage le ciel. On croirait entendre la surprise et les vœux des apôtres, dans cet hymne pour la fête de l’Ascension :

« Délaisses-tu donc, saint Pasteur, ton troupeau dans cette vallée profonde, obscure, avec la solitude et les regrets ! Et toi même, brisant la barrière limpide des airs, t’en vas-tu vers l’immortel asile ? Ceux qui naguère avaient le bon partage, et qui maintenant sont tristes et abattus, les fils de ton cœur, dépossédés de toi, où porteront-ils désormais leur amour ?

Leurs yeux, qui virent la beauté de ta face, que regarderont-ils encore, qui ne leur soit ennui ? Le disciple qui a entendu la douceur de ta voix, quel son ne lui semblera pas disgracieux et sourd ?

La mer turbulente, qui lui donnera désormais un frein ? Qui pourra calmer le courroux des vents déchaînés ? Quand tu as disparu, quelle étoile polaire guidera la nef vers le port ?

Ah ! nuée trop envieuse de cette courte joie, pourquoi te presses-tu ? Où t’envoles-tu si vite ? Quel trésor tu emportes ! Combien pauvres et aveugles tu nous laisses ici-bas ! »

Le même tour d’imagination, la même ferveur mystique anime d’autres chants de Luis de Léon, et en fait le poëte illuminé par la grâce divine, comme on l’a été de nos jours par la mélancolie et la satiété du cœur. Telle est cette méditation lyrique, la Nuit sereine, à don Oloarte :

« Quand je contemple le ciel paré d’innombrables flambeaux, et que je ramène mes regards sur la terre enveloppée de la nuit et livrée au sommeil et à l’oubli, l’amour et la tristesse réveillent en mon cœur une ardente inquiétude ; des flots de larmes s’échappent de mes yeux, et je dis enfin, d’une voix brisée :

Ô divine demeure, temple de lumière et de beauté, cette âme qui naquit pour ton sublime séjour, quelle malencontre la retient dans cette prison basse et obscure ? Quel mortel, aliéné de lui-même, rejette si loin de soi la vérité qu’oublieux de tes dons célestes, il s’égare à la poursuite de l’ombre d’un faux bien ?…

Ah ! levez les yeux vers la sphère éternelle ; vous dédaignerez les aspects de cette vie menteuse, et tout ce qu’elle craint, et tout ce qu’elle espère. Est-ce autre chose qu’un point fugitif, ce sol abject et misérable, comparé à la grande région où vit transformé, sous une même splendeur, ce qui est, ce qui sera et ce qui fut pour nous ?…

Là règne la joie suprême, là domine la paix ; là, reposé dans un saint asile, respire l’amour divin entouré de gloire et de délices ; là l’infinie beauté se dévoile tout entière ; là resplendit dans tout son éclat ce jour pur auquel jamais ne succède la nuit ; là fleurit le printemps des deux. Ô vertes campagnes ! ô prés embellis d’une immortelle fraîcheur, secrètes vallées de mille biens remplies ! »

La langue du poëte, même pour redire ce bonheur céleste, ne saurait trouver que des images mortelles ; mais la passion dont il est inspiré est toute spirituelle et tout idéale. On peut nommer cette poésie le chant de l’amour pur.

« Quand, dit-il dans une autre méditation, libre de ce cachot, pourrai-je m’envoler aux cieux, et, sur le char qui fuira le plus loin d’ici-bas, contempler la vérité sans faux mélange ? Associé à sa vie divine, transformé moi-même en lumière éclatante, je verrai, à la fois distinct et confondu, ce qui est, ce qui a été, et l’essence intime et cachée de toute chose… »

Dans cette rêverie même, le pieux Espagnol rencontrait les enthousiasmes d’une autre poésie, ces élans de Lucrèce et de Virgile pour admirer les phénomènes de la nature et pour en pénétrer le mystère. Il les imite d’abord ; mais sa foi naïve lui donne sur ce monde des cieux d’autres accents d’une douceur incomparable, et le charme de l’amour divin élève encore l’inspiration même du talent par cette idée des béatitudes célestes qui lui est présente et familière :

« Douce et lumineuse contrée, dit-il, prés fleuris que ne brûlent ni la gelée ni le soleil, sol fertile qui produis la consolation éternelle ! la tête couronnée de pourpre et d’une blanche auréole, le bon Pasteur conduit vers vous, sans écart, son troupeau chéri. Il va, et ses heureuses brebis le suivent là où il les nourrit de roses immortelles et d’une fleur qui s’épanouit plus abondante, plus elle est cueillie ; il les conduit à la montagne du bien suprême ; il les baigne dans la source de l’immortelle joie ; il leur donne la pleine moisson, le pasteur et le pâturage, le seul parfait bonheur.

Et lorsqu’au zénith est monté le soleil, ce bon Pasteur repose entouré de son troupeau. Il charme de sons harmonieux l’oreille des saints…

Ô voix paisible ! Puissent quelques parcelles en venir jusqu’à moi, enlever mon âme hors d’elle-même, et la confondre avec toi, céleste amour ! là où l’intelligence, délivrée de cette prison mortelle, vivrait unie à ta lumière, libre, sans être errante ! »

À cette tendresse d’âme, à cette ardeur mystiquement idéale Luis de Léon joignait une séve de souvenirs antiques non moins reconnaissable dans quelques autres poëtes de son temps et de son pays. Nulle part ce caractère n’est plus expressif et plus heureux que dans l’ode célèbre de Francisco Rioja, les Ruines d’Italica.

Ce n’est plus l’Espagne de Pélage et des Maures, du Cid et des Abencerrages : c’est l’Espagne romaine retrouvée dans les débris de ses monuments ; c’est l’ombre de Rome évoquée sur une de ses plus nobles conquêtes par la foi chrétienne, qui lui a succédé. Le poëte adresse à un ami cette majestueuse complainte, où la grandeur est décrite sans emphase, et le néant des efforts humains déploré sans faiblesse :

« Ces champs, ô douleur ! où tu vois maintenant un désert, une lugubre vallée, furent jadis la fameuse Italica. Ici fut la victorieuse colonie de Scipion. Voici gisant à terre l’orgueil de ses redoutés remparts ; et il n’y a plus qu’une lamentable relique de son peuple invincible. Voici seulement des inscriptions funèbres, là où passèrent des ombres glorieuses. Cette plaine fut un forum. Ici fut un temple ; et de tout il reste quelques vestiges à peine. Des cendres éparses couvrent le gymnase et les thermes royaux. Les tours, dont la hauteur défiait les airs, ont cédé sous leur propre poids.

Ce cirque démoli, jadis offrande sacrilége à des dieux qu’insultent quelques herbes sauvages, représente, théâtre tragique ouvert au drame du temps, quelle fut autrefois sa propre splendeur, et quelle est sa ruine. Pourquoi, dans le vaste cercle de son arène déserte, le grand peuple ne fait-il aucun bruit ? Il y a des bêtes féroces ; où donc est le gladiateur nu ? où est le courageux athlète ? Tout a disparu. Le Destin a changé les cris d’allégresse en muet silence. Mais, dans ces débris mêmes, le temps étale aux yeux de formidables spectacles ; et, devant ces images confuses, l’âme a entendu des cris de douleur.

Ici naquit ce foudre de guerre, père de la patrie, honneur de l’Espagne, le pieux, l’heureux, le triomphateur Trajan, devant qui se prosternèrent dans le silence et la terre qui voit le lever du soleil et celle que baignent les flots, vaincus aussi, de la mer de Cadix. Ici, d’Adrien, du divin Théodose on remua les berceaux ornés de marbre et d’or ; ici on vit couronnés de lauriers et de jasmins les vergers qui ne sont plus que des buissons et des marais. Le palais bâti pour César n’est plus, hélas ! que le vil repaire des reptiles. Les palais, les jardins, les Césars, ont péri ; et aussi les pierres qui parlaient d’eux.

Fabius, si les pleurs n’offusquent tes regards, promène ta vue attentive sur ces longues allées détruites ; vois ces marbres et ces arcs de triomphe abattus ; vois ces statues superbes qu’a renversées Némésis, couchées dans la poussière, et les maîtres qu’elles représentent, enterrés dans un profond oubli. Tels je me figure Troie et son antique rempart : telle aussi toi-même, Rome, à qui ton nom reste à peine, ô patrie des dieux et des rois ! telle encore toi à qui la sagesse de tes lois n’a pas servi, toi le monument de Minerve, savante Athènes, hier le modèle envié des siècles, aujourd’hui cendre et vaste solitude ! Car le Destin et la Mort ne vous ont épargnées, ni l’une pour sa science, ni l’autre pour son courage.

Mais pourquoi mon esprit va-t-il chercher au loin un nouveau sujet de tristesse ? Un moindre exemple en dit assez. Il suffit du présent. Ici se voient la fumée et la flamme ; ici retentissent encore aujourd’hui les gémissements et les rauques accents. Ce fantôme ou cette pieuse croyance domine les habitants du voisinage. Ils racontent que dans la nuit on entend une voix lamentable s’écrier entre des pleurs : Italica n’est plus ! Et le lugubre écho répète : Italica ! dans l’épaisse forêt qui s’élève en face. Italica ! à ce grand nom prononcé, les nobles ombres de cette grande ruine renouvellent leurs gémissements, et le peuple aussi les partage. »

Ce chant si poétique était composé pour la fête d’un ancien évêque, réputé jadis martyr dans Italica. La poésie en Espagne est amoureuse et guerrière ; mais elle est plus pieuse encore. C’est à ce titre qu’une sainte célèbre, qu’une fondatrice de monastères de femmes a été nommée quelquefois le plus grand poëte de l’Espagne. Sans doute, on n’entendait pas désigner seulement quelques sonnets pleins de ferveur, inspirés aux pieds de la croix : c’étaient l’extase contemplative et la charité passionnée de la sainte qu’on voulait exprimer par ce mot de poésie. N’est-ce pas elle, en effet, qui, toute ravie d’amour divin, s’écrie dans un cantique : « Je vis, sans vivre en moi-même ; j’aspire à une vie si haute, je la sens si proche, que je meurs de ne pas mourir ! » Dans ce dégoût de la terre, dans cette soif d’agonie et de bonheur céleste, les pensées de la sainte, ses stations forcées ici-bas, ses ardeurs d’espérance, sont des hymnes d’amour divin, comme n’en rêva jamais la poésie profane.

Un sceptique du siècle dernier, Diderot, trouvait dans les Torrents de madame Guyon une éloquence incomparable. Qu’aurait-il dit d’une autre imagination jugée sainte et pure par ce grand Bossuet si sagement inflexible pour les folles rêveries de madame Guyon ? Il faut l’avouer cependant : la différence saisie par un tel maître échappe à des yeux plus faibles ; et, dans cette périlleuse carrière du mysticisme, la suspension de l’âme humaine pour laisser place à Dieu seul, l’amour contemplatif porté jusqu’à l’extase, sans tomber dans le quiétisme, sont pour nous une douteuse énigme. Si la pureté même de la foi peut avoir son délire, la sublimité de la source devrait du moins se reconnaître encore au cours limpide de la pensée. Plus l’âme se détache des sens pour contempler le juste et le beau, plus elle mériterait de n’entrevoir que l’image de l’idéal divin. C’est là ce qui manque trop à l’amour mystique, par une erreur que ne prévient pas le génie même de sainte Thérèse. Souvent elle retombe sous cette loi des images sensibles, qu’elle voudrait fuir et dédaigner. Son expression trop vive matérialise le type qu’elle adore ; et, sous les noms d’amour et d’époux, le charme d’un culte tout spirituel, pour une beauté toute céleste, disparaît dans le trouble d’une passion qui semble trop humaine.

Laissons à la religion ses mystères, à la poésie son délire ; et ne nous plaignons pas qu’au seizième siècle le génie de la Renaissance ait épargné cet alliage à la raison et au goût. Ainsi se prépara pour l’avenir une grande et sévère école, qui devait un jour égaler l’antiquité par de libres imitations et de fécondes différences. Mais bien de maladroits efforts se consumaient dans la première épreuve. L’érudition surchargeait les esprits, avant de les inspirer. L’admiration même nuisait à la liberté du génie ; et l’instinct poétique, au lieu de s’animer par la passion présente, chancelait confondu sous l’amas des souvenirs. De là ces erreurs de goût, cette fausse poésie et ces faux jugements d’un siècle, parfois si puissant par le naturel et la vigueur qu’il portait dans la philosophie, la critique savante, la controverse, l’histoire. Quelle beauté d’éloquence et de style, quel tour original d’expression n’éclate point déjà dans notre Montaigne ! où la langue française a-t-elle plus d’imagination vraie et de hardiesse heureuse ! Ne semble-t-il pas étrange que, tout près de ce grand écrivain, Ronsard ait passé pour un si grand poëte, et que Montaigne lui-même l’ait cru et nous dise « que les Français de son temps avaient monté la poésie au plus haut degré, où elle sera jamais, et que Ronsard et du Bellay ne sont guère éloignés de la perfection antique. »

Cette singulière méprise ne peut, je crois, s’expliquer à la gloire de Ronsard ni se justifier par aucune théorie sur le génie poétique, la différence des temps et l’indépendance arbitraire du goût. Les odes et les hymnes de Ronsard, ses grandes tentatives pindariques, demeurent avec raison les plus illisibles de ses poëmes. Jamais l’imitation de Pindare ne fut plus fatale au talent. Sous l’amas des épithètes et la barbarie d’un néologisme tout grec et tout latin, le poëte perd cette veine française et ces tours nerveux et naïfs que Malherbe plus tard recueillait dans le parler vivant de la foule, en les ennoblissant par le nombre et l’harmonie. Plus ambitieux, avec un instinct moins sûr, Ronsard avait été trompé par l’éclat de la Renaissance et par l’éblouissement dont les chefs-d’œuvre antiques frappaient leurs studieux lecteurs.

Le génie de Pindare brillait au premier rang, parmi ces astres retrouvés à l’horizon. Dès le milieu du seizième siècle, dans la ville de Tubinge en Allemagne, un cours public attirait de nombreux élèves pour entendre expliquer les hymnes du chantre thébain ; et le professeur allemand, élève des réfugiés de Byzance, célébrait lui-même dans des strophes grecques la belle poésie qu’il interprétait.

En France, où le zèle nouveau de l’antiquité n’était pas moins puissant et comptait des prosélytes passionnés dans tous les rangs, Pindare était commenté, admiré, depuis les ateliers d’Henri Étienne jusqu’aux doctes chambres du parlement de Paris. Un magistrat de cette cour suprême, le Sueur, traduisait en strophes latines d’une rare élégance tous les chants conservés du grand lyrique grec ; et, dédiant les diverses parties de ce travail au roi Henri III, au président de Thou, au conseiller Hurault de Chiverny, il opposait, non sans éloquence, à la cruauté stérile et raffinée des duels du temps la vertu patriotique des anciens jeux de la Grèce. Ses préfaces et ses vers avaient pour juge un public nombreux, dont le suffrage, sous la plume de quelques jeunes magistrats, s’exprimait en distiques grecs[3] à la louange de Pindare et de son harmonieux interprète.

Ajoutons-le : dans cette inégale mais forte civilisation du seizième siècle, où la vie était partout et s’accroissait par la division même, une ville de province, justement citée aujourd’hui pour son École de cavalerie, avait alors son éditeur de Pindare, Jean Benoist, docteur en médecine, professeur de langue grecque à l’Académie royale de Saumur. Un docte volume sorti par ses soins des presses de cette ville, en 1570, nous donne, avec une paraphrase et une métaphrase, un texte déjà correct, entouré de notes précieuses. La science partout éveillait l’émulation, et pouvait parfois tromper le talent sur le moment venu d’oser en poésie, et sur l’audace permise à notre langue.

Vainement Ronsard voulut forcer tout-à-coup l’idiome de Marot à la majesté des chœurs antiques, ou même à l’élégant artifice des poëtes alexandrins. Il n’avait pas assez d’enthousiasme naturel pour une œuvre si haute, ni l’art français d’alors assez de maturité savante pour bien rendre sous sa main. Cependant, comme on l’a remarqué finement de nos jours, ce faux grand poëte, ce malheureux parodiste de Pindare et même de Callimaque, était capable de naïveté, de grâce et de douceur dans les petits sujets, et à son insu peut-être. Le génie propre de la langue et, sans doute aussi, l’éclair d’un sentiment vrai dissipaient cette fois le nuage, et laissaient paraître le poëte.

Mignonne, allons voir si la rose
Qui, ce matin, avoit desclose
Sa robe de pourpre au soleil,
À point perdu, ceste vesprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.


Las ! voyez comme, en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ! ses beautés laissé cheoir !
O vrayment marastre nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !


Donc, si vous m’en croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur, la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

D’autres échantillons du même art, de la même délicatesse naïve et poétique, sont connus, et relevés dans un travail où le paradoxe était corrigé par le savoir et l’esprit. Ainsi, de ce poëte laborieux enseveli sous un in-folio, il a survécu, par le choix du goût, quelques vers charmants, de même que le temps et le hasard avaient sauvé quelques parcelles de la couronne d’or de Simonide ou d’Alcée. Et, chose remarquable, bien que le langage et le rhythme de Ronsard offrent çà et là des beautés savantes, ce qui plaira le plus en lui, c’est quelque retour fortuit de langage expressif et simple. La Fontaine eût-il mieux dit que ces vers du poëte orgueilleux trébuché de si haut :

Quand le bœuf est, au soir, du labeur deslié,
Il met près de son joug le travail oublié,
Et dort sans aucun soin, jusqu’à tant que l’aurore
Le réveille, au matin, pour travailler encore ;
Mais nous, pauvres chétifs, soit de jour, soit de nuit,
Tousjours quelque tristesse épineuse nous suit.

Malgré les défauts du poëte, l’art même était trouvé : il ne s’agissait plus que de le rendre durable, et, pour ainsi dire, assuré. Ce fut la gloire, et ce doit être l’immortalité de Malherbe. Ce n’est pas assez de dire avec Boileau :

Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.

Malherbe attestait au plus haut degré ce qu’on a remarqué de la langue française : « qu’elle est riche en beaux mots, mais qu’elle veut être extrêmement travaillée. » À la mort de Ronsard, Malherbe avait trente ans ; et il était déjà maître de ce pur et nerveux langage dont il usait avec épargne et qu’il posséda jusqu’à la fin de ses jours. À lui, on peut le dire, appartient le premier modèle de perfection du style français, le plus ancien mélange de force élégante et d’irréprochable pureté, de naturel et d’éclat. Ce sont quelques paraphrases d’un psaume, quelques vers que Fénelon lui-même, si rigoureux à notre poésie, sera forcé d’admirer comme une œuvre antique ; ce sont aussi quelques accents vraiment lyriques, nés de la passion présente et d’un travail ardent de l’esprit. Là cependant, admirable dans quelques strophes, Malherbe est inégal, même pour un effort de courte durée : tant cette flamme de génie, prodiguée sous le ciel de la Grèce, était départie d’une main plus avare à nos climats tempérés ; et tant ce génie moderne, qui renaissait laborieusement, avait à la fois à s’aider et à se dégager d’un amas de souvenirs ! Ainsi, dans l’ode sur un des meurtres tentés contre Henri IV, après ce début vraiment inspiré :

Que direz-vous, races futures,
Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures
De nos abominables jours ?

quelques strophes semblent surchargées ou faibles, malgré de grandes beautés ; la rouille du siècle se mêle encore au rayon naissant de la poésie ; et comme si, par une rencontre bien rare, le mouvement commun de la langue et des esprits, l’élan donné, à partir de Henri IV, au génie français, apportait plus à l’âme du poëte que le froid des années ne pouvait lui ôter, c’est vingt ans plus tard, et déjà tout vieux et tout chenu, que Malherbe enfantera, pour l’honneur de Louis XIII et de Richelieu, la belle ode.

Donc un nouveau labeur à tes armes s’apprête,

et la fin vraiment sublime et naïve de ce chant poétique. Désormais la poésie lyrique était possible en France.

Peut-être même, pour la force et la simplicité, pour la magnificence du nombre et le naturel du langage, avait-elle atteint déjà une perfection que notre plus grand siècle ne devait pas dépasser. Pour exprimer, en effet, l’orgueil et l’art du poëte antique, pour trouver dans nos langues modernes un écho de l’harmonie des Hellènes, je ne sais si notre poésie peut donner rien de préférable à ces vers du vieux Malherbe :

Apollon, à portes ouvertes,
Laisse indifféremment cueillir
Ces belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir :
Mais l’art d’en faire des couronnes
N’est pas su de toutes personnes ;
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement.

Ces vers, bien récités, ne vous semblent-ils pas, comme un orgue mélodieux, prolonger les sons du Psalmiste : Cogitavi dies antiquos, et annos æternos in mente habui ; et cette perfection de langage ne donnait-elle pas dès lors à la pensée l’immortalité qu’elle lui promettait ?

Un autre signe heureux du progrès de l’art, c’est la puissance qu’il exerce par l’imitation. Ces tons élevés et purs, rencontrés par Malherbe, allaient susciter d’autres accents pareils ; Racan, Maynard et d’autres oubliés aujourd’hui trouvaient çà et là, dans quelques vers, la douceur et la majesté du mode lyrique, et cette mélodie, cette voix émue de l’âme solitaire, qui, moins naturelle au dix-septième siècle que l’éloquence du drame, devait cependant s’y mêler, pour jeter parfois sur cette éloquence d’admirables éclairs.



  1. Voy. l’éloquent éloge de Rossi, par M. Mignet.
  2. Petr., canz. 2 : O aspettata in ciel, beata e bella.
  3. Δῖος Ἀλέξανδρος, πρήσας Καδμήϊον ἄστυ,
    Πινδαρέων πάμπαν φείσατο τῶν μεγάρων;
    Σουδάριος δ’οὑ μοῦνον ἔσωσε μέλαθρον ἀοιδοῦ,
    Αὐτὰρ οἱ ἄλλο νέον τεῦξεν ἐπ’ Αὐσονίης.

    « Le divin Alexandre, ayant incendié la ville de Cadmus, épargna tout à fait la maison de Pindare. Le Sueur n’a pas seulement sauvé le palais du poëte ; il lui en a élevé un autre tout neuf dans l’Ausonie. »