Essais/édition Michaud, 1907/Texte modernisé/Livre II/Chapitre 22

Traduction par Michaud.
Firmin Didot (Livre IIp. 551-553).

CHAPITRE XXII.

Des postes.

Montaigne, petit et trapu, courait volontiers la poste dans sa jeunesse. — Je n’étais pas des moins résistants à courir la poste, exercice auquel conviennent les gens de ma taille, petite et trapue ; mais j’y ai renoncé, il fatigue trop pour être pratiqué longtemps.

L’usage de disposer à demeure des chevaux de relai, de distance en distance, a été établi par Cyrus ; les Romains l’ont employé. — Je lisais tout à l’heure que le roi Cyrus, afin de recevoir plus promptement les nouvelles des diverses parties de son empire, qui était fort étendu, fit expérimenter ce qu’un cheval peut, en un jour, parcourir d’une seule traite, et qu’il fit établir, à cette distance les uns des autres, des hommes qui avaient charge de tenir des chevaux prêts, pour en fournir à ceux qui lui étaient dépêchés ; on dit que la vitesse ainsi obtenue, atteint celle des grues.

César rapporte que L. Vibulus Rufus, pressé de porter un avis à Pompée, se rendit vers lui en marchant jour et nuit, et changeant de chevaux, chemin faisant, pour aller plus vite. — César lui-même, dit Suétone, faisait cent milles par jour sur un char de louage, mais c’était un fameux courrier ; car[1] là où les rivières interceptaient la route, il les franchissait à la nage et ne se détournait pas[2] de sa direction pour aller chercher un pont ou un gué. — Tibérius Néron (Tibère) allant voir son frère Drusus, qui se trouvait malade en Allemagne, fit deux cents milles en vingt-quatre heures ; il voyageait avec trois chars. — Pendant la guerre de Rome contre le roi Antiochus, T. Sempronius Gracchus, écrit Tite Live, « alla en trois jours d’Amphise à Pella, sur des chevaux de relai, marchant avec une rapidité presque incroyable » ; en se rendant compte des lieux, il semble qu’en la circonstance, il a dû faire usage de relais permanents et non de relais récemment établis en vue de cette course.

Emploi d’hirondelles, de pigeons, pour faire parvenir rapidement les nouvelles. — Pour communiquer avec les siens, Cecina imagina un moyen bien plus prompt : il emportait avec lui des hirondelles, et, quand il voulait donner de ses nouvelles, il les relâchait après les avoir teintes d’une couleur convenue avec ses correspondants, suivant ce qu’il voulait leur faire savoir, et elles regagnaient leurs nids.

À Rome, les chefs de famille qui allaient au théâtre, emportaient dans leur sein des pigeons auxquels ils attachaient des lettres et qu’ils lâchaient quand ils voulaient mander quelque chose à ceux des leurs demeurés au logis ; ces pigeons étaient dressés à leur rapporter la réponse. — D. Brutus, assiégé dans Modène, usa de ce procédé, et d’autres pareillement en d’autres circonstances.

Au Pérou, c’était avec des porteurs que se courait la poste. — Au Pérou, on courait la poste avec des hommes qui vous portaient sur leurs épaules, à l’aide de brancards ; ils y mettaient une telle agilité que, tout en courant, les porteurs qui devaient céder la place à d’autres, le faisaient sans ralentir leur course d’un seul pas.

Mesure prise en Turquie pour assurer le service des courriers. — J’ai ouï dire que les Valaques, qui sont employés comme courriers pour le service du Grand Seigneur, vont avec une rapidité extrême, d’autant qu’ils sont autorisés à démonter le premier passant qui se rencontre sur leur route, en lui laissant, en échange du sien, leur cheval épuisé de fatigue. — Pour se préserver de la lassitude, ils se ceignent fortement les reins avec une large bande d’étoffe, comme assez d’autres le pratiquent ; j’en ai usé, mais n’en ai éprouvé aucun soulagement.

  1. *
  2. *