Essais/édition Michaud, 1907/Texte modernisé/Livre II/Chapitre 26

Traduction par Michaud.
Firmin Didot (Livre IIp. 567-569).

CHAPITRE XXVI.

Du pouce.

Usage, chez certains rois barbares, de cimenter leurs alliances en entrelaçant leurs pouces, les faisant saigner, et suçant le sang l’un de l’autre. — Tacite raconte que chez certains rois barbares, les engagements les plus sacrés se contractaient en joignant très étroitement les mains droites l’une contre l’autre, les pouces entrelacés ; puis quand, à force de presser, le sang en avait gagné les extrémités, ils les piquaient avec une pointe acérée, et se les suçaient réciproquement.

Étymologie du mot pouce. — Les médecins disent que les pouces sont les doigts essentiels de la main, et que le mot d’où dérive leur étymologie latine signifie « être fort, puissant ». En grec, le sens du mot qui les désigne est comme qui dirait « une autre main ». Il semble que parfois les Latins s’en sont aussi servis dans le sens de main entière : « Pour se dresser, elle n’a besoin ni d’être excitée de la voix, ni caressée du pouce (Martial). »

Coutume des Romains d’abaisser ou d’élever le pouce pour applaudir ou pour ordonner la mort des gladiateurs. — À Rome, la main fermée et renversée, le pouce détaché et en dessous, témoignait la satisfaction : « Tes partisans applaudiront à ton jeu, en baissant les deux pouces (Horace). » — La main fermée, le pouce détaché et en dessus, était une marque de défaveur : « Quand la foule tourne le pouce en haut, il faut, pour lui plaire, que les gladiateurs s’égorgent (Juvenal). »

La mutilation du pouce, chez les anciens, dispensait du service militaire. — Les Romains exemptaient de la guerre ceux qui étaient blessés au pouce, comme n’ayant plus assez de force pour se servir de leurs armes. — Auguste confisqua les biens d’un chevalier romain qui avait tranché le pouce à deux de ses enfants en bas âge, dans le but criminel de leur créer un motif les dispensant de se rendre aux armées. — Avant lui, le Sénat, lors des guerres sociales, avait condamné Caius Vatienus à la prison perpétuelle et à la confiscation de tous ses biens, pour s’être volontairement coupé le pouce de la main gauche afin de s’épargner d’y prendre part.

Quelqu’un dont je ne me souviens pas, ayant remporté une victoire navale, fit trancher les pouces à tous ses prisonniers, pour leur ôter tout moyen de combattre et de manier la rame. Les Athéniens agirent de même à l’égard des habitants d’Egine, pour leur ôter la supériorité dans l’emploi de leur marine.

À Lacédémone, les maîtres d’école punissaient les enfants en leur mordant les pouces.