Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre cinquième/Chapitre V


CHAPITRE V.

Les Étrusques Tyrrhéniens — Rome étrusque.

Il semble peu naturel, au premier abord, de voir les souvenirs positifs en Étrurie ne remonter qu’au commencement du Xe siècle avant notre ère. C’est une antiquité en somme bien médiocre.

Cette particularité s’explique de deux manières qui ne s’excluent pas. Pour premier point, l’arrivée des nations blanches dans la partie occidentale du monde est postérieure à leur apparition dans le sud. Ensuite le mélange des blancs avec les noirs a donné, tout d’abord, naissance à la civilisation qu’on pourrait appeler apparente et visible, tandis que l’union des blancs avec les Finnois n’a créé qu’un mode de culture latente, cachée, utilitaire. Longtemps, confondant les apparences avec la réalité, on n’a voulu reconnaître le perfectionnement social que là où des formes extérieures très saillantes accusaient moins sa présence qu’une nature, qu’une façon d’être plus ornée dans sa manière de se produire. Mais, comme il n’est pas possible de nier que les Ibères et les Celtes aient eu le droit de se dire régulièrement constitués en sociétés civiles, il faut leur reconnaître, et, avec eux, à toute l’Europe primitive de l’ouest et du nord, un rang légitime dans la hiérarchie des peuples cultivés.

Je suis loin toutefois de traiter avec indifférence ce que j’appelle ici question de forme, et, de même que je ne prendrai jamais pour type de l’homme social l’industriel consommé, ou le marchand le plus habile dans sa partie, et que je mettrai toujours au-dessus d’eux, mais certes à une hauteur incomparable, soit le prêtre, soit le guerrier, l’artiste, l’administrateur, ou ce qu’on appelle aujourd’hui l’homme du monde, et qu’on nommait au temps de Louis XIV l’honnête homme  ; comme, de même, je préférerai toujours, dans l’ordre des hommes d’élite, saint Bernard à Papin ou à Watt, Bossuet à Jacques Cœur, Louvois, Turenne, l’Arioste ou Corneille à toutes les illustrations financières, je n’appelle pas civilisation active, civilisation de premier ordre, celle qui se contente de végéter obscurément, ne donnant à ses sectateurs que des satisfactions en définitive fort incomplètes et par trop humbles, confinant leurs désirs sous une sphère bornée, et tournant dans cette spirale de perfectionnements limités dont la Chine a atteint le sommet. Or, tant qu’un groupe de peuples est réduit, pour tout mélange, à l’élément jaune combiné avec le blanc, il n’acquiert dans les qualités, les capacités, les aptitudes, soit mixtes, soit nouvelles, que cet hymen procrée, rien qui l’attire dans le courant nécessaire de l’élément féminin, et lui fasse rechercher la divination de ce qu’il y a de transcendantalement utile à cultiver les jouissances que l’imagination pure répand sur une société.

Si donc les peuples occidentaux avaient dû rester bornés à la combinaison de leurs premiers principes ethniques, il est plus que probable qu’à force d’efforts ils auraient fini par arriver à un état comparable à celui du Céleste Empire, sans cependant trouver le même calme. Il y avait déjà trop d’affluents divers dans leur essence, et surtout trop d’apports blancs. Pour cette raison, le despotisme raisonné du Fils du Ciel ne se serait jamais établi. Les passions militaires auraient, à chaque instant, bouleversé cette société vouée ainsi à une culture médiocre et à de longs et inutiles conflits.

Mais les invasions du Sud vinrent apporter aux nations européennes ce qui leur manquait. Sans détruire encore leur originalité, cette heureuse immixtion alluma l’âme qui les fit marcher, et le flambeau qui, en les éclairant, les conduisit à associer leur existence au reste du monde.

Deux cent cinquante ans avant la fondation de Rome (1)[1], des bandes pélasgiques sémitisées pénétrèrent en Italie par la voie de mer, et ayant fondé, au milieu des Étrusques conquis et domptés, la ville de Tarquinii, en firent le centre de leur puissance. De là ils s’étendirent, de proche en proche, sur une très grande partie de la Péninsule.

Ces civilisateurs, appelés plus particulièrement Tyrrhéniens ou Tyrséniens, venaient de la côte ionienne, où ils avaient appris beaucoup de choses des Lydiens, auxquels ils s’étaient alliés (2)[2]. Ils apparurent aux yeux des Rasènes couverts d’armures d’airain, animant les combats du son des trompettes, ayant les flûtes pour égayer leurs banquets, et important une forme et des éléments de société inconnus partout ailleurs qu’en Asie et en Grèce, où les Sémites en avaient introduit de semblables.

Au lieu d’imiter les constructions puissantes, mais grossières, des populations italiotes, les nouveaux venus, plus habiles parce qu’ils étaient métis de nations plus cultivées, apprirent à leurs sujets à bâtir sur les hauteurs, sur les crêtes de montagnes, des villes fortifiées avec un art tout nouveau, des refuges inexpugnables, aires redoutées, d’où la domination planait sur les contrées environnantes (3)[3]. Les premiers dans l’Occident, ils taillèrent, au moyen de la règle de plomb, des blocs de pierre qui, s’encastrant les uns dans les autres par les angles rentrants et saillants adroitement ménagés (1)[4], formèrent des murailles épaisses et d’une solidité dont on peut juger encore, puisque, en plus d’un lieu, elles ont survécu à tout (2)[5].

Après avoir ainsi créé des fortifications gigantesques, redoutables à leurs sujets autant qu’aux peuples rivaux (3)[6], les Tyrrhéniens ornèrent leurs villes de temples, de palais, et leurs palais et leurs temples de statues et de vases de terre cuite, dans ce qu’on appelle l’ancien style grec, et qui n’était autre que celui de la côte d’Asie (4)[7]. C’est ainsi qu’un groupe pélasgique se trouvait en état, par ses alliances avec le sang sémitique, d’apporter aux Rasènes ce qui leur manquait, non pour devenir une nation, mais pour le paraître et le révéler à tout ce qui dans le monde tenait le même rang.

Il est probable que le nombre des Tyrrhéniens était petit en comparaison de celui des Rasènes. Ces vainqueurs parvinrent donc à donner à la société, pour le plus grand honneur de celle-ci, ses formes extérieures  ; cependant ils ne réussirent pas à l’entraîner jusqu’à une assimilation complète avec l’hellénisme. Ils ne le possédaient d’ailleurs eux-mêmes que sous une dose assez faible, n’étant pas Hellènes, mais seulement Kymris, Slaves ou Illyriens Grecs. Puis ils s’accommodèrent sans peine de partager nombre d’idées essentielles que la part sémitique de leur sang n’avait pas détruites dans leur propre sein. De là, cette continuité de l’esprit utilitaire chez la race étrusque  ; de là, cette prédominance du culte et des croyances antiques sur la mythologie importée ; de là, en un mot, la persistance des aptitudes slaves. Le gros de la nation resta, sauf peu de différences, tel qu’il était avant la conquête. Comme cependant les vainqueurs se trouvèrent, malgré leurs concessions et leurs mélanges ultérieurs avec la population, marqués d’un cachet spécial dû à leur origine à demi asiatique, la fusion ne fut jamais complète, et des tiraillements nombreux préparèrent les révolutions et les déchirements.

Les Tyrrhéniens, que j’appellerai aussi, d’après leurs titres, les lars (1)[8], les lucumons, les nobles, car, ayant perdu l’usage de leur langue primitive, remplacée par l’idiome de leurs sujets, et s’étant assez mariés à ces derniers, ils ne constituèrent bientôt plus une nation à part, les nobles, dis-je, avaient conservé le goût des idées grecques, et, comme un moyen d’y satisfaire, Tarquinii était restée leur ville de prédilection (2)[9]. Cette cité servait de lien à des communications constantes avec les nations helléniques (3)[10]. On doit donc la considérer comme le siège de la culture naturelle en Étrurie, et le point d’appui de l’aristocratie et de sa puissance (1)[11].

Tant que les Rasènes avaient été abandonnés à leurs seuls instincts, ils n’avaient pas dû être, pour les autres nations italiotes, des rivaux particulièrement à craindre. Occupés surtout de leurs travaux agricoles et industriels, ils aimaient la paix et cherchaient à la maintenir avec leur voisinage. Mais, lorsqu’une noblesse d’essence belliqueuse, se trouvant à leur tête, leur eut distribué des armes et construit de nobles forteresses, les Rasènes furent contraints de chercher aussi la gloire et les aventures : ils se jetèrent dans la vie de conquêtes.

L’Italie n’était pas encore devenue, tant s’en faut, une région tranquille. Au milieu des agitations incessantes des Italiotes aborigènes, des Illyriens, des Ligures, des Sicules, au milieu des déplacements de tribus, causés par les envahissements des colonies de la Grande-Grèce, les Étrusques s’emparèrent d’un rôle capital. Ils profitèrent de tous les déchirements pour s’étendre à leur convenance. Ils s’agrandirent aux dépens des Umbres dans toute la vallée du Pô (2)[12]. Conservant ce qu’avait déjà produit l’industrie de ce peuple dans les trois cents villes que l’histoire lui attribue (3)[13], ils augmentèrent leur propre richesse et leur importance. Puis (4)[14], du nord tournant leurs armes vers le sud et refoulant sur les montagnes les nations ou plutôt les fragments de nations réfractaires, ils s’étendirent jusque dans la Campanie (1)[15], en prenant pour limite occidentale le cours inférieur du Tibre. Ainsi ils touchaient aux deux mers (2)[16]. L’État rasène devint, de la sorte, le plus puissant de la Péninsule, et même un des plus respectables de l’univers civilisé d’alors. Il ne se borna pas aux acquisitions continentales : il s’empara de plusieurs îles, porta des colonies sur la côte d’Espagne (3)[17]. Puissance maritime, il imita l’exemple des Phéniciens et des Grecs en couvrant les mers de navires tout à la fois commerçants et pirates (4)[18].

Avec des progrès si vastes, les Étrusques, déjà métis et fortement métis, soit qu’on les envisage dans leurs classes inférieures, soit qu’on décompose le sang de leur noblesse, ne s’étaient pas soustraits à de plus nombreux mélanges. Soumis au sort de toutes les nations dominatrices, ils avaient, à chacune de leurs conquêtes, annexé à leur individualité la masse des populations domptées, et des Umbres, des Sabins, des Ibères, des Sicules, probablement aussi beaucoup de Grecs, étaient venus se confondre dans la variété nationale, en en modifiant incessamment et les penchants et la nature.

À l’inverse de ce qui a lieu d’ordinaire, les altérations subies par l’espèce étrusque étaient, en général, de nature à l’améliorer. D’une part, le sang kymrique italiote, en se mêlant aux éléments rasènes, relevait leur énergie  ; de l’autre, l’essence ariane sémitisée, apportée par les Grecs, donnait à l’ensemble un mouvement, une ardeur, trop faible pour le jeter dans les frénésies helléniques ou asiatiques, mais suffisantes pour corriger quelque peu ce que les alliages occidentaux avaient de trop absolument utilitaire. Malheureusement ces transformations s’opéraient surtout dans les classes moyennes et basses, dont la valeur se trouvait ainsi rapprochée de celle des familles nobles, et ce n’était pas là de quoi maintenir l’équilibre politique intact et la puissance aristocratique incontestée.

Puis, cette grande bigarrure d’éléments ethniques créait trop de mélanges fragmentaires et de petits groupes séparés. Des antagonismes s’établirent dans le sein de la population, presque comme en Grèce, et jamais l’empire étrusque ne put parvenir à l’unité. Puissant pour la conquête, doué d’institutions militaires si parfaites que les Romains n’ont eu, plus tard, rien de mieux à faire que de les copier, tant pour l’organisation des légions que pour leur armement, les Étrusques n’ont jamais su concentrer leur gouvernement (1)[19]. Ils en sont toujours restés, dans les moments de crise, à la ressource celtique de l’embratur, l’imperator, qui guidait leurs troupes confédérées avec un pouvoir absolu, mais temporaire. Hors de là, ils n’ont réalisé que des confédérations de villes principales, entraînant les cités inférieures dans l’orbite de leurs volontés. Chaque centre politique était le siège de quelques grandes races, maîtresses des pontificats, interprètes des lois, directrices des conseils souverains, commandant à la guerre, disposant du trésor public. Quand une de ces familles acquérait une prépondérance décidée sur ses rivales, il y avait, en quelque sorte, royauté, mais toujours entachée de ce vice originel, de cette fragilité implacable, qui constituait en Grèce le premier châtiment de la tyrannie. Pendant longtemps, il est vrai, la prédominance que toutes les cités étrusques s’accordaient à laisser à Tarquinii sembla corriger ce que cette constitution fédérative avait de bien débile. Mais une déférence si salutaire n’est jamais éternelle – en butte à mille accidents, elle périt au premier choc. Les peuples gardent plus longtemps le respect pour une dynastie, pour un homme, pour un nom que pour une enceinte de murailles. On le voit donc, les Tyrrhéniens avaient implanté en Italie quelque chose des vices inhérents aux gouvernements républicains du monde sémitique. Néanmoins, comme ils n’eurent pas l’influence de modeler complètement l’esprit de leurs populations sur ce type dangereux, ils ne purent détruire une aptitude finnoise que j’ai déjà eu l’occasion de relever : les Étrusques professaient pour la personne des chefs et des magistrats un respect tout à fait illimité (1)[20].

Ni chez les Arians, ni chez les Sémites, il ne se rencontra jamais rien de semblable. Dans l’Asie antérieure, on vénère à l’excès, on idolâtre, pour ainsi dire, la puissance ; on se tient prêt à en supporter tous les caprices comme des calamités légitimes. Que le maître s’appelle roi ou patrie, on adore en lui jusqu’à sa démence. C’est qu’on redoute la possibilité de la contrainte, et qu’on se prosterne devant le principe abstrait de la souveraineté absolue. Quant à la personne revêtue du pouvoir et des prérogatives du principe, on n’en fait nul cas. C’est une notion commune aux nations serviles et aux démagogies que de considérer le magistrat comme un simple dépositaire de l’autorité qui, du jour où, par cessation régulière ou bien par dépossession violente, il est jeté hors de sa charge, n’est pas plus respectable que le dernier des hommes, et n’a pas plus de droits à la déférence. De ce sentiment naissent le proverbe oriental qui accorde tout au sultan vivant, rien au sultan mort, et encore cet axiome, cher aux révolutionnaires modernes, en vertu duquel on prétend honorer le magistrat en couvrant l’homme de bruyantes injures et d’outrages déclarés.

La notion étrusque, toute différente, aurait sévèrement réprimé chez Aristophane les attaques contre Cléon, chef de l’État, ou contre Lamachus, général de l’armée. Elle jugeait la personne même du représentant de la loi comme tellement sacrée, que le caractère auguste des fonctions publiques ne s’en séparait pas, ne pouvait en être distrait. J’insiste sur ce point, car cette vénération fut la source de la vertu que plus tard, on admira, à juste titre, chez les Romains.

Dans ce système, on admet que le pouvoir est, de soi, si salutaire et si vénérable, qu’il impose un caractère en quelque sorte indélébile à celui qui l’exerce ou l’a exercé. On ne croit pas que l’agent de la puissance souveraine redevienne jamais l’égal du vulgaire. Parce qu’il a participé au gouvernement des peuples, il reste à jamais au-dessus d’eux. Reconnaître un tel principe, c’est placer l’État dans une sphère d’éternelle admiration, donner une récompense incomparable aux services qu’on lui rend, et en proposer l’exemple aux émulations les plus nobles. Ainsi on n’accepte jamais qu’il soit loisible d’ouvrir, même respectueusement, la robe du juge, pour frotter de boue le cœur de celui qui la porte, et l’on pose une infranchissable barrière devant les emportements de cette prétendue liberté, avide de déshonorer qui commande, pour arriver d’un pas plus sûr à déshonorer le commandement même.

La nation étrusque, riche de son agriculture et de son industrie, agrandie par ses conquêtes, assise sur deux mers, commerçante, maritime (1)[21], recevant, par Tarquinii et par les frontières du sud, tous les avantages intellectuels que sa constitution ethnique lui permettait d’emprunter à la race des Hellènes, exploitant les richesses que lui valaient ses travaux utiles et sa puissance territoriale, au profit des arts d’agrément, bien que, dans une mesure toute d’imitation (1)[22], livrée à un grand luxe, à un vif entraînement sensuel vers les plaisirs de tout genre, la nation étrusque faisait honneur à l’Italie, et semblait n’avoir à craindre pour la perpétuité de sa puissance que le défaut essentiel d’une constitution fédérative et la pression des grandes masses de peuples celtiques, dont l’énergie pouvait un jour, dans le nord, lui porter de terribles coups.

Si ce dernier péril avait existé seul, il est probable qu’il eût été combattu avec avantage, et qu’après quelques essais d’invasion vigoureusement déjoués, les Celtes de la Gaule auraient été contraints de plier sous l’ascendant d’un peuple plus intelligent.

La variété étrusque formait certainement, prise en masse, une nation supérieure aux Kymris, puisque l’élément jaune y était ennobli par la présence d’alliages, sinon toujours meilleurs en fait, du moins plus avancés en culture. Les Celtes n’auraient donc eu d’autre instrument que leur nombre. Les Étrusques, déjà en voie de conquérir la Péninsule entière, avaient assez de forces pour résister, et auraient facilement rembarré les assaillants dans les Alpes. On aurait vu alors s’accomplir, et beaucoup plus tôt, ce que les Romains firent ensuite. Toutes les nations italiotes, enrôlées sous les aigles étrusques, eussent franchi, quelques siècles avant César, la limite des montagnes, et un résultat d’ailleurs semblable à celui qui eut lieu, puisque les éléments ethniques se seraient trouvés les mêmes, eût seulement avancé l’heure de la conquête et de la colonisation des Gaules. Mais cette gloire n’était pas réservée à un peuple qui devait laisser échapper de son propre sein un germe fécond dont l’énergie lui porta bientôt la mort.

Les Étrusques, pleins du sentiment de leur force, voulaient continuer leurs progrès. Apercevant du côté du sud les éclatants foyers de lumières que la colonisation grecque y avait allumés dans tant de cités magnifiques, c’était là que les confédérations tyrrhéniennes cherchaient surtout à s’étendre. Elles y trouvaient l’avantage de se mettre dans un rapport plus direct que par la voie de mer avec la civilisation la plus parente. Les lucumons avaient déjà porté les efforts de leurs armes vers la Campanie. Ils y avaient pénétré assez loin dans l’est. À l’ouest, ils s’étaient arrêtés au Tibre.

Désormais ils souhaitaient de franchir ce fleuve, ne fût-ce que pour se rapprocher du détroit, où Cumes les attirait tout autant que Vulturnum.

Ce n’était pas une entreprise facile. La rive gauche était longée par le territoire des Latins, peuple de la confédération sabine. Ces hommes avaient prouvé qu’ils étaient capables d’une résistance trop vigoureuse pour qu’on pût les déposséder à force ouverte. On préféra, avant de s’engager dans des hostilités sans issue, user de ces moyens à demi pacifiques, familiers à tous les peuples civilisés avides du bien d’autrui (1)[23].

Deux aventuriers latins, bâtards, disait-on, de la fille d’un chef de tribu, furent les instruments dont s’arma la politique rasène. Romulus et Rémus, c’étaient leurs noms, accostés de conseillers étrusques et d’une troupe de colons de la même nation, s’établirent dans trois bourgades obscures, déjà existantes sur la rive gauche du Tibre (2)[24], non pas au bord de la mer, on ne voulait pas faire un port ; non pas sur le cours supérieur du fleuve, on ne pensait pas à créer une place de commerce qui ralliât plus tard les intérêts des deux parties nord et sud de l’Italie centrale, mais indifféremment sur le point qu’on put saisir, attendu que le résultat, pour les promoteurs de cette fondation, n’était que de faire passer le fleuve à leurs établissements. Ils s’en remettaient ensuite aux circonstances pour développer ce premier avantage (1)[25].

Comme il fallait agrandir trois hameaux destinés à devenir une ville, les deux fondateurs appelèrent, de toutes parts, les gens sans aveu. Ceux-ci, trop heureux de se créer des foyers, et, pour la plupart, Sabins ou Sicules errants, formèrent le gros des nouveaux citoyens.

Mais il n’aurait pas été conforme aux vues des directeurs de l’entreprise de laisser des races étrangères s’emparer de la tête de pont qu’ils jetaient dans le Latium. On donna donc à cette agglomération de vagabonds une noblesse tout étrusque. On reconnaît sa présence aux noms significatifs des Ramnes, des Luceres, des Tities (2)[26]. Le gouvernement local porta la même empreinte (3)[27]. Il fut sévèrement aristocratique, et l’élément religieux, ou, pour mieux dire, pontifical, s’y présenta strictement uni au commandement militaire, ainsi que le voulaient les notions sémitisées des Tyrrhéniens, si différentes, sur ce point, des idées galliques. Enfin, le pouvoir judiciaire, confondu avec les deux autres, fut également remis aux mains du patriciat, de sorte que, suivant le plan des organisateurs, il ne resta à la disposition des rois, sauf les bribes de despotisme, glanées dans les moments de crise, que l’action administrative (1)[28].

Si le gouvernement s’institua ainsi tout étrusque, la forme extérieure de la civilisation, et même l’apparence de la nouvelle cité, ne le furent pas moins (2)[29]. On construisit, sous le nom de Capitole, une citadelle de pierre à la mode tyrrhénienne, on bâtit des égouts et des monuments d’utilité publique, tels que les populations latines n’en connaissaient pas (3)[30]. On érigea, pour les dieux importés, des temples ornés de vases et de statues de terre cuite fabriquées à Fregellæ (4)[31]. On créa des magistratures qui portèrent les mêmes insignes que celles de Tarquinii, de Falerii, de Volterra. On prêta à la ville naissante les armes, les aigles, les titres militaires (5)[32], on lui donna enfin le culte (6)[33], et, en un mot, Rome ne se distingua des établissements purement rasènes que par ce fait intime, très important d’ailleurs, que le gros de sa population, autrement composé, avait beaucoup plus de vigueur et de turbulence (1)[34].

Les plébéiens n’y ressemblaient nullement à la masse pacifique et molle jadis soumise par les Tyrrhéniens, sans quoi les colonisateurs, plus heureux, auraient obtenu de leurs savantes combinaisons les résultats qu’ils s’en promettaient. Il y avait un élément de trop dans cette population plébéienne, qu’on avait si fort mélangée, peut-être avec l’intention de la rendre faible par le défaut d’homogénéité. Si ce calcul présida, en effet, au mode de recrutement adopté pour elle, on peut dire que les précautions de la politique étrusque allèrent tout à fait contre leur espoir de s’assurer une domination plus facile. Ce fut précisément ce qui inculqua dans le jeune établissement les premiers instincts d’émancipation, les premiers germes et mobiles de grandeur future, et cela par une voie si particulière, si bizarre, qu’un fait analogue ne s’est pas présenté deux fois dans l’histoire.

Au milieu du concours de gens sans aveu, de toutes tribus, appelés à devenir les habitants de la ville, on avait des Sicules. Cette nation métisse et errante possédait partout des représentants. Plusieurs des villes de l’Étrurie en comptaient en majorité dans leur plèbe ; des parties entières du Latium en étaient couvertes ; le pays sabin en renfermait des multitudes. Ces gens-là furent, en quelque sorte, le fil conducteur qui amena l’élément hellénique, plus ou moins sémitisé, dans la nouvelle fondation. Ce furent eux qui, en mêlant leur idiome au sabin, créèrent le latin proprement dit, commencèrent à lui donner une forte teinture grecque, et opposèrent ainsi l’obstacle le plus vigoureux à ce que la langue étrusque passât jamais le Tibre (1)[35]. Le nouveau dialecte, se posant comme une digue devant l’idiome envahisseur, fut toujours considéré par les grammairiens romains comme un type dont l’osque et le sabin, altérés de leur valeur première, étaient devenus des variétés, mais qui se tenait dans un dédaigneux éloignement de la langue des lucumons, traitée d’idiome barbare. Ainsi les Sicules, en tant qu’habitants plébéiens de Rome, ont été surtout les adversaires du génie des fondateurs, comme l’importation de leur langue devait être le plus grand empêchement à l’adoption du rasène.

Il n’est pas nécessaire de faire remarquer, sans doute, qu’il ne s’agit ici que d’un antagonisme organique, instinctif, entre les Sicules et les Étrusques, et nullement d’une lutte ouverte et matérielle. Assurément cette dernière n’aurait pas eu de chance de succès. Ce fut l’Étrurie elle-même qui, bien malgré elle, se chargea de jeter Rome naissante dans la voie des agitations politiques.

La petite colonie était, depuis son premier jour, l’objet des haines déclarées des peuples du Latium. Bien que l’attrait des avantages divers qu’elle avait à offrir, sa construction étrusque, son organisation du même cru et la civilisation de son patriciat eussent porté quelques peuplades assez misérables, les Crustumini, les Antemnati, les Cæninenses (2)[36], et, un peu plus tard, les Albains, à se fondre dans ses habitants, les vrais possesseurs du sol sabin la considéraient de très mauvais œil. Ils reprochaient à ses fondateurs d’être des gens de rien, de ne représenter aucune nationalité, et de n’avoir d’autre droit à la patrie qu’ils s’étaient faite que le vol et l’usurpation. Ainsi sévèrement jugée, Rome était tenue en dehors de la confédération dont Amiternum était la cité principale, et exposée sur la rive gauche du Tibre, où elle se voyait isolée, à des attaques que très probablement elle n’aurait pas eu la force de repousser, si elle s’était trouvée sans soutiens.

Dans l’intérêt de son salut, elle se rattachait de toutes ses forces à la confédération étrusque dont elle était une émanation, et, quand les discordes civiles eurent éclaté au sein de ce corps politique, Rome ne put songer à rester neutre : il lui fallut prendre parti pour se conserver des amis actifs au milieu de ses périls.

L’Étrurie en était à cette phase politique où les races civilisatrices d’une nation se montrent abaissées par les mélanges avec les vaincus, et les vaincus relevés quelque peu par ces mêmes mélanges. Ce qui contribuait à hâter l’arrivée de cette crise, c’était la présence d’un trop grand nombre d’éléments kymriques plus ou moins hellénisés, et parfaitement de nature et de force à contester la suprématie aux descendants bâtards de la race tyrrhénienne. Il se développa, en conséquence, dans les cités rasènes un mouvement libéral qui déclara la guerre aux institutions aristocratiques, et prétendit substituer aux prérogatives de la naissance celles de la bravoure et du mérite.

C’est le caractère constant de toute décomposition sociale que de débuter par la négation de la suprématie de naissance. Seulement le programme de la sédition varie suivant le degré de civilisation des races insurgées. Chez les Grecs, ce furent les riches qui remplacèrent les nobles ; chez les Étrusques, ce furent les braves, c’est-à-dire les plus hardis. Les métis raséno-tyrrhéniens, mêlés à la plèbe, sujets umbres, sabins, samnites, sicules, se déclarèrent candidats au partage de l’autorité souveraine. Les doctrines révolutionnaires obtinrent leurs plus nombreux partisans dans les villes de l’intérieur où les anciens vaincus abondaient. Volsinii paraît avoir été le principal point de ralliement des novateurs (1)[37], tandis que le centre de la résistance aristocratique s’établit à Tarquinii, où le sang tyrrhénien avait conservé quelque force en gardant plus d’homogénéité. Le pays se partagea entre les deux partis. Il est même vraisemblable que chaque cité eut à la fois une majorité et une minorité au service de l’un et de l’autre. Ce qui occupait tout le nomen etruscum eut son retentissement naturel dans la colonie transtibérine, et Rome, obéissant aux raisons que j’ai déduites plus haut, prit fait et cause dans le mouvement.

On devine déjà pour quel ordre d’idées elle devait se prononcer. Le caractère de sa population répondit d’avance de ses sympathies libérales. Son sénat étrusque, d’ailleurs mêlé déjà de Sabins, n’était pas en état de contenir l’opinion générale dans le camp de Tarquinii (1)[38]. L’esprit ambitieux et ardent des Sicules, des Quirites et des Albains y parlait trop haut. La majorité se prononça donc pour les novateurs, et le roi Servius Tullius essaya de réaliser la révolution en acheminant Rome vers le régime des doctrines anti-aristocratiques.

La constitution servienne donna satisfaction à l’élément populaire, en appelant à un rôle politique tout ce qui pouvait porter les armes (2)[39]. On demandait, il est vrai, au membre de l’exercitus urbanus quelques conditions de fortune, mais non pas telles qu’elles constituassent une timocratie à la manière grecque. C’était plutôt un cens dans le genre de celui qui, au moyen âge, était exigé des bourgeois de plusieurs communes.

Le but n’était pas, dans ce dernier exemple, de créer chez le citoyen des garanties de puissance ou d’influence, mais seulement de moralité politique. Chez les plébéiens de Roma-Quirium, il s’agissait de moins encore : on ne voulait qu’obtenir des guerriers qui fussent en état de s’armer convenablement et de se suffire à eux-mêmes pendant une campagne.

Cette organisation, soutenue par les sympathies générales, ne put cependant que s’asseoir à côté des institutions tyrrhéniennes  ; elle ne parvint pas à les renverser. Il y avait encore trop de force dans la façon dont était combiné l’élément militaire et sacerdotal avec la puissance juridique. L’attaque, d’ailleurs, ne fut pas d’assez longue durée pour briser le faisceau et arracher le pouvoir aux races nobles. On y serait parvenu peut-être en recourant aux violences d’un coup de main. Il paraît qu’on ne voulut pas user de ce moyen contre des hommes que le pontificat revêtait d’un caractère sacré. Ce que les sociétés bien vivaces haïssent davantage, c’est l’impiété, et évitent le plus longtemps, c’est le sacrilège.

Servius Tullius et ses partisans, manquant donc de ce qu’il eût fallu pour vaincre complètement leur noblesse étrusque, se contentèrent de placer le code militaire nouveau auprès de l’ancien, laissant aux progrès de leur cause dans les autres cités rasènes le soin de fournir la possibilité d’aller plus loin. Ces espérances furent trompées. Bientôt l’opposition libérale en Etrurie, battue par le parti aristocratique, se trouva réduite à la soumission. Volsinii fut prise, et un des chefs les plus éminents de la révolte, Cœlius, ne se trouva d’autre ressource que de fuir, d’aller chercher quelque part un asile pour ses plus chauds partisans et pour lui-même.

Cet asile, quel pouvait-il être, sinon la ville étrusque qui, après Volsinii, avait montré le plus de dévouement à la révolution, et dû très probablement à sa position territoriale excentrique, à son isolement au delà du Tibre, d’en pousser le plus loin les doctrines et d’en appliquer le plus ouvertement les idées ? Rome vit ainsi accourir Mastarna, Cœlius, et leur monde  ; et le tuscus vicus, devenant le séjour de ces bannis (1)[40], agrandit encore l’enceinte d’une ville qui, au point de vue de ses fondateurs aristocratiques, comme à celui des réformateurs libéraux, était une espèce de camp ouvert à tous ceux qui cherchaient une patrie, et voulaient bien la prendre au sein de la négation de toutes les nationalités.

Mais l’arrivée de Mastarna, non moins que la réforme de Servius Tullius (1)[41], ne pouvaient être des faits indifférents à la réaction victorieuse. Les lucumons n’étaient pas disposés à souffrir qu’une ville fondée pour leur ouvrir le sud-ouest de l’Italie devînt une sorte de place d’armes aux mains de leurs ennemis intérieurs. Les nobles de Tarquinii se chargèrent d’étouffer l’esprit de sédition dans son dernier asile. Coryphées du parti qui avait créé la civilisation et la gloire nationales, ils en étaient restés les représentants ethniques les plus purs et les agents les plus vigoureux. Ils devaient à leurs relations plus constantes avec la Grèce et l’Asie Mineure de surpasser les autres Étrusques en richesse et en culture. C’était à eux d’achever la pacification en détruisant l’œuvre des niveleurs dans la colonie transtibérine.

Ils y parvinrent. La constitution de Servius Tullius fut renversée, l’ancien régime rétabli. La partie sabine du sénat et la population mélangée formant la plèbe rentrèrent dans leur état passif (2)[42], rôle où la pensée étrusque les avait toujours voulu contenir, et les Tarquiniens se proclamèrent les arbitres suprêmes et les régulateurs du gouvernement restauré. Ce fut ainsi que le libéralisme vit se fermer son dernier asile (3)[43].

On ne sait trop l’histoire des luttes ultérieures de ce parti dans le reste du territoire rasène. Il est cependant certain qu’il releva la tête après un temps d’abattement. Les causes ethniques qui l’avaient suscité ne pouvaient que devenir plus exigeantes à mesure que les races sujettes gagnaient en importance par l’extinction graduelle du sang tyrrhénien. Toutefois, la race rasène du fond national étant de valeur médiocre, il eût fallu beaucoup de temps pour que le résultat égalitaire s’opérât, même avec l’appoint des vaincus, Umbres, Samnites et autres. De sorte que la résistance aristocratique avait des chances de se prolonger indéfiniment dans les villes anciennes (1)[44].

Mais précisément l’inverse de cette situation se rencontrait à Rome. Outre que les nobles étrusques, natifs de la ville, même appuyés par les Tarquiniens, n’étaient qu’une minorité, ils avaient contre eux une population qui valait infiniment plus que la plèbe rasène. La compression ne pouvait être que difficilement maintenue. Les idées de révolution continuaient à prendre un développement irrésistible en s’appuyant sur les idées d’indépendance, et, un jour ou l’autre, inévitablement, Rome allait secouer le joug. Si, par un coup du sort, Populonia, Pise ou toute autre ville étrusque, possédant jusqu’au fond de ses entrailles non seulement du sang tyrrhénien, mais surtout du sang rasène, avait réussi dans sa campagne contre les idées aristocratiques, l’usage que la cité victorieuse aurait fait de son triomphe se serait borné à changer sa constitution politique intérieure, et, du reste, elle serait restée fidèle à sa race en ne se séparant pas de la partie collective, en continuant à tenir au nomen etruscum.

Rome n’avait, elle, aucun motif pour s’arrêter à ce point. Précisément les raisons qui la poussaient si chaudement dans le parti libéral, qui lui en avaient fait appliquer les théories, qui l’avaient désignée pour servir, en quelque sorte, de seconde capitale à la révolution, ces raisons-là, par leur énergie, la conduisaient bien au delà d’une simple réforme politique. Si elle ne goûtait pas la domination des lars et des lucumons, c’était, avant tout, parce que ceux-ci, avec les meilleurs droits de se dire ses fondateurs, ses éducateurs, ses maîtres, ses bienfaiteurs (1)[45], n’avaient pas celui d’ajouter qu’ils étaient ses concitoyens. Dans la débilité de ses premiers jours, elle avait trouvé un grand profit, une véritable nécessité à se faire protéger par eux  ; mais, pourtant, son sang ne s’était pas fondu avec le leur, leurs idées n’étaient pas devenues les siennes, ni leurs intérêts ses intérêts. Au fond, elle était sabine, elle était sicule, elle était hellénisée, puis encore elle était séparée géographiquement de l’Étrurie : elle lui était donc, en fait, étrangère, et voilà pourquoi la réaction des Tarquiniens ne pouvait avoir là qu’un temps de succès plus court que dans les autres villes, réellement étrusques, et pourquoi, l’aristocratie tyrrhénienne une fois renversée, on devait s’attendre à ce que Rome se précipitât dans les nouveautés fort au delà de ce que souhaitaient les libéraux de l’Étrurie. Bien plus, nous allons voir, tout à l’heure, la ville émancipée revenir sur les théories libérales, source première de sa jeune indépendance, et rétablir l’aristocratie dans toute sa plénitude. Les révolutions, d’ailleurs, sont remplies de pareilles surprises.

Ainsi Rome, après un temps de soumission aux Tarquiniens, réussit à accomplir un soulèvement heureux (2)[46]. Elle chassa de ses murailles ses dominateurs, et, avec eux, cette partie du sénat qui, bien que née dans la cité, parlait la langue des maîtres et se vantait d’être de leur parentage. De cette façon, l’élément tyrrhénien disparut à peu près de sa colonie, et n’y exerça plus qu’une simple influence morale. À dater de cette époque, Rome cesse d’être un instrument dirigé par la politique étrusque contre l’indépendance des autres nations italiotes. La cité entre dans une phase où elle va vivre pour elle-même. Ses rapports avec ses fondateurs tourneront désormais au profit de sa grandeur et de sa gloire, et cela d’une façon que ceux-ci n’avaient certainement jamais soupçonnée.



  1. (1) Cette date est celle d’O. Muller. Abeken reporte l’arrivée des Tyrrhéniens à l’an 290 avant Rome. (Abeken, Mittel-Italien vor der Zeit der rœmischen Herrschaft, p. 23.)
  2. (2) Les peintures étrusques montrent ces Tyrrhéniens comme ayant parfaitement le type blanc. Ils ressemblent aux Celtes et aux Grecs, et cette ressemblance est d’autant plus saillante que l’on voit mêlés à eux les anciens Rasènes avec leurs statures et leurs visages de métis finnois. (Abeken, ouvr. cité, tabl. IX et X.) Dans le n° 7 de la tabl. VII on peut constater la fusion des deux types.
  3. (3) Ce fut probablement le genre de mérite qui éclata le plus en eux, et leur valut le surnom de Tyrrhéniens, dont la racine semble se trouver dans le mot turs, tour, fortitication, et dériver primitivement de tur ou tor, élévation, montagne. — On pourrait, du reste, tirer ainsi des habitudes architecturales des différentes populations pélasgiques certains noms encore, ou, au rebours, faire sortir ceux des nations de leur façon de se loger. Oppidum, le bourg ouvert, serait en corrélation intime avec les habitudes des Opsci, des Osques, et arx, la forteresse fermée, avec celui des Argiens. Abeken, ouvr. cité, p. 128-135.)
  4. (1) O. Muller, l. c.
  5. (2) Ibid., p. 260.
  6. (3) Dans plusieurs endroits, les Tyrrhéniens avaient construit leurs demeures à part de celles des vaincus et de manière à tenir en bride la ville ancienne. Ainsi Fidenæ et Veies avaient des citadelles placées en dehors de leurs murs. (Abeken, ouvr. cité, p. 152.)
  7. (4) O. Muller, t. II, p. 247.
  8. (2) Tarquinii, bâtie sur un rocher au bord de la Marta, n’était pas une ville maritime  ; mais Gravisæ, qui lui appartenait, lui servait de port. (Abeken, ouvr. cité, p. 36.) Longtemps après la chute de l’Étrurie comme nation indépendante, Tarquinii conservait encore une assez grande valeur pour fournir les flottes romaines de toiles à voile lors de la seconde guerre punique. (Liv., XXVIII, 45.)
  9. (2) Tarquinii, bâtie sur un rocher au bord de la Marta, n’était pas une ville maritime  ; mais Gravisæ, qui lui appartenait, lui servait de port. (Abeken, ouvr. cité, p. 36.) Longtemps après la chute de l’Étrurie comme nation indépendante, Tarquinii conservait encore une assez grande valeur pour fournir les flottes romaines de toiles à voile lors de la seconde guerre punique. (Liv., XXVIII, 45.)
  10. (3) Ces relations étaient intimes, et Tite-Live a pu mettre en avant l’idée que la maison de Tarquin avait une origine hellénique. Ce roi même, au dire de l’historien, avait consulté, par députés, l’oracle de Delphes. — Abeken signale des traces nombreuses de l’influence assyrienne dans les vases, les peintures murales et les ornements des tombeaux à une époque où cette influence ne pouvait s’exercer que par l’intermédiaire des Hellènes. (Abeken, ouvr. cité, p. 274.) — Je ne parle pas des nombreuses productions égyptiennes que l’on rencontre dans les hypogées étrusques  ; elles appartiennent toutes à la période romaine avec les monuments qui les renferment. (Ibidem, p. 268. — Dennis, die Stædte und Begræbnisse Etruriens, t. I, p. XLII.)
  11. (1) Les Annales étrusques, d’où le Romain Verrius Flaccus avait tiré les éléments de ses Libri rerum memoria dignarum, affirmaient que le héros Tarchon avait fondé Tarquinii, puis les douze villes étrusques du pays plat, et en outre, tout le nomen etruscum. Tarquinii était donc la cité historique et illustre par excellence, aux yeux de la famille tyrrhénienne. (Abeken, ouvr. cité, p. 20.)
  12. (2) O. Muller, die Etrusker, p. 116.
  13. (3) Ou 358. — Nous savons déjà, pour parer à tout étonnement de ce côté, combien la race des Celtes était abondante et prolifique. (Keferstein, Ansichten, etc., t. II, p. 323.)
  14. (4) Ils fondèrent Adria et Spezia entre le Pô et l’Etsch. (O. Muller, ouvr. cité, p. 140.)
  15. (1) O. Muller, ouvr. cité, p. 178. — Ils restèrent fort longtemps à l’état de puissance prépondérante dans cette province, et n’en furent chassés que l’an 332 de Rome par les Samnites.
  16. (2) Il existe des monuments tyrrhéniens en Corse et en Sardaigne. On en trouve encore sur la côte méridionale de l’Espagne, et le nom de Tarraco, Tarragone, est très vraisemblablement un indice d’autant moins à négliger que, non loin de cette cité, s’élève Suessa, qui rappelle les villes campaniennes de Suessa, Veseia et Sinuessa. (Abeken, ouvr. cité, p. 129.) Seulement, je ne suis pas aussi convaincu que cet auteur de l’origine tyrrhénienne des Sepolcri dei giganti en Sardaigne. On peut les revendiquer, sans grande difficulté, pour les Rasènes de la première formation, ou pour les Ibères. — Eu égard à la racine Tur, Turs, Tusc, il est à noter aussi qu’on la retrouve, aujourd’hui même, chez les Albanais. Entre Durazzo et Alessio on connaît une ville appelée Τυράννεα. Une autre encore existe aux environs de Kroja, dans l’Albanie méridionale, qui elle-même se nomme Τοσκερία, et ses habitants Τόσκοι. (Voir Hahn, Albanesische Studien, p. 232, 233. Cet auteur fait dériver ce mot de l’arnaute τουρρ, courir, se précipiter, d’où τούρρεις, le coureur, l’envahisseur.)
  17. (3) O. Muller, p. 109 et pass. ; p. 178.
  18. (4) Ibid., p. 105.
  19. (1) La royauté existait de nom chez les Étrusques, mais elle resta de fait une magistrature très faiblement constituée ; à Veies, elle était élective. (Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 83.)
  20. (1) O. Muller, die Etrusker, p. 375.
  21. (1) Les Tyrrhéniens exerçaient en grand la piraterie, et mirent en mer des flottes assez considérables pour lutter contre les villes grecques. Les Massaliotes n’osaient, à cause d’eux, traverser les mers occidentales qu’avec des convois armés. (Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 84.) L’Étrurie avait conclu avec Carthage des traités de navigation et de commerce qui portaient encore leur plein effet au temps d’Aristote, vers 430 de Rome. (Ibid., p. 85.)
  22. (1) Voir, pour les détails des rapports intellectuels des Tyrrhéniens avec les Grecs, Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 88.
  23. (1) Les populations italiotes tenaient beaucoup à ce que les Étrusques ne passassent pas le fleuve. Il y avait eu un traité entre les Latins et les Tyrrhéniens qui en stipulait la défense : « Pax ita convenerat ut Etruscis Latinisque fluvius Albula, quem nunc Tiberim vocant, finis esset. » (Liv. I, 12.)
  24. (2) Qui mérita dès lors le nom de Tuscum Tiberim que lui donne Virgile (Georg., I, 499). — Suivant toute probabilité, les deux jumeaux se cantonnèrent sur l’Aventin, à côté d’une bourgade peuplée de Latins, prisci Latini, qui occupait, antérieurement, le Janicule. (Abeken, Mittel-Italien vor der Zeit der rœmischen Herrschaft, p. 70.) — Un autre établissement latin couronnait le sommet du Palatin. — Des Étrusques prirent possession plus tard du mons Cœlius. (Ibidem. — Tac., Ann., IV, 65.)
  25. (1) Denys d’Halicarnasse remarque que plusieurs historiens ont appelé Rome une ville tyrrhénienne. Ces historiens avaient parfaitement raison de le faire, et ils exprimaient une vérité incontestable. Τὴν δὲ ‛Ρώμην αὔτην πόλλα τῶν συγγραφέων, Τυῤῥηνίδα πόλιν εἴναι ὑπέρβαλον. (I, XXIX.)
  26. (2) O. Muller, die Etrusker, p. 381 et pass. — Cette opinion me paraît avoir tout avantage sur celle d’Abeken, qui voit dans les Ramnes les habitants primitifs du Palatin, dans les Luceres ceux du Cœlius, dans les Tities ceux du Capitole. (Ouvr. cité, p. 136.) Les deux opinions peuvent, du reste, se concilier, si l’on admet que les trois noms, également étrusques, ont été donnés non pas au gros des trois populations, mais seulement à leurs nobles, ce qui serait une conception parfaitement conforme aux idées italiotes et tyrrhéniennes. (O. Muller, ouvr. cité, p. 381 et pass.)
  27. (3) Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 181.
  28. (1) Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 206. — Il n’était pas indispensable que les rois fussent nés dans la ville. On les prenait comme on les trouvait, ou mieux, comme ils étaient imposés du dehors. (Ibidem., p. 213 et 220.)
  29. (2) Liv., I : « Me haud pœnitet eorum, sententiæ quibus et apparitores et hoc genus ab Etruscis finitimis unde sella curilis unde toga prætexta sumpta est, numerum quoque ipsum ductum est : et ita habuisse Etruscos quod, ex duodecim populis communiter creato rege, singulos singuli populi lectores dederint. »
  30. (3) O. Muller, die Etrusker, p. 120.
  31. (4) O. Muller, die Etrusker, p. 247. — Voir, sur la statue de Turanius de Fregellæ qui représentait un Jupiter, ce que dit Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie (t. II, p. 193.)
  32. (5) La tunique triomphale, le bâton de commandement du dictateur, en ivoire, surmonté d’un aigle, les jeux équestres, etc., etc. (O. Muller, ouvr. cité, p. 121.) — Jusqu’à l’expulsion des rois, le système militaire, à Rome et en Étrurie, fut absolument le même dans les détails comme dans l’ensemble. (Ibidem, p. 391.)
  33. (6) Tite-Live déclare qu’on n’admit qu’une seule divinité non étrusque, c’était celle de la ville d’Albe à laquelle les deux maîtres nominaux de la ville avaient probablement conservé leur dévotion natale : « Sacra diis aliis, albano ritu, græco Herculi, ut ab Evandro instituta erant, facit. Hæc tum sacra Romulus una ex omnibus peregrina suscepit. » (Liv. I.) — Toutefois, cette assertion de l’historien de Padoue me paraît ne devoir pas être prise au pied de la lettre. Elle s’applique, sans doute, au culte officiel seulement ; car il est bien probable que les gens de races si diverses qui peuplaient Rome avaient conservé, dans l’intérieur de leurs maisons, leurs divinités nationales. Ainsi se prépara la vaste confusion des cultes qui devait avoir lieu au sein de Rome impériale.
  34. (1) Virg., Georg., II, 167 :
    Hæc genus acre virum Marsos, pubesque Sabellam,
    Adsuetumque malo Ligurem, Volscosque verutos
    Extulit.
  35. (1) O. Muller, die Etrusker, p. 66. — Il est, en effet, très remarquable que l'étrusque, resté toujours pour les Romains, et même au temps des empereurs, une espèce de langue sacrée, n'ait jamais pu se répandre chez eux. Cependant, jusque vers l'époque de Jules, les patriciens l'apprenaient et en faisaient cas comme d'un instrument de civilisation. Plus tard elle fut abandonnée aux augures. À aucun moment elle n'avait pu devenir populaire.
  36. (2) Liv., I, 28. — Les Sabins de Tatius, pères des femmes enlevées, des Sabinæ mulieres, ne s'incorporèrent au nouvel État qu'après les trois tribus que je viens de nommer.
  37. (1) Suivant Abeken, les villes principalement libérales auraient été Arretium, Volaterræ, Rusellæ et Clusium ; et ainsi s’expliquerait, pour le dernier de ces États, la promptitude avec laquelle son chef, le larth Porsenna, s’empressa de conclure la paix avec les Romains insurgés contre les Tarquiniens, après s’être laissé émouvoir à la commencer par un intérêt patriotique opposé à ses intérêts de parti. (Ouvr. cité, p. 24.) — Je remarquerai, en passant, que le nom de Volaterræ est latin ; les Étrusques appelaient cette ville Felathri, ce qui est beaucoup plus près du Velletri moderne. C’est un argument de plus en faveur de l’étude des anciens idiomes de l’Italie au moyen des dialectes locaux actuels.
  38. (1) O. Muller, die Etrusker, p. 316.
  39. (2) Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 252 et pass.
  40. (1) O. Muller, p. 116 et pass.
  41. (1) L’origine latine de Servius, l’usurpation par laquelle il succédait à la dynastie étrusque, la façon dont il flattait les intérêts populaires le rendaient très propre à rallier et à protéger toutes les idées hostiles à la suprématie tyrrhénienne. (Dionys. Halic., 4, I-XL.)
  42. (2) Dionys. Halic., Antiq. Rom., XLII, XLIII. — Le sénat fut renouvelé, et les pères nommés par Tullius, chassés. Les plébéiens rentrèrent dans leur condition de nullité primitive.
  43. (3) À ce moment, le parti qui conduisait les affaires à Tarquinii se trouva très fort dans tout le nomen etruscum. Il tenait, d’un côté, sa capitale et Rome, puis Veies, Cæræ, Gabii, Tusculum, Antium, et, au sud, s’appuyait sur les sympathies de Cumes, colonie hellénique qui ne pouvait pas voir sans plaisir des efforts si soutenus pour maintenir la civilisation sémitisée dans la Péninsule. (Abeken, ouvrage cité, p. 24.)
  44. (1) C’est ce qui fut en effet, et, même au temps de la guerre d’Annibal, le gouvernement de la plupart des cités étrusques était resté entier dans les mains de la noblesse, non pas toutefois sans résistances. (Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 81.) Volsinii, la ville démocratique par excellence, réussit à maintenir une administration révolutionnaire entre les mains de la plèbe, depuis la campagne de Pyrrhus jusqu’à la première guerre punique. (Ouvr. cité, t. I, p. 82.)
  45. (1) Dans la guerre de Romulus contre les Sabins de Quirium, le roi romain avait été ouvertement soutenu par une armée étrusque sous le commandement d’un lucumon de Solonium  ; celui-ci avait partagé l’autorité avec lui. (Dionys. Halic., Antiq. Rom., 2, XXXVII)
  46. (2) La domination des Tarquiniens avait été, matériellement parlant, on ne peut plus heureuse pour Rome. Ces nobles pleins de génie l’avaient beaucoup embellie. Ils y avaient importé la construction en pierres quadrangulaires sans ciment. (Abeken, ouvr. cité, p. 141.) Ils avaient étendu ses fortifications en agrandissant son enceinte. (O. Muller, ouvr. cité, p. 120.) Ils y avaient fait venir des artisans habiles de toutes les villes d'Étrurie : « Fabris undique ex Etruria accitis. » (Liv., I.) Ils avaient placé Rome à la tête de la confédération latine, détruite de fait par la chute d'Alba Longa. (Abeken, ouvr. cité, p. 52.) Ils avaient même augmenté cette confédération en y réunissant quarante-sept villes nouvelles, tant en deça qu'au delà du Tibre. (Ibidem.) Enfin, des cités telles que Circeii et Signia avaient été fondées, ou du moins agrandies par eux. Rome fit donc une très mauvaise affaire dès le premier moment où sa séparation d'avec Tarquinii fut consommée. L'œuvre entière de l'habileté tyrrhénienne s'écroula, du reste, en même temps. La confédération fut dissoute et le parti aristocratique très affaibli dans toute l'étendue de la domination étrusque. (O. Muller, ouvr. cité, p. 124.)