Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre sixième/Chapitre II


CHAPITRE II

Les Arians Germains

Arrivée à un certain point de sa route, l’émigration des nobles nations roxolanes se sépara en deux rameaux. L’un se dirigea vers la Poméranie actuelle, s’y établit, et de là conquit les îles voisines de la côte et le sud de la Suède[1]. Pour la première fois les Arians devenaient navigateurs et s’emparaient d’un mode d’activité dans lequel il leur était réservé de dépasser un jour, en audace et en intelligence, tout ce que les autres civilisations avaient jamais pu exécuter. L’autre rameau, qui, à son heure, ne fut pas moins remarquable ni moins comblé dans ce genre, continua à marcher dans la direction de la mer Glaciale, et, arrivé sur ces tristes rivages, fit un coude, les longea, et, redescendant ensuite vers le midi, entra dans cette Norwège, Nord-wegr, le chemin septentrional[2], contrée sinistre, peu digne de ces guerriers, les plus excellents des êtres. Ici l’ensemble des tribus qui s’arrêta abandonna les dénominations de Sarmates, de Roxolans, d’Ases, qui jusqu’alors avaient servi à le distinguer au milieu des autres races. Il reprit le titre de Sakas. Le pays s’appela Skanzia, la presqu’île des Sakas. Très probablement ces nations avaient toujours continué entre elles à se donner le titre d’hommes honorables, et, sans un trop grand souci du mot qui rendait cette idée, elles se nommaient indifféremment Khétas, Sakas, Arians ou Ases. Dans la nouvelle demeure, ce fut la seconde de ces dénominations qui prévalut, tandis que, pour le groupe établi dans la Poméranie et les terres adjacentes, celle de Khéta devint d’un usage commun (1)[3]. Néanmoins, les peuples voisins n’admirent jamais cette dernière modification, dont ils ne comprenaient pas sans doute la simplicité, et avec une ténacité de mémoire des plus précieuses pour la clarté des annales, les peuples finniques continuent encore d’appeler les Suédois d’aujourd’hui Ruotslaine ou Rootslane. tandis que les Russes ne sont pour eux que des Wænalnine ou Wænelane, des Wendes (2)[4].

Les nations Scandinaves étaient à peine établies dans leur péninsule, quand un voyageur d’origine hellénique vint pour la première fois visiter ces latitudes, patrie redoutée de toutes les horreurs, au sentiment des nations de la Grèce et de l’Italie. Le Massaliote Pythias poussa ses voyages jusque sur la côte méridionale de la Baltique.

Il ne trouva encore dans le Danemark actuel que des Teutons, alors celtiques, comme leur nom en fait foi (3)[5]. Ces peuples possédaient le genre de culture utilitaire des autres nations de leur race  ; mais à l’est de leur territoire se trouvaient les Guttons, et avec ceux-ci nous revoyons les Khétas  ; c’était une fraction de la colonie poméranienne (4)[6]. Le navigateur grec les visita dans un bassin intérieur de la mer qu’il nomme Mentonomon. Ce bassin est, à ce qu’il semble, Frische-Haff, et la ville qui s’élève sur ses bords, Kônigsberg (1)[7]. Les Guttons s’étendaient alors très peu vers l’ouest  ; jusqu’à l’Elbe, le pays était partagé entre des communes slaves et des nations celtiques (2)[8]. En deçà du fleuve, jusqu’au Rhin d’une part, jusqu’au Danube de l’autre, et par delà ces deux cours d’eau, les kymris régnaient à peu près seuls. Mais il n’était pas possible que les Sakas de la Norwège, que les Khétas de la Suède, des îles et du continent, avec leur esprit d’entreprise, leur courage et le mauvais lot territorial qui leur était échu, laissassent bien longtemps les deux amas de métis blancs qui bordaient leurs frontières en possession tranquille d’une isonomie qui n’était pas trop difficile à troubler.

Deux directions s’ouvraient à l’activité des groupes arians du nord. Pour la branche gothique, la façon la plus naturelle de procéder, c’était d’agir sur le sud-est et le sud, d’attaquer de nouveau les provinces qui avaient fait anciennement partie du Gardarike et les contrées où antérieurement encore tant de tribus arianes de toutes dénominations étaient venues commander aux Slaves et aux Finnois et avaient subi l’inévitable dépréciation qu’amènent les mélanges. Pour les Scandinaves, au contraire, la pente géographique était de s’avancer dans le sud et l’ouest, d’envahir le Danemark, encore kymrique, puis les terres inconnues de l’Allemagne centrale et occidentale, puis les Pays-Bas, puis la Gaule. Ni les Goths ni les Scandinaves ne manquèrent aux avances de la fortune (3)[9].

Dès le second siècle avant notre ère, les nations norwégiennes donnaient des marques irrécusables de leur existence aux Kymris, qu’ils avaient pour plus proches voisins. De redoutables bandes d’envahisseurs, s’échappant des forêts, vinrent réveiller les habitants de la Chersonnèse cimbrique. et, franchissant toutes les barrières, traversant dix nations, passèrent le Rhin, entrèrent dans les Gaules, et ne s’arrêtèrent qu’à la hauteur de Reims et de Beauvais (1)[10].

Cette conquête fut rapide, heureuse, féconde. Pourtant elle ne déplaça personne. Les vainqueurs, trop peu nombreux, n’eurent pas besoin d’expulser les anciens propriétaires du sol. Ils se contentèrent de les faire travailler à leur profit, comme toute leur race avait l’habitude de s’y prendre chez les métis blancs soumis. Bientôt même, nouvelle marque du peu d’épaisseur de cette couche d’arrivants, ils se mêlèrent suffisamment avec leurs sujets pour produire ces groupes germanisés si fort célébrés par César, comme représentant la partie la plus vivace des populations gauloises de son temps, et qui avaient conservé l’antique nom kymrique de Belges (2)[11].

Cette première alluvion fit grand bien aux nations qu’elle pénétra. Elle restitua leur vitalité, atténua chez elles l’influence des alliages finniques, leur rendit pour un certain temps une activité conquérante, qui leur valut une partie des Gaules et les cantons orientaux de l’île de Bretagne ; bref, elle leur donna une supériorité si marquée sur tous les autres Galls que, lorsque les Cimbres et les Teutons, s’ébranlant à leur tour, franchirent le Rhin, ces émigrants passèrent à côté des territoires belges sans oser les attaquer, eux qui affrontaient sans crainte les légions romaines. C’est qu’ils reconnaissaient sur l’Escaut, la Somme et l’Oise des parents qui les valaient presque.

Le caractère de furie et de rage déployé par ces antagonistes de Marins, leur incroyable audace, leur pesante avidité sont tout à fait dignes de remarque, parce que rien de tout cela n’était plus ni dans les habitudes ni dans les moyens des peuples celtiques proprement dits. Toutes ces tribus cimbriques et teutonnes avaient été, plus particulièrement encore que les Celtes, fortifiées par des accessions Scandinaves. Depuis que les Arians du nord vivaient dans leur voisinage immédiat et avaient commencé à leur faire sentir plus activement leur présence, depuis que les Jotuns avaient aussi pénétré dans leurs domaines, elles avaient subi de grandes transformations, qui les mettaient au-dessus du reste de leur ancienne famille. C’étaient toujours des Celtes fondamentalement, mais des Celtes régénérés.

En cette qualité, ils n’étaient pas cependant devenus les égaux de ceux qui leur avaient communiqué une part de leur puissance ; et quand les Scandinaves, quittant un jour en nombre suffisant leur péninsule, étaient venus réclamer non plus seulement la suprématie souveraine, mais le domaine direct de ces métis, ces derniers s’étaient vus contraints de leur faire place. C’est ainsi qu’une grande partie d’entre eux, quittant un pays qui n’avait plus à leur offrir que la pauvreté et la sujétion, composèrent ces bandes exaspérées qui renouvelèrent un moment dans le monde romain la vision des jours désastreux de l’antique Brennus.

Tous les Teutons, tous les Cimbres n’eurent pas recours sans exception à ce violent parti et ne se jetèrent pas dans l’exil. Ce furent les plus hardis, les plus nobles, les plus germanisés qui le firent. S’il est dans les instincts des familles guerrières et dominantes d’abandonner en masse une contrée où l’attrait de leurs anciens droits ne les retient plus, il n’en est point ainsi des couches inférieures de la population, vouées aux travaux agricoles et a la soumission politique. Pas d’exemple qu’elles aient jamais été ni expulsées en masse, ni absolument détruites dans aucune contrée. Ce fut le cas des Cimbres et de leurs alliés. La couche germanisée disparut, pour faire place à une couche plus homogène dans sa valeur scandinave. Les substructions celtiques mêlées d’éléments finnois se conservèrent. La langue danoise moderne le révèle nettement (1)[12]. Elle a conservé des traces profondes du contact celtique, qui n’a pu s’opérer qu’à cette époque. Un peu plus tard on trouve encore, chez les diverses nations germaniques de ces pays, de nombreuses croyances et pratiques druidiques.

L’époque de l’expulsion des Teutons et des Cimbres constitue un second déplacement des Arians du nord, plus important déjà que le premier, celui qui avait créé les Belges de seconde formation. Il en résulta trois grandes conséquences, dont les Romains éprouvèrent les contre-coups. Je viens d’en citer une : ce fut la convulsion cimbrique. La seconde, en donnant pied aux Scandinaves de la Norwège sur la rive méridionale du Sund, fit arriver dans le nord de l’Allemagne, et peu à peu jusqu’au Rhin, des peuples nouveaux, de race mixte, plus arianisés que les Belges, pour la plupart, car ils apportèrent des dénominations nationales nouvelles au sein des masses celtiques qu’ils conquirent. Le troisième effet fut d’amener, au Ier siècle avant Jésus-Christ, jusqu’au centre de la Gaule, une conquête germanique bien caractérisée, bien nette, celle dont Arioviste se montra le seul meneur apparent. Ces deux derniers faits demandent quelque attention, et, nous occupant d’abord du premier, remarquons à quel point le dictateur connaît peu les nations transrhénanes de son temps. Ce ne sont plus pour lui, comme jadis pour Aristote, des populations kymriques, mais des groupes parlant une langue toute particulière, et que leur mérite, dont il a pu juger par expérience personnelle, rend fort supérieurs à la dégénération où sont en proie les Gaulois contemporains. La nomenclature donnée par lui de ces familles, si dignes d’intérêt, n’est pas plus riche que les détails qu’il rapporte sur leurs mœurs. Il n’en connaît et n’en cite que quelques tribus ; et encore si les Trévires et les Nerviens se déclarent Germains d’origine, comme ils en avaient le droit jusqu’à un certain point, il les range non moins légitimement parmi les Belges. Les Boïens vaincus avec les Helvètes sont à ses yeux demi-germains, mais d’une autre façon que les Rèmes ; et il n’a pas tort. Les Suèves, malgré l’origine celtique de leur nom, lui semblent pouvoir être comparés aux guerriers d'Arioviste (1)[13]. Enfin, il met absolument dans cette dernière catégorie d’autres bandes, également originaires d’outre-Rhin, qui un peu avant son consulat avaient pénétré, l’épée au poing, au sein du pays des Arvernes, et qui, s’y étant établies dans des terres concédées de gré, ou plutôt de force, par les indigènes, avaient ensuite appelé auprès d’eux un assez grand nombre de leurs compatriotes pour former là une colonisation de vingt mille âmes à peu près. Ce trait suffit, soit dit en passant, pour expliquer cette terrible résistance qui, parmi les habitants énervés de la Gaule, fit rivaliser les sujets de Vercingétorix avec le courage des plus hardis champions du Nord (1)[14].

C’est à ce peu de renseignements que se bornait, au Ier siècle avant notre ère, la connaissance qu’on avait dans le monde romain de ces vaillantes nations qui allaient un jour exercer une si grande influence sur l’univers civilisé. Je ne m’en étonne pas : elles venaient d’arriver ou à peine de se former, et n’avaient pu encore révéler qu’à demi leur présence. On serait en droit de considérer ces détails incomplets comme à peu près nuls, quant au jugement à porter sur la nature spéciale des peuples germaniques de la seconde invasion, si, par la description spéciale que l’auteur de la guerre gallique a laissée du camp et de la personne d’Arioviste, il ne se trouvait heureusement avoir suppléé, dans une mesure utile, à ce que ses autres observations avaient de trop vague pour autoriser une conclusion.

Arioviste, aux yeux du grand homme d’Etat romain, n’est pas seulement un chef de bande, c’est un conquérant politique de la plus haute espèce, et ce jugement, à coup sûr, fait honneur à celui qui l’a mérité. Avant d’entrer en lutte avec le peuple-roi, il avait inspiré une bien forte idée de sa puissance au sénat, puisque celui-ci avait cru devoir le reconnaître déjà pour souverain et le déclarer ami et allié. Ces titres si recherchés, si appréciés des riches monarques de l’Asie, ne l’infatuaient pas. Lorsque le dictateur, avant d’en venir aux mains avec lui, cherche à l’étudier et, dans une négociation astucieuse, tente de discuter son droit à s’introduire dans les Gaules, il répond pertinemment que ce droit est égal et tout pareil à celui du Romain lui-même, qu’il est venu, comme lui, appelé par les peuples du pays, et pour intervenir dans leurs discordes. Il maintient sa position d’arbitre légitime  ; puis, déchirant avec fierté les voiles hypocrites dont son compétiteur cherche à envelopper et à cacher le fond sérieux de la situation : « Il ne s’agit, dit-il, ni pour toi ni pour moi, de protéger les cités gauloises, ni d’arranger leurs débats, en pacificateurs désintéressés. Nous voulons, l’un et l’autre, les asservir. »

En parlant ainsi, il pose le débat sur son véritable terrain et se déclare digne de disputer la proie. Il connaît bien les affaires de la contrée, les partis qui la divisent, les passions, les intérêts de ceux-ci. Il parle le gaulois avec autant de facilité que sa propre langue. Bref, ce n’est pas plus un barbare par ses habitudes qu’un subalterne par son intelligence.

Il fut vaincu. Le sort prononça contre lui, contre son armée, mais non pas, on le sait, contre sa race. Ses hommes, qui n’appartenaient à aucune des nations riveraines du Rhin, se dispersèrent. Ceux que César, ébloui de leur valeur, ne put prendre à son service, allèrent se mêler, sans bruit, aux tribus mixtes qui couvraient derrière eux le terrain. Ils apportèrent de nouveaux éléments à leur génie martial.

C’étaient eux, bien qu’ils ne fussent pas une nation, mais seulement une armée (1)[15], qui avaient fait connaître les premiers dans l’Occident le nom des Germains. C’était d’après la plus ou moins grande ressemblance que les Trévires, les Boïens, les Suèves, les Nerviens avaient avec eux, soit dans l’apparence corporelle, soit dans les mœurs et le courage, que César avait accordé à ceux-ci l’honneur de leur trouver quelque chose de germanique. C’est donc à leur propos qu’il faut s’enquérir de ce que signifie ce nom glorieux, que j’ai déjà employé en attendant l’occasion vraie de l’expliquer.

Puisque les gens d’Arioviste n’étaient pas un peuple et ne constituaient qu’une troupe en expédition, voyageant, suivant l’usage des nations arianes, avec ses femmes, ses enfants et ses biens, ils n’avaient pas lieu de se parer d’un nom national  ; peut-être même, comme il arriva souvent depuis à leurs congénères, s’étaient-ils recrutés dans bien des tribus différentes. Ainsi privés d’un nom collectif, que pouvaient-ils répondre aux Gaulois qui leur demandaient : Qui étes-vous ? Des guerriers, répliquaient-ils nécessairement, des hommes honorables, des nobles, des Arimanni, Heermanni, et suivant la prononciation kymrique, des Germanni. C’était en effet la dénomination générale et commune qu’ils donnaient à tous les champions de naissance libre (1)[16]. Les noms synonymes de Saka, de Khéta, d’Arian, avaient cessé de désigner, comme autrefois, l’ensemble de leurs nations  ; certaines branches particulières et quelques tribus se les appliquaient exclusivement (2)[17]. Mais partout, comme dans l’Inde et la Perse, ce nom, dans une de ses expressions, et plus généralement dans celle d’Arian, continuait à s’appliquer à la classe la plus nombreuse de la société ou à la plus prépondérante. L’Arian chez les Scandinaves, c’était donc le chef de famille, le guerrier par excellence, ce que nous appellerions le citoyen. Quant au chef de l’expédition dont il s’agit ici, et qui, de même que Brennus, Vercingétorix et tant d’autres, paraît n’avoir reçu de l’histoire que son titre, et non pas son nom propre, Arioviste, c’était l’hôte des héros, celui qui les nourrissait, les payait, c’est-à-dire, d’après toutes les traditions, leur général. Arioviste, c’est Ariogast, ou Ariagast, l’hôte des Arians.

Avec le second siècle de l’ère chrétienne commence cette époque où les émissions scandinaves s’étant déjà multipliées dans la Germanie, l’instinct d’initiative y est devenu patent et éveille toutes les préoccupations des hommes d’État romains. L’âme de Tacite est en proie à de poignantes inquiétudes, et il ne sait qu’espérer de l’avenir. « Qu’elle persiste, s’écrie-t-il, qu’elle dure, j’en adjure tous les dieux, non l’affection que ces peuples nous portent, mais la haine dont ils s’entre-déchirent. Une société telle que la nôtre n’a rien de mieux à attendre de la fortune que les discordes de ses voisins (1)[18]. »

Ces terreurs si naturelles furent cependant trompées par l’événement. Les Germains, limitrophes de l’empire au temps de Trajan, devaient, malgré leurs apparences effrayantes, rendre à la chose romaine les plus éminents services et ne prendre guère de part à sa transformation future, si toutefois ils en ont pris. Ce n’était pas à eux qu’était promise la gloire de régénérer le monde et de constituer la société nouvelle. Tout énergiques qu’ils étaient comparativement aux hommes de la république, ils étaient déjà trop affectés par les mélanges celtiques et slaves pour accomplir une tâche qui exigeait tant de jeunesse et d’originalité dans les instincts. Les noms de la plupart de leurs tribus disparaissent sans éclat avant le Xe siècle. Un bien petit nombre se montre encore dans l’histoire de la grande migration  ; encore sont-ils très loin d’y paraître aux premiers rangs. Ils s’étaient laissé gagner par la corruption romaine.

Pour trouver le foyer véritable des invasions décisives qui créèrent le germe de la société moderne, il faut se transporter sur la côte Baltique et dans la péninsule scandinave. Voilà cette contrée que les plus anciens chroniqueurs nomment justement, et avec un ardent enthousiasme, la source des peuples, la matrice des nations (1)[19]. Il faut lui associer aussi, dans une si illustre désignation, ces cantons de l’est où, depuis le départ du Gardarike de l’Asaland, la branche ariane des Goths avait fixé ses principales demeures. Au temps où nous les avons quittés, ces peuples étaient fugitifs et contraints à se contenter de misérables territoires. Nous les retrouvons à cette heure tout-puissants, dans d’immenses régions conquises par leurs armes.

Les Romains commencèrent à connaître non pas toutes leurs forces, mais celles des provinces extrêmes de leur empire, dans la guerre des Marcomans, autrement dit, des hommes de la frontière (2)[20]. Ces populations furent, à la vérité, contenues par Trajan  ; mais la victoire coûta fort cher, et ne fut nullement définitive. Elle ne préjugea rien contre les destinées futures de cette grande agglomération germanique, qui, bien que touchant déjà au bas Danube, plongeait encore ses racines dans les terres les plus septentrionales, et partant les plus franches, les plus pures, les plus vivifiantes de la famille (3)[21].

En effet, quand, vers le Ve siècle, les grandes invasions commencent, ce sont des masses gothiques toutes nouvelles qui se présentent, en même temps que sur toute la ligne des limites romaines, depuis la Dacie jusqu’à l’embouchure du Rhin, des peuples, à peine connus naguère, et qui se sont graduellement rendus redoutables, deviennent irrésistibles. Leurs noms, indiqués par Tacite et Pline comme appartenant à des tribus extrêmement reculées vers le nord, n’avaient paru à ces écrivains que très barbares ; ils avaient considéré les peuples qui les portaient comme les moins propres à éveiller leur sollicitude. Ils s’étaient trompés du tout au tout.

C’étaient, comme je viens de le dire, et en première ligne, les Goths, arrivés en masse de tous les coins de leurs possessions, d’où les expulsait la puissante d’Attila, appuyée plus encore sur des races arianes ou arianisées que sur ses hordes mongoles (1)[22]. L’empire des Amalungs, la domination d’Hermanarik, s’étaient écroulés sous ces assauts terribles. Leur gouvernement, plus régulier, plus fort que celui des autres races germaniques (2)[23], et qui reproduisait sans doute les mêmes formes en s’appuyant sur les mêmes principes que celui de l’antique Asgard, n’avait pu les sauver d’une ruine inévitable. Cependant ils avaient fait des prodiges de valeur. Tout vaincus qu’ils étaient, ils avaient conservé leur grandeur entière ; leurs rois ne dégénéraient pas de la souche divine à laquelle remontait leur maison, non plus que du nom brillant qu’elle leur valait, les Amâls, les Célestes, les Purs (3)[24] ; enfin, la suprématie de la famille gothique était, en quelque sorte, avouée parmi les nations germaines, car elle éclate dans toutes les pages de l’Edda, et ce livre, compilé en Islande d’après des chants et des récits norwégiens, célèbre principalement le Visigoth Théodorik. Ces honneurs extraordinaires étaient complètement mérités. Ceux auxquels ils étaient rendus aspirèrent à tous les genres de gloire. Ils comprirent beaucoup mieux que ne le faisaient les Romains l’importance et le prix des monuments de toute espèce provenus de l’ancienne civilisation  ; ils exercèrent l’influence la plus noble dans tout l’Occident. Ils en furent récompensés par une gloire durable ; au XIIe siècle, un poète français se faisait encore honneur d’être issu de leur sang (1)[25], et, beaucoup plus tard, les derniers tressaillements de l’énergie gothique inspirèrent l’orgueil de la noblesse espagnole.

Après les Goths, les Vandales tiendraient un rang distingué dans l’oeuvre du renouvellement social, si leur action avait pu se soutenir et durer davantage. Leurs bandes nombreuses n’étaient pas purement germaniques, ni par les recrues dont elles s’étaient renforcées, ni par l’origine même du noyau : l’élément slave tendait à y dominer (2)[26]. Bientôt la fortune les jeta au milieu de populations plus civilisées de beaucoup qu’ils ne l’étaient, et infiniment plus nombreuses. Les alliages particuliers qui s’opérèrent furent d’autant plus pernicieux, pour la partie germanique de leur essence, qu’étrangers à la combinaison première des éléments vandales, ces alliages y créèrent et y développèrent plus de désordres. Un mélange fondamentalement slave, jaune et arian, acceptant de proche en proche, en Italie et en Espagne, le sang romanisé de différentes formations pour prendre ensuite toutes les nuances mélanisées répandues sur le littoral africain, ne pouvait que dégénérer d’autant plus promptement qu’il cessa bientôt de recevoir tout affluent germanique. Carthage vit les Vandales accepter avec empressement sa civilisation décrépite et en mourir. Ils disparurent. Les Kabyles, que l’on prétend descendre d’eux, ont conservé en effet quelque chose de la physionomie septentrionale, et cela d’autant plus aisément que les habitudes sporadiques dans lesquelles leur décadence les a fait choir, en les rangeant au niveau des peuplades voisines, continuent à maintenir un certain équilibre entre les éléments ethniques dont ils sont actuellement formés. Mais, examinés avec quelque attention, ils laissent constater que le peu de traits teutoniques survivant dans leur physionomie est contrasté par beaucoup d’autres appartenant aux races locales. Et pourtant ces Kabyles si dégénérés sont encore les plus laborieux, les plus intelligents et les plus utilitaires des habitants de l’occident africain.

Les Longobards ont mieux défendu leur pureté, que les Vandales ; ils ont eu aussi cet avantage de pouvoir se retremper à plusieurs reprises dans la source d’où sortait leur sang ; aussi ont-ils duré plus longtemps et exercé une plus grande action. Tacite les avait à peine remarqués aux environs de la Baltique, où ils vivaient de son temps. Ils y touchaient encore au berceau commun des nobles nations dont ils faisaient partie. Descendant ensuite plus au sud, ils gagnèrent les contrées moyennes du Rhin et le haut Danube, et ils y séjournèrent assez pour s’empreindre de la nature des races locales, ce dont le caractère celtisé de leur dialecte porte témoignage (1)[27]. Malgré ces mélanges, ils n’avaient nullement oublié ce qu’ils étaient, et longtemps après qu’ils se furent établis dans la vallée du Pô, Prosper d’Aquitaine, Paul diacre et l’auteur du poème anglo-saxon de Beowulf voyaient encore en eux des descendants primitifs des Scandinaves (2)[28].

Les Burgondes, placés jadis par Pline dans le Jutland, peu de temps sans doute après qu’ils venaient d’y arriver, appartenaient, comme les Longobards, à la branche norwégienne (3)[29] ; ils s’étaient dirigés vers le sud, postérieurement au IIIe siècle, et ayant dominé longtemps dans l’Allemagne méridionale, ils s’y étaient mariés aux Germains celtisés des invasions précédentes, comme aussi à tous les éléments divers, kymriques et slaves, qui pouvaient s’y trouver en fusion. Leur destinée ressembla en beaucoup de points à celle des Longobards, avec cette nuance cependant que leur sang put se conserver un peu davantage. Ils eurent le bonheur de se trouver directement, à dater du VIIe siècle, sous le coup d’un groupe germanique dont la pureté correspondait à celle des Goths, la nation des Franks. S’ils se virent promptement réduits à obéir à ces supérieurs, ils leur durent des immixtions ethniques très favorables.

Les Franks, qui survécurent comme nation puissante à presque toutes les autres branches de la souche commune, même à celle des Goths, n’avaient été qu’à peine entrevus, dans le noyau de leur race, par les historiens romains du Ier siècle de notre ère (1)[30]. Leur tribu royale, les Mérowings, habitait alors et jusqu’au VIe siècle compta encore des représentants sur un territoire, assez borné, situé entre les embouchures de l’Elbe et de l’Oder, aux bords de la Baltique, au-dessus de l’ancien séjour des Longobards. Il est évident, d’après cette situation géographique, que les Mérowings étaient issus de la JVorwège, et n’appartenaient pas à la branche gothique (2)[31]. Ils acquirent une grande prépondérance dans l’histoire des territoires gaulois postérieurement au Ve siècle. Toutefois, aucune des généalogies divines que l’on possède aujourd’hui ne les mentionne et ne permet de les rattacher à Odin, circonstance essentielle cependant, au gré des nations germaniques, pour fonder les droits à la royauté, et que remplirent, aussi bien que les Amalungs gothiques, les Skildings danois, les Astings suédois, et toutes les dynasties de l’heptarchie anglo-saxonne (1)[32]. Malgré ce silence des documents, il n’y a pas à douter, en voyant la prééminence incontestée des Mérowings parmi les Franks, et la gloire de cette nation, que l’origine divine, la descendance odinique, autrement dit la condition de pureté ariane, ne faisait pas défaut à cette famille de rois, et que c’est uniquement par l’effet destructeur des temps que ses titres ne sont pas venus jusqu’à nous.

Les Franks étaient descendus assez promptement sur le Rhin inférieur, où le poème de Beowulf les montre en possession des deux rives du fleuve, et séparés de la mer par les Flamands, Flaemings, et les Frisons, deux peuples avec lesquels leur alliance était étroite (2)[33]. Là, ils ne trouvèrent sous leurs pas que des races extrêmement et de longue main germanisées (3)[34], et de ce fait uni à leur départ tardif des pays les plus arians, ils emportèrent de puissantes garanties de force et de durée pour l’empire qu’ils allaient fonder. Cependant, sur le dernier point, plus favorisés que les Vandales, que les Longobards, que les Bourguignons, et même que les Goths, ils le furent moins que les Saxons, et, s’ils eurent plus d’éclat, ils leur cédèrent en longévité. Ceux-ci ne furent jamais portés par leurs conquêtes extérieures dans les parties vives du monde romain (1)[35]. En conséquence, ils n’eurent pas de contact avec les races les plus mélangées, les plus anciennement cultivées, mais aussi les plus affaiblissantes. A peine peut-on les compter au nombre des peuples envahisseurs de l’empire, bien que leurs mouvements aient commencé presque en même temps que ceux des Franks. Leurs principaux efforts se portèrent sur l’est de l’Allemagne et sur les îles bretonnes de l’Océan occidental. Ils ne contribuèrent donc nullement à régénérer les masses romaines. Ce défaut de contact avec les parties vives du monde civilisé, qui les priva d’abord de beaucoup d’illustration, leur a été avantageux au plus haut degré. Les Anglo-Saxons représentent, parmi tous les peuples sortis de la péninsule Scandinave, le seul qui, dans les temps modernes, ait conservé une certaine portion apparente de l’essence ariane. C’est le seul qui, à proprement parler, vive encore de nos jours. Tous les autres ont plus ou moins disparu, et leur influence ne s’exerce plus qu’à l’état latent.

Dans le tableau que je viens de tracer, j’ai laissé de côté les détails. Je ne me suis pas arrêté à décrire les innombrables petits groupes qui, toujours en mouvement, sans cesse traversant et retraversant les voies des masses plus considérables, contribuent à donner aux invasions des IVe et Ve siècles cette apparence fiévreuse et tourmentée qui n’est pas une des moindres causes de leur grandeur. Il faudrait, pour bien faire, se représenter vivement et dans un incessant tumulte ces myriades de tribus, d’armées, de bandes en expédition, qui, poussées par les causes les plus diverses, tantôt la pression des nations rivales, tantôt le surcroît de population, ici la famine, là une ambition subitement éveillée, d’autres fois le simple amour de la gloire et du butin, se mettaient en marche, et, secondées par la victoire, déterminaient de proche en proche les plus terribles ébranlements (1)[36]. Depuis la mer Noire, depuis la Caspienne jusqu’à l’océan Atlantique, tout s’agitait. Le fond celtique et slave des populations rurales débordait incessamment d’un pays sur l’autre, emporté par l’impétuosité ariane ; et, au milieu de mille cohues, les cavaliers mongols d’Attila et de ses alliés, se faisant jour au travers de ces forêts d’épées et de ces troupeaux effarés de laboureurs, y traçaient dans tous les sens d’ineffaçables sillons. C’était un désordre extrême. Si à la surface apparaissaient de grandes causes de régénération, dans les profondeurs tombaient de nouveaux éléments ethniques d’abaissement et de ruine que l’avenir allait avoir beau jeu à développer.

Résumons maintenant l’ensemble des mouvements arians en Europe, je dis des mouvements qui aboutirent à la formation des groupes germaniques et à la descente de ceux-ci sur les frontières de l’empire romain. Vers le VIIIe siècle avant notre ère, les tribus sarmates roxolanes se dirigent vers les plaines du Volga. Au IVe, elles occupent la Scandinavie et quelques points de la côte baltique vers le sud-est. Au IIIe, elles commencent à refluer en deux directions vers les contrées moyennes du continent. Dans la région occidentale, leurs premières nappes rencontrent des Celtes et des Slaves ; à l’est, outre ces derniers, d’assez nombreux détritus arians, provenant des invasions très anciennes des Sarmates, des Gètes, des Thraces, bref des collatéraux de leurs propres ancêtres, sans compter les dernières nations de race noble qui continuaient à sortir de l’Asie. De là, supériorité marquée chez les tribus gothiques, que de tels mélanges ne pouvaient affaiblir. Peu à peu cependant l’égalité, l’équilibre ethnique entre les deux courants se rétablit. A mesure que les premières émissions occidentales sont recouvertes par de nouvelles plus pures, l’invasion Scandinave s’élève aux plus majestueuses proportions ; de telle sorte que, si les Sicambres et les Chérusques avaient promptement cessé d’équivaloir aux hommes de l’empire gothique, les Franks peuvent être hardiment considérés comme les dignes frères des guerriers d’Hermanrik, et à plus forte raison les Saxons de la même époque ont droit au même éloge.

Mais, en même temps que tant de grandes races affluaient vers la Germanie méridionale, la Gaule et l’Italie, les catastrophes hunniques, arrachant les Goths et les derniers Alains à leurs sujets slaves, les reportaient en masse sur les points où les autres nations germaniques tendaient également à se concentrer. Il en résulta que l’orient de l’Europe, à peu près dépouillé de ses forces arianes, fut rendu au pouvoir des Slaves et des envahisseurs de race finnique, qui devaient plonger définitivement ces derniers dans l’abaissement irrémédiable dont de plus nobles dominateurs n’avaient jamais eu l’influence de les tirer. Il en résulta aussi que toutes les forces de l’essence germanique tendaient à s’accumuler d’une façon à peu près exclusive dans les parties les plus occidentales du continent, voire dans le nord-ouest. De cette disposition des principes ethniques devait résulter toute l’organisation de l’histoire moderne. Maintenant, avant d’aller plus loin, il convient d’examinier en elle-même cette famille ariane germanique dont nous venons de suivre les étapes. Rien de plus nécessaire que de préciser exactement sa valeur avant de l’introduire au milieu de la dégénération romaine.



  1. Munch, ouvr. cité, p. 61.
  2. Munch, p. 9 et 61. — Il donne, par extension, au mot Norwégien le sens de gens qui marchent vers le nord, et, par induction, de gens qui marchent vers le nord relativement à leurs compatriotes, Suédois et Poméraniens, ou, autrement dit, Goths restés au sud.
  3. (1) Munch, ouvr. cité, p. S9.
  4. (2) Ibid., p. 56.
  5. (3) Le nom de Teut, que se donnent aujourd’hui les Allemands, est d’un usage fort ancien parmi les nations des Kymris, et n’a absolument rien de germanique. On trouve dans l’Italie aborigène Teuta pour le nom primitif de Pise. Les habitants s’appelaient Teutanes, Teutani ou Teutæ. (Pline, Hist. natur., III, 8.) — Les guerriers de la Gaule avaient établi en Cappadoce la tribu des Teutobodiaci, en Pannonie, la ville de Teutobourgion, dans le nord de la Grèce, les Teutai (Id., ibid.) — On connaît une foule de noms d’hommes celtiques dans la composition desquels entre ce mot, Teutobochus, Teutomalus, etc. (Dieffeubach, Celtica II, I Abth, p. 193, 338.) — Munch considère les Thjust du Smaaland comme des Celtes d’origine. (P. 46.) — Deutsch ne parait pas avoir été pris collectivement avant le IXe siècle de notre ère.
  6. (4) Ils s’étaient établis sur les terres des nations slaves qu’ils avaient forcées au partage, et dont ils paraissent avoir expulsé la noblesse. (Schaffarik, Slaw. Alterth., t. I, p. 106.)
  7. (1) Pythias, Ptolémée, Mêla et Pline ont montre les Goths tendant vers la Vistule. Ce fut longtemps leur frontière. Ils touchaient là à des peuples arians qu’on nommait les Scytho-Sarmates, et qui, bien que de même souche qu’eux, faisaient partie d’un autre groupe d’invasion. (Munch, 36-37, 52-53.)
  8. (2) Munch, loc. cit., 31.
  9. (3) Cette séparation des premières nations véritablement germaniques en Scandinaves et en Goths me parait commandée par les faits, et je la préfère aux traditions généalogiques que nous ont conservées Tacite et Pline. Celles-ci font descendre les races du Nord d’un homme-type, appelé Tuisto, et de ses trois fils, Istsewo, Irmino et Ingævo. Tout prouve que ce mythe n’a jamais existé dans les pays purement germaniques, et s’est développé surtout dans l’Allemagne centrale et méridionale. Il paraît donc être d’origine celtique, bien qu’il ait été adopté et peut-être modifié dans quelques parties par les Germains métis. Les efforts de W. Muller pour retrouver dans les noms de Tuisto, d’Ingaevo, d’Irmino et d’Istaevo des surnoms de dieux Scandinaves ne sont pas certainement très heureux. (Altdeutsche Religion, p. 292 et seqq.) — Comme exemple des changements que cette tradition a subis dans le cours des temps, on peut présenter te tableau donné par Nemnius (éd. Gunn, p. 53-34), où, au lieu de Tuisto, dans lequel on ne peut, en tout cas, reconnaître que Teut, transformé en éponyme de la race celtique, le chroniqueur donne Alanus, et quant aux noms des trois héros fils de cet Alanus, il les écrit Hisicion, Armenon et Neugio.
  10. (1) Munch, ouvr. cité, p. 18.
  11. (2) Il se passa alors chez les populations celtiques de l’occident ce qui arrivait depuis des siècles, dans l’orient de l’Europe, à d’autres Celtes et surtout aux Slaves. Des maîtres arians commencèrent par s’imposer à elles, puis acceptèrent leur nom national en se mêlant. C’est là un des motifs qui portèrent si longtemps les Romains à confondre les deux groupes et Strabon à proposer cette singulière étymologie du mot de Germain, venu, disait-il, de ce que les Gaulois les appellent Frères, Germanoï. (VII, 1, 2.) Ils étaient frères, en effet, au moment où le géographe d’Apamée les observait, mais non pas frère d’origine. (Voir Wachter, Encycl. Ersch u. Gruber, Galli, p. 47. — Dieffenbach, Celtica II, p. 68.) — De même que les premiers clans germaniques de l’Orient, ceux qui venaient de la Norwège, se mêlèrent aux Celtes, qu’ils trouvèrent sur leur chemin, de même les premières expéditions gothiques contractèrent des alliances qui les modifièrent profondément. Ainsi les Gothini de la Silésie avaient adopté la langue de leurs sujets de race kymrique. Tacite le dit expressément. (Germ., 43.) J’insiste d’autant plus fortement sur les faits de ce genre, qu’ils forment la partie essentielle de l’histoire, qu’ils expliquent une multitude d’enigmes, jusqu’ici insolubles, et que jamais on ne les a pris en considération.
  12. (1) Munch (ouvr. cité, p. 8) ne pense pas qu’avant le VIIIe siècle de notre ère on puisse affirmer que les populations danoises aient été germaniques. L’extrême nord du Jutland parait avoir porté un grand nombre de populations diverses, d’abord des Finnois, puis des Celtes, puis des Slaves, puis des Jotûns, enfin des Scandinaves. — Wachter (Galli) considère les Danois comme un mélange primitif de Finnois et de Celtes.
  13. (1) Les Suèves avaient une très grande réputation parmi les métis germaniques. Ils n’étaient cependant pas de race pure. Leur organisation politique était celle des Kymris, leur religion était druidique. Ils habitaient des villes, ce que ne faisait aucune nation scandinave ou gothique ; ils cultivaient même la terre, au dire de César.
  14. (1) Il parait qu’avant l’époque de César les nations de la Gaule, les plus considérables, avaient eu recours, pour augmenter leur puissance, à ce moyen familier aux peuples en décadence, de coloniser chez eux des étrangers sous la condition du service militaire. Ce qu’avaient fait les Arvernes, peut-être un peu de force, leurs rivaux, les Eduens, l’avaient essayé de bonne grâce.
  15. (1) Arioviste dit à César que depuis quatorze ans, que ses campagnes dans la Gaule avaient commencé, ni lui ni ses hommes n’avaient dormi sous un toit. Cette remarque indique bien la situation absolument militaire des gens de ce chef.
  16. (1) Savigny, D. Rœmische Recht im Mittelalter, t. 1, p. i93. — Jusqu’aux IXe et Xe siècles on a dit indifféremment Germanus et Arimannus, pour indiquer un homme libre parmi les populations germaniques de l'Italie. (Ibidem, p. 166.) Il y en a même des exemples au XIIe siècle. On appelait alors Arimannia l’ensemble des hommes libres d’une même circonscription et aussi la propriété libre d’un ariman. (Ibid., 170-171.)
  17. (2) Outre les Oses Sarmates, qui habitaient encore la Pannonie, mais fort dégénérés et tributaires d’autres Sarmates et des Quades germaniques, on avait les Osyles dans la Baltique ; c’étaient des Roxolans d’origine. (Munch, p. 31.) On avait ainsi des Arii germaniques au delà de la Vistule (Tac, 43), des Guttes, des Chattes, des Gutones, etc, etc. Pline, Strabon, Ptolémée et Méla donneraient, au besoin, tous les éléments d’une longue liste.
  18. (1) « Maneat, quæso, duretque gentibus, sinon amor nostri, at certe odium sui ; quando urgentibus imperii fatis, niliil jam præstare fortuna majus potest quam hostium discordiam. » ; (Germ., 33).
  19. (1) Jornandès, c. 4 : « Scandia insula, quasi officina gentium, aut certe velut vagina nationum. »
  20. (2) Munch, p. 31 et 38.
  21. (3) Ibid., p. 40. — Keferstein, Keltische Alterth., t. 1, p. XXXI.
  22. (1) M. Amédée Thierry, dans ses travaux sur le Ve siècle, est entré, le premier, dans une voie qui jette des lueurs toutes nouvelles sur les faits politiques de ces époques. On ne saurait trop louer la méthode employée par cet écrivain pour étudier et juger l’action d’Attila. — Schaffarik, Slaw. Alterth., t. I, p. 124. — La grande migration fut surtout composée des Vandales, des Suèves et des Alains, quant aux masses envahissantes, mais non pas quant à la direction qui leur était donnée. (Munch, p. 40.)
  23. (2) C’est à Tacite qu’on doit cette remarque.
  24. (3) Strahlenberg {Der nœrdl. u. oestl. Theil Europas u. Asiens, p. 104) avait déjà remarqué que les Visigolhs appelaient le ciel amal. — Schlegel Ind. Biblioth., t. 1, p. 233) a fait observer, après lui, que le mot amala, qui en gothique signifle pur, sans tache, a exactement le même sens en sanscrit. — Les Amala, en anglo-saxon, Amalunga, dans le Nibelungenlied, Atnalungen, les Amalungs descendaient de Géat ou Khéta. Suivant W. Muller (Alt. deutsche Religion, p. 297), Géat est un surnom d’Odin. Je suis plutôt porté à voir dans ce nom une forme antique du nom national des Goths, comme Séaf est une forme de Saka. (Voir une note précédente.) Les Amalungs descendaient ainsi de la plus pure souche ariane.
  25. (1) Rigord, mort vers 1209, se qualifie, dans sa chronique : « Magister Rigordus, natione Gothu. » (Hist. litt. de France, t. XVII, p. 7.)
  26. (2) Schaffarik (Slaw. Alterth., t. I, p. 163) pense que les Slaves, dans leurs établissements situés entre la Vistule et l’Oder, ayant reçu des immixtions des Suèves (Celtes germanisés), donnèrent naissance aux Vandales. La terminaison il, ul, al indique un dérivé. Parmi les Vandales se mêlèrent plusieurs bandes dont l’origine purement germanique est incontestable. Cependant ces bandes étaient peu nombreuses.
  27. (1) Munch, p. 46 et 48.
  28. (2) Ibid.
  29. (3) Keferstein (Keltische Alterth., t. I, p. XXXI) signale dans leur composition, au moment où ils arrivèrent sur le Rhin, des mélanges gothiques et vandales. Il n’y a, en effet, rien de plus vraisemblable. Je n’entends parler ici que de leur état premier.
  30. (1) Pline connaît ce peuple.
  31. (2) C’est le pays appelé par l’anonyme de Ravenne, Maurungania, la terre des Mérowings. — Le poème de Beowulf établit bien la relation entre les Mérowings et les Franks lorsqu’il dit, v. 5836:

    Us waes à-Syddan
    Mere-wionigas
    Milts un-gyfede.

    « Depuis ce temps, la bienveillance des Mérowings nous a toujours été refusée, » c’est-à-dire depuis que les Franks sont en guerre avec celui qui parle. (Kemble, Anglo-saxon Poëm of Beowulf, p. 206. — Ettmuller, Beowulfslied, 21. — J. Bachlechner, Zeitschrift f. d. Alt., t. VIII, p. 326.) — Keferstein montre bien comment, par la route qu’ils suivirent dans leur migration de l’extrême nord, les Franks ont pu arriver jusque dans la Gaule sans avoir été nullement mêlés aux Slaves et presque point aux Celtes purs. (T. I, p. xxxiv.)

  32. (1) Les généalogies héroïques qui nous ont été conservées, soit dans l’Edda, soit dans les annales compilées par des moines, soit dans les préambules des différents codes, constituent une des sources les plus importantes que l’on puisse consulter pour l’histoire germanique des plus anciennes époques. (Voir à ce sujet Grimm, W. Muller, Ellmuller, etc.) La forme des noms, l’ordre dans lequel ils sont placés, le nombre des aïeux donnés à Odin lui-même, enfin les traces d’allitération qui se retrouvent dans les compilations en prose sont autant de traits dignes d’être observés avec la plus extrême attention pour les résultats importants auxquels ils amènent. Je remarque surtout trois noms parmi les aïeux d’Odin, Suaf, Heremod et Géat ; ce sont autant de souvenirs ethniques se rapportant aux grandes dénominations nationales de Saka, d’Arya, et de Khéta. On en peut signaler encore deux autres, indiquant des mélanges qui certainement ont eu lieu: Hwala, Gall, et Funi, Fenn.
  33. (2) Les Frisons s’étaient autrefois appelés Eotenas,_Eolan ou Jutæ, c’étaient des Jotuns germanisés. (Ettmuller, Beowulfslied, p. 36)
  34. (3) Parmi celles qui l’étaient le moins, ou peut compter les Ubiens. Mais l'élément celtique n’en avait pas moins été très fortement affaibli chez cette nation par les mélanges d’autre nature qu’avaient apportés les Romains. (Dieffenbach, Celtica I, p. 68.) Les Sicambres, dont le nom joue un rôle dans nos premières annales, étaient nécessairement germanisés à un très haut point, leur situation géographique le voulant ainsi. Cependant leur nom est celtique et rappelle celui des Segobrigi, nation qui très anciennement était connue de la colonie phocéenne de Marseille. Ce nom parait signifier les illustres Ambres ou Kymris.
  35. (1) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. xxxiv.
  36. (1) De ce nombre sont les Astings, les Scyrres, les Ruges, les Gépides et surtout les Hérules. Tous ces groupes, qui de même que les gens d’Arioviste, constituaient plutôt des armées, ou même des bandes en expédition, que des peuples à la recherche d’un gîte, retournaient, très souvent dans le Nord après avoir beaucoup épouvanté le Sud. (Munch, p. 44.)