Essai philosophique concernant l’entendement humain/Livre 2/Chapitre 28


CHAPITRE XXVIII.

De quelques autres Relations, & ſur-tout, des Relations Morales.


§. 1.Relations proportionnelles.
OUtre les raiſons de comparer ou de rapporter les choſes l’une à l’autre, dont je viens de parler, & qui ſont fondées ſur le temps, le lieu & la cauſalité, il y en a une infinité d’autres, comme j’ai déja dit, dont je vais propoſer quelques-unes.

Je mets dans le prémier rang toute Idée ſimple qui étant capable de partie & de dégrez, fournit un moyen de comparer les ſujets où elle ſe trouve, l’un avec l’autre, par rapport à cette Idée ſimple ; par exemple, plus blanc, plus doux, plus gros, égal, davantage, &c. Ces Relations qui dépendent de l’égalité & de l’excès de la même idée ſimple, en différens ſujets, peuvent être appellées, ſi l’on veut, proportionnelles. Or que ces ſortes de Relations roulent uniquement ſur les Idées ſimples que nous avons reçuës par la Senſation ou par la Reflexion, cela eſt ſi évident qu’il ſeroit inutile de le prouver.

§. 2.Relations naturelles. En ſecond lieu, une autre raiſon de comparer des choſes enſemble, ou de conſiderer une choſe en ſorte qu’on renferme quelque autre choſe dans cette conſideration, ce ſont les circonſtances de leur origine ou de leur commencement qui n’étant pas alterées dans la ſuite, fondent des relations qui durent auſſi long-temps que les ſujets auxquels elles appartiennent, par exemple, Pére & Enfant, Fréres, Couſins-germains, &c. dont les Relations ſont établies ſur la communauté d’un même ſang auquel ils participent en différens dégrez ; Compatriotes, c’eſt-à-dire, ceux qui ſont nez dans un même Païs. Et ces Relations, je les nomme Naturelles. Nous pouvons obſerver à ce propos que les Hommes ont adapté leurs notions & leur language à l’usage de la vie commune, & non pas à la vérité & à l’étenduë des choſes. Car il eſt certain que dans le fond la Relation entre celui qui produit & celui qui eſt produit, eſt la même dans les différentes races des autres Animaux que parmi les Hommes ; cependant on ne s’aviſe guere de dire, ce Taureau eſt le grand-père d’un tel Veau, ou que deux Pigeons ſont couſins-germains. Il eſt fort néceſſaire que parmi les hommes on remarque ces Relations & dans d’autres commerces qui les lient enſemble, on a occaſion de parler des Hommes & de les déſigner ſous ces ſortes de relations. Mais il n’en eſt pas de même des Bêtes. Comme les hommes n’ont pas jugé à propos de leur donner des noms diſtincts & particuliers. Cela peut ſervir en paſſant à nous donner quelque connoiſſance du différent état & progrès des Langues qui ayant été uniquement formées pour la commodité de communiquer enſemble, ſont proportionnées aux notions des hommes & au deſir qu’ils ont de s’entre-communiquer des penſées qui leur ſont familiéres, mais nullement à la réalité ou à l’étenduë des choſes, ni aux divers rapports qu’on peut trouver entr’elles, non plus qu’aux différentes conſidérations abſtraites dont elles peuvent fournir le ſujet. Où ils n’ont point eu de notions Philoſophiques, ils n’ont point eu non plus de termes pour les exprimer : & l’on ne doit pas être ſurpris que les hommes n’ayent point inventé de noms, pour exprimer des penſées, dont ils n’ont point occaſion de s’entretenir. D’où il eſt aiſé de voir pourquoi dans certains Païs les hommes n’ont pas même un mot pour déſigner un Cheval, pendant qu’ailleurs moins curieux de leur propre généalogie que celle de leurs Chevaux, ils ont non ſeulement des noms pour chaque cheval en particulier, mais auſſi pour les différens dégrez de parentage qui ſe trouvent entre eux.

§. 3.Rapports d’inſtitution. En troiſiéme lieu, le fondement ſur lequel on conſidere quelquefois les choſes, l’une par rapport à l’autre, c’eſt un certain acte par lequel on vient à faire quelque choſe en vertu d’un droit moral, d’un certain pouvoir, ou d’une obligation particuliere. Ainſi un Général eſt celui qui a le pouvoir de commander une Armée ; & une Armée qui eſt ſous le commandement d’un Général, eſt un amas d’hommes armez, obligez d’obéïr à un ſeul homme. Un Citoyen ou un Bourgeois eſt celui qui a droit à certains privileges dans tel ou tel Lieu. Toutes ces ſortes de Relations qui dépendent de la volonté des hommes ou des accords qu’ils ont fait entr’eux, je les appelle Rapports d’inſtitution ou volontaires ; & l’on peut les diſtinguer des Relations naturelles en ce que la plûpart, pour ne pas dire toutes, peuvent être alterées d’une maniére ou d’autre, & ſeparées des perſonnes à qui elles ont appartenu quelquefois ; ſans que pourtant aucune des Subſtances qui ſont le ſujet de la Relation vienne à être détruite. Mais quoi qu’elles ſoient toutes réciproques auſſi bien que les autres, & qu’elles renferment un rapport de deux choſes, l’une à l’autre : cependant parce que ſouvent l’une des deux n’a point de nom relatif qui emporte cette mutuelle correſpondance, les hommes n’en prennent pour l’ordinaire aucune connoiſſance, & ne penſent point à la Relation qu’elles renferment effectivement. Par exemple, on reconnoit ſans peine que les termes de Patron & de Client ſont relatifs : mais dès qu’on entend ceux de Dictateur ou de Chancelier, on ne ſe les figure pas ſi promptement ſous cette idée ; parce qu’il n’y a point de nom particulier pour déſigner ceux qui ſont ſous le commandement d’un Dictateur ou d’un Chancelier, & qui exprime un rapport à ces ſortes de Magiſtrats ; quoi qu’il ſoit indubitable que l’un & l’autre ont certain pouvoir ſur quelques perſonnes par où ils ont relation avec ces Perſonnes, tout auſſi bien qu’un Patron avec ſon client, ou un Général avec ſon Armée.

§. 4.Relations Morales. Il y a, en quatriéme lieu, une autre ſorte de Relation, qui eſt la convenance ou la diſconvenance qui ſe trouve entre les Actions volontaires des hommes, & une Règle à quoi on les rapporte & par où l’on en juge, ce qu’on peut appeler, à mon avis, Relation morale : parce que c’eſt de là que nos actions morales tirent leur dénomination : ſujet qui ſans doute mérite bien d’être examiné avec ſoin, puiſqu’il n’y a aucune partie de nos connoiſſances ſur quoi nous devions être plus ſoigneux de former des idées déterminées, & d’éviter la confuſion & l’obſcurité, autant qu’il eſt en notre pouvoir. Lorſque les Actions humaines avec leurs différens objets, leurs diverſes fins, maniéres & circonſtances viennent à former des Idées diſtinctes & complexes, ce ſont, comme j’ai déja montré, autant de Modes Mixtes dont la plus grande partie ont leurs noms particuliers. Ainſi, ſuppoſant que la Gratitude eſt une diſpoſition à reconnoître & à rendre les honnêtetez qu’on a reçuës, que la Polygamie eſt d’avoir plus d’une femme à la fois ; lors que nous formons ainſi ces notions dans notre Eſprit, nous y avons autant d’Idées déterminées de Modes Mixtes. Mais ce n’eſt pas à quoi ſe terminent toutes nos actions : il ne ſuffit pas d’en avoir des Idées déterminées, & de ſavoir quels noms appartiennent à telles & à telles combinaiſons d’Idées qui compoſent une Idée complexe, déſignée par un tel nom ; nous avons dans cette affaire un intérêt bien plus important & qui s’étend beaucoup plus loin. C’eſt de ſavoir ſi ces ſortes d’Actions ſont moralement bonnes ou mauvaiſes.

§. 5.Ce que c’eſt que Bien moral & Mal moral
* Chap. XX. §. 2. & chap. XXI. §. 42.
Le Bien & le Mal n’eſt, comme * nous avons montré ailleurs, que le Plaiſir ou la Douleur, ou bien ce qui eſt l’occaſion ou la cauſe du Plaiſir ou de la Douleur que nous ſentons. Par conſéquent le Bien & le Mal conſideré moralement, n’eſt autre choſe que la conformité ou l’oppoſition qui ſe trouve entre nos actions volontaires & une certaine Loi : conformité & oppoſition qui nous attire du Bien ou du Mal par la Volonté & la Puiſſance du Légiſlateur ; & ce Bien & ce Mal qui n’eſt autre choſe que le plaiſir ou la douleur qui par la détermination du Légiſlateur accompagnent l’obſervation ou la violation de la Loi, c’eſt ce que nous appelons récompenſe & punition.

§. 6.Règles Morales. Il y a, ce me ſemble, trois ſortes de telles Règles, ou Loix Morales auxquelles les Hommes rapportent généralement leurs Actions, & par où ils jugent ſi elles ſont bonnes ou mauvaiſes ; & ces trois ſortes de Loix ſont ſoûtenuës par trois différentes eſpèces de récompenſe & de peine qui leur donnent de l’autorité. Car comme il ſeroit entiérement inutile de ſuppoſer une Loi impoſée aux Actions libres de l’Homme ſans être renforcée par quelque Bien ou quelque Mal qui pût déterminer la Volonté, il faut pour cet effet que par-tout où l’on ſuppoſe une loi, l’on ſuppoſe auſſi quelque peine ou quelque récompenſe attachée à cette Loi. Ce ſeroit en vain qu’un Etre Intelligent prétendroit ſoûmettre les actions d’un autre à une certaine règle, s’il n’eſt pas en ſon pouvoir de le récompenſer lorſqu’il ſe conforme à cette règle, & de le punir lorſqu’il s’en éloigne, & cela par quelque Bien ou par quelque Mal qui ne ſoit pas la production & la ſuite naturelle de l’action même : car ce qui eſt naturellement commode ou incommode agiroit de lui-même ſans le ſecours d’aucune Loi. Telle eſt, ſi je ne me trompe, la nature de toute Loi, proprement ainſi nommée.

§. 7.Combien de ſortes de Loix ? Voici, ce me ſemble, les trois ſortes de Loix auxquelles les Hommes rapportent en général leurs Actions, pour juger de leur droiture ou de leur obliquité : I. La Loi Divine : 2. La Loi Civile : 3. La Loi d’opinion ou de reputation, ſi j’oſe l’appeller ainſi. Lorſque les hommes rapportent leurs actions à la prémiére de ces Loix, ils jugent par-là ſi ce ſont des Péchez ou des Devoirs : en les rapportant à la ſeconde ils jugent ſi elles ſont criminelles ou innocentes ; & à la troiſiéme, ſi ce ſont des vertus ou des vices.

§. 8.La Loi Divine règle ce qui eſt péché ou devoir. Il y a, prémiérement, la Loi Divine, par où j’entens cette Loi que Dieu a preſcrite aux hommes pour régler leurs actions, ſoit qu’elle leur ait été notifiée par la Lumiére de la Nature, ou par voye de Revelation. Je ne penſe pas qu’il y ait d’homme aſſez groſſier pour nier que Dieu ait donné une telle règle par laquelle les hommes devroient ſe conduire. Il a droit de le faire, puiſque nous ſommes ſes créatures. D’ailleurs, ſa bonté & ſa ſageſſe le portent à diriger nos actions vers ce qu’il y a de meilleur ; & il eſt Puiſſant pour nous y engager par des récompenſes & des punitions d’un poids & d’une durée infinie dans une autre vie : car perſonne ne peut nous enlever de ſes mains. C’eſt la ſeule pierre-de-touche par où l’on peut juger de la Rectitude Morale ; & c’eſt en comparant leurs actions à cette Loi, que les hommes jugent du plus grand bien ou du plus grand mal moral qu’elles renferment, c’eſt-à-dire, ſi en qualité de Devoirs ou de Péchez elles peuvent leur procurer du bonheur ou du malheur de la part du Tout-puiſſant.

§. 9.La loi Civile eſt la règle du Crime & de l’Innocence. En ſecond lieu, la Loi Civile qui eſt établie par la Société pour diriger les actions de ceux qui en font partie, eſt une autre Règle à laquelle les hommes rapportent leurs actions pour juger ſi elles ſont criminelles ou non. Perſonne ne mépriſe cette Loi : car les peines & les récompenſes qui lui donnent du poids ſont toûjours prêtes, & proportionnées à la Puiſſance d’où cette Loi émane, c’eſt-à-dire, à la force même de la Société qui eſt engagée à défendre la vie, la liberté, & les biens de ceux qui vivent conformément à ces Loix, & qui a le pouvoir d’ôter à ceux qui les violent, la vie, la liberté ou les biens ; ce qui eſt le châtiment des offenſes commiſes contre cette Loi.

§. 10.La Loi Philoſophique eſt la meſure du vice & de la vertu. Il y a, en troiſième lieu, la Loi d’opinion ou de reputation. On prétend & on ſuppoſe par tout le Monde que les mots de Vertu & de Vice ſignifient des actions bonnes & mauvaiſes de leur nature : & tant qu’ils ſont réellement appliquez en ce ſens, la Vertu s’accorde parfaitement avec la Loi Divine dont je viens de parler ; & le Vice eſt tout-à-fait la même choſe que ce qui eſt contraire à cette Loi. Mais quelles que ſoient les prétenſions des hommes ſur cet article, il eſt viſible que ces noms de Vertu & de Vice, conſiderez dans les applications particuliéres qu’on en fait parmi les diverſes nations, & les différentes Sociétez d’hommes repanduës ſur la Terre, ſont conſtamment & uniquement attribuez à telles ou telles actions qui dans chaque Païs & dans chaque Société ſont reputées honorables ou honteuſes. Et il ne faut pas trouver étrange que les hommes en uſent ainſi, je veux dire que par tout le Monde ils donnent le nom de vertu aux actions qui parmi eux ſont jugées dignes de louange, & qu’ils appellent vice tout ce qui leur paroît digne de blâme. Car autrement, ils ſe condamneroient eux-mêmes, s’ils jugeoient qu’une choſe eſt bonne & juſte ſans l’accompagner d’aucune marque d’eſtime, & qu’une autre eſt mauvaise ſans y attacher aucune idée de blâme. Ainſi, la meſure de ce qu’on appelle vertu & vice & qui paſſe pour tel dans tout le Monde, c’eſt cette approbation ou ce mépris, cette eſtime ou ce blâme qui s’établit par un ſecret & tacite conſentement en différentes Sociétez & Aſſemblées d’hommes ; par où différentes Actions ſont eſtimées ou mépriſées parmi eux, ſelon le jugement, les maximes & les coûtumes de chaque Lieu. Car quoi que les hommes réunis en Sociétez politiques, ayent reſigné entre les mains du Public la diſpoſition de toutes les forces, de ſorte qu’ils ne peuvent pas les employer contre aucun de leurs Concitoyens au delà de ce qui eſt permis par Loi du Païs, ils retiennent pourtant toûjours la puiſſance de penſer bien ou mal, d’approuver ou deſapprouver les actions de ceux avec qui ils vivent & entretiennent quelque liaiſon ; & c’eſt par cette approbation & ce deſaveu qu’ils établiſſent parmi eux ce qu’ils veulent appeller Vertu & Vice.

§. 11. Que ce ſoit là la meſure ordinaire de ce qu’on nomme Vertu & Vice, c’eſt ce qui paroitra à quiconque conſiderera, que, quoi que ce qui paſſe pour vice dans un Païs ſoit regardé dans un autre comme une vertu, ou du moins comme une action indifférente, cependant la vertu & la louange, le vice & le blâme vont par tout de compagnie. En tous lieux ce qui paſſe pour vertu, eſt cela même qu’on juge digne de louange, & l’on ne donne ce nom à aucune autre choſe qu’à ce qui remporte l’eſtime publique. Que dis-je ? La vertu & la louange ſont unies ſi étroitement enſemble, qu’on les déſigne ſouvent par le même nom : ([1]) Sunt hic etiam ſua præmia laudi, dit Virgile ; & Ciceron, Nihil habet natura præſtantius quàm honeſtatem, quàm laudem, quàm dignitatem, quàm decus. Quæſt. Tuſculanarum Lib. 2. cap. 20. à quoi il ajoûte immédiatement après, ([2]) Qu’il ne prétend exprimer par tous ces noms d’honnêteté, de louange, de dignité, & d’honneur, qu’une ſeule & même choſe. Tel étoit le langage des Philoſophes Payens qui ſavoient fort bien en quoi conſiſtoient les notions qu’ils avoient de la Vertu & du Vice. Et bien que les divers temperamens, l’éducation, les coûtumes, les maximes, & les intérêts de différentes ſortes d’hommes fuſſent peut-être cauſe que ce qu’on eſtimoit dans un Lieu, étoit cenſuré dans un autre ; & qu’ainſi les vertus & les vices changeaſſent en différentes Sociétez, cependant quant au principal, c’étoient pour la plûpart les mêmes par-tout. Car comme rien n’eſt plus naturel que d’attacher l’eſtime & la réputation à ce que chacun reconnoît lui être avantageux à lui-même, & de blâmer & de décrediter le contraire ; l’on ne doit pas être ſurpris que l’eſtime & le deshonneur, la vertu & le vice ſe trouvaſſent par-tout conformes, pour l’ordinaire, à la Règle invariable du Juſte & de l’Injuſte, qui a été établie par la Loi de Dieu, rien dans ce Monde ne procurant & l’aſſûrant le Bien général du Genre Humain d’une maniére ſi directe & ſi viſible que l’obeïſſance aux Loix que Dieu a impoſées à l’Homme, & rien au contraire n’y cauſant tant de miſere & de confuſion que la négligence de ces mêmes Loix. C’eſt pourquoi à moins que les hommes n’euſſent renoncé tout-à-fait à la Raiſon, au Sens commun, & à leur propre intérêt, auquel ils ſont ſi conſtamment devouez, ils ne pouvoient pas en général ſe méprendre juſques à ce point que de faire tomber leur eſtime, peu étant parvenus à ce dégré de corruption, de ne pas condamner, du moins dans les autres, les fautes dont ils étoient eux-mêmes coupables : ce qui fit que parmi la dépravation même des mœurs, les veritables bornes de la Loi de Nature qui doit être la Règle de la Vertu & du Vice, furent aſſez bien conſervées, de ſorte que les Docteurs inſpirez n’ont pas même fait difficulté dans les exhortations d’en appeller à la commune reputation : Que toutes les choſes qui ſont aimables, dit S. Paul, que toutes les choſes qui ſont de bonne renommée, s’il y a quelque vertu & quelque louange, penſez à ces choſes. Philip. Ch. IV. vs. 8.

§. 12.Ce qui fait valoir cette derniere Loi c’eſt la loûange & le blâme. Je ne ſai ſi quelqu’un ira ſe figurer que j’ai oublié la notion que je viens d’attacher au mot de Loi, lorſque je dis que la Loi par laquelle les hommes jugent de la Vertu & du Vice, n’eſt autre choſe que le conſentement de ſimples Particuliers, qui n’ont pas aſſez d’autorité pour faire une Loi, & ſur-tout, puiſque ce qui eſt ſi néceſſaire & ſi eſſentiel à une Loi leur manque, je veux dire la puiſſance de la faire valoir. Mais je croi pouvoir dire que quiconque s’imagine que l’approbation & le blâme ne ſont pas de puiſſans motifs pour engager les hommes à ſe conformer aux opinions & aux maximes de ceux avec qui ils converſent, ne paroît pas fort bien inſtruit de l’Hiſtoire du Genre Humain, ni avoir pénétré fort avant dans la nature des hommes, dont il trouvera que la plus grande partie ſe gouverne principalement, pour ne pas dire uniquement, par la Loi de la Coûtume ; d’où vient qu’ils ne penſent qu’à ce qui peut leur conſerver l’eſtime de ceux qu’ils fréquentent, ſans ſe mettre beaucoup en peine des Loix de Dieu ou de celles du Magiſtrat. Pour les peines qui ſont attachées à l’infraction des Loix de Dieu, quelques-uns, & peut-être la plupart y font rarement de ſerieuſes réflexions ; & parmi ceux qui y penſent, il y en a pluſieurs qui ſe figurent à meſure qu’ils violent cette Loi, qu’ils ſe reconcilieront un jour avec celui qui en eſt l’Auteur : & à l’égard des châtimens qu’ils ont à craindre de la part des Loix de l’Etat, ils ſe flattent ſouvent de l’eſperance de l’impunité. Mais il n’y a point d’homme qui venant à faire quelque choſe de contraire à la coûtume & aux opinions de ceux qu’il fréquente, & à qui il veut ſe rendre recommandable, puiſſe éviter la peine de leur cenſure & de leur dédain. De dix mille hommes il ne s’en trouvera pas un ſeul qui aît aſſez de force & d’inſenſibilité d’eſprit, pour pouvoir ſupporter le blâme & le mépris continuel de ſa propre Cotterie. Et l’homme qui peut être ſatisfait de vivre conſtamment décredité & en diſgrace auprès de ceux-là même avec qui il eſt en ſocieté, doit avoir une diſpoſition d’eſprit fort étrange, & bien différente de celle des autres hommes. Il s’eſt trouvé bien des gens qui ont cherché la ſolitude, & qui s’y ſont accoûtumez : mais perſonne à qui il ſoit reſté quelque ſentiment de ſa propre nature, ne peut vivre en ſocieté, continuellement dédaigné & mépriſé par ſes Amis & par ceux avec qui il converſe. Un fardeau ſi peſant eſt au deſſus des forces humaines ; & quiconque peut prendre plaiſir à la compagnie des hommes, & ſouffrir pourtant avec inſenſibilité le mépris & le dédain de ſes compagnons, doit être un compoſé bizarre de contradictions abſolument incompatibles.

§. 13.Trois Règles du Bien moral & du Mal moral. Voilà donc les trois Loix auxquelles les Hommes rapportent leurs actions en différentes maniéres, la Loi de Dieu, la Loi des Sociétez Politiques, & la Loi de la Coûtume ou la Cenſure des Particuliers. Et c’eſt par la conformité que les actions ont avec l’une de ces Loix que les hommes ſe règlent quand ils veulent juger de la rectitude morale de ces actions, & les qualifier bonnes ou mauvaises.

§. 14. Soit que la Règle à laquelle nous rapportons nos actions volontaires comme à une pierre-de-touche par où nous puiſſions les examiner, juger de leur bonté, & leur donner, en conſéquence de cet examen, un certain nom qui eſt comme la marque du prix que nous leur aſſignons, ſoit, dis-je, que cette règle ſoit prise de la Coûtume du Païs ou de la volonté d’un Légiſlateur, l’Eſprit peut obſerver aiſément le rapport qu’une action a avec cette Règle, & juger ſi l’action lui eſt conforme ou non. Et par-là il a une notion du Bien ou du Mal moral qui eſt la conformité ou la non-conformité d’une action avec cette Règle, qui pour cet effet eſt ſouvent appellée Rectitude morale. Or comme cette Règle n’eſt qu’une collection de différentes Idées ſimples, s’y conformer n’eſt autre choſe que diſpoſer l’action de telle ſorte que les Idées ſimples qui la compoſent, puiſſent correſpondre à celle que la Loi exige. Par où nous voyons comment les Etres ou Notions morales ſe terminent à ces Idées ſimples que nous recevons par Senſation ou par Reflexion, & qui en ſont le dernier fondement. Conſiderons par exemple l’idée complexe que nous exprimons par le mot de Meurtre. Si nous l’épluchons exactement & que nous examinions toutes les idées particulières qu’elle renferme, nous trouverons qu’elles ne ſont autre choſe qu’un amas d’Idées ſimples qui viennent de la Reflexion ou de la Senſation, (car prémiérement par la Reflexion que nous faiſons ſur les opérations de notre Eſprit nous avons les Idées de vouloir, de déliberer, de réſoudre par avance, de ſouhaiter du mal à un autre, d’être mal intentionné contre lui, comme auſſi les idées de vie ou de perception & de faculté de ſe mouvoir. La Senſation en ſecond lieu nous fournit un aſſemblage de toutes les idées ſimples & ſenſibles qu’on peut découvrir dans un homme, & d’une action particuliére par où nous détruiſons la perception & le mouvement dans un tel homme ; toutes leſquelles idées ſimples ſont compriſes dans le mot de Meurtre. Selon que je trouve que cette collection d’Idées ſimples s’accorde ou ne s’accorde pas avec l’eſtime générale dans le Païs où j’ai été élevé, & qu’elle y eſt jugée par la plûpart digne de louange ou de blâme, je la nomme une action vertueuſe ou vicieuſe. Si je prens pour règle la Volonté d’un ſuprême & inviſible Légiſlateur, comme je ſuppoſe en ce cas-là que cette action eſt commandée ou défenduë de Dieu, je l’appelle bonne ou mauvaiſe, un Péché ou un Devoir ; & ſi j’en juge par rapport à la Loi Civile, à la Règle établie par le pouvoir Légiſlatif du Païs, je dis qu’elle eſt permiſe ou non permiſe, qu’elle eſt criminelle, ou non criminelle. De ſorte que d’où nous prenions la règle des Actions Morales, de quelque meſure que nous nous ſervions pour nous former des Idées des Vertus ou des Vices, les Actions morales ne ſont compoſées de la Senſation ou de la Reflexion ; & leur rectitude ou obliquité conſiſte dans la convenance ou la diſconvenance qu’elles ont avec des modelles preſcrit par quelque Loi.

§. 15.Ce qu’il y a de moral dans les Actions eſt un rapport des Actions à ces Règles-là. Pour avoir des idées juſtes des Actions Morales, nous devons conſiderer ſous ces deux égards. Prémiérement, entant qu’elles ſont chacune à part & en elles-mêmes compoſées de telle ou telle collection d’Idées ſimples. Ainſi, l’Yvrognerie ou le Menſonge renferment tel ou tel amas d’Idées ſimples que j’appelle Modes Mixtes ; & en ce ſens ce ſont des Idées tout autant poſitives & abſoluës que l’action d’un Cheval qui boit ou d’un Perroquet qui parle. En ſecond lieu, nos actions ſont conſiderées comme bonnes, mauvaiſes, ou indifférentes, & à cet égard elles ſont relatives : car c’eſt leur convenance ou diſconvenance avec quelque Règle, qui les rend régulières ou irréguliéres, bonnes ou mauvaiſes ; & ce rapport s’étend auſſi loin que s’étend la comparaiſon qu’on fait de ces Actions avec une certaine Règle, & que la dénomination qui leur eſt donnée en vertu de cette comparaiſon. Ainſi l’action de défier & de combattre un homme, conſiderée comme un certain mode poſitif, ou une certaine eſpèce d’action diſtinguée de toutes les autres par des idées qui lui ſont particuliéres, s’appelle Duel : laquelle action conſiderée par rapport à la Loi de Dieu, mérite le nom de péché, par rapport à la Loi de la Coûtume paſſe en certains Païs pour une action de valeur & de vertu ; & par rapport aux Loix municipales de certains Gouvernemens eſt un crime capital. Dans ce cas, lorſque le Mode poſitif a différens noms ſelon les divers rapports qu’il a avec la Loi, la diſtinction eſt auſſi facile à obſerver que dans les Subſtances, où un ſeul nom, par exemple celui d’Homme, eſt employé pour ſignifier la choſe même ; & un autre comme celui de Père pour exprimer la Relation.

§. 16.La dénomination des actions nous trompe ſouvent. Mais parce que ſort ſouvent l’idée poſitive d’une action & celle de ſa relation morale, ſont compriſes ſous un ſeul nom, & qu’un même terme eſt employé pour exprimer le Mode ou l’Action, & ſa rectitude ou ſon obliquité morale ; on reflêchit moins ſur la Relation même, & fort ſouvent on ne met aucune diſtinction entre l’idée poſitive de l’Action & le rapport qu’elle a à une certaine Règle. En confondant ainſi ſous un même nom ces deux conſiderations diſtinctes, ceux qui ſe laiſſent trop aiſément préoccuper par l’impreſſion des ſons, & qui ſont accoûtumez à prendre les mots pour des choſes, s’égarent ſouvent dans les jugemens qu’ils font des Actions. Par exemple, boire du vin ou quelque autre liqueur forte juſqu’à en perdre l’uſage de la Raiſon, c’eſt ce qu’on appelle proprement s’enyvrer : mais comme ce mot ſignifie auſſi dans l’uſage ordinaire la turpitude morale qui eſt dans l’action par oppoſition à la Loi, les hommes ſont portez à condamner tout ce qu’ils entendent nommer yvreſſe, comme une action mauvaiſe & contraire à la Loi Morale. Cependant s’il arrive à un homme d’avoir le cerveau troublé pour avoir bû une certaine quantité de vin qu’un Médecin lui aurait preſcrit pour le bien de ſa ſanté, quoi qu’on puiſſe donner proprement le nom d’yvreſſe à cette action, à la conſiderer comme le nom d’un tel Mode Mixte, il eſt viſible que conſiderée par rapport à la Loi de Dieu & dans le rapport qu’elle a avec cette ſouveraine Règle, ce n’eſt point un péché ou une transgreſſion de la Loi, bien que le mot d’yvreſſe emporte ordinairement une telle idée.

§. 17.Les Relations ſont innombrables. En voilà aſſez ſur les actions humaines conſiderées dans la relation qu’elles ont à la Loi, & que je nomme pour cet effet des Relations Morales.

Il faudroit un Volume pour parcourir toutes les eſpèces de Relations. On ne doit donc pas attendre que je les étale ici toutes. Il ſuffit pour mon préſent deſſein de montrer par celles qu’on vient de voir, quelles ſont les Idées que nous avons de ce qu’on nomme Relation, ou Rapport : conſideration qui eſt d’une ſi vaſte étenduë, ſi diverſe, & dont les occaſions ſont en ſi grand nombre (car il y en a autant qu’il peut y avoir d’occaſions de comparer les choſes l’une à l’autre) qu’il n’eſt par fort aiſé de les reduire à des règles préciſes, ou à certains chefs particuliers. Celles dont j’ai fait mention, ſont, je croi, des plus conſiderables & peuvent ſervir à faire voir d’où c’eſt que nous recevons nos idées des Relations, & ſur quoi elles ſont fondées. Mais avant que de quitter cette matiére, permettez-moi de déduire de ce que je viens de dire, les obſervations ſuivantes.

§. 18.Toutes les Relations ſe terminent à des Idées ſimples. La prémiére eſt, qu’il eſt évident que toute Relation ſe termine à ces Idées ſimples que nous avons reçu par Senſation ou par Reflexion, que c’en eſt le dernier fondement ; de ſorte que ce que nous avons nous-mêmes dans l’Eſprit en penſant, (ſi nous penſons effectivement à quelque choſe, ou qu’il y ait quelque ſens à ce que nous penſons) tout ce qui eſt l’objet de nos propres penſées ou que nous voulons faire entendre aux autres lorsque nous nous ſervons de mots, & qui renferme quelque relation, tout cela, dis-je, n’eſt autre choſe que certaines Idées ſimples, ou un aſſemblage de quelques Idées ſimples, comparées l’une avec l’autre. La choſe eſt ſi viſible dans cette eſpèce de Relations que j’ai nommé proportionnelles, que rien ne peut l’être davantage. Car lorsqu’un homme dit, Le Miel eſt plus doux que la Cire, il eſt évident que dans cette relation ſes penſées ſe terminent à l’idée ſimple de douceur ; & il en eſt de même de toute autre relation, quoi que peut-être quand nos penſées ſont extrêmement compliquées, on faſſe rarement reflexion aux Idées ſimples dont elles ſont compoſées. Par exemple, lorsqu’on employe le mot de Père, prémiérement on entend par-là cette eſpèce particuliére, ou cette idée collective ſignifiées par le mot homme ; ſecondement, les idées ſimples & ſenſibles, ſignifiées par le terme de génération ; & en troiſiéme lieu, ſes effets, & toutes les idées ſimples qu’emporte le mot d’Enfant. Ainſi le mot d’Ami étant pris pour un homme qui aime un autre homme & eſt prêt à lui faire du bien, contient toutes les Idées ſuivantes qui le compoſent ; prémiérement, toutes les idées ſimples compriſes ſous le mot Homme, ou Etre intelligent ; en ſecond lieu, l’idée d’amour ; en troiſiéme lieu, l’idée de diſpoſition à faire quelque choſe ; en quatriéme lieu l’idée d’action qui doit être quelque eſpèce de penſée ou de mouvement, & enfin l’idée de Bien, qui ſignifie tout ce qui peut lui procurer du bonheur, & qui à l’examiner de près, ſe termine enfin à des idées ſimples & particuliéres, dont chacune eſt renfermée ſous le terme de Bien en général, lequel terme ne ſignifie rien, s’il eſt entierement ſeparé de toute idée ſimple. Voilà comment les termes de Morale ſe terminent enfin, comme toute autre, à une collection d’idées ſimples, quoi que peut-être de plus loin, la ſignification immédiate des termes Relatifs contenant fort ſouvent des relations ſuppoſées connuës, qui étant conduites comme à la trace de l’une à l’autre ne manquent pas de ſe terminer à des Idées ſimples.

§. 19.Nous avons ordinairement une notion auſſi claire ou plus claire de la relation de ſon fondement. La ſeconde choſe que j’ai à remarquer, c’eſt que dans les Relations nous avons pour l’ordinaire, ſi ce n’eſt point toûjours, une idée auſſi claire du rapport, que des Idées ſimples ſur lesquelles il eſt fondé, la convenance ou la disconvenance d’où dépend la Relation étant des choſes dont nous avons communément des idées auſſi claires que de quelque autre que ce ſoit, parce qu’il ne faut pour cela que diſtinguer les idées ſimples l’une de l’autre, ou leurs différens dégrez, ſans quoi nous ne pouvons abſolument point avoir de connoiſſance diſtincte. Car ſi j’ai une idée claire de douceur, de lumiére, ou d’entenduë, j’ai auſſi une idée claire d’autant, de plus, ou de moins de chacune de ces choſes. Si je ſai ce que c’eſt à l’égard d’un homme d’être né d’une femme, comme de Sempronia, je ſai ce que c’eſt à l’égard d’un autre homme d’être né de la même Sempronia, & par-là je puis avoir une notion auſſi claire de la fraternité que de la naiſſance, & peut-être plus claire. Car ſi je croyais que Sempronia a pris Titus de deſſous un Chou, comme ([3]) on a accoûtumé de dire aux petits Enfans, & que par-là elle eſt devenuë ſa Mére ; qu’enſuite elle a eu Cajus de la même maniére, j’aurois une notion auſſi claire de la relation de frere entre Titus & Cajus, que ſi j’avois tout le ſavoir des ſages-femmes ; parce que tout le fondement de cette relation roule ſur cette notion, que la même femme a également contribué à leur naiſſance en qualité de Mére (quoi que je fuſſe dans l’ignorance ou dans l’erreur à l’égard de la maniére) & que la naiſſance de ces deux Enfans convient dans cette circonſtance, en quoi que ce ſoit qu’elle conſiſte effectivement. Pour fonder la notion de fraternité qui eſt ou n’eſt pas entr’eux, il me ſuffit de les comparer ſur l’origine qu’ils tirent d’une même perſonne, ſans que je connoiſſe les circonſtances particuliéres de cette origine. Mais quoi que les idées des Relations particuliéres puiſſent être auſſi claires & auſſi diſtinctes dans l’Eſprit de ceux qui les conſiderent dûement, que les idées de Modes mixtes, & plus déterminées que celles des Subſtances, cependant les termes de Relation ſont ſouvent auſſi ambigus, & d’une ſignification auſſi incertaine, que les noms des Subſtances ou des modes mixtes ; & beaucoup plus, que ceux des Idées ſimples. La raiſon de cela, c’eſt que les termes relatifs étant des ſignes d’une comparaiſon, qui ſe fait uniquement par les penſées des hommes, & dont l’idée n’exiſte que dans leur Eſprit, les hommes appliquent ſouvent ces termes à différentes comparaiſons de choſes, ſelon leurs propres imaginations ([4]) qui ne correſpondent pas toûjours à l’imagination d’autres perſonnes qui ſe ſervent des mêmes mots.

§. 20.La notion de la Relation eſt la même, ſoit que la règle à laquelle une action eſt comparée ſoit vraye ou fauſſe. Je remarque en troiſiéme lieu, que dans les Relations que je nomme morales, j’ai une véritable notion du Rapport en comparant l’action avec une certaine Règle, ſoit que la Règle ſoit vraye, ou fauſſe. Car ſi je meſure une choſe avec une Autre, je ſai ſi la choſe que je meſure eſt plus longue ou plus courte que cette Aune prétenduë, quoi que peut-être l’Aune dont je me ſers, ne ſoit pas exactement juſte, ce qui à la vérité eſt une Queſtion tout-à-fait différente. Car quoi que la Règle ſoit fauſſe & que je me méprenne en la prenant pour bonne, cela n’empêche pourtant pas, que la convenance ou la disconvenance qui ſe remarque dans ce que je compare à cette Règle, ne me faſſe voir la relation. A la vérité en me ſervant d’une fauſſe règle, je ſerai engagé par-là à mal juger de la rectitude morale de l’action ; parce que je ne l’aurai pas examinée par ce qui eſt la véritable Règle ; mais je ne me trompe pourtant pas à l’égard du rapport que cette action a avec la Règle à laquelle je la compare, ce qui en fait la convenance ou la disconvenance.


  1. Æneid. Lib. I. verſ. 461. Il eſt viſible que le mot Lans qui ſignifie ordinairement l’approbation duë à la Vertu, ſe prend ici pour la Vertu même.
  2. Hice ego pluribus nominibus unam rem declargri volo.
  3. Je ne ſai ſi l’on ſe ſert communément en France de ce tour, pour ſatisfaire la curiosité des Enfans ſur cet article. Je l’ai ouï employer dans ce deſſein. Quoi qu’il en ſoit, la choſe n’eſt pas de grande importance. On ſe ſert en Anglois d’un tour un peu différent, mais qui revient au même.
  4. Il me ſouvient à ce propos d’une plaiſante équivoque fondée ſur ce que M. Locke dit ici. Deux Femmes converſant enſemble, l’une vint à parler d’un certain homme de ſa connoiſſance, & dit que c’étoit un très-bon homme. Mais quelque temps après, s’étant engagée à le caractériſer plus particulierement, elle ajoûta que c’étoit un homme injuſte, de mauvaiſe humeur, qui par ſa dureté & ſes manieres violentes ſe rendoit inſupportable à ſa Femme, à ſes Enfans, & à tous ceux qui avoient à faire avec lui. Sur cela l’autre perſonne qui avoit l’Eſprit juſte & pénétrant, ſurpriſe de ce nouveau caractere qui lui paraiſſoit incompatible avec le prémier, s’écria, Mais n’avez-vous pas dit tout à l’heure que c’étoit un très-bon homme ? Oui vraiment, je l’ai dit, repliqua-t-elle auſſitôt : mais je vous aſſure, Madame, qu’on n’en vaut pas mieux pour être bon : faiſant ſentir par le ton railleur dont elle prononça ces derniéres paroles qu’elle étoit fort ſurpriſe à ſon tour, que la perſonne qui lui faiſoit une ſi pitoyable Objection, eût vécu ſi long-temps dans le monde ſans s’être apperçue d’une choſe ſi ordinaire. C’eſt que dans le language de cette bonne Femme, être bon ne ſignifioit autre choſe qu’aller ſouvent à l’Egliſe, & s’acquitter exactement de tous les devoirs exterieurs de la Religion.