Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs/09

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CHAPITRE IX.


Danger de tolérer les Juifs tels qu’ils sont, à cause de leur population.


On répete sans cesse qu’une population nombreuse est une source de prospérité pour un État : discutons ce principe ; &, supposé qu’il soit admissible, voyons si la population juive n’y fait pas exception. Les avantages n’en peuvent jamais être que relatifs à la facilité de se nourrir & au besoin de se défendre. C’est peut-être faute de s’entendre qu’on a tant disputé sur cette matiere. On m’accordera sans doute que la prospérité d’un État se compose de celle de ses membres ; d’où je pourrois conclure qu’un Royaume, dont les citoyens auroient nécessaire & superflu, seroit un état florissant, n’eût-il qu’une population très-bornée. Il faut cependant convenir que, dans l’état actuel des choses humaines, rien ne garantiroit la stabilité de ce bonheur ; il suffiroit pour le troubler, qu’un Monarque voisin, tourmenté par la démangeaison de la vanité, ou par la rage des conquêtes, envoyât contre un peuple paisible des armées formidables auxquelles on ne pourroit opposer que des forces inégales ; le carnage termineroit les maux d’une partie de cette nation, & l’autre seroit contrainte de recevoir des fers. Tant que les hommes seront altérés de sang, ou plutôt, tant que la plupart des Gouvernemens n’auront pas de morale, que la politique fera l’art de fourber, que les peuples, méconnoissant leurs vrais intérêts, attacheront une sotte importance au métier de Spadassin, & se laisseront conduire aveuglément à la boucherie avec une résignation moutonniere, presque toujours pour servir de piedestal à la vanité, presque jamais pour venger les droits de l’humanité, & faire un pas vers le bonheur & la vertu, la nation la plus florissante sera celle qui aura plus de facilité pour égorger les autres.

Sous ce point de vue une population nombreuse peut assurer la félicité publique ; mais il faut au moins supposer qu’on peut nourrir tous les individus. L’État tire ses comestibles de son sein ou de l’étranger ; cette alternative l’expose aux refus de la nature ou de ses voisins, & sa souffrance augmente en proportion du nombre de ses sujets. On ne peut donc prévenir les disettes, qu’autant qu’il y aura toujours un nombre suffisant d’hommes occupés à procurer les denrées de premiere nécessité ; & tandis qu’avec raison le luxe est accusé d’enlever beaucoup de bras aux campagnes, nous conservons chez nous une nation à qui nous interdisons l’agriculture, une nation qui consomme sans reproduire, & qui jamais ne remplira les vides de sa consommation par son commerce de détail. Ainsi les Juifs n’ayant pas la permission de nourrir la patrie, ni de la défendre, deviendront tous les jours plus nuisibles. Il est vrai que la population parvenue à certain terme, s’arrête ; les bornes en sont marquées par la nature du gouvernement civil & religieux sous lequel on vit, par l’étendue du pays qu’on occupe, par la fertilité du sol qu’on cultive : la multiplication des hommes se proportionne à la facilité de se procurer des établissemens, des subsistances : c’est d’après ces principes que la population juive est dans le cas d’aller plus loin que la nôtre. Nous avons vu avec quelle facilité ils pullulent ; & comme ils rendent par-tout les cultivateurs tributaires, les objets de consommation premiere passeront d’abord en leurs mains, & leur population continuera d’étendre ses rameaux. Ce sont donc des plantes parasites qui rongent la substance de l’arbre auquel elles s’attachent, & qui pourroient enfin l’épuiser, le détruire.

Pour empêcher cette multiplication exorbitante, divers législateurs ont mis des obstacles à leurs mariages. Les Lettres-patentes de 1784, concernant ceux d’Alsace, leur défendent d’en contracter sans permission. Un Édit de Prusse, en 1722, avoit statué même chose, en les soumettant à payer un droit au trésor militaire, lorsqu’on leur accorderoit la permission d’épouser. Dans les territoires du Culembach & dans la Hesse, on a reculé leurs mariages jusqu’à des époques tardives, l’âge de vingt ans pour les filles, & de vingt-quatre pour les garçons. Le nombre des Juifs étant déterminé, un seul des enfans peut remplacer le pere mort, les autres n’ont pas droit d’exister sur le sol qui les vit naître(1). Ces défenses sont des attentats contre la nature, qui les désavoueroit même dans le silence des passions.

Mais lorsque les Juifs, devenus trop nombreux, inonderont, infesteront le pays, qu’en fera-t-on ? C’est ce que n’examine pas un publiciste allemand, qui, dans un style prolixe, a délayé beaucoup de raisonnemens faux sur les Juifs(2). Et cependant, quand on fait des institutions politiques, il paroît assez convenable de traiter une question politique de cette nature. Lorsque le mal sera parvenu à son comble, on reviendra peut-être à l’expédient usité tant de fois : celui de les chasser. Seroit-ce donc un crime d’examiner la justice de ce traitement ? Les meilleures raisons ne prévaudront jamais contre le droit de force ; mais peut-être que le droit des brutes ne sera pas toujours celui des hommes.

Si l’Allemagne, par exemple, bannit tous ses Juifs, & qu’à l’imitation des autres puissances, nous refusions de recevoir ces malheureux, ils seront donc forcés de se précipiter dans le Rhin, parce qu’ils n’auront pas seulement la liberté de gémir sur les rives de ce fleuve. Nos ancêtres ont ouvert des asyles aux ancêtres des Juifs actuels ; mais cette grace, à l’égard des peres, n’a pas empêché les enfans d’acquérir un droit ; un droit imprescriptible, comme celui d’émigrer, lorsque ne trouvant pas le bonheur sur le sol natal, on peut, sans blesser les droits de la société générale, l’abandonner pour chercher ailleurs une terre hospitaliere. Je ne connois point d’homme pour qui la terre n’ait été créée ; & si, après avoir vécu sous la protection des loix, après avoir rempli les devoirs qu’elles imposent dans la terre où j’ai vu le jour, je n’y ai pas acquis le droit de patrie, qu’on me dise ce qu’il faut faire pour l’obtenir.

Mais les crimes des Juifs, leurs usures… Eh bien leurs usures sans contredit doivent être réprimées ; mais le droit de punir les coupables, n’est pas celui de les bannir. Et par quel droit en effet mettrois-je un voleur dans le cas de prendre la bourse des autres, de peur qu’il ne m’arrachât la mienne ? Par quel droit enverrions-nous dans les États voisins des bandits qui infesteroient le nôtre, & qui retraceroient ailleurs la scene de leurs crimes. La peine du ban est encore un de ces usages également anciens & barbares ainsi que le droit d’aubaine : mais il en sera sans doute de celui-là comme de la torture, nous autres françois serons les premiers à dévoiler l’abus, les derniers à le réformer.



(1) Tractatus juris germanici de Judæorum in Hassiâ præcipuè Darmstadinâ juribus atque obligationibus. Par Gatzert. Gissæ 1771.

(2) Institutions politiques. Par le baron de Bielfeld.