Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre sixième/Chapitre III


CHAPITRE III.

Capacité des races germaniques natives.

Les nations arianes d’Europe et d’Asie, prises dans leur totalité, observées dans leurs qualités communes et typiques, nous ont également étonnés par cette attitude impérieuse et dominatrice qu’elles exercèrent constamment sur les autres peuples, même sur les peuples métis et blancs au milieu desquels ou auprès desquels elles vécurent. À ce seul aspect, il est déjà difficile de ne pas leur reconnaître à l’égard du reste de l’espèce humaine une suprématie réelle ; car en pareilles matières ce qui semble existe nécessairement. Il ne faudrait cependant pas prendre le change sur la nature de cette suprématie et la chercher ou prétendre la trouver dans des faits qui ne lui appartiendraient pas. Il ne faut pas davantage la croire obscurcie et mise en question par certains détails qui choquent les préventions vulgaires sur l’idée généralement admise de supériorité. Celle des Arians ne réside pas dans un développement exceptionnel et constant des qualités morales ; elle existe dans une plus grande provision des principes d’où ces qualités découlent.

Il ne faut jamais oublier que, lorsqu’on étudie l’histoire des sociétés, il ne s’agit en aucune façon de la moralité en elle-même. Ce n’est ni par des vices ni par des vertus que des civilisations se distinguent essentiellement les unes des autres, bien que, prises dans l’ensemble, elles valent mieux sous ce rapport que la barbarie ; mais c’est là une conséquence purement accessoire de leur travail. Ce qui fait essentiellement leur physionomie, ce sont les capacités qu’elles possèdent et développent.

L’homme est l’animal méchant par excellence. Ses besoins plus multipliés le harcèlent de plus d’aiguillons. Dans son espèce, il a d’autant plus de besoins, partant de souffrances, partant d’excitations au mal, qu’il est plus intelligent. Il semblerait donc naturel que ses mauvais instincts augmentassent en raison directe de la nécessité de briser plus d’obstacles pour arriver à un état de satisfaction. Mais, par un heureux retour, il n’en est pas ainsi. La raison, plus perfectionnée en même temps qu’elle vise plus haut et est plus exigeante, éclaire la créature qu’elle conduit sur les inconvénients matériels d’un abandon trop absolu à toutes les suggestions de l’intérêt. La religion, même imparfaite ou fausse, que cet être conçoit toujours d’une façon quelque peu élevée, lui interdit de céder en toute occasion à ses penchants destructeurs.

C’est ainsi que l’Arian est toujours sinon le meilleur des hommes au point de vue de la pratique morale, du moins le plus éclairé sur la valeur intrinsèque en ce genre des actes qu’il commet. Ses idées dogmatiques sont toujours en cette matière les plus développées et les plus complètes, bien que dépendant étroitement de l’état de sa fortune. Tant qu’il est le jouet d’une situation trop précaire, son corps reste cuirassé et son cœur de même ; dur envers sa propre personne, rien de moins étonnant qu’il soit impitoyable pour autrui, et c’est dans cette donnée inflexible qu’il pratique cette justice dont Hérodote vantait l’intégrité chez le Scythe belliqueux. Le mérite consiste ici dans la loyauté avec laquelle est acceptée une loi d’ailleurs si féroce peut-être, et qui ne s’adoucit que dans la proportion où l’atmosphère sociale ambiante réussit elle-même à se tempérer.

L’Arian est donc supérieur aux autres hommes, principalement dans la mesure de son intelligence et de son énergie ; et c’est par ces deux facultés que, lorsqu’il parvient à vaincre ses passions et ses besoins matériels, il lui est également donné d’arriver à une moralité infiniment plus haute, bien que, dans le cours ordinaire des choses, on puisse relever chez lui tout autant d’actes répréhensibles que chez les individus des deux autres espèces inférieures.

Cet Arian se présente maintenant à notre observation dans le rameau occidental de sa famille, et là il nous apparaît aussi vigoureusement bâti, aussi beau d’aspect, aussi belliqueux de cœur, que nous l’avons admiré jadis dans l’Inde (1)[1] et dans la Perse, comme dans l’Hellade homérique. Une des premières considérations auxquelles l’aspect du monde germanique donne lieu, c’est encore celle-ci, que l’homme y est tout et la nation peu de chose. On y aperçoit l’individu avant de voir la masse associée, circonstance fondamentale, qui excitera d’autant plus l’intérêt qu’on prendra plus de soin de la comparer avec le spectacle offert par les agrégations de métis sémitiques, helléniques, romains, kymris et slaves. Là on ne voit presque que les multitudes ; l’homme ne compte pour rien, et il s’efface d’autant plus que, le mélange ethnique auquel il appartient étant plus compliqué, la confusion est devenue plus considérable.

Ainsi placé sur une sorte de piédestal, et se dégageant du fond sur lequel il agit, l’Arian Germain est une créature puissante, qui attire d’abord l’examen sur lui-même avant de permettre de le porter sur le milieu qui l’entoure. Tout ce que cet homme croit, tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait, acquiert de la sorte une importance majeure.

En matière de religion et de cosmogonie, voici quels sont ses dogmes : la nature est éternelle, la matière infinie (2)[2]. Cependant le vide béant, gap gunninga, le chaos, a précédé toutes choses (3)[3]. « En ce temps, dit la Vœluspa, il n’y avait ni sable, ni mer, ni les molles vagues. La terre ne se trouvait nulle part, ni le ciel enveloppant. Du sein des ténèbres sortirent douze fleuves, qui en coulant gelèrent. »

Alors l’air doux qui venait du sud, de la contrée du feu, fit fondre la glace ; ses gouttes d’eau prirent vie, et le géant Imir, personnification de la nature animée, apparut. Bientôt il s’endormit, et de sa main gauche ouverte, et de ses pieds fécondés l’un par l’autre, sortit la race des géants (4)[4].

Cependant la glace continuant à dégeler, il en provint la vache Audhumbha. C’est le symbole de la force organique, qui donne le mouvement à toutes choses. À ce moment, un être nommé Buri sortit encore de ces gouttes d’eau, et il eut un fils, Börr, qui, s’unissant à la fille d’un géant, donna le jour aux trois premiers dieux, les plus anciens, les plus vénérables, Odhin, Vili et Ve (1)[5].

Cette trinité, ainsi venue quand les grandes créations cosmiques étaient déjà achevées, n’avait à réaliser qu’un travail d’organisation, et en effet ce fut là sa tâche. Elle ordonna le monde, et de deux troncs d’arbre échoués sur le rivage de la mer, elle façonna les durs auteurs de l’espèce humaine. Un chêne fut l’homme, un saule devint la femme (2)[6].

Cette doctrine n’est toujours que le naturalisme arian, modifié par des idées développées dans l’extrême Nord (3)[7]. La matière vivante et intelligente, représentée encore par le mythe tout asiatique de la vache Audhumbha, s’y maintient au-dessus des trois grands dieux eux-mêmes. Ils sont nés après elle : rien de moins étonnant qu’ils ne soient pas copartageants de son éternité. Ils doivent périr ; ils doivent disparaître un jour, vaincus par les géants, par les forces organiques de la nature, et cette organisation du monde dont ils sont les ordonnateurs est destinée à s’engloutir avec eux, avec les hommes leurs créatures, pour faire place à de nouveaux ordonnateurs, à un nouvel arrangement de toutes choses, à de nouvelles générations de mortels. Encore une fois, les antiques sanctuaires de l’Inde connaissaient l’essentiel de toutes ces notions (1)[8].

Des dieux transitoires, si grands qu’ils fussent, n’étaient pas trop distants de l’homme. Aussi l’Arian Germain n’avait-il pas perdu l’habitude de s’élever jusqu’à eux. Sa vénération pour ses ancêtres confondait volontiers ceux-ci avec les puissances supérieures, et sans effort se changeait en adoration. Il aimait à se croire descendu de plus grand que lui, et de même que tant de races helléniques se rattachaient à Jupiter, à Neptune, au dieu de Chryse, de même le Scandinave traçait fièrement sa généalogie jusqu’à Odin, ou jusqu’aux autres individualités célestes que les conséquences naturelles du symbolisme firent monter sans peine autour de la trinité primitive (2)[9],

L’anthropomorphisme était complètement étranger à ces notions natives (3)[10] ; il ne s’y associa que fort tard et sous l’influence irrésistible des mélanges ethniques. Tant que le fils des Roxolans resta pur, il se plaisait à ne voir les dieux que dans le miroir de son imagination, et répugna à se faire d’eux des images tangibles. Il aimait à se les figurer planant à demi cachés au sein des nuages rougis par les lueurs du couchant. Les bruits mystérieux des forêts lui révélaient leur présence (4)[11]. Il croyait aussi trouver et il vénérait une émanation de leur nature dans certains objets précieux pour lui. Les Quades prêtaient serment sur des épées, ce qu’avaient déjà fait les Thraces. Les Longobards honoraient un serpent d’or ; les Saxons, un groupe mystique formé d’un lion, d’un dragon et d’un aigle  ; les Franks avaient aussi des usages semblables (5)[12].

Mais des alliances avec les métis européens leur firent accepter plus tard, en tout ou en partie, le panthéon matériel des Slaves et des Celtes. Ils devinrent alors idolâtres. Chez les Suèves, ils admirent le culte sauvage de la déesse Nerthus et apprirent à promener, une fois l’an, sa statue voilée dans un char (1)[13]. Le sanglier de Freya, symbole favori des Galls, fut adopté par la plupart des nations germaniques, qui en surmontèrent le cimier de leurs casques, et le firent briller sur les pignons de leurs palais. Jadis, dans les époques purement arianes, les Germains n’avaient pas même connu les temples. Ils finirent par en avoir, où ils entassèrent des idoles monstrueuses (2)[14]. Comme il était arrivé aux anciens Kymris, il leur fallut complaire, à leur tour, aux instincts les plus tenaces des races inférieures au milieu desquelles ils s’étaient établis (3)[15].

Il en fut de même pour les formes du culte, cependant avec plus de mesure dans la dégénération. Primitivement l’Arian Germain était à lui-même son prêtre unique, et même longtemps après qu’on eut institué des pontifes nationaux, chaque guerrier conserva dans ses foyers la puissance sacerdotale (4)[16]. Elle resta même annexée à la propriété foncière, et l’aliénation d’un domaine entraîna celle du droit d’y sacrifier (5)[17]. Lorsqu’on modifia cet état de choses, le prêtre germanique n’exerça d’action que pour l’ensemble de la tribu. Il ne fut d’ailleurs jamais que ce qu’avait été le purohita chez les Arians Hindous, dans les temps antévédiques. Il ne forma pas une caste distincte comme les brahmanes, un ordre puissant comme les druides, et, non moins sévèrement exclu des fonctions de la guerre, il ne lui fut pas laissé la moindre possibilité de dominer, ni même de diriger l’ordre social. Toutefois, par un sentiment empreint d’une haute et profonde sagesse, à peine les Arians eurent-ils reconnu des prêtres publics qu’ils leur confièrent les plus imposantes fonctions civiles, en les chargeant de maintenir l’ordre dans les assemblées politiques et d’exécuter les arrêts de la justice criminelle. De là chez ces peuples ce qu’on a appelé les sacrifices humains (1)[18].

Le condamné, après avoir entendu sa sentence, était retranché de la société et livré au prêtre, c’est-à-dire au dieu. Une main sacrée, lui infligeant le dernier supplice, apaisait sur lui la colère céleste. Il tombait, non pas tant parce qu’il avait offensé l’humanité que parce qu’il avait irrité la divinité protectrice du droit. Le châtiment se trouvait de la sorte moins honteux pour la dignité de l’Arian et, il faut l’avouer, plus moral que ne le rendent nos coutumes juridiques, où un homme est égorgé simplement en compensation d’en avoir égorgé un autre, ou, suivant une opinion plus étroite encore, simplement pour le forcer de s’en tenir là (2)[19].

On s’est demandé, avec plus ou moins de raison, si les nations sémitiques avaient eu originairement une idée bien nette de l’autre vie. Chez aucune race ariane ce doute n’est possible. La mort ne fut jamais pour toutes qu’un passage étroit, à la vérité, mais insignifiant, ouvert sur un autre monde. Ils y entrevoyaient diverses destinées, qui, d’ailleurs, n’étaient pas déterminées par les mérites de la vertu ou le châtiment qu’aurait dû recevoir le vice. L’homme de noble race, le véritable Arian arrivait par la seule puissance de son origine à tous les honneurs du Walhalla, tandis que les pauvres, les captifs, les esclaves, en un mot, les métis et les êtres d’une naissance inférieure, tombaient indistinctement dans les ténèbres glaciales du Niflheimz (1)[20].

Cette doctrine ne fut évidemment de mise que pendant les époques où toute gloire, toute puissance, toute richesse se trouva concentrée entre les mains des Arians et où nul Arian ne fut pauvre en même temps que nul métis ne fut riche. Mais lorsque l’ère des alliages ethniques eut complètement troublé cette simplicité primitive des rapports, et que l’on vit, ce qui aurait été jugé impossible autrefois, des gens de noble extraction dans la misère, et des Slaves et des Kymris, et même des Tchoudes, des Finnois opulents, les dogmes relatifs à l’existence future se modifièrent, et l’on accepta des opinions plus conformes à la distribution contemporaine des qualités morales dans les individus (2)[21].

L’Edda partage l’univers en deux parties (3)[22]. Au centre du système, la terre, résidence des hommes, formée comme un disque plat, ainsi que l’a décrite Homère, est entourée de tous côtés par l’Océan. Au-dessus d’elle s’étend le ciel, demeure des dieux. Au nord s’ouvre un monde sombre et glacé, d’où vient le froid  ; au sud, un monde de feu, où s’engendre la chaleur. A l’est, est Jotanheimz, le pays des géants ; à l’ouest, Svartalfraheimz, la demeure des nains noirs et méchants. Puis, dans une situation vague, Vanaheimz, la contrée habitée par les Wendes (1)[23].

Si l’on arrête ici cette description, où s’unissent les idées cosmogoniques à la simple géographie, on a l’exacte reproduction du système des sept divissas brahmaniques, ou, ce qui est pareil, des sept kischwers iraniens (2)[24], et, comme on va le voir, un monde complet, au point de vue des premiers Arians Germains. Le territoire Scandinave occupe le centre : c’est excellemment le pays des hommes. L’empyrée règne au-dessus. Le pôle nord lui envoie la froidure ; les régions méridionales, le peu de chaleur qui l’atteint. A l’est, c’est-à-dire tirant vers la côte de la Baltique, sont les principales tribus des Gètes métis ; à l’ouest, entre la Suède méridionale et la côte de l’Océan du Nord, les Lapons, un peu partout, des Wendes et des Celtes, justement confondus les uns avec les autres. Les connaissances positives de l’époque ne permettent pas d’ajouter rien. Mais les cosmographes nationaux, dans le travail de leurs idées, ne s’en tinrent pas à ces anciennes notions ; ils voulurent avoir neuf climats, neuf divissas, neuf kischwers, au lieu de sept qu’avaient connus leurs ancêtres, et, pour atteindre à ce chiffre, ils imaginèrent deux cieux nouveaux, placés au-dessus de celui des dieux, et les nommèrent, l’un Liôsâlfraheimz ou Andlanger, l’autre Vidhblacên (1)[25]. Tous deux sont peuplés de nains lumineux. Cette conception serait absolument arbitraire et inutile, si elle ne se fondait pas, en quelque chose, sur la distinction que les plus anciens Arians de la haute Asie paraissent avoir faite entre l’atmosphère immédiate du globe et le ciel proprement dit, l’empyrée, où se meuvent les astres (2)[26].

Telles étaient les opinions que l’Arian Germain entretenait sur les objets de considération les plus élevés. Il y puisait sans peine une haute idée de lui-même et de son rôle dans la création, d’autant plus qu’il s’y contemplait non seulement comme un demi-dieu, mais comme un possesseur absolu d’une portion de ce Mitgardhz, ou terre du milieu, que la nature lui avait assigné pour demeure. Il avait constitué sa propriété foncière d’une manière toute conforme à ses fiers instincts. Deux modes de propriété étaient chez lui en usage.

Le plus ancien incontestablement est celui dont il avait apporté l’idée constitutive de la haute Asie, c’était l’odel (3)[27]. Ce mot emporte avec lui les deux idées de noblesse et de possession si intimement combinées, que l’on est fort embarrassé de découvrir si l’homme était propriétaire parce qu’il était noble, ou l’inverse (1[28]). Mais il est peu douteux que l’organisation primordiale, ne reconnaissant pour homme véritable que l’Arian, ne voyait aussi de propriété régulière et légale qu’entre ses mains et n’imaginait pas d’Arian privé de cet avantage.

L’odel appartenait sans restriction aucune à son maître. Ni la communauté ni le magistrat n’avaient qualité pour exercer sur cette sorte de possession la revendication la plus légère, le droit le plus minime. L’odel était absolument libre de toute charge ; il ne payait pas d’impôts. Il constituait une véritable souveraineté, souveraineté inconnue aujourd’hui, où la nue propriété, l’usufruit et le haut domaine se confondaient absolument. Le sacerdoce en était inséparable, et inséparable aussi la juridiction à tous ses degrés, au civil comme au criminel. L’Arian Germain siégeait à son foyer, disposait à son gré de la terre allodiale et de tout ce qui l’habitait. Femmes, enfants, serviteurs, esclaves, ne reconnaissaient que lui, ne vivaient que par lui, ne rendaient compte qu’à lui seul, qui ne rendait compte à personne. Soit qu’il eût construit sa demeure et mis ses champs en culture sur un terrain désert, soit que ses propres forces lui eussent suffi pour en dépouiller le Finnois, le Slave, le Celte ou le Jotun, tous gens placés nativement hors la loi, ses prérogatives ne rencontraient pas de limites.

Il n’en était pas tout à fait de même lorsque, en société avec d’autres Arians, agissant sous la direction commune d’un chef de guerre, il se trouvait être participant à la conquête d’un territoire dont une portion, grande ou petite, lui avait été adjugée. Cette autre situation créait un autre système de tenure tout différent ; et comme elle se réalisa presque seule quand furent venues les grandes migrations sur le continent d’Europe, on y doit chercher le germe véritable des principales institutions politiques de la race germanique. Mais pour pouvoir exposer clairement ce que c’était que cette forme de propriété et les conséquences qu’elle entraînait, il faut faire connaître auparavant les rapports de l’homme arian avec sa nation.

En tant qu’il était chef de famille et possesseur d’un odel, ces rapports se réduisaient à fort peu de chose. D’accord avec les autres guerriers pour conserver la paix publique, il élisait un magistrat, que les Scandinaves nommaient drottinn, et que d’autres peuples sortis de leur sang appelèrent graff (l)[29]. Choisi dans les races les plus anciennes et les plus nobles, dans celles qui pouvaient réclamer une origine divine, ce pendant exact du viçampati hindou exerçait une autorité des plus restreintes, sinon des plus précaires. Son action légale ressemblait fort à celle des chefs chez les Mèdes avant l’époque d’Astyages, ou à celle des rois hellènes dans les temps homériques. Sous l’empire de cette règle facile, chaque Arian, au sein de son odel, n’était guère plus lié à son voisin de même nation que ne le sont entre eux les différents États formant un gouvernement fédératif.

Une telle organisation, admissible en présence de populations numériquement faibles ou complètement subjuguées par la conscience de leur infériorité, n’était nullement compatible avec l’état de guerre, ni même avec l’état de conquête au milieu de masses résistantes. L’Arian, qui, dans son humeur aventureuse, vivait principalement dans l’une ou l’autre de ces situations difficiles, avait trop de bon sens pratique pour ne pas apercevoir le remède du mal et chercher les moyens d’en concilier l’application avec les idées d’indépendance personnelle qui, avant tout, lui tenaient à cœur. Il imagina donc qu’au moment d’entrer en campagne, des rapports tout particuliers, tout spéciaux, complètement étrangers à l’organisation régulière du corps politique, devaient intervenir entre le chef et les soldats ; voici comment le nouvel ordre de choses se fondait :

Un guerrier connu se présentait à l’assemblée générale, et se proposait lui-même pour commander l’expédition projetée. Quelquefois, surtout dans les cas d’agression, il en ouvrait même la première idée. En d’autres circonstances, il ne faisait que soumettre un plan qui lui était propre et qu’il appliquait à la situation. Ce candidat au commandement prenait soin d’appuyer ses prétentions sur ses exploits antérieurs, et de faire valoir son habileté éprouvée ; mais, sur toutes choses, le moyen de séduction qu’il pouvait employer avec le plus de bonheur, et qui lui assurait la préférence sur ses concurrents, c’était l’offre et la garantie, pour tous ceux qui viendraient combattre sous ses ordres, de leur assurer des avantages individuels dignes de tenter leur courage et leur convoitise. Il s’établissait ainsi un débat et une surenchère entre les candidats et les guerriers. Ce n’était que par conviction ou par séduction que ceux-ci pouvaient être amenés à s’engager avec l’entrepreneur d’exploits, de gloire et de butin.

On conçoit que beaucoup d’éloquence et un passé quelque peu digne d’estime étaient absolument nécessaires à ceux qui voulaient commander. On ne leur demandait pas, comme aux drottinns, comme aux graffs, la grandeur de la naissance ; mais ce qu’il leur fallait indispensablement, c’était du talent militaire, et plus encore une libéralité sans bornes envers le soldat. Sans quoi il n’y aurait eu à suivre leur drapeau que des dangers, sans espérance de victoire ni de rémunération.

Mais une fois que l’Arian s’était laissé persuader que l’homme qui le sollicitait avait bien toutes les qualités requises, et qu’après avoir fait ses conditions il s’était engagé avec lui, aussitôt un état tout nouveau intervenait entre eux (1)[30]. L’Arian libre, l’Arian souverain absolu de son odel, abdiquant pour un temps donné l’usage de la plupart de ses prérogatives, devenait, sauf le respect des engagements réciproques, l’homme de son chef, dont l’autorité pouvait aller jusqu’à disposer de sa vie, s’il manquait aux devoirs qu’il avait contractés.

L’expédition commençait ; elle était heureuse. En principe, le butin appartenait tout entier au chef, mais avec l’obligation stricte et rigoureuse de le partager avec ses compagnons, non pas seulement dans la mesure des promesses échangées, mais, comme je viens de le dire, avec une prodigalité extrême. Manquer à cette loi eût été aussi dangereux qu’impolitique. Les chants Scandinaves appellent avec intention le chef de guerre illustre « l’ennemi de l’or, » parce qu’il n’en doit pas garder ; « l’hôte des héros, » parce qu’il doit mettre son orgueil à les loger dans sa demeure, à les réunir à sa table, à leur prodiguer les longs banquets, les amusements de toute espèce et les riches présents. Ce sont là les moyens, et les seuls, de conserver leur amitié, de s’assurer leur appui, et partant de maintenir sa renommée avec sa puissance. Un chef avare et égoïste est aussitôt abandonné de tout le monde, et il rentre dans le néant (2)[31].

Je viens de montrer là quel emploi le général vainqueur pouvait faire du butin mobilier, de l’argent, des armes, des chevaux, des esclaves. Mais lorsque, avec ces avantages, il y avait encore prise de possession d’une contrée, le principe des générosités recevait nécessairement des applications différentes. En effet, le pays conquis prenait le nom de rik, c’est-à-dire pays gouverné absolument, pays soumis ; titre que les territoires vraiment arians, les pays à odels, se faisaient un point d’honneur de repousser, se considérant comme essentiellement libres (1)[32]. Dans le rik, les populations vaincues étaient entièrement placées sous la main du chef de guerre (2)[33], qui se parait de la qualification de konungr, titre militaire, gage d’une autorité qui n’appartenait ni au drottinn ni au graff, et dont les souverains de l’extrême Nord n’osèrent s’emparer que très tard, car ils gouvernaient des provinces qui, n’ayant pas été acquises par le glaive à leur couronne, ne leur donnaient pas le droit de le prendre.

Le konungr donc, le könig allemand, le king anglo-saxon, le roi, pour tout dire (3)[34], dans son obligation étroite de faire participer ses hommes à tous les avantages qu’il recueillait lui-même, leur concédait des biens-fonds. Mais comme les guerriers ne pouvaient emporter avec eux ce genre de présents, ils n’en jouissaient qu’aussi longtemps qu’ils restaient fidèles à leur conducteur, et cette situation comportait pour leur qualité de propriétaires toute une série de devoirs étrangers à la constitution de l’odel.

Le domaine ainsi possédé à condition s’appelait feod. Il offrait plus d’avantages que la première forme de tenure pour le développement de la puissance germanique, parce qu’il contraignait l’humeur indépendante de l’Arian à abandonner au pouvoir dirigeant une autorité plus grande. Il préparait ainsi l’avènement d’institutions propres à mettre en accord les droits du citoyen et ceux de l’État, sans détruire les uns au profit exclusif des autres. Les peuples sémitisés du midi n’avaient jamais eu la moindre idée d’une telle combinaison, puisqu’il était de règle chez eux que l’État devait absorber tous les droits.

L’institution du féod amenait aussi des résultats latéraux qui méritent d’être enregistrés. Le roi qui le concédait, comme le guerrier qui le recevait, étaient également intéressés à n’en pas laisser péricliter la valeur vénale. Aux yeux du premier, c’était un don temporaire, qui pouvait rentrer dans ses mains au cas où l’usufruitier viendrait à mourir ou romprait son engagement pour aller chercher aventure sous un autre chef, circonstance assez commune. Dans cette prévision, il fallait que le domaine restât digne de servir d’appât à un remplaçant. Pour le second, posséder une terre n’était un avantage qu’autant que cette terre fructifiait ; et comme il n’avait ni le goût ni le temps de s’occuper par lui-même de la culture du sol, il ne manquait jamais de traiter, sous la garantie de son chef, avec les anciens propriétaires, auxquels il abandonnait l’entière et paisible possession d’une part, en leur donnant le reste à ferme. C’était une sage opération que les Doriens et les Thessaliens avaient très bien pratiquée jadis. Il en résulta que les conquêtes germaniques, malgré les excès des premiers moments, probablement un peu exagérés d’ailleurs par l’éloquente lâcheté des écrivains de l’histoire Auguste, furent, en définitive, assez douces, médiocrement redoutées des peuples et, sans nulle comparaison, infiniment plus intelligentes, plus humaines et moins ruineuses que les colonisations brutales des légionnaires et l’administration féroce des proconsuls au temps où la politique romaine était dans toute la fleur de sa civilisation (1)[35].

Il semblerait que le féod, récompense des travaux de la guerre, preuve éclatante d’un courage heureux, ait eu tout ce qu’il fallait pour se concilier les faveurs de l’opinion chez des races belliqueuses et fort sensibles au gain ; il n’en était cependant pas ainsi. Le service militaire à la solde d’un chef répugnait à beaucoup d’hommes, et surtout à ceux de haute naissance. Ces esprits arrogants trouvaient de l’humiliation à recevoir des dons de la main de leurs égaux, et quelquefois même de ceux qu’ils considéraient comme leurs inférieurs en pureté d’origine. Tous les profits imaginables ne les aveuglaient pas non plus sur l’inconvénient de laisser suspendre pour un temps, sinon de perdre pour toujours, l’action plénière de leur indépendance. Quand ils n’étaient pas appelés à commander eux-mêmes, par une incapacité d’une nature quelconque, ils préféraient ne prendre part qu’aux expéditions vraiment nationales ou à celles qu’ils se sentaient en état d’entreprendre avec les seules forces de leur odel.

Il est assez curieux de voir ce sentiment devancer l’arrêt sévère d’un savant historien qui, dans sa haine sentie envers les races germaniques, se fonde principalement sur les conditions du service militaire, et s’en autorise pour refuser aux Goths d’Hermanrik, comme aux Franks des premiers Mêrowings, toute notion véritable de liberté politique. Mais il ne l’est pas moins assurément de voir les Anglo-Saxons d’aujourd’hui, ce dernier rameau, bien défiguré il est vrai, mais encore ressemblant quelque peu aux antiques guerriers germains, les habitants indisciplinés du Kentucky et de l’Alabama, braver tout à la fois le verdict de leurs plus fiers aïeux et celui du savant éditeur du Polyptique d’Irminon. Sans croire porter la moindre atteinte à leurs principes de sauvage républicanisme, ils s’engagent en foule à la solde des pionniers qui s’offrent à leur faire tenter la fortune au milieu des indigènes du nouveau monde et dans les prairies les plus dangereuses de l’Ouest (1)[36]. C’est là certainement de quoi répondre, d’une manière suffisante, aux exagérations anciennes et modernes.

Possesseur d’un odel, ou jouissant d’un féod, l’Arian Germain se montre à nous également étranger au sens municipal du Slave, du Celte et du Romain. La haute idée de sa valeur personnelle, le goût d’isolement qui en est la suite, dominent absolument sa pensée et inspirent ses institutions. L’esprit d’association ne saurait donc lui être familier. Il sait y échapper jusque dans la vie militaire, car chez lui cette organisation n’est que l’effet d’un contrat passé entre chaque soldat et le général, abstraction faite des autres membres de l’armée. Très avare de ses droits et de ses prérogatives, il n’en fait jamais l’abandon, non pas même de la moindre parcelle ; et s’il consent à en restreindre, à en suspendre l’usage, c’est qu’il trouve dans cette concession temporaire un avantage direct, actuel et bien évident. Il a les yeux grands ouverts sur ses intérêts. Enfin, perpétuellement préoccupé de sa personnalité et de ce qui s’y rapporte d’une façon directe, il n’est pas matériellement patriote, et n’éprouve pas la passion du ciel, du sol, du lieu où il est né. Il s’attache aux êtres qu’il a toujours connus, et le fait avec amour et fidélité ; mais aux choses, point, et il change de province et de climat sans difficulté. C’est là une des clefs du caractère chevaleresque au moyen âge et le motif de l’indifférence avec laquelle l’Anglo-Saxon d’Amérique, tout en aimant son pays, quitte aisément sa contrée natale, et, de même, vend ou échange le terrain qu’il a reçu de son père.

Indifférent pour le génie des lieux, l’Arian Germain l’est aussi pour les nationalités, et ne leur porte d’amour ou de haine que suivant les rapports que ces milieux inévitables entretiennent avec sa propre personne. Il considère de prime abord tous les étrangers, fussent-ils de son peuple, sous un jour à peu près égal, et la supériorité qu’il s’arroge mise à part, une certaine partialité pour ses congénères également exceptée, il est assez libre de préjugés natifs contre ceux qui l’abordent, de quelque contrée éloignée qu’ils puissent venir ; de telle sorte que, s’il leur est donné de faire éclater à ses yeux des mérites réels, il ne refusera pas d’en reconnaître les bienfaits. De là vient que, dans la pratique, il accorda de très bonne heure aux Kymris et aux Slaves qui l’entouraient une estime proportionnée à ce qu’ils pouvaient lui montrer de vertus guerrières ou de talents domestiques. Dès les premiers jours de ses conquêtes, l’Arian mena à la guerre les serviteurs de son odel, et encore plus volontiers les hommes de son féod. Tandis qu’il était, lui, le compagnon gagé du chef de guerre, cette suite de rang inférieur combattait sous sa conduite et prenait part à tous ses profits. Il lui permit de recueillir de l’honneur, et reconnut cet honneur noblement quand il fut bien acquis ; il avoua l’illustration là où elle se trouva ; il fit mieux : il laissa son vaincu devenir riche, et l’achemina ainsi, pour toutes ces causes, à un résultat qui ne pouvait manquer d’arriver et qui arriva, que ce vaincu devint avec le temps son égal. Dès avant les invasions du V* siècle, ces grands principes et toutes leurs conséquences avaient agi et porté leurs fruits (1)[37]. On va en voir la démonstration.

Les nations germaniques ne s’étaient, dans l’origine, composées que de Roxolans, que d’Arians  ; mais au temps où elles habitaient encore, à peu près compactes, la péninsule Scandinave, la guerre avait déjà réuni dans les odels trois classes de personnes : les Arians proprement dits, ou les jarls : c’étaient les maîtres (2)[38] ; les karls, agriculteurs, paysans domiciliés, tenanciers du jarl, hommes de famille blanche métisse, Slaves, Celtes ou Jotuns (1)[39] ; puis les traëlls, les esclaves, race basanée et difforme, dans laquelle il est impossible de ne pas reconnaître les Finnois (2)[40].

Ces trois classes, formées aussi spontanément, aussi nécessairement dans les États germains que chez les anciens Hellènes, composèrent d’abord la société tout entière ; mais les mélanges, promptement opérés, firent naître des hybrides nombreux  ; la liberté que les mœurs germaniques donnaient aux karls de marcher à la guerre, et, par suite, de s’enrichir, profita aux métis que cette classe de paysans avait produits en s’ alliant à la classe dominatrice  ; et tandis que la race pure, exposée surtout aux hasards des batailles, tendait à diminuer de nombre dans la plupart des tribus, et à se limiter aux familles qu’on nommait divines, et parmi lesquelles l’usage permettait seul de choisir les drottinns et les graffs, les demi-Germains voyaient sortir de leurs rangs d’innombrables chefs riches, vaillants, éloquents, populaires, et qui, libres de proposer à leurs concitoyens des plans d’expéditions et des projets d’aventures, ne trouvaient pas moins de compagnons prêts à les écouter que le pouvaient des héros d’une extraction plus noble. Il en advint des résultats de toute espèce, les plus divergents, les plus disparates, mais tous également faciles à comprendre. Dans certaines contrées, où la pureté de descendance, toujours estimée, était devenue extrêmement rare, le titre de jarl prit une valeur énorme, et finit par se confondre avec celui de konuugr ou de roi ; mais là encore ce dernier fut rapidement égalé par les qualifications, d’abord fort modestes, de fylkir et de hersir, qui n’avaient été portées au début que par des capitaines d’un rang inférieur. Ce mode de confusion eut lieu en Scandinavie, et à l’ombre du gouvernement vraiment régulier, suivant le sens de la race, des anciens drottinns. Là, sur ce terrain, essentiellement arian, les jarls, les kouungrs, les fylkirs, les hersirs n’étaient en fait que des héros sans emplois et, comme on dirait dans notre langue administrative, des généraux en disponibilité. Tout ce que le sentiment public pouvait leur accorder, c’était une part égale du respect qu’obtenait la noblesse du sang, bien qu’ils ne l’eussent pas tous ; mais on n’était nullement tenté de leur donner un commandement sur la population. Aussi fut-il très difficile à la monarchie militaire, qui est la monarchie moderne, issue des chefs de guerre germaniques, de s’établir dans les qays Scandinaves. Elle n’y parvint qu’à force de temps et de luttes, et après avoir éliminé la foule des rois, au sein de laquelle elle était comme noyée, rois de terre, rois de mer, rois des bandes.

Les choses se passèrent tout autrement dans les pays de conquête, comme la Gaule et l’Italie. La qualité de jarl ou d’ariman, ce qui est tout un, n’étant plus soutenue là par les formes libres du gouvernement national, ni rehaussée par la possession de l’odel, fut rapidement abaissée sous le fait de la royauté militaire, qui gouvernait les populations vaincues et commandait aux Arians vainqueurs. Donc, le titre d’ariman (1)[41], au lieu d’augmenter d’importance comme en Scandinavie, s’abaissa, et ne s’appliqua bientôt plus qu’aux guerriers de naissance libre, mais d’un rang inférieur, les rois s’étant entourés d’une façon plus immédiate de leurs plus puissants compagnons, des hommes formant ce qu’ils nommaient leur truste, de leurs fidèles, tous gens qui, sous le nom de leudes, ou possesseurs d’odels, domaines fictivement constitués suivant l’ancienne forme par la volonté du souverain, représentaient seuls et exclusivement la haute noblesse. Chez les Franks, les Burgondes, les Longobards, l’ariman, ou, suivant la traduction latine, le bonus homo, en arriva à ne plus être qu’un simple propriétaire rural  ; et pour empêcher le seigneur du fief de réduire en servage le représentant légal, mais non plus ethnique, des anciens Arians, il fallut l’autorité de plus d’un concile, qui d’ailleurs ne prévalut pas toujours contre la force des circonstances.

En somme, dans toutes les contrées originairement germaniques, comme dans celles qui ne le devinrent que par conquête, les principes des dominateurs furent identiquement les mêmes, et d’une extrême générosité pour les races vaincues.

En dehors de ce qu’on peut appeler les crimes sociaux, les crimes d’État, comme la trahison et la lâcheté devant l’ennemi, la législation germanique nous paraîtrait aujourd’hui indulgente et douce jusqu’à la faiblesse. Elle ne connaissait pas la peine de mort (1)[42], et pour les crimes de meurtre n’appliquait que la composition pécuniaire. C’était assurément une mansuétude bien remarquable, chez des hommes d’une aussi excessive énergie et dont les passions étaient assurément fort ardentes. On les en a loués, on les en a blâmés ; mais on a peut-être examiné la question un peu superficiellement. Pour asseoir avec pleine connaissance de cause une opinion définitive, il faut distinguer ici entre la justice rendue sous l’autorité ou plutôt sous la direction du drottinn, et plus tard, par assimilation, du konuugr, ou roi militaire, et celle qui, s’exerçant dans les odels, émanait, d’une manière bien autrement puissante et tout incontestée, de la volonté absolue et de l’initiative de l’Arian, chef de famille. Cette distinction est non seulement dans la nature des choses, mais nécessaire pour comprendre la théorie génératrice de la composition en argent dans les jugements criminels.

Le possesseur de l’odel, maître suprême de tous les habitants de sa terre et leur juge sans appel, suivait certainement dans ses arrêts les suggestions d’un esprit nativement rigide et porté à la doctrine du talion, cette loi la plus naturelle de toutes, et dont une sagesse très raffinée, appuyée sur l’expérience de cas très complexes, apprend seule à reconnaître l’injustice. Pas de doute que dans ce cercle de juridiction domestique on ne demandât œil pour œil et dent pour dent. Il n’y aurait pas même eu moyen de recourir à la composition pécuniaire, car rien n’établit que les membres inférieurs de l’odel aient eu le droit personnel de propriété dans les époques vraiment arianes.

Mais quand le crime, se produisant en dehors du cercle intérieur gouverné par le chef de famille, avait pour victime un homme libre, la répression se compliquait soudain de ces difficultés dirimantes qui hérissent toujours le redressement des torts d’un souverain envers son égal. On admettait bien en principe, dans l’intérêt évident du lien social, que la communauté, représentée par l’assemblée des hommes libres sous la présidence du drottinn ou du graff, avait le droit de punir les infractions à la tranquillité publique, état que ces pouvoirs avaient la mission de maintenir de leur mieux. Le point scabreux était de fixer l’étendue de ce droit. Il se trouvait pour le circonscrire, dans les plus étroites limites possibles, autant de volontés qu’il y avait de juges impartiaux, c’est-à-dire d’Arians Germains, attentifs à sauvegarder l’indépendance de chacun contre les empiétements éventuels de la communauté. On fut ainsi conduit à envisager sous un jour de compromis la position des coupables et à substituer, dans le plus grand nombre de cas, à l’idée du châtiment celle de la réparation approximative. Placée sur ce terrain, la loi considéra le meurtre comme un fait accompli, sur lequel il n’y avait plus à revenir, et dont elle devait seulement borner les conséquences quant à la famille du mort. Elle écarta à peu près toute tendance à la vindicte, évalua matériellement le dommage, et, moyennant ce qu’elle jugea être un équivalent pour la perte de l’homme que l’action homicide avait rayé du nombre des vivants et arraché à ceux parmi lesquels il vivait, elle ordonna le pardon, l’oubli et le retour de la paix. Dans ce système, plus le défunt était d’un rang élevé, plus la perte était estimée considérable. Le chef de guerre valait plus que le simple guerrier, celui-ci plus que le laboureur, et certainement un Germain devait être mis à plus haut prix qu’un de ses vaincus.

Avec le temps, cette doctrine, pratiquée dans les camps comme dans les territoires scandinaves, devint la base de toutes les législations germaniques, bien qu’elle ne fût à l’origine qu’un résultat de l’impuissance de la loi à atteindre ceux qui faisaient la loi. Elle étouffa la coutume des odels à mesure que ceux-ci diminuèrent de nombre et virent ensuite restreindre leurs privilèges, à mesure que l’indépendance des membres de la nation fut moins absolue, que, le féod étant devenu le mode de tenure le plus ordinaire, les rois prirent plus d’empire, et enfin que les multitudes agrégées par la conquête et reconnues comme propriétaires du sol devinrent aptes à composer pour leurs délits et leurs crimes, comme les plus nobles personnages, comme les hommes de la plus haute lignée pour les leurs.

L’Arian Germain n’habitait pas les villes ; il en détestait le séjour, et, par suite, en estimait peu les habitants. Toutefois il ne détruisait pas celles dont la victoire le rendait maître, et, au IIe siècle de notre ère, Ptolémée énumérait encore quatre-vingt-quatorze cités principales entre le Rhin et la Baltique, fondations antiques des Galls ou des Slaves, et encore occupées par eux (1)[43]. A la vérité, sous le régime des conquérants venus du nord, ces villes entrèrent dans une période de décadence. Créées par la culture imparfaite de deux peuples métis, assez étroitement utilitaires, elles succombèrent à deux effets tout-puissants, bien qu’indirects, de la conquête qu’elles avaient subie. Les Germains, en attirant la jeunesse indigène à l’adoption de leurs mœurs, en conviant les guerriers du pays à prendre part à leurs expéditions, partant à leurs honneurs et à leur butin, firent goûter promptement leur genre de vie à la noblesse celtique. Celle-ci tendit à se mêler étroitement à eux. Quant à la classe commerçante, quant aux industriels, plus casaniers, l’imperfection de leurs produits ne pouvait que difficilement soutenir la concurrence contre ceux des fabricants de Rome, qui, établis de très bonne heure sur les limites décumates, livraient aux Germains des marchandises italiennes ou grecques beaucoup moins chères, ou du moins infiniment plus belles et meilleures que les leurs. C’est le double et constant privilège d’une civilisation avancée. Réduits à copier les modèles romains pour se prêter aux goûts de leurs maîtres, les ouvriers du pays ne pouvaient espérer un véritable profit de ce labeur qu’en se mettant directement au service des possesseurs d’odels et de féods, ceux-ci ayant une tendance naturelle à réunir dans leur clientèle immédiate et sous leur main tous les hommes qui pouvaient leur être de quelque utilité. C’est ainsi que les villes se dépeuplèrent peu à peu et devinrent d’obscures bourgades.

Tacite, qui ne veut absolument voir dans les héros de son pamphlet que d’estimables sauvages, a faussé tout ce qu’il raconte d’eux en matière de civilisation (1)[44]. Il les représente comme des bandits philosophes. Mais, sans compter qu’il se contredit lui-même assez souvent, et que d’autres témoignage contemporains, d’une valeur au moins égale au sien, permettent de rétablir la vérité des faits, il ne faut que contempler le résultat des fouilles opérées dans les plus anciens tombeaux du Nord pour se convaincre que, malgré les emphatiques déclamations du gendre d’ Agrippa, les Germains, ces héros qu’il célèbre d’ailleurs avec raison, n’étaient ni pauvres, ni ignorants, ni barbares (2)[45].

La maison de l’odel ne ressemblait pas aux sordides demeures, à demi enfouies dans la terre, que l’auteur de la Germania se plaît tant à décrire sous des couleurs stoïques. Cependant ces tristes retraites existaient ; mais c’était l’abri des races celtiques à peine germanisées ou des paysans, des karls, cultivateurs du domaine. On peut encore contempler leurs analogues dans certaines parties de l’Allemagne méridionale, et surtout dans le pays d’Appenzell, où les gens prétendent que leur mode de construction traditionnel est particulièrement propre à les préserver des rigueurs de l’hiver. C’était la raison qu’alléguaient déjà les anciens constructeurs ; mais les hommes libres, les guerriers arians étaient mieux logés, et surtout moins à l’étroit (1)[46].

Lorsqu’on entrait dans leur résidence, on se trouvait d’abord dans une vaste cour, entourée de divers bâtiments, consacrés à tous les emplois de la vie agricole, étables, buanderies, forges, ateliers et dépendances de toute espèce, le tout plus ou moins considérable, suivant la fortune du maître. Cette réunion de bâtisses était entourée et défendue par une forte palissade. Au centre s’élevait le palais, l’odel proprement dit, que soutenaient et ornaient en même temps de fortes colonnes de bois, peintes de couleurs variées. Le toit, bordé de frises sculptées, dorées ou garnies de métal brillant, était d’ordinaire surmonté d’une image consacrée, d’un symbole religieux, comme, par exemple, le sanglier mystique de Freya (1)[47]. La plus grande partie de ce palais était occupée par une vaste salle, ornée de trophées et dont une table immense occupait le milieu.

C’était là que l’Arian Germain recevait ses hôtes, rassemblait sa famille, rendait la justice, sacrifiait aux dieux, donnait ses festins, tenait conseil avec ses hommes et leur distribuait ses présents. Quand, la nuit venue, il se retirait dans les appartements intérieurs, c’était là que ses compagnons, ranimant la flamme du foyer, se couchaient sur les bancs qui entouraient les murailles, et s’endormaient la tête appuyée sur leurs boucliers (2)[48].

On est sans doute frappé par la ressemblance de cette demeure somptueuse, de ses grandes colonnes, de ses toits élevés et ornés, de ses larges dimensions, avec les palais décrits dans l’Odyssée et les résidences royales des Mèdes et des Perses. En effet, les nobles manoirs des Achéménides étaient toujours situés en dehors des villes de l’Iran et composés d’un groupe de bâtiments affectés aux mêmes usages que les dépendances des palais germaniques. On y logeait également tous les ouvriers ruraux du domaine, une foule d’artisans, selliers, tisserands, forgerons, orfèvres, et jusqu’à des poètes, des médecins et des astrologues. Ainsi, les châteaux des Arians Germains décrits par Tacite, ceux dont les poèmes teutoniques parlent avec tant de détails, et, plus anciennement encore, la divine Asgard des bords de la Dwina, étaient l’image de l’iranienne Pasagard, au moins dans les formes générales, sinon dans la perfection de l’œuvre artistique (3)[49], ni dans la valeur des matériaux (1)[50]. Et après tant de siècles écoulés depuis que l’Arian Roxolan avait perdu de vue les frères qu’il avait quittés dans la Bactriane et peut-être même beaucoup plus haut dans le nord, après tant de siècles de voyages poursuivis par lui à travers tant de contrées, et, ce qui est plus remarquable encore, après tant d’années passées à n’avoir, dit-on, pour abri que le toit de son chariot, il avait si fidèlement conservé les instincts et les notions primitives de la culture propre à sa race, que l’on vit se mirer dans les eaux du Sund, et plus tard dans celles de la Somme, de la Meuse et de la Marne, des monuments construits d’après les mêmes données et pour les mêmes mœurs que ceux dont la Caspienne et même l’Euphrate avaient reflété les magnificences (2)[51].

Quand l’Arian Germain se tenait dans sa grand’salle, assis sur un siège élevé, au haut bout de la table, vêtu de riches habits, les flancs ceints d’une épée précieuse, forgée par les mains habiles et estimées magiques des ouvriers jotuns, slaves ou finnois, et qu’entouré de ses braves, il les conviait à se réjouir avec lui, au bruit des coupes et des cornes à boire, garnies d’argent ou dorées sur les bords, ni des esclaves, ni même des domestiques vulgaires, n’étaient admis à l’honneur de servir cette vaillante assemblée. De telles fonctions semblaient trop nobles et trop relevées pour être abandonnées à des mains si humbles ; et de même qu’Achille s’occupait lui-même du repas de ses hôtes, de même les héros germaniques se faisaient un honneur de conserver cette lointaine tradition de la courtoisie particulière à leur famille. Le glaive au côté, ils allaient quérir, ils plaçaient sur les tables les viandes, la bière, l’hydromel ; ensuite ils s’asseyaient librement, et parlaient sans crainte, suivant que leur pensée les inspirait.

Ils n’étaient pas tous sur le même pied dans la maison. Le maître estimait avant tous les autres son orateur, son porte-glaive, son écuyer, et, lorsqu’il était jeune encore, son père nourricier, celui qui lui avait appris le maniement des armes et l’avait préparé à l’expérience du commerce des hommes. Ces divers personnages, et le dernier surtout, avaient la préséance parmi leurs compagnons. On accordait aussi des égards particuliers au champion d’élite qui avait accompli des exploits hors ligne.

Le festin était commencé. La première faim s’apaisait ; les coupes se vidaient rapidement, la parole et la joie circulaient comme du feu dans toutes ces têtes violentes. Les actions de guerre racontées de toutes parts enflammaient ces imaginations combustibles et multipliaient les bravades. Tout à coup un convive se levait bruyamment ; il annonçait la volonté d’entreprendre telle expédition hasardeuse, et, la main étendue sur la corne qui contenait la bière, il jurait de réussir ou de tomber. Des applaudissements terribles éclataient de toutes parts. Les assistants, exaltés jusqu’à la folie, entre-choquaient leurs armes pour mieux célébrer leur allégresse ; ils entouraient le héros, le félicitaient, l’embrassaient. C’étaient là des délassements de lions.

Passant alors à d’autres idées, ils se mettaient au jeu, passion dominante et profonde chez des esprits amoureux d’aventures, avides de hasards, qui, dans leur façon de s’abandonner, sans réserve et sans mesure, à toutes les formes du danger, en arrivaient souvent à se jouer eux-mêmes et à affronter l’esclavage, plus redoutable dans leurs idées que la mort même. On conçoit que de longues séances ainsi employées pouvaient faire naître d’épouvantables orages, et il était des moments où le seigneur du lieu devait tenir à en écarter même l’occasion. Prenant donc ces imaginations actives par un de leurs côtés les plus accessibles, il avait recours aux récits des voyageurs, toujours écoutés avec une attention également vive et intelligente ; ou bien encore il proposait des énigmes, amusement favori (1)[52] ; ou enfin, profitant de l’influence incalculable dont jouissait la poésie, il ordonnait à son poète de remplir son office.

Les chants germaniques avaient, sous leurs formes ornées, le caractère et la portée de l’histoire, mais de l’histoire passionnée, préoccupée surtout de maintenir éternellement l’orgueil des journées de gloire, et de ne pas laisser périr la mémoire des outrages et le désir de les venger (2)[53]. Elle proposait aussi les grands exemples des aïeux. On y trouve peu de traces de lyrisme. C’étaient des poèmes à la manière des compilations homériques, et, j’ose même le dire, les fragments mutilés qui en sont venus jusqu’à nous respirent une telle grandeur avec un tel enthousiasme, sont revêtus d’une si curieuse habileté de formes, que sous quelques rapports ils méritent presque d’être comparés aux chefs-d’œuvre du chantre d’Ulysse. La rime y est inconnue ; ils sont rythmés et allitérés (1)[54]. L’ancienneté de ce système de versification est incontestable. Peut-être en pourrait-on retrouver des traces aux époques les plus primitives de la race blanche.

Ces poèmes, qui conservaient les traits mémorables des annales de chaque nation germanique, les exploits des grandes familles, les expéditions de leurs braves, leurs voyages et leurs découvertes sur terre et sur mer (2)[55], tout enfin ce qui était digne d’être chanté, n’étaient pas seulement écoutés dans le cercle de l’odel, ni même de la tribu où ils avaient pris naissance et qu’ils célébraient. Suivant qu’ils avaient un mérite supérieur, ils circulaient de peuple à peuple, passant des forêts de la Norwège aux marais du Danube, apprenant aux Frisons, aux riverains du Weser les triomphes obtenus par les Amalungs sur les bords des fleuves de la Russie, et répandant chez les Bavarois et les Saxons les faits d’armes du Longobard Alboin dans les régions lointaines de l’Italie (3)[56]. L’intérêt que l’Arian Germain prenait à ces productions était tel, que souvent une nation demandait à une autre de lui prêter ses poètes et lui envoyait les siens. L’opinion voulait même rigoureusement qu’un jarl, un ariman, un véritable guerrier, ne se bornât pas à connaître le maniement des armes, du cheval et du gouvernail, l’art de la guerre, de toutes les sciences assurément les premières (1)[57] ; il fallait encore qu’il eût appris par cœur et fût en état de réciter les compositions qui intéressaient sa race ou qui de son temps avaient le plus de célébrité. Il devait de plus être habile à lire les runes, à les écrire et à expliquer les secrets qu’elles renfermaient (2)[58].

Qu’on juge de la puissante sympathie d’idées, de l’ardente curiosité intellectuelle qui, possédant toutes les nations germaniques, reliait entre eux les odels les plus éloignés, neutralisait chez leurs fiers possesseurs, et sous les rapports les plus nobles, l’esprit d’isolement, empêchait le souvenir de la commune origine de s’éteindre, et, si ennemis que les circonstances pussent les faire, leur rappelait constamment qu’ils pensaient, sentaient, vivaient sur le même fonds commun de doctrines, de croyances, d’espérances et d’honneur. Tant qu’il y eut un instinct qu’on put appeler germanique, cette cause d’unité fit son office. Charlemagne était trop grand pour la méconnaître ; il en comprenait toute la force et le parti qu’il en devait tirer. Aussi, malgré son admiration pour la romanité et son désir de restaurer de pied en cap le monde de Constantin, il n’eut jamais la moindre velléité de rompre avec ces traditions, bien que méprisées par la triste pédanterie gallo-romaine. Il fit réunir de toutes parts les poésies nationales, et il ne tint pas à lui qu’elles n’échappassent à la destruction. Malheureusement, des nécessités d’un ordre supérieur contraignirent le clergé à tenir une conduite différente.

Il lui était impossible de tolérer que cette littérature, essentiellement païenne, troublât incessamment la conscience mal assurée des néophytes, et, les faisant rétrograder vers leurs affections d’enfance, ralentît le triomphe du christianisme. Elle mettait un tel emportement, une obstination si haineuse à célébrer les dieux du Walhalla et à préconiser leurs orgueilleuses leçons, que les évêques ne purent hésiter à lui déclarer la guerre. La lutte fut longue et pénible. La vieille attache des populations aux monuments de la gloire passée protégeait l’ennemi. Mais enfin, la victoire étant restée à la bonne cause, l’Église ne se montra nullement désireuse de pousser son succès jusqu’à l’extermination totale. Lorsqu’elle n’eut plus rien à craindre pour la foi, elle tâcha elle-même de sauver des débris désormais inoffensifs. Avec cette tendre considération qu’elle a toujours montrée pour les œuvres de l’intelligence, même les plus opposées à ses sentiments, noble générosité dont on ne lui sait pas assez de gré, elle fit pour les œuvres germaniques exactement ce qu’elle faisait pour les livres profanes des Romains et des Grecs. Ce fut sous son influence que les Eddas furent recueillies en Islande. Ce sont des moines qui ont sauvé le poème de Beowulf, les annales des rois anglo-saxons, leurs généalogies, les fragments du Chant du Voyageur, de la Bataille de Finnesburh, de Hiltibrant (1)[59]. D’autres religieux compilèrent tout ce que nous possédons des traditions du Nord, non comprises dans l’ouvrage de Saemund, les chroniques d’Adam de Brème et du grammairien Saxon ; d’autres, enfin, transmirent à l’auteur du Nibelungenlied les légendes d’Attila que le Xe siècle vit mettre en œuvre[60]. Ce sont là des services qui méritent d’autant plus de reconnaissance, que la critique ne doit qu’à eux seuls de pouvoir rattacher directement les parties originales des littératures modernes, les inspirations qui ne proviennent pas absolument de l’influence hellénistique ou italiote, aux anciennes sources arianes, et par là aux grands souvenirs épiques de la Grèce primitive, de l’Inde, de l’Iran bactrien et des nations génératrices de la haute Asie.

Les poèmes odiniques avaient eu d’exaltés défenseurs, mais parmi ceux-ci les femmes s’étaient surtout fait distinguer. Elles avaient témoigné d’un attachement particulièrement opiniâtre aux anciennes mœurs et aux anciennes idées ; et, contrairement à ce qu’on suppose généralement de leur prédilection pour le christianisme, opinion vraie quant aux pays romanisés, mais dénuée de fondement dans les contrées germaniques, elles prouvèrent qu’elles aimaient du fond du cœur une religion et des coutumes assez austères peut-être, mais qui, leur attribuant un esprit sagace et pénétrant jusqu’à la divination, les avaient entourées de ces respects et armées de cette autorité que leur refusaient si dédaigneusement les paganismes du Sud sous l’empire de l’ancien culte. Bien loin qu’on les crût indignes de juger des choses élevées, on leur confiait les soins les plus intellectuels : elles avaient la charge de conserver les connaissances médicales, de pratiquer, en concurrence avec les thaumaturges de profession, la science des sortilèges et des recettes magiques. Instruites dans tous les mystères des runes[61], elles les communiquaient aux héros, et leur prudence avait le droit de diriger, de hâter, de retarder les effets du courage de leurs maris ou de leurs frères. C’était une situation dont la dignité était faite pour leur plaire, et il n’y a rien de surprenant à ce qu’elles n’aient pas cru tout d’abord devoir gagner au change. Leur opposition, nécessairement limitée, se manifesta par leur entêtement pour la poésie germanique même. Devenues chrétiennes, elles en excusaient volontiers les défauts hétérodoxes ; et ces dispositions mutines persistèrent si bien chez elles, que, longtemps après avoir renoncé au culte de Wodan et de Freya, elles restèrent les dépositaires attitrées des chants des scaldes. Jusque sous les voûtes bénies des monastères, elles maintenaient cette habitude réprouvée, et un concile de 789 ne put même réussir, en fulminant les défenses les plus absolues et les menaces les plus effrayantes, à empêcher d’indisciplinables épouses du Seigneur de transcrire, d’apprendre par cœur et de faire circuler ces œuvres antiques qui ne respiraient que les louanges et les conseils du panthéon Scandinave (1)[62].

La puissance des femmes dans une société est un des gages les plus certains de la persistance des éléments arians. Plus cette puissance est respectée, plus on est en droit de déclarer la race qui s’y montre soumise rapprochée des vrais instincts de la variété noble ; or, les Germaines n’avaient rien à envier à leurs sœurs des branches antiques de la famille (2)[63].

La plus ancienne dénomination que leur applique la langue gothique est quino ; c’est le corrélatif du grec gunè. Ces deux mots viennent d’un radical commun, gen, qui signifie enfanter {3)[64]. La femme était donc essentiellement, aux yeux des Arians primitifs, la mère, la source de la famille, de la race, et de là provenait la vénération dont elle était l’objet. Pour les deux autres variétés humaines et beaucoup de races métisses en décadence, bien que fort civilisées, la femme n’est que la femelle de l’homme.

De même que l’appellation de l’Arian Germain, du guerrier, jarl, finit, dans la patrie du nord, par s’élever à la signification de gouvernant et de roi, de même le mot quino graduellement exalté, devint le titre exclusif des compagnes du souverain, de celles qui régnaient à ses côtés, en un mot, des reines. Pour le commun des épouses, une appellation qui n’était guère moins flatteuse y succéda : c’est frau, frouwe, mot divinisé dans la personnalité céleste de Freya (1)[65]. Après ce mot, il en est d’autres encore qui sont tous frappés au même cachet. Les langues germaniques sont riches en désignations de la femme, et toutes sont empruntées à ce qu’il y a de plus noble et de plus respectable sur la terre et dans les cieux (2)[66]. Ce fut sans doute par suite de cette tendance native à estimer à un haut degré l’influence exercée sur lui par sa compagne, que l’Arian du nord accepta, dans sa théologie, l’idée que chaque homme était dès sa naissance placé sous la protection particulière d’un génie féminin, qu’il appelait fylgja. Cet ange gardien soutenait et consolait, dans les épreuves de la vie, le mortel qui lui était confié par les dieux, et, lorsque celui-ci touchait à l’heure suprême, il lui apparaissait pour l’avertir (3)[67].

Cause ou résultat de ces habitudes déférentes, les mœurs étaient généralement si pures, que dans aucun des dialectes nationaux il ne se trouve un mot pour rendre l’idée de courtisane. Il semblerait que cette situation n’ait été connue des Germains qu’à la suite du contact avec les races étrangères, car les deux plus anciennes dénominations de ce genre sont le fînnique kalkjô et le celtique lenne et laënia (4)[68].

L’épouse germanique apparaît, dans les traditions, comme un modèle de majesté et de grâce, mais de grâce imposante. On ne la confinait pas dans une solitude jalouse et avilissante ; l’usage voulait, au contraire, que, lorsque le chef de famille traitait des hôtes illustres, sa compagne, entourée de ses filles et de ses suivantes, toutes richement vêtues et parées, vînt honorer la fête de sa présence. C’est avec un enthousiasme bien caractéristique que des scènes de ce genre sont décrites par les poètes (l)[69].

« Le plaisir des héros était au comble, a chanté l’auteur de Beowulf. La grand’salle retentissait de paroles bruyantes. Alors entra Wealthéow, l’épouse de Hrôdhgâr. Gracieuse pour les hommes de son mari, la noble créature, ornée d’or, salua gaiement les guerriers attablés. Puis, charmante femme, elle offrit d’abord la coupe au protecteur des odels danois et avec d’aimables paroles l’encouragea à se réjouir et à bien traiter ses fidèles.

« Le chef magnanime saisit joyeusement la coupe. Puis la fille des nobles Helmings salua, à la ronde, ceux des convives, jeunes ou vieux, à qui leur valeur avait mérité d’illustres dons ; enfin, elle s’arrêta, la belle souveraine, couverte de bracelets et de chaînes précieuses, la généreuse dame, devant le siège de Beowulf. Elle salua en lui le soutien des Goths et lui versa la bière. Pleine de sagesse, elle prit le ciel à témoin des vœux qu’elle formait pour lui, car elle n’avait foi que dans ce champion valeureux pour punir les crimes de Grendel (2)[70]. »

Après avoir accompli ses devoirs de courtoisie, la maîtresse du logis s’asseyait auprès de son époux et se mêlait aux entretiens. Mais avant que le banquet n’arrivât à sa période la plus animée, et quand les fumées de l’ivresse commençaient à gagner les héros, elle se retirait. C’est encore ainsi qu’on en use en Angleterre, le pays qui a le mieux conservé les débris des usages germaniques.

Retirées dans leur intérieur, les soins domestiques, les travaux de l’aiguille et du fuseau, la préparation des compositions pharmaceutiques, l’étude des runes, celle des compositions littéraires, l’éducation de leurs enfants, les entretiens intimes avec leurs époux, composaient aux femmes un cercle d’occupations qui ne manquait ni de variété ni d’importance. C’était dans le séjour particulièrement intime de la chambre nuptiale que ces sibylles de la famille rendaient leurs oracles écoutés du mari. Dans cette vie de confiance mutuelle, on jugeait que l’affection sérieuse et bien fondée sur le libre choix n’était pas de trop ; les filles avaient le droit de ne se marier qu’à leur convenance. C’était la règle ; et, lorsque la politique ou d’autres raisons la transgressaient, il n’était pas sans exemple que la victime apportât dans la demeure qu’on lui imposait une rancune implacable et n’y excitât de ces tempêtes qui finirent quelquefois, au dire de nombreuses légendes, par la ruine complète des plus puissantes familles, tant était grande et indomptable la fierté de l’épouse germanique.

Ce n’est pas à dire toutefois que les prérogatives féminines n’eussent leurs limites (1)[71]. S’il est plus d’un exemple de la participation des femmes aux travaux guerriers, la loi les tenait, en principe, pour incapables de défendre la terre (2)[72] ; par conséquent, elles n’héritaient pas de l’odel. Encore moins pouvaient-elles prétendre à être substituées aux droits de leurs époux défunts sur les féods (3)[73]. On les croyait propres au conseil, impropres à l’action. Si, en outre, on admettait chez elles l’esprit divinatoire, on ne pouvait leur confier les fonctions sacerdotales, puisque le glaive de la loi y était joint. Cette exclusion était si absolue, que dans plusieurs temples les rites voulaient que le pontife portât les habits de l’autre sexe ; néanmoins c’était toujours un prêtre. Les Arians Germains n’avaient pu accepter qu’avec cette modification les cultes que leur avaient fait adopter les nations celtiques parmi lesquelles ils vivaient (1)[74].

Malgré ces restrictions et d’autres encore, l’influence des femmes germaines et leur situation dans la société étaient des plus considérables. Vis-à-vis de leurs pareilles de la Grèce et de Rome sémitisées, c’étaient de véritables reines en présence de serves, sinon d’esclaves. Quand elles arrivèrent avec leurs maris dans les pays du sud, elles se trouvèrent dans la meilleure des conditions pour transformer à l’avantage de la moralité générale les rapports de famille, et par suite la plupart des autres relations sociales. Le christianisme, qui, fidèle à son désintéressement de toutes formes et de toutes combinaisons temporelles, avait accepté la sujétion absolue de l’épouse orientale, et qui pourtant avait su ennoblir cette situation en y faisant entrer l’esprit de sacrifice, le christianisme, qui avait appris à sainte Monique à se faire de l’obéissance conjugale un échelon de plus vers le ciel, était loin de répugner aux notions nouvelles, et évidemment beaucoup plus pures, que les Arians Germains introduisaient. Néanmoins il ne faut pas perdre de vue ce que nous avons observé tout à l’heure. L’Église eut d’abord assez peu à se louer de l’esprit d’opposition qui animait les Germaines. Il sembla que les derniers instincts du paganisme se fussent retranchés dans les institutions civiles qui les concernaient. Sans parler de la chevalerie, dont les idées sur cette matière appelèrent souvent la réprobation des conciles, il est curieux de voir toute la peine qu’éprouve le clergé à faire accepter comme indispensable son intervention dans la célébration des mariages (1)[75]. La résistance existait encore, chez certaines populations germanisées, dans le XVIe siècle (2)[76]. On n’y voulait considérer le lien conjugal que comme un contrat purement civil, où l’action religieuse n’avait pas à s’exercer.

En combattant cette bizarrerie, dont les causes laissent entrevoir une bien singulière profondeur, l’Église ne perdit rien de sa bienveillance pour les conceptions très nobles auxquelles elle était jointe. En les épurant, elle s’y prêta, et ne contribua pas peu à les conserver dans les générations successives où désormais les mélanges ethniques tendent à les faire disparaître, surtout chez les peuples du midi de l’Europe.

Arrêtons-nous ici. C’en est assez sur les mœurs, les opinions, les connaissances, les institutions des Arians Germains pour faire comprendre que dans un conflit avec la société romaine cette dernière devait finir par avoir le dessous. Le triomphe des peuples nouveaux était infaillible. Les conséquences en devaient être bien autrement fécondes que les victoires des légions sous Scipion, Pompée et César. Que d’idées, non pas nées d’hier, très antiques au contraire, mais depuis longtemps disparues des contrées du midi, et oubliées avec les nobles races qui jadis les avaient pratiquées, allaient reparaître dans le monde ! Que d’instincts diamétralement opposés à l’esprit hellénistique ! Vertus et vices, défauts et quahtés, tout dans les races arrivantes était combiné de façon à transformer la face de l’univers civilisé. Rien d’essentiel ne devait être détruit, tout devait être changé. Les mots même allaient perdre leur sens. La liberté, l’autorité, la loi, la patrie, la monarchie, la religion même, se dépouillant peu à peu de costumes et d’insignes usés, allaient pour plusieurs siècles en posséder d’autres, bien autrement sacrés.

Cependant les nations germaniques, procédant avec la lenteur qui est la condition première de toute œuvre solide, ne devaient pas débuter par cette restauration radicale ; elles commencèrent par vouloir maintenir et conserver, et cette tâche honorable, elles l’accomplirent sur la plus vaste échelle.

Pour assister à la manière dont elle s’exécuta, reportons-nous encore une fois à l’époque du premier César, et nous allons voir se dérouler sous nos yeux cet état de choses qu’annonçait la fin du livre précédent : nous allons contempler la Rome germanique.



  1. (1) « L’inclito mio filglio Rama dagli occhi del color del loto. » {Ramayana, t. VII, Ayodhyacanda, cap. m, p. 218.)
  2. (2) W. Muller, Altdeutsche Religion, p. 163.
  3. (3) Vœluspa, 3.
  4. (4) W. Muller, p. 164.
  5. (1) W. Muller, p. 163. — Il est inutile de donner ici les développements ultérieurs de cette formule théologique, qui flnit par contenir douze grands dieux et une foule de personnalités célestes de tout ordre et de toute provenance ; car il y eut des dieux wanes, jotuns et nanis, comme il y avait des dieux ases.
  6. (2) W. Muller, ouvr. cité, p. 164. — Vœlusp, st. 17. — Je ne développe ici que les plus grands traits de la théologie et de la cosmogonie Scandinaves, ne m’arrêtant surtout qu’aux parties les plus anciennes. La nouvelle Edda montre de nombreuses traces de mythes qui ne sont pas originairement arians ou qui ont été développés dans l’extrême Nord postérieurement à l’arrivée des Roxolans. — Le plus vénérable document Scandinave, la Vœluspa, a été composé dans la première moitié du VIIIe siècle de notre ère. M. Dietrich y aperçoit des traces de cinq différents poèmes, beaucoup plus antiques. (Dietrich, Alter der Vœluspa, dans la Zeitschr. f. deutsch. Alterth., t. VIII, p. 318.)
  7. (3) César pense que les Germains, ne reconnaissant pour dieux que les forces naturelles qui se manifestaient à leur vue, n’adoraient que le soleil, la lune et le feu, Sol, Luna, Vulcanus. (De Bello gall., VI, 21.)
  8. (1) W. Muller, ouvr. cité, p. 175.
  9. (2) Les plus nobles familles, se rappelant le Gardarike, se représentaient leurs aïeux comme ayant vécu dans Asgard, que la tradition avait divinisée. (Munch, ouvr. cité, p. 53.)
  10. (3) W. Muller, ouvr. cité, p. 64 et sqq. — Tac, Germ., 9, 43.
  11. (4) Tac, Ann., XIII, 55 ; Germ., 45. — Ils n’avaient pas et n’admettaient pas de temples, tandis que les populations celtiques de la Gaule et de l’Allemagne en avaient.
  12. (5) W. Muller, ouvr. cité, p. 67, 70 et pass.
  13. (1) Tous les cultes indiqués par les écrivains romains portent la trace et révèlent la puissance de l’influence celtique. Nerthus, mater deum, se retrouve dans le gallois nerth, force, secours, et dans le gaélique neart, qui a le même sens. — L’usage de consacrer des îles principalement comme sanctuaires est tout à fait celtique. (W. Muller, ouvr. cité, p. 37.) Cet auteur signale chez les Danois des usages religieux d’origine slave (p. 37). — L’Isis dont parle Tacite, et qu’il s’étonne de trouver chez les Suèves, c’était Hésu ou Hu, divinité celtique par excellence. (Tac, Germ., 9.)
  14. (2) Adam de Brème parle d’une statue de Wodan, qui se trouvait de son temps dans le temple d’Upsala. (W. Muller, p. 195.)
  15. (3) Il arriva même que tel dieu considéré en Scandinavie comme des plus puissants, Wodan, par exemple, fui à peu près inconnu chez les tribus demi-germanisées du sud de l’Allemagne. Les Bavarois ne le connaissaient pas, ou, pour mieux dire, ce qu’ils avaient de germanique dans leur sang ne l’avait pas conservé. (W. Muller, p. 76.)
  16. (4) W. Muller, ouvr. cité, p. 52, 81, 83.
  17. (5) Sous l’influence celtique, slave et finnique, les fonctions et, comme on dirait aujourd’hui, les spécialités religieuses ou seulement superstitieuses se développèrent, avec le temps, d’une façon très surabondante. En même temps qu’il y eut chez les Goths, chez les Thuringiens, chez les Burgondes, chez les Anglo-Saxons, des grands prêtres, qui finiront même par exercer une certaine action politique, principalement chez les Burgondes, il y eut aussi des devins, des sorciers, des enchanteurs, des schamans de toute espèce. Les uns expliquaient les songes, les autres pénétraient l’avenir au moyen de cordes nouées. On appelait ces derniers caragni, du gallois carai, une cordelette. (W. Muller, ouvr. cité, p. 83.) Mais tout cela ne concerne pas les nations germaniques.
  18. (1) W. Muller, ouvr. cité, p. 52.
  19. (2) Les sacrifices humains sont attestés, par des témoignages positifs chez les Goths, chez les Hérules, chez les Saxons, chez les Frisons, chez les Thuringiens, chez les Franks, à l’époque où ces derniers étaient déjà chrétiens. (W. Muller, ouvr. cité, p. 75-79.) — Le sacrifice des chevaux était aussi, dans la plus ancienne époque germanique, comme l’asvamédha, chez les Arians Hindous, une des cérémonies du culte les plus solennelles et les plus méritoires.
  20. (1) Cette notion se conserva très longtemps chez les Arians de l’Inde. A l’époque héroïque, elle régnait encore, ainsi que le passage suivant en fait foi. « Chi ha sortito il nascere da una schialta pari alla tua, non puô ire in infimo luogo ; per laqual cosa tu, privato della terrestre sede, vanne ai mondi dove Stella il neltare. » {Ramayana, t. VI, Ayodhyacanda, cap. LXVI, p. 394.)
  21. (2) W. Muller, ouvr. cité, p. 410.
  22. (3) Vœluspa, st. 2.
  23. (1) Vœluspa, pass. — On retrouve dans les noms des nains donnés par la Vœluspa, des appellations bien significatives, telles que Nar, Nain, st. 11 ; Nori, Ann et Anar, puis encore une fois Nar, puis Nyzardz, st. 12 ; Nali, et Hanar, st. 13 ; Alfr, st. 14, Funiar et Guinar, st. 16. — Il est à remarquer que les nains, non plus que les géants, n’ont pas été créés par les dieux comme l’homme, mais sont le produit direct des forces de la nature.
  24. (2) C’est même à cette partie de la cosmogonie des Arians primitifs qu’il convient de rattacher celle des Scandinaves, descendants légitimes et directs des cavaliers du Touran. Quand on veut suivre la filiation des idées arianes, il importe de ne jamais perdre de vue que les Hindous, qui en ont, à la vérité, conservé jusqu’à nos jours le plus riche trésor, ne sont cependant pas l’intermédiaire auquel nous les devons. En marche vers la vallée du Gange, ils n’ont rien pu faire pour éclairer l’Occident ; c’est surtout aux groupes arians de la Sogdiane et des pays situés au-dessus que nous sommes redevables de ce que nous possédons, dans nos antiquités germaniques, de l’ancien fonds des connaissances primordiales. Malheureusement la philologie justement séduite, d’ailleurs, par l’importance des Védas, est tout occupée, en France surtout, à méconnaître cette vérité, et n’hésite même pas à faire émigrer les Germains des bords de la Yamouna, ce qui, en soi, constitue une absurdité au premier chef.
  25. (1) W. Muller, ouvr cité, p. 163.
  26. (2) Lorsque les doctrines Scandinaves auront été comparées plus rigoureusement qu’on ne l’a fait encore aux idées iraniennes, on reconnaîtra sans doute que de grands rapports unissent les habitants célestes du Liôsâlfraheimz et du Adlanger aux Ireds et aux Amschespends du Zend-Avesta.
  27. (3) Ce mot est un des plus anciens qui se puissent trouver, et la notion qu’il représente est vieille comme lui. C’est l’ædes latin. — Voir, pour les différentes formes et significations dans les langues gothiques, Dieffenbach, Vergleichendes Wœrterbuch der gothischen Sprache, 1. 1, p. 56.
  28. (1) Chez les Anglo-Saxons il arriva même que la perte de l’odel entraînait celle des droits politiques, et par conséquent de la qualité d’homme libre. (Kemble, t. I, p. 70-71 et seqq.) On peut voir, du reste, avec toute raison, dans cette union étroite de la qualité légale d’Arian avec celle de propriétaire, à quel point les instincts de la race étaient éloignés des dispositions à la vie nomade.
  29. (1) Palsgrave a eu pleine raison de dire que la royauté n’existait pas, dans les formes et avec la puissance qu’on lui a connues après le Ve siècle, aux époques véritablement germaniques. (The Rise and Progress of the English Commonwealth, in-4o, Lond., 1832, t. I, p. 553.) Il est moins bien inspiré quand il ne voit dans le mot king qu’un emprunt fait aux langues celtiques. C’est, de toute antiquité, un titre porté par les chefs militaires des nations arianes. Nous l’avons vu chez les Ou-douns. (Voir tome Ier). C’est le kava de la première période iranienne. (Westergaard et Lassen, Die Achem. Keilinschriften, p. 122), le ku des inscriptions médiques (ibid., p. 57). Il est assez remarquable qu’on ne le donnât pas aux magistrats réguliers et ordinaires des tribus. — Quant au titre de graff, ou gerefa, chez les Anglo-saxons gravio, il n’est pas bien certain qu’on puisse le rapporter à une racine germanique. Peut-être faut-il en chercher l’origine chez les Celtes ou chez les Slaves.
  30. (1) Le droit de l’homme libre de choisir son chef se conserva très longtemps dans les lois anglo-saxonnes. C’est ce que les commentateurs du Domesday-Book appellent Commendatio. (Palsgrave, Rise and Progress of the Englisch Commonwealth, 1. 1, p. 15.)
  31. (2) Il y a similitude parfaite entre les vertus que l’on exigeait d’un chef de guerre et l’idéal du chef de famille arian-hindou, comme le décrit le Ramayana : « Capi di famiglia que vissero casti colle lor consorti, coloro che donarono con larghezze vacche, oro, alimienti, e terre, quelli che diedero altrui sicuranza e coloro che furon veridici. » (Gorresio, ouvr. cité, t. VI, p. 394.)
  32. (1) La Norwège n’a jamais porte le titre de rik, ni l’Islande non plus, tandis qu’il y avait eu le Gardarike et que toutes les conquêtes germaniques dans le reste de l’Europe portèrent cette dénomination. (Munch, ouvr. cité, p. 112 et note 2.)
  33. (2) Savigny, D. Rœm. Recht im Mittelalter, 1. 1, p. 220.
  34. (3) Il ne faut cependant pas perdre de vue que ce roi n’avait nullement la physionomie du roi celtique ou italiote, bien qu’il ressemblât un peu mieux au basileus macédonien des époques antérieures à Alexandre. Un roi, dans le poème de Boewulf, s’appelle : folces hyrde, pasteur du peuple, comme dans l’Iliade. (Kemble, The anglo-saxon Poem of Beowulf, v. 1213, p. 44.) — Le theodr gothique et l’anglo-saxon theoden signifient de même celui qui mène le peuple. Ce sont autant de titres militaires, plutôt qu’administratifs.
  35. (1) En thèse générale, les prétentions des Germains, arrivés dans les contrées de domination romaine, se bornèrent à prendre un tiers des terres. (Savigny, D. Rœm. Recht im Mittelalter, t. I, p. 289.) — Les Burgondes furent des plus durs. Ils voulurent avoir la moitié de la maison et du jardin, les deux tiers de la terre cultivable, un tiers des esclaves ; les forêts restèrent en commun. Le Romain fut qualifié hospes du Burgonde. Tout guerrier doté ailleurs par le roi dut abandonner à son hôte la terre à laquelle il avait droit, et, s’il voulait vendre ce qui lui appartenait du fonds, l’hôte était le premier acquéreur légal. (Ibid., p. 254 et seqq.)
  36. (1) L’homme qui prend à son service plusieurs chasseurs, laboureurs ou commis, et les mène dans les déserts, est appelé par eux du titre militaire de captain, bien que ce soit, au fond, un marchand ou un défricheur de forêts.
  37. (1) Voir tome Ier. — Je renvoie à ce passage, où j’ai indiqué la double loi d’attraction et de répulsion qui préside aux mélanges ethniques, et qui est, dans sa première partie, tout à la fois l’indice de l’aptitude à la civilisation chez une race et l’agent de sa décadence.
  38. (2) Rigsmal, st. 23-31.
  39. (1) Rigsmal, st. 14-18.
  40. (2) Ibid., st. 2-7.
  41. (1) Chez les Anglo-Saxons, on disait sokeman. (Palsgrave, ouvr. cité, t. l, p. 15.)
  42. (1) Même pour le meurtre du roi, chez les Anglo-Saxons, la composition en argent était admise. On s’était contenté de la porter au plus haut degré. (Kemble, t. I, p. 123.) — Cependant les souverains de cette branche germanique s’étaient arrangés de façon à réunir sur leur tête au titre de theedr, ou chef militaire, celui de dryht, ou magistrat civil, ce que ne firent pas les chefs des Goths ni des Franks. (Ibid., t. II, p. 23.)
  43. (1) H. Léo, Vorlesungen ûber die Geschichte des deutschen Volkesund und Reiches ; in-8o, Hall, 1854, t. I, p. 194.
  44. (1) Entre autres assertions contestables, on remarque celle-ci : « Litterarum secreta viri pariter ac fœminœ ignorant. » (Germ., 18.) — On ne peut expliquer ce passage qu’en l’appliquant seulement à quelques tribus très mélangées et exceptionnellement pauvres. — Tous les mots qui se rapportent à l’écriture sont gothiques, et, si l’allemand moderne a emprunté au latin l’expression schreiben, écrire, c’est que les Allemands ne sont pas d’essence germanique. — On trouve dans Ulfila spilda, planchette pour tracer les caractères runiques ; vrits, une fente, une lettre formée par incision ; méljan, gamêljan, écrire, peindre ; bôka, un livre formé d’écorce de hêtre, etc. (W. C. Grimm, Uber deutsche Runen, p. 47.)
  45. (2) Ils avaient eu leur période de bronze avant d’arriver dans le Nord, et probablement avant de conquérir le Gardarike. (Munch, ouvr. cité, p. 7.) — Toutes les antiquités de cet âge trouvées en Danemark sont celtiques, (Ibidem. — Wormsaae, Lettre à M. Mérimée, Moniteur universel du 14 avril 1853.) — D’ailleurs, si les Germains avaient assez de goût pour apprécier les produits des arts, il est certain qu’ils n’avaient pas eux-mêmes, eux si richement doués sous le rapport de la poésie, l’inspiration des œuvres plastiques. M. Wormsaae a dit avec raison : « On remarquera que l’influence des arts de Rome est évidente pour l’observateur attentif qui examine nos antiquités de l’âge de fer. Dès avant les grandes expéditions normanniques, les Scandinaves imitaient des modèles romains, tout en donnant par la fabrication un cachet particulier à leurs armes et à leurs bijoux. » — Il est inutile de répéter ici que les races les mieux douées ne deviennent artistes que par un contact quelconque avec l’essence mélanienne ; les Scandinaves ne l’avaient pas eu.
  46. (1) On peut trouver sans peine la mention d’un certain nombre de palais ou châteaux germaniques dans les auteurs latins. — Le Scopes-Vidsidh nomme encore Heorot, dans le pays des Hadubards (Ettmuller, Beowulflied, Eprileit, p. xxxix) ; puis Hreosnabeorh, dans le pays des Géates ; Finnesburh, chez les Frisons ; Headhoraemes et Hrones-næs, en Suède. — Le poème de Beowulf cite également toutes ces résidences.
  47. (1) Tacite (Germ., 45) parle de ce sanglier ; l’Edda de même, dans le Hyndluliodh, st. 5. — On appelait cette figure emblémalique hildisvin ou hildigœltr, le porc des combats. (Ettmuller, ouvr. cité, introd., p. 49.) — Charlemagne avait fait mettre un aigle sur le faîte de son palais impérial d’Aix-la-Chapelle.
  48. (2) Weinhold, Die deutsche Frauen im Mittelalt., p. 348-349.
  49. (3) On a, dans les descriptions qui nous restent d’Ecbatane et de son palais, l’exacte reproduction d’une demeure ariane de l’extrême nord de l’Europe au VIe siècle. Rien ne manque au portrait : l’édifice médique était de bois, formé de grandes salles reposant sur des piliers peints de couleurs variées ; il n’y manque pas même les frises de métal au sommet des murs, ni les plaques argentées et dorées pour former la toiture. Ce genre de construction, opposé à celui de Persépolis et des villes de l’époque sassanide, qui sont, l’un et l’autre, des imitations assyriennes, est essentiellement arian. (Polybe, X, 24, S7.) — Cet auteur était tellement ébloui de la splendeur, de la richesse et de l’étendue (sept stades de tour) du palais d’Ecbatane, qu’il proteste d’avance contre ce que son récit peut avoir de semblable au fabuleux.
  50. (1) Le palais d’Ecbatane était entièrement construit en bois de cyprès et de cèdre, et toutes les chambres étaient peintes, dorées et argentées. (Polybe, loc. cit.) — Ritter fait la remarque très juste que les palais persans de l’époque moderne se rapprochent beaucoup de ce style. (West-Asien, t. VI, 2e Abth., p. 108.) J’ajouterai les palais chinois.
  51. (2) Cette réunion de bâtiments agglomérés, que nous ne savons, dans notre langage romano-celtique, autrement nommer que du mot ferme, et qui éveille ainsi pour nous une idée fausse, est ce que les Allemands nomment très justement hof. Cette expression s’applique à toute résidence patrimoniale héréditaire, à celle des rois comme à celle des nobles et même des paysans. C’est exactement le mot persan ivan, qui se rapporte à la même racine et présente absolument le même sens partout où Firdousi l’emploie, comme, par exemple, dans ce vers :
    « Vous êtes en sûreté dans mon ivan. »
    Du reste, le poème de Firdousi, à part le placage musulman, et dans ses éléments primitifs, peut être considéré, pour les mœurs, les caractères, les actions qu’il célèbre, comme étant par excellence un poème germanique.
  52. (1) Ce goût des énigmes est un des traits principaux de la race ariane, et, comme il a été remarqué déjà ailleurs, il s’unit au personnage mystérieux du sphynx ou griffon, dont la patiie primitive est incontestablement l’Asie centrale ; c’est de là qu’il est descendu sur le Cythéron avec les Hellènes, après avoir habité le Bolor avec les Iraniens, qui l’appelèrent Simourgh. Les énigmes font partie du génie national des Scythes et des Massagètes dans Hérodote, et c’est de là qu’elles ont continué à vivre dans les préoccupations du génie germanique.
  53. (2) Tac, Germ., 2. — W. Muller, ouvr. cité, p. 207.
  54. (1) Wackernagel, Geschichte, d. d. Litleratur, p. 8 et seqq. — L’allitération cesse d’être en usage en Allemagne au IXe siècle. On la trouve dans les généalogies gothiques, vandales, burgondes, longobardes, Trankes, anglo-saxonnes, dans les anciennes formules juridiques, dans quelques recettes d’incantation. C’est un mode d’harmonie poétique on ne peut plus ancien chez la race blanche ; les noms des trois éponymes Ingœvo, Irmino et Istaewo, cités par Tacite, sont allitérés. Il ne serait pas impossible d’en trouver des vestiges dans les généalogies bibliques.
  55. (2) Les Goths avaient des poèmes qui chantaient leur premier départ de l’île de Scanzia et les hauts faits des ancêtres de leurs chefs, les annales Ethrpamara, Hanala, Fridigern, Vidicula ou Vidicoja. (W. Muller, ouvr. cité, p. 297.)
  56. (3) M. Amédée Thierry a éloquemment et exactement décrit cette ubiquité des poèmes germaniques et, par suite, des grandes actions qui y étaient consacrées. (Revue des Deux-Mondes, 1er déc. 1852, p. 844-845, 883. — Munch, ouvr. cité, p. 43-44.)
  57. (1) La tactique germanique avait pour principe le coin ; on en attribuait l’invention à Odin. (W. Muller, Altdeutsche Religion, p. 197.)
  58. (2) Rigsmal, st. 39-42 : « Alors les fils du jarl grandirent ; ils domptèrent des étalons, peignirent des boucliers, aiguisèrent des flèches, taillèrent des bois de lance. Komer, le cadet, sut lire les runes, comprit les alphabets et les caractères divinatoires. Il apprit par là à dompter les hommes, à émousser les glaives, à contenir les mers. Il connut le langage des oiseaux, sut apaiser l’incendie, calmer les flots, guérir les chagrins. Quelquefois aussi il put se donner la force de huit hommes. Il lutta avec Rigr (le dieu) dans la science des runes et en toutes sortes de talents d’esprit ; il remporta la victoire. Alors il lui lut donné, il lui fut accordé de s’appeler Rigr lui-même, et d’être savant en toutes les choses de l’intelligence. » — Cette peinture hyperbolique de tout ce que devait savoir un jarl, ou noble, pour être digne de son titre, n’est assurément pas d’une race barbare.
  59. (1) Dans sa forme actuelle, le poème de Beowulf est du VIIIe siècle environ. (Ettmuller, Beowulfslied, Einl. LXIII.)Les événements qu’il rapporte ne sont pas postérieurs à l’an 600; et même la mort d’Hygelak, dont il fait mention, est placée par Grégoire de Tours entre 515 et 520. Ce poème semble avoir été formé de plusieurs chants différents ; on y remarque des espèces de sutures.
  60. Am. Thierry, Revue des Deux-Mondes, 1er décembre 1854, p. 845.
  61. Weinhold, ouvr. cité, p. 86. — W. C. Grimm, Deutsche Runen, p. 51.
  62. (1) Weinhold, ouvr. cité, p. 91. — Les canons de Chalcédoine avaient défendu aux femmes de s’approcher de l’autel et d’y remplir aucune fonction. Le pape Gélase renouvela cette interdiction dans ses décrétales, à cause des manquements fréquents qu’y faisaient les populations germanisées.
  63. (2) Une marque singulière de la puissance que les races germaniques prêtaient aux femmes s’est empreinte dans cette tradition très tardive que Charlemagne, abattu par la défaite de Roncevaux, leva, d’après le conseil d’un ange, une armée de cinquante-trois mille vierges, auxquelles les païens n’osèrent résister. (Weinhold, ouvr. cité, p. 44.)
  64. (3) Gothique : ginan, genûm, gen ; c’est le latin gignere, et le grec gennan, gunè. C’est un radical fort ancien.
  65. (1) Sanscrit : pri ; zend ; fri ; gothique : frijô, j’aime. (Bopp, Vergleichende Grammatik, p. 123.)
  66. (2) Weinhold, ouvr. cité, p. 20. — L’expression muine, ancien féminin de mann, n’est pas germanique. Elle paraît être d’origine celtique. Elle ne s’est conservée que comme indiquant un démon femelle, dans les composés murmuine, sirène, et wuldmuine, dryade. (W. Muller, Altdeutsche Religion, p. 366.)
  67. (3) Weinhold, ouvr. cité, p. 49.
  68. (4) Ibid., p. 291. — Les crimes contre les femmes ne trouvaient même pas toujours d’excuse dans l’emportement de la conquête, et, au sac de Rome par Alaric, un Goth de grande naissance, ayant violé la fille d’un Romain, fut condamné à mort, malgré la résistance du roi, et exécuté. (Kemble, t. I, p. 190.)
  69. (1) Ettmuller, Beowulfslied, Einl., p. XLVII.
  70. (2) Kemble, The anglo-saxon Poem of Beowulf, v. 1215 et seqq., n. 43-45.
  71. (1) La considération vouée aux femmes était plus religieuse que civile, plus passive qu’active. On les jugeait faibles de corps et grandes par l’esprit. On les consultait, mais on ne leur confiait pas l’action. (Weinhold, p. 149.)
  72. (2) Weinhold cite, d’après Luitprand et Jornandés, une foule de cas où les femmes germaniques prenaient les armes. (Ouvr. cité, p. 42.)
  73. (3) La notion germanique sur l’exercice des droits politiques était que celui-là seul y était admis qui pouvait remplir tous les devoirs de la communauté. La loi excluait donc les enfants, les esclaves, les vaincus et les femmes, tous par des causes inhérentes à leur situation. (Weinhold, ouvr. cité, p. 120.)
  74. (1) W. Muller, Altdeutsche Religion, p. 53. — Nerthus même avait un prêtre, et non une prêtresse.
  75. (1) Les doubles mariages des Mérowings, qui produisaient régulièrement tous leurs effets civils, avaient lieu assurément sans la participation de l’Église. — Jusqu’au XVe siècle, il fut très difficile de faire accepter aux populations allemandes l’intervention d’un prêtre dans les cérémonies du mariage. Souvent même, lorsque sa présence fut requise, elle n’eut lieu qu’au milieu de la fête et sans qu’il fut question de se rendre à l’église. — On admit aussi la bénédiction ecclésiastique après la consommation du mariage. (Weinhold, ouvr. cité, p. 260.)
  76. (2) On cite encore, en l551, un cas de mariage dans la haute bourgeoisie protestante où n’intervint aucune action religieuse. (Weinhold. ouvr. cité, p. 263.) — La bigamie de Philippe de Hesse pouvait se défendre à ce point de vue.