Essai philosophique concernant l’entendement humain/Livre 2/Chapitre 13


CHAPITRE XIII.

Des Modes Simples ; & prémiérement, de ceux de l’Eſpace.


§. 1.Les Modes Simples.
QUoique j’aye déja parlé fort ſouvent des Idées ſimples, qui ſont en effet les materiaux de toutes nos connoiſſances, cependant comme je les ai plûtôt conſiderées par rapport à la maniére dont elles ſont introduites dans l’Eſprit, qu’entant qu’elles ſont diſtinctes des autres Idées plus compoſées, il ne ſera peut-être par hors de propos d’en examiner encore quelques-unes ſous ce dernier rapport, & de voir ces différentes modifications de la même Idée, que l’Eſprit trouve dans les choſes mêmes, ou qu’il eſt capable de former en lui-même ſans le ſecours d’aucun objet extérieur, ou d’aucune cauſe étrangere.

Ces Modifications d’une Idée Simple, quelle qu’elle ſoit, auxquelles je donne le nom de Modes Simples, comme il a été dit, ſont des Idées auſſi parfaitement diſtinctes dans l’Eſprit que celles entre leſquelles il y a le plus de diſtance ou d’oppoſition. Car l’idée de deux, par exemple, eſt auſſi différente & auſſi diſtincte de celle d’un, que l’idée du Bleu différe de celle de la Chaleur, ou que l’une de ces idées eſt diſtincte de celle de quelque autre nombre que ce ſoit. Cependant deux n’eſt compoſé que de l’idée Simple de l’unité repetée ; & ce ſont les repetitions de cette eſpèce d’idée qui jointes enſemble, ſont les idées diſtinctes ou les modes ſimples d’une Douzaine, d’une Groſſe, d’un Million, &c.

§. 2.Idée de l’Eſpace. Je commencerai par l’idée ſimple de l’Eſpace. J’ai déja montré dans le Chapitre Quatriéme de ce Second Livre, que nous acquérons l’idée de l’Eſpace & par la vûë & par l’attouchement, ce qui eſt, ce me ſemble, d’une telle évidence, qu’il ſeroit auſſi inutile de prouver que les hommes apperçoivent, par la vûë, la diſtance qui eſt entre des Corps de diverſes couleurs, ou entre les parties du même Corps, qu’il ſeroit de prouver qu’ils voyent les couleurs mêmes. Il n’eſt pas moins aiſé de ſe convaincre que l’on peut appercevoir l’Eſpace dans les ténèbres par le moyen de l’attouchement.

§. 3. L’Eſpace conſideré ſimplement par rapport à la longueur qui ſepare deux Corps ſans conſiderer aucune autre choſe entre-deux, s’appelle Diſtance. S’il eſt conſideré par rapport à la longueur, à la largeur & à la profondeur, on peut, à mon avis, le nommer capacité. Pour le terme d’Etenduë, on l’applique ordinairement à l’Eſpace de quelque maniére qu’on le conſidere.

§. 4.L’immenſité. Chaque diſtance diſtincte eſt une différente modification de l’Eſpace, & chaque Idée d’une diſtance diſtincte ou d’un certain Eſpace, eſt un Mode Simple de cette Idée. Les hommes, pour leur uſage, & par leur coûtume de meſurer, qui s’eſt introduite parmi eux, ont établi dans leur Eſprit les idées de certaines longueurs déterminées, comme ſont un pouce, un pié, une aune, un ſtade, un mille, le Diametre de la Terre, &c. qui ſont tout autant d’Idées diſtinctes, uniquement compoſées d’Eſpace. Lors que ces ſortes de longueurs ou meſures d’Eſpace, leur ſont devenuës familiéres, ils peuvent les repeter dans leur Eſprit auſſi ſouvent qu’il leur plaît, ſans y joindre ou mêler l’idée du Corps ou d’aucune autre choſe ; & ſe faire des idées de long, de quarré, ou de cubique, de piés, d’aunes, ou de ſtades, pour les rapporter dans cet Univers, aux Corps qui y ſont, ou au delà des derniéres limites de tous les Corps ; & en multipliant ainſi ces idées par de continuelles additions, ils peuvent étendre leur idée de l’Eſpace autant qu’ils veulent. C’eſt par cette puiſſance de repeter ou de doubler l’idée que nous avons de quelque diſtance que ce ſoit, & de l’ajoûter à la précedente auſſi ſouvent que nous voulons, ſans pouvoir être arrêtez nulle part, que nous nous formons l’idée de l’immenſité.

§. 5.La Figure. Il y a une autre modification de cette Idée de l’Eſpace, qui n’eſt autre choſe que la rélation qui eſt entre les parties qui terminent l’étenduë. C’eſt ce que l’attouchement découvre ans les Corps ſenſibles lorsque nous en pouvons toucher les extremitez, ou que l’œil apperçoit par les Corps mêmes & par leurs couleurs, lors qu’il en voit les bornes : auquel cas venant à obſerver comment les extremitez ſe terminent ou par des lignes droites qui forment des angles diſtincts, ou par des lignes courbes, où l’on ne peut appercevoir aucun angle, & les conſiderant dans le rapport qu’elles ont les unes avec les autres, dans toutes les parties des extremitez d’un Corps ou de l’Eſpace, nous nous formons l’idée que nous appellons Figure, qui ſe multiplie dans l’Eſprit avec une infinie varieté. Car outre le nombre prodigieux de figures différentes qui exiſtent réellement en diverſes maſſes de matiére, l’Eſprit en a un fonds abſolument inépuiſable par la puiſſance qu’il a de diverſifier l’idée de l’Eſpace, & d’en faire par ce moyen de nouvelles compoſitions en repetant ſes propres idées, & les aſſemblant comme il lui plait. C’eſt ainſi qu’il peut multiplier les Figures à l’infini.

§. 6. En effet, l’Eſprit ayant la puiſſance de repeter l’idée d’une certaine ligne droite, & d’y en joindre une autre toute ſemblable ſur le même plan, c’eſt-à-dire de doubler la longueur de cette ligne, ou bien de la joindre à une autre avec telle inclination qu’il juge à propos, & ainſi de faire telle ſorte d’angle qu’il veut, notre Eſprit, dis-je, pouvant outre cela raccourcir une certaine ligne qu’il lui plaira, ſans pouvoir arriver à la fin de ces ſortes de diviſions, il peut faire un angle de telle grandeur qu’il veut. Il peut faire auſſi les lignes qui en conſtituent les côtez, de telle longueur qu’il le juge à propos, & les joindre encore à d’autres lignes de différentes longueurs, & à differens angles, juſqu’à ce qu’il ait entierement fermé un certain eſpace : d’où il s’enſuit évidemment que nous pouvons multiplier les Figures à l’infini tant à l’égard de leur particuliére configuration, qu’à l’égard de leur capacité ; & toutes ces Figures ne ſont autre choſe que des Modes Simples de l’Eſpace, différens les uns des autres.

Ce qu’on peut faire avec des lignes droites, on peut le faire auſſi avec des lignes courbes, ou bien avec des lignes courbes & droites mêlées enſemble : & ce qu’on peut faire ſur des lignes, on peut le faire ſur des ſurfaces, ce qui peut nous conduire à la connoiſſance d’une diverſité infinie de Figures que l’Eſprit peut ſe former à lui-même & par où il devient capable de multiplier ſi fort les Modes Simples de l’Eſpace.

§. 7.Le Lieu. Une autre Idée qui ſe rapporte à cet article, c’eſt ce que nous appellons la place, ou le lieu. Comme dans le ſimple Eſpace nous conſiderons le rapport de diſtance qui eſt entre deux Corps, ou deux Points, de même dans l’idée que nous avons du Lieu, nous conſiderons le rapport de diſtance qui eſt entre une certaine choſe, & deux Points ou plus encore, qu’on conſidere comme gardant la même diſtance l’un à l’égard de l’autre, & qu’on ſuppoſe par conſéquent en repos : car lorſque nous trouvons aujourd’hui une choſe à la meme diſtance qu’elle étoit hier, de certains Points qui depuis n’ont point changé de ſituation les uns à l’égard des autres, & avec leſquels nous la comparions alors, nous diſons qu’elle a gardé la même place. Mais ſi ſa diſtance à l’égard de l’un de ces Points, a changé ſenſiblement, nous diſons qu’elle a changé de place. Cependant parler vulgairement, & ſelon la notion commune ce qu’on nomme le lieu, ce n’eſt pas toûjours de certains points précis que nous prenons exactement la diſtance, mais de quelques parties conſiderables de certains Objets ſenſibles auxquels nous rapportons la choſe dont nous obſervons la place & dont nous avons quelque raiſon de remarquer la diſtance qui eſt entre elle & ces Objets.

§. 8. Ainſi dans le jeu des Echecs quand nous trouvons toutes les Pièces placées ſur les mêmes caſes de l’Echiquier où nous les avions laiſſées, nous diſons qu’elles ſont toutes dans la même place, ſans avoir été remuées, quoi que peut-être l’Echiquier ait été tranſporté, dans le même temps, d’une chambre dans une autre : parce que nous ne conſiderons les Pièces que par rapport aux parties de l’Echiquier qui gardent la même diſtance entre elles. Nous diſons auſſi, que l’Echiquier eſt dans le même lieu qu’il étoit, s’il reſte dans le même endroit de la Chambre d’un Vaiſſeau où l’on l’avoit mis, quoi que le Vaiſſeau eſt dans le même lieu, ſuppoſé qu’il garde la même diſtance à l’égard des parties des Païs voiſins, quoi que la Terre ait peut-être tourné tout autour, & qu’ainſi les Echecs, l’Echiquier & le Vaiſſeau ayent changé de place par rapport à des Corps plus éloignez qui ont gardé la même diſtance l’un à l’égard de l’autre. Cependant comme la place des Echecs eſt déterminée par leur diſtance de certaines parties fixes de la Chambre d’un Vaiſſeau à l’égard de l’Echiquier, ſert à en déterminer la place, & que c’eſt par rapport à certaines parties fixes de la Terre que nous déterminons la place du Vaiſſeau, on peut dire à tous ces différens égards, que les Echecs, l’Echiquier, & le Vaiſſeau ſont dans la même place, quoi que leur diſtance de quelques autres choſes, auxquelles nous ne faiſons aucune réflexion dans ce cas-là, ayant changé, il ſoit indubitable qu’ils ont auſſi changé de place à cet égard ; & c’eſt ainſi que nous en jugeons nous-mêmes, lorſque nous les comparons avec ces autres choſes.

§. 9. Mais comme les Hommes ont inſtitué pour leur uſage, cette modification de diſtance qu’on nomme Lieu, afin de pouvoir déſigner la poſition particulière des choſes, lorsqu’ils ont beſoin d’une telle dénotation, ils conſidérent & déterminent la place d’une certaine choſe par rapport aux choſes adjacentes qui peuvent le mieux ſervir à leur préſent deſſein, ſans ſonger aux autres choſes qui dans une autre vûë ſeroient plus propres à déterminer le lieu de cette même choſe. Ainſi l’uſage de la dénotation de la place que chaque Echec doit occuper, étant déterminé par les différentes caſes tracées ſur l’Echiquier, ce ſeroit s’embarraſſer inutilement par rapport à cet uſage particulier que de meſurer la place des Echecs par quelque autre choſe. Mais lorſque ces mêmes Echecs ſont dans un Sac, ſi quelqu’un demandoit où eſt le Roi noir, il faudroit en déterminer le lieu par certains endroits de la Chambre où il ſeroit, & non pas par l’Echiquier : parce que l’uſage pour lequel on déſigne la place qu’il occupe préſentement, eſt différent de celui qu’on en tire en joûant lorsqu’il eſt ſur l’Echiquier ; & par conſéquent, la place en doit être déterminée par d’autres Corps. De même, ſi l’on demandoit où ſont les Vers qui contiennent l’avanture de Niſus & d’Eurialus, ce ſeroit en déterminer fort mal l’endroit que de dire qu’ils ſont dans un tel lieu de la Terre, ou dans la Bibliotheque du Roi : mais la véritable détermination du lieu où ſont ces Vers, devoit être priſe des Ouvrages de Virgile : de ſorte que pour bien répondre à cette Queſtion, il faudroit dire qu’ils ſont vers le milieu du Neuviéme Livre de ſon Eneïde, & qu’ils ont toûjours été dans le même endroit, depuis que Virgile a été imprimé, ce qui eſt toûjours vrai, quoi que le Livre lui-même ait changé mille fois de place : l’uſage qu’on fait en cette rencontre de l’idée du Lieu, conſiſtant ſeulement à connoître en quel endroit du Livre ſe trouve cette Hiſtoire, afin que dans l’occaſion nous puiſſions ſavoir où la trouver, pour y recourir quand nous en aurons beſoin.

§. 10.Du Lieu. Que l’idée que nous avons du Lieu, ne ſoit qu’une telle poſition d’une choſe par rapport à d’autres, comme je viens de l’expliquer, cela eſt, à mon avis, tout-à-fait évident ; & nous le reconnoîtrons ſans peine, ſi nous conſiderons que nous ne ſaurions avoir aucune idée de la place de l’Univers, quoi que nous puiſſions avoir une idée de la place de toutes ces parties, parce qu’au delà de l’Univers nous n’avons point d’idée de certains Etres fixes, diſtinctes, & particuliers auxquels nous puiſſions juger que l’Univers ait aucun rapport de diſtance, n’y ayant au delà qu’un Eſpace ou Entenduë uniforme, où l’Eſprit ne trouve aucune varieté ni aucune marque de diſtinction. Que ſi l’on dit que l’Univers eſt quelque part, cela n’emporte dans le fond autre choſe, ſi ce n’eſt que l’Univers exiſte : car cette expreſſion quoi qu’empruntée du Lieu, ſignifie ſimplement ſon exiſtence, & non ſa ſituation ou location, s’il m’eſt permis de parler ainſi. Et quiconque pourra trouver & ſe repréſenter nettement & diſtinctement la place de l’Univers, pourra fort bien nous dire ſi l’Univers eſt en mouvement ou dans un continuel repos, dans cette étenduë infinie du Vuide où l’on ne ſauroit concevoir aucune diſtinction. Il eſt pourtant vrai, que le mot de place ou de lieu ſe prend ſouvent dans un ſens plus confus, pour cet eſpace que chaque Corps occupe ; dans ce ſens, l’Univers eſt dans un certain lieu.

Il eſt donc certain que nous avons l’idée du Lieu par les mêmes moyens que nous acquerons celle de l’Eſpace, dont le Lieu n’eſt qu’une conſideration particuliére, bornée à certaines parties : je veux dire la vûë & l’attouchement qui ſont les deux moyens par leſquels nous recevons les idées de ce qu’on nomme étenduë ou diſtance.

§. 11.Le Corps & l’Etenduë ne ſont pas la même choſe. Il y a des gens[1] qui voudroient nous perſuader, Que le Corps & l’Etenduë ſont une même choſe. Mais ou ils changent la ſignification des mots, dequoi je ne voudrois pas les ſoupçonner, eux qui ont ſi ſéverement condamné[2] la Philoſophie qui étoit en vogue avant eux, pour être trop fondée ſur le ſens incertain ou ſur l’obſcurité illuſoire de certains termes ambigus ou qui ne ſignifioient rien : ou bien, ils confondent la même choſe que les autres hommes, ſavoir par le Corps ce qui eſt ſolide & étendu, dont les parties peuvent être diviſées & muës en différentes maniéres, & par l’Entenduë, ſeulement l’eſpace que ces parties ſolides jointes enſemble occupent, & qui eſt entre les extremitez de ces parties. Car j’en appelle à ce que chacun juge en ſoi-même, pour ſavoir ſi l’Idée de l’Eſpace n’eſt pas auſſi diſtincte de celle de la Solidité, que de l’Idée de la Couleur qu’on nomme Ecarlate. Il eſt vrai que la Solidité ne peut ſubſiſter ſans l’étenduë, ni l’Ecarlate ne ſauroit exiſter non plus ſans l’étenduë, ce qui n’empêche pas que ce ne ſoient des Idées diſtinctes. Il y a pluſieurs Idées qui pour exiſter, ou pour pouvoir être conçuës, ont abſolument beſoin d’autres Idées dont elles ſont pourtant très-différentes. Le Mouvement ne peut être, ni être conçu ſans l’Eſpace ; & cependant le Mouvement n’eſt point l’Eſpace, ni l’Eſpace le Mouvement : l’Eſpace peut exiſter ſans le Mouvement, & ce ſont deux idées fort diſtinctes. Il en eſt de même, à ce que je croi, de l’Eſpace & de la Solidité. La Solidité eſt une idée ſi inſéparable du Corps, que c’eſt parce que le Corps eſt ſolide, qu’il remplit l’Eſpace, qu’il touche un autre Corps, qu’il le pouſſe, & par-là lui communique du mouvement. Que ſi l’on peut prouver que l’Eſprit eſt different du Corps, parce que ce qui penſe, n’enferme point l’idée de l’étenduë : ſi cette raiſon eſt bonne, elle peut, à mon avis, ſervir tout auſſi bien à prouver que l’Eſpace n’eſt pas un Corps, parce qu’il n’enferme pas l’idée de la Solidité, l’Eſpace & la Solidité étant des Idées auſſi différentes entr’elles que la Penſée & l’Etenduë, de ſorte que l’Eſprit peut les ſeparer entiérement l’une de l’autre. Il eſt donc évident que le Corps & l’Entenduë ſont deux Idées diſtinctes.

§. 12. Car prémiérement, l’Etenduë n’enferme ni Solidité ni réſiſtance au mouvement d’un Corps, comme fait le Corps.

§. 13. En ſecond lieu, les Parties de l’Eſpace pur ſont inſéparables l’une de l’autre, en ſorte que la continuité n’en peut-être, ni réellement, ni mentalement ſéparée. Car je défie qui que ce ſoit de pouvoir écarter, même par la penſée, une partie de l’Eſpace d’avec une autre. Diviſer & ſeparer actuellement, c’eſt, à ce que je croi, faire deux ſuperficies en écartant des parties qui faiſoient auparavant une quantité continuë ; & diviſer mentalement, c’eſt imaginer deux ſuperficies où auparavant il y avoit continuité, & les conſiderer comme éloignées l’une de l’autre, ce qui ne peut ſe faire que dans les choſes que l’Eſprit conſidére comme capables d’être diviſées, & de recevoir, par la diviſion, de nouvelles ſurfaces diſtinctes, qu’elles n’ont pas alors, mais qu’elles ſont capables d’avoir. Or aucune de ces ſortes de diviſions, ſoit réelle, ou mentale, ne ſauroit convenir, ce me ſemble, à l’Eſpace pur. A la vérité, un homme peut conſiderer autant d’un tel eſpace, qui réponde ou ſoit commenſurable à un pié, ſans penſer au reſte, ce qui eſt bien une conſideration de certaine portion de l’Eſpace, mais n’eſt point une diviſion même mentale, parce qu’il n’eſt pas plus poſſible à un homme de faire une diviſion par l’Eſprit ſans reflechir ſur deux ſurfaces ſeparées l’une de l’autre, que de diviſer actuellement, ſans faire deux ſurfaces, écartées l’une de l’autre. Mais conſiderer des parties, ce n’eſt point les diviſer. Je puis conſiderer la lumiére dans le Soleil, ſans faire deux ſurfaces, écartées l’une de l’autre. Mais conſiderer des parties, ce n’eſt point diviſer. Je puis conſiderer la lumiére dans le Soleil, ſans faire reflexion à ſa chaleur, ou la mobilité dans le Corps, ſans penſer à ſon étenduë, mais par-là je ne ſonge point à ſeparer la lumiére d’avec la chaleur, ni la mobilité d’avec l’étenduë. La prémiére de ces choſes n’eſt qu’une ſimple conſideration d’une ſeule partie, au lieu que l’autre eſt une conſideration de deux parties entant qu’elles exiſtent ſeparément.

§. 14. En troiſiéme lieu, les parties de l’Eſpace pur ſont immobiles, ce qui ſuit de ce qu’elles ſont indiviſibles : car comme le mouvement n’eſt qu’un changement de diſtance entre deux choſes, un tel changement ne peut arriver entre des parties qui ſont inſéparables, car il faut qu’elles ſoient par cela même dans un perpetuel repos l’une à l’égard de l’autre.

Ainſi l’Idée déterminée de l’Eſpace pur le diſtingue évidemment & ſuffiſamment du Corps, puisque ſes parties ſont inſéparables, immobiles, & ſans reſiſtance au mouvement du Corps.

§. 15.La Définition de l’Etenduë ne prouve point qu’il ne ſauroit y avoir de l’Eſpace ſans Corps. Que ſi quelqu’un me demande, ce que c’eſt que cet Eſpace, dont je parle, je ſuis prêt à le lui dire, quand il me dira ce que c’eſt que l’Etenduë. Car de dire comme on fait ordinairement, que l’Etenduë c’eſt d’avoir partes extra partes, c’eſt dire ſimplement que l’Etenduë eſt étenduë. Car, je vous prie, ſuis-je mieux inſtruit de la nature de l’Etenduë lorsqu’on me dit qu’elle conſiſte à avoir des parties étenduës, extérieures à d’autres parties étenduës, c’est à dire que l’Etenduë eſt compoſée de parties étenduës, ſuis-je mieux inſtruit ſur ce point, que celui qui me demandant ce que c’eſt qu’une Fibre, recevroit pour réponſe, que c’eſt une choſe compoſée de pluſieurs Fibres ? Entendroit-il mieux, après une telle réponse, ce que c’eſt qu’une Fibre, qu’il ne l’entendoit auparavant ? ou plûtôt, n’auroit-il pas raiſon de croire que j’aurois bien plus en vûë de me moquer de lui, que de l’inſtruire ?

§. 16.La Diviſion des Etres en Corps & Eſprits, ne prouve point que l’Eſpace & le Corps ſoient la même choſe. Ceux qui ſoûtiennent que l’Eſpace & le Corps ſont une même choſe, ſe ſervent de ce Dilemme : Ou l’Eſpace eſt quelque choſe, ou ce n’eſt rien. S’il n’y a rien entre deux Corps, il faut néceſſairement qu’ils ſe touchent : & ſi l’on dit que l’Eſpace eſt quelque choſe[3], ils demandent ſi c’eſt le Corps, ou Eſprit ? A quoi je répons par une autre Queſtion : Qui vous a dit, qu’il n’y a, ou qu’il n’y peut avoir que des Etres ſolides qui ne peuvent penſer, & que des Etres penſans qui ne ſont point étendus ? Car c’eſt là tout ce qu’ils entendent par les termes Corps & d’Eſprit.

§. 17.La Subſtance, que nous ne connoiſſons pas, ne peut ſervir de preuve contre l’exiſtence d’un Eſpace ſans Corps. Si l’on demande, comme on a accoûtumé de faire, ſi l’Eſpace ſans Corps eſt ſubſtance ou Accident, je répondrai ſans héſiter, Que je n’en ſai rien ; & je n’aurai point de honte d’avoûër mon ignorance, juſqu’à ce que ceux qui font cette Queſtion, me donnent une idée claire & diſtincte de ce qu’on nomme Subſtance.

§. 18. Je tâche de me délivrer, autant que je puis, de ces illuſions que nous ſommes ſujets à nous faire à nous-mêmes, en prenant des mots pour des choſes. Il ne nous ſert de rien de faire ſemblant de ſavoir ce que nous ne ſavons pas, en prononçant certains ſons qui ne ſignifient rien de diſtinct & de poſitif. C’eſt battre l’air inutilement. Car des mots fait à plaiſir ne changent point la nature des choſes, & ne peuvent devenir intelligibles qu’entant que ce ſont des ſignes de quelque choſe de poſitif, & qu’ils expriment des Idées diſtinctes & déterminées. Je ſouhaiterois au reſte, que ceux qui appuyent ſi fort ſur le ſon de ces trois ſyllabes, Subſtance, priſſent la peine de conſiderer, ſi l’appliquant, comme ils font, à Dieu, cet Etre infini & incomprehenſible, aux Eſprits finis, & au Corps, ils le prennent dans le même ſens ; & ſi ce mot emporte la même idée lorsqu’on le donne à chacun de ces trois Etres ſi différens. S’ils diſent qu’oui, je les prie de voir s’il ne s’enſuivra point de là, Que Dieu, les Eſprits finis, & les Corps participans en commun à la même nature de Subſtance, ne différent point autrement que par la différente modification de cette Subſtance, comme un Arbre & un Caillou qui étant Corps dans le même ſens, & participant également à la nature du Corps, ne différent que dans la ſimple modification de cette matiére commune dont ils ſont compoſez, ce qui ſeroit un dogme bien difficile à digerer. S’ils diſent qu’ils appliquent le mot de Subſtance à Dieu, aux Eſprits finis, & la Matiére en trois différentes ſignifications : que, lors qu’on dit que Dieu est une Subſtance, ce mot marque une certaine idée, qu’il en ſignifie une autre lors qu’on le donne à l’Ame, & une troiſiéme lors qu’on le donne au Corps : ſi, dis-je, le terme de Subſtance a trois différentes idées, abſolument diſtinctes, ces Meſſieurs nous rendroient un grand ſervice s’ils vouloient prendre la peine de nous faire connoître ces trois idées, ou du moins de leur donner trois noms diſtincts, afin de prévenir, dans un ſujet ſi important, la confuſion & les erreurs que cauſera naturellement l’uſage d’un terme ſi ambigu, ſi on l’applique indifferemment & ſans diſtinctions à des choſes ſi différentes ; car à peine a-t-il une ſeule ſignification claire & déterminée, tant s’en faut que dans l’uſage ordinaire on ſoupçonne qu’il en renferme trois. Et du reſte, s’ils peuvent attribuer trois idées diſtinctes à la Subſtance, qui peut empêcher qu’un autre ne lui en attribuë une quatriéme ?

§. 19.Les mots de Subſtance & d’Accidens ſont de peu d’uſage dans la Philoſophie. Ceux qui les prémiers ſe ſont aviſez de regarder les Accidens comme une eſpèce d’Etres réels qui ont beſoin de quelque choſe à quoi ils ſoient attachez, ont été contraints d’inventer le mot de Subſtance, pour ſervir de ſoûtien aux Accidens. Si un pauvre Philoſophe Indien qui s’imagine que la Terre a auſſi beſoin de quelque appui, ſe fût aviſé ſeulement du mot de Subſtance, il n’auroit pas eu l’embarras de chercher un Elephant pour ſoûtenir la Terre, & une Tortuë pour ſoûtenir ſon Elephant, le mot de Subſtance auroit entiérement fait ſait ſon affaire. Et quiconque demanderoit après cela, ce que c’eſt qui ſoûtient la Terre, devroit être auſſi content de la réponſe d’un Philoſophe Indien qui lui diroit, que c’eſt la Subſtance, ſans ſavoir ce qu’emporte ce mot, que nous le ſommes d’un Philoſophe Européen qui nous dit, que la Subſtance, terme dont il n’entend pas non plus la ſignification, eſt ce qui ſoûtient les Accidens. Car toute l’idée que nous avons de la Subſtance, c’eſt une idée obſcure de ce qu’elle fait, & non une idée de ce qu’elle eſt.

§. 20. Quoi que pût faire un Savant en pareille rencontre, je ne croi pas qu’un Américain d’un Eſprit un peu pénétrant qui voudroit s’inſtruire de la nature des choſes, fût fort ſatiſfait, ſi deſirant d’apprendre notre maniére de bâtir, on lui diſoit, qu’un Pilier eſt une choſe ſoûtenuë par une Baſe ; & qu’une Baſe eſt quelque choſe qui ſoûtient un Pilier. Ne croiroit-il pas qu’en lui tenant un tel diſcours, on auroit envie de ſe moquer de lui, au lieu de ſonger à l’inſtruire ? Et ſi un Etranger qui n’auroit jamais vû des Livres, vouloit apprendre exactement, comment ils ſont faits & ce qu’ils contiennent, ne ſeroit-ce pas un plaiſant moyen de l’en inſtruire que de lui dire, que tous les bons Livres ſont compoſez de Papier & de Lettres, que les Lettres ſont des choſes inhérentes au Papier, & le Papier une choſe qui ſoûtient les Lettres ? N’auroit-il pas, après-cela, des Idées fort claires des Lettres et du Papier ? Mais ſi les mots Latins, inhærentia & ſubſtancia, étoient rendus nettement en François par des termes qui exprimaſſent l’action de s’attacher & l’action de ſoûtenir, (car c’eſt ce qu’ils ſignifient proprement) nous verrions bien mieux le peu de clarté qu’il y a dans tout ce qu’on dit de la ſubſtance & des Accidens, & de quel uſage ces mots peuvent être en Philoſophie pour décider les Questions qui y ont quelque rapport.

§. 21.Qu’il y a un vuide au-delà des derniéres bornes des Corps. Mais pour revenir à notre Idée de l’Eſpace. Si l’on ne ſuppoſe pas le Corps infini, ce que perſonne n’oſera faire, à ce que je croi, je demande, ſi un homme que Dieu auroit placé à l’extremité des Etres Corporels, ne pourroit point étendre ſa main au delà de ſon Corps. S’il le pouvoit, il mettroit donc ſon bras dans un endroit où il y avoit auparavant de l’Eſpace ſans Corps ; & ſi ſa main étant dans cet Eſpace, il venoit à écarter les doigts, il y auroit encore entredeux de l’Eſpace ſans Corps. Que s’il ne pouvoit étendre ſa main,[4] ce devroit être à cauſe de quelque empêchement extérieur, car je suppoſe que cet homme eſt en vie avec la même puiſſance de mouvoir les parties de ſon Corps qu’il a préſentement, ce qui de ſoi n’eſt pas impoſſible, ſi Dieu le veut ainſi, ou du moins eſt-il certain que Dieu peut le mouvoir en ce ſens : & alors je demande ſi ce qui empêche ſa main de ſe mouvoir en dehors, eſt ſubſtance ou accident, quelque choſe, ou rien ? Quand ils auront ſatisfait à cette queſtion, ils ſeront capables de déterminer d’eux-mêmes ce que c’eſt qui ſans être Corps & ſans avoir aucune Solidité, eſt, ou peut être entre deux Corps éloignez l’un de l’autre. Du reſte, celui qui dit qu’un Corps en mouvement, peut ſe mouvoir vers où rien ne peut s’oppoſer à ſon mouvement, comme au delà de l’Eſpace qui borne tous les Corps, raiſonne pour le moins auſſi conſéquemment que ceux qui diſent, que deux Corps entre lesquels il n’y a rien, doivent ſe toucher néceſſairement. Car au lieu que l’Eſpace qui eſt entre deux Corps, ſuffit pour empêcher leur contact mutuel, l’Eſpace pur qui ſe trouve ſur le chemin d’un Corps qui ſe meut, ne ſuffit pas pour en arrêter le mouvement. La verité eſt, qu’il n’y a que deux parties à prendre pour ces Meſſieurs, ou de déclarer que les Corps ſont infinis, quoi qu’ils ayent de la repugnance à le dire ouvertement, ou de reconnoître de bonne foi que l’Eſpace n’eſt pas Corps. Car je voudrois bien trouver quelqu’un de ces Eſprits profonds qui par la penſée pût plûtôt mettre des bornes à l’Eſpace qu’il n’en peut mettre à la Durée, ou qui, à force de penſer à l’étenduë de l’Eſpace & de la Durée, pût les épuiſer entierement & arriver à leurs derniéres bornes. Que ſi ſon idée de l’Eternité eſt infinie, celle qu’il a de l’Immenſité l’eſt auſſi, toutes deux étant également finies, ou infinies.

§. 22.La puiſſance d’annihiler prouve le Vuide. Bien plus, non ſeulement il faut que ceux qui ſoûtiennent que l’exiſtence d’un Eſpace ſans matiére eſt impoſſible, reconnoiſſent que le Corps eſt infini, il faut, outre cela, qu’ils nient que Dieu ait la puiſſance d’annihiler aucune partie de la Matiére. Je ſuppoſe que perſonne ne me niera que Dieu ne puiſſe faire ceſſer tout le mouvement qui eſt dans la Matiére, & mettre tous les Corps de l’Univers dans un parfait repos, pour les laiſſer dans cet état tout auſſi long-temps qu’il voudra. Or quiconque tombera d’accord que durant ce repos univerſel Dieu peut annihiler ce Livre, ou le Corps de celui qui le lit, ne peut éviter de reconnoître la poſſibilité du Vuide. Car il eſt évident que l’Eſpace qui étoit rempli par les parties du Corps annihilé, reſtera toûjours, & ſera un Eſpace ſans corps ; parce que les Corps qui ſont tout autour, étant dans un parfait repos, ſont comme une muraille de Diamant ; & dans cet état mettent tout autre Corps dans une parfaite impoſſibilité d’aller remplir cet Eſpace. Et en effet, ce n’eſt que de la ſuppoſition, que tout eſt plein, qu’il s’enſuit qu’une partie de matiére doit néceſſairement prendre la place qu’une autre partie vient de quitter. Mais cette ſuppoſition devroit être prouvée autrement que par un fait en queſtion, qui bien loin de pouvoir être démontré par l’expérience, eſt viſiblement contraire à des Idées claires & diſtinctes qui nous convainquent évidemment qu’il n’y a point de liaiſon néceſſaire entre l’Eſpace et la Solidité, puiſque nous pouvons concevoir l’un ſans ſonger à l’autre. Et par conſéquent ceux qui disputent pour ou contre le Vuide, doivent reconnoître qu’ils ont des idées diſtinctes du Vuide & du Plein, c’eſt à dire, qu’ils ont une idée de l’Etenduë exempte de ſolidité, quoi qu’ils en nient l’exiſtence, ou bien ils disputent ſur le pur néant. Car ceux qui changent ſi fort la ſignification des mots, qu’ils donnent à l’Etenduë le nom de Corps ; & qui réduiſent, par conſéquent, toute l’eſſence du Corps à n’être rien autre choſe qu’une pure étenduë ſans ſolidité, doivent parler d’une maniére bien abſurde lorsqu’ils raiſonnent du Vuide, puisqu’il eſt impoſſible que l’Etenduë ſoit ſans étenduë. Car enfin, qu’on reconnoiſſe ou qu’on nie l’exiſtence du Vuide, il eſt certain que le Vuide ſignifie un Eſpace ſans Corps ; & toute perſonne qui ne veut ni ſuppoſer la Matiére infinie, ni ôter à Dieu la puiſſance d’en annihiler quelque particule, ne peut nier la poſſibilité d’un tel Eſpace.

§. 23.Le mouvement prouve le Vuide. Mais ſans sortir de l’Univers pour aller au delà des derniéres bornes des Corps, & ſans recourir à la toute-puiſſance de Dieu pour établir le Vuide, il me ſemble que le mouvement des Corps que nous voyons & dont nous ſommes environnez, en démontre clairement l’exiſtence. Car je voudrois bien que quelqu’un eſſayât de diviſer un Corps ſolide de telle dimenſion qu’il voudroit, en ſorte qu’il fît que ces parties ſolides puſſent ſe mouvoir librement en haut, en bas, & de tous côtez dans les bornes de la ſuperficie de ce Corps, quoi que dans l’étenduë de cette ſuperficie il n’y eût point d’eſpace vuide auſſi grand que la moindre partie dans laquelle il a diviſé un Corps ſolide. Que ſi lorsque la moindre partie du Corps diviſé eſt auſſi groſſe qu’un grain de ſemence de moutarde, il faut qu’il y ait un eſpace vuide qui ſoit égal à la groſſeur d’un grain de moutarde, pour faire que les parties de ce Corps ayent de la place pour ſe mouvoir librement dans les bornes de la ſuperficie ; il faut auſſi, que lorsque les parties de la Matiére ſont cent millions de fois plus petite qu’un grand de moutarde, il y ait un eſpace, vuide de matiére ſolide, qui ſoit auſſi grand qu’une partie de moutarde, cent millions de fois plus petite qu’un grain de cette ſemence. Et ſi ce Vuide proportionnel eſt néceſſaire dans le prémier cas, il doit l’être dans le ſecond, & ainſi à l’infini. Or que cet Eſpace vuide ſoit ſi petit qu’on voudra, cela ſuffit pour détruire l’hypotheſe qui établit que tout eſt plein. Car s’il peut y avoir un Eſpace, vuide de Corps, égal à la plus petite partie diſtincte de matiére qui exiſte préſentement dans le Monde, c’eſt toûjours un Eſpace vuide de Corps & qui met une auſſi grande différence entre l’Eſpace pur, & le Corps, que ſi c’étoit un Vuide immenſe, μέγα χάσμα. Par Conſéquent, ſi nous ſuppoſons que l’Eſpace vuide qui eſt néceſſaire pour le mouvement, n’eſt égal à la plus petite partie de la Matiére ſolide, actuellement diviſée, mais à ou à de cette partie, il s’enſuivra toûjours également qu’il y a de l’Eſpace ſans matiére.

§. 24.Les Idées de l’Eſpace & du Corps ſont diſtinctes l’une de l’autre. Mais comme ici la Queſtion eſt de ſavoir, ſi l’idée de Eſpace ou de l’Etenduë eſt la même que celle du Corps, il n’eſt pas néceſſaire de prouver l’exiſtence réelle du Vuide, mais ſeulement de montrer qu’on peut avoir l’idée d’un Eſpace ſans Corps. Or je dis qu’il eſt évident que les hommes ont cette idée, puisqu’ils cherchent & disputent s’il y a du Vuide, ou non. Car s’ils n’avoient point l’idée d’un Eſpace ſans Corps, ils ne pourroient pas mettre en queſtion ſi cet Eſpace exiſte ; & ſi l’idée qu’ils ont du Corps, n’enferme pas en ſoi quelque choſe de plus que l’Idée ſimple de l’Eſpace, ils ne peuvent plus douter que tout le Monde ne ſoit parfaitement plein. Et en ce cas-là, il ſeroit auſſi abſurde de demander s’il y auroit un Eſpace ſans Corps, que de demander s’il y auroit un Eſpace ſans eſpace, ou un Corps ſans corps, puisque ce ne ſeroient que différens noms d’une même Idée.

§. 25.De ce que l’étenduë eſt inſéparable du Corps il ne s’enſuit pas que l’Eſpace & le Corps ſoient une ſeule & même choſe. Il eſt vrai que l’Idée de l’Etenduë eſt ſi inſeparablement jointe à toutes les Qualitez viſibles, & à la plûpart des Qualitez tactiles, que nous ne pouvons voir aucun Objet extérieur, ni en toucher fort peu, ſans recevoir en même temps quelque impreſſion de l’Etenduë. Or parce que l’Etenduë ſe mêle ſi conſtamment avec d’autres Idées, je conjecture que c’eſt ce qui a donné occaſion à certaines gens de déterminer que toute l’eſſence du Corps conſiſte dans l’étenduë. Ce n’eſt pas une choſe fort étonnante ; puiſque quelques-uns ſe ſont ſi fort rempli l’Eſprit de l’idée de l’Etenduë par le moyen de la Vûë & de l’Attouchement, (les plus occupez de tous les Sens) qu’ils ne ſauroient donner de l’exiſtence à ce qui n’a point d’étenduë, cette Idée ayant, pour ainſi dire, rempli toute la capacité de leur Ame. Je ne prétens pas diſputer préſentement contre ces perſonnes, qui renferment la meſure & la poſſibilité de tous les Etres dans les bornes étroites de leur Imagination groſſiére. Mais comme je n’ai à faire ici qu’à ceux qui concluent que l’eſſence du Corps conſiſte dans l’Etenduë, parce qu’ils ne ſauroient, diſent-ils, imaginer aucune qualité ſenſible de quelque Corps que ce ſoit ſans étenduë, je les prie de conſiderer,[5] que s’ils euſſent autant reflechi ſur les idées qu’ils ont des Goûts & des Odeurs, que ſur celles de la Vûë & de l’Attouchement, ou qu’ils euſſent examiné les idées que leur cauſe la faim, la ſoif, & pluſieurs autres incommoditez, ils auroient compris que toutes ces idées n’enferment en elles-mêmes aucune idée d’étenduë, qui n’eſt qu’une affection du Corps, comme tout le reſte de ce qui peut être découvert par nos Sens, dont la pénétration ne peut guere aller juſqu’à voir la pure eſſence des choſes.

§. 26. Que ſi les Idées qui ſont conſtamment jointes à toutes les autres, doivent paſſer dès-là pour l’eſſence des choſes auxquelles ces Idées ſe trouvent jointes, & dont elles ſont inſéparables, l’Unité doit donc être, ſans contredit, l’eſſence de chaque choſe. Car il n’y a aucun Objet de Senſation ou de Réflexion, qui n’emporte l’idée de l’unité. Mais c’eſt une ſorte de raiſonnement dont nous avons déja montré ſuffiſamment la foibleſſe.

§. 27.Les idées de l’Eſpace & de la Solidité différent l’une de l’autre. Enfin, quelles que ſoient les penſées des hommes ſur l’exiſtence du Vuide, il me paroît évident, que nous avons une idée auſſi claire de l’Eſpace, diſtinct de la Solidité, que nous en avons de la Solidité, diſtincte du Mouvement, ou du Mouvement diſtinct de l’Eſpace. Il n’y a pas deux Idées plus diſtinctes que celles-là, & nous pouvons concevoir auſſi aiſément l’Eſpace ſans ſolidité, que le Corps ou l’Eſpace ſans mouvement ; quoi qu’il ſoit très-certain, que le Corps ou le Mouvement ne ſauroient exiſter ſans l’Eſpace. Mais ſoit qu’on ne regarde l’Eſpace que comme une Rélation qui reſulte de l’exiſtence de quelques Etres éloignez les uns des autres, ou qu’on croye devoir entendre litteralement ces paroles du ſage Roi Salomon, Les Cieux & les Cieux des Cieux ne te peuvent contenir, ou celles-ci de St. Paul, ce Philoſophe inſpiré de Dieu, leſquelles ſont encore plus emphatiques,[6] C’eſt en lui que nous avons la vie, le mouvement, & l’être, je laiſſe examiner ce qui en eſt à quiconque voudra en prendre la peine, & je me contente de dire, que l’idée que nous avons de l’Eſpace, eſt, à mon avis, telle que je viens de la repréſenter, & entierement diſtincte de celle du Corps. Car ſoit que nous conſiderions dans la Matiére même la diſtance de ſes parties ſolides, jointes enſemble, & que nous lui donnions le nom d’etenduë par rapport à ces parties ſolides, ou que conſiderant cette diſtance comme étant entre les extrêmitez d’un Corps, ſelon ſes différentes dimenſions, nous l’appellions longueur, largeur, & profondeur, ou ſoit que la conſiderant comme étant entre deux Corps, ou deux Etres poſitifs, ſans penſer s’il y a entredeux de la Matiere, ou non, nous la nommions diſtance : quelque nom qu’on lui donne, ou de quelque maniére qu’on la conſidére, c’eſt toûjours la même idée ſimple & uniforme de l’Eſpace, qui nous eſt venuë par le moyen des Objets dont nos Sens ont été occupez, de ſorte qu’en ayant établi des idées dans notre Eſprit, nous pouvons les reveiller, le repeter & les ajoûter l’une à l’autre auſſi ſouvent que nous voulons, & ainſi conſiderer l’Eſpace ou la diſtance, ſoit comme remplie de parties ſolides, en ſorte qu’un autre Corps n’y puiſſe point venir, ſans déplacer & chaſſer le Corps qui y étoit auparavant, ſoit comme vuide de toute choſe ſolide, en ſorte qu’un Corps d’une dimenſion égale à ce pur Eſpace, puiſſe y être placé, ſans en éloigner ou chaſſer aucune choſe qui y ſoit déja. Mais pour éviter la confuſion en traitant cette matiére, il ſeroit peut-être à ſouhaiter qu’on n’appliquât le nom d’Etenduë qu’à la Matiére ou à la diſtance qui eſt entre les extrêmitez des Corps particuliers, & qu’on donnât le nom d’Expanſion à l’Eſpace en général, ſoit qu’il fût plein ou vuide de matiére ſolide ; de ſorte qu’on dit, l’Eſpace a de l’expanſion, & le Corps eſt étendu. Mais en ce point, chacun eſt maître d’en uſer comme il lui plaira. Je ne propoſe ceci que comme un moyen de s’exprimer plus clairement & plus diſtinctement.

§. 28. Les hommes différent peu entr’eux ſur les Idées ſimples qu’ils conçoivent clairement. Pour moi, je m’imagine que dans cette occaſion auſſi bien que dans pluſieurs autres, toute la diſpute ſeroit bientôt terminée ſi nous avions une connoiſſance préciſe & diſtincte de la ſignification des termes dont nous nous ſervons. Car je ſuis porté à croire que ceux qui viennent à réflechir ſur leurs propres penſées, trouvent qu’en général leurs idées ſimples conviennent enſemble quoi que dans les diſcours qu’ils ont enſemble, ils les confondent par différens noms : de ſorte que ceux qui ſont accoûtumez à faire des abſtractions, & qui examinent bien les idées qu’ils ont dans l’Eſprit, ne ſauroient penſer fort différemment, quoi que peut-être ils s’embarraſſent par des mots, en s’attachant aux façons de parler des Académies ou des Sectes dans leſquelles ils ont été élevez. Au contraire, je comprens fort bien, que les diſputes, les criailleries & les vains galimathias doivent durer ſans fin parmi les gens qui n’étant point accoûtumez à penſer, ne ſe font point une affaire d’examiner ſcrupuleuſement & avec ſoin leurs propres Idées, & ne les diſtinguent point d’avec les ſignes que les hommes employent pour les faire connoître aux autres, & ſur tout, ſi ce ſont des Savans de profeſſion, chargez de lecture, dévoûez à certaines Sectes, accoûtumez au langage qui y eſt en uſage, & qui ſe ſont fait une habitude de parler après les autres ſans ſavoir pourquoi. Mais enfin, s’il arrive que deux perſonnes qui font des réflexions ſur leurs propres penſées, ayent des Idées différentes, je ne vois pas comment ils peuvent diſcourir ou raiſonner enſemble. Au reſte, ce ſeroit prendre fort mal ma penſée que de croire que toutes les vaines imaginations qui peuvent entrer dans le cerveau des hommes, ſoient préciſement de cette eſpèce d’Idées dont je parle. Il n’eſt pas facile à l’Eſprit de ſe débarraſſer des notions confuſes, & des préjugez dont il a été imbu par la coûtume, par inadvertance, ou par les converſations ordinaires. Il faut de la peine, & une longue & ſérieuſe application pour examiner ſes propres Idées, juſqu’à ce qu’on les ait réduites à toutes les idées ſimples, claires & diſtinctes dont elles ſont compoſées, & pour démêler parmi ces idées ſimples, celles qui ont, ou qui n’ont point de liaiſon & de dépendance néceſſaire entre elles. Car juſqu’à ce qu’un homme en ſoit venu aux notions prémiéres & originales des choſes, il ne peut que bâtir ſur des Principes incertains, & tomber ſouvent dans de grands mécomptes.


  1. Les carteſiens.
  2. La Philoſophie Scholaſtique qui a été enſeignée dans toutes les Universitez de l’Europe long-temps avant Deſcartes.
  3. C’est la demande qu’on vient de faire ** Dans un Livre Anglois, intitulé Dr. Clarke’s Notions of Space examined. Imprimé à Londres, en 1733. au Défenſeur des Notions du Docteur Clarke, concernant l’Eſpace, cité ci-deſſus, p.69. Not.I « Si l’Auteur de cette Défenſe, dit-on, a quelque idée d’une Choſe, qui n’eſt ni Matiere ni Eſprit, qu’il ne nous diſe point ce que cette Choſe n’eſt pas, mais ce qu’elle eſt. S’il n’a aucune idée d’une telle Choſe, je ſuis aſſûré, dit ſon Antagoniſte qu’il ne prouvera jamais que l’Eſpace ſoit cette Choſe-là : car prouver que c’eſt ce dont il n’a aucune idée, c’eſt prouver que c’eſt ſeulement un il ne ſait quoi. Et il ne ſuffira point, ajoûte-t-il, de répondre avec M. Locke à la Queſtion, Si l’Eſpace eſt Corps ou Eſprit ? Qui vous a dit, qu’il n’y a, ou qu’il ne peut y avoir que des Etres ſolides qui ne peuvent penſer, & que des Etres penſans qui ne ſont point étendus. Cette réponſe, dit-il, ne ſuffira point parce qu’ici la queſtion n’eſt pas, s’il peut y avoir autre choſe que Corps & Eſprit, mais ſi nous n’avons aucune idée de quelque autre choſe. Et ſi nous n’en avons aucune, je ſuis aſſuré qu’il ſera impoſſible de prouver, comme je viens de dire, que l’Eſpace ſoit cette Choſe-là ». Voici les propres paroles de l’Original : If the Author of the Defence of Dr. Clarke’s Notions concerning Space has any Idea of a thing, that is neither matter nor ſpirit, let him not tell us what it is not, but what it is. If he has not any Idea of ſuch a Thing, then I am ſure he can never prove Space to that thing : for proving it to be what he has no Idea of, is proving it to be only --- he knows not what. Nor will it be ſufficient to ſay herewith Mr. Locke, who to the Queſtion, whether Space be Body or Spirit ? Anſwers by another Queſtion, viz. Who told them that there was, or could be nothing but ſolid Beings that were not extended ? which is all they mean, he ſays, by the termes Body & Spirit. This, I ſay, will not be ſufficient ; ſince the Queſtion here, is not, whether there cannot be any Thing beſide Body and Spirit ? but whether we have any Idea of any other Thing ? And, if we have not, I am ſure it will be impoſſible to prove Space, y I have ſayd before, to be ſuch a Thing. L’Auteur employe la meilleure partie de ſon Livre à prouver que l’Eſpace diſtinct de la Matiere n’a en effet aucune exiſtence réelle, que c’eſt un pur vuide, un Néant abſolu, un Etre imaginaire, l’abſence du Corps & rien de plus. Pour moi, j’avouë ſincerement que ſur une Queſtion ſi ſubtile, comme ſur bien d’autres de cette nature, je n’ai point d’opinion déterminée ; & que je me fais une affaire de desapprendre tous les jours bien des choſes dont je m’étois crû fort bien inſtruit. Multa neſcire mea pars magna ſapientia.
  4. --- Si jàm finitum conſtituatur
    Omne quod eſt ſatium, ſi quis procurrat ad oras
    Ultimus extremas, jaciàtque volatile telum :
    Id validis utrùm contortum viribus ire
    Quò fuerit miſſum, mavis, longéque volare,
    An prohiber aliquid cenſes, obſtaréque poſſe ? Alterutrum fatearis enim, ſumásque neceſſe eſt,
    Quorum utrumque tibi eſſugium præcludit, & omne
    Cogit ut exemptâ concedas fine patera :
    Nam five eſt aliquid, quod prohibeat officiátque
    Quo minù quo miſſumſt veniat, finique locet ſe,
    Sive foras fertur, non eſt ea fini profecto.
    Hoc pacto ſequar, atque oras ubicumque locaris
    Extremas, queram qui telo denique fiat.
    Fiet, uti nuſquam poſſit conſiſtere finis :
    Effugiumque ſuge prolatet copia ſemper.

                 Lucret. Lib. vs. 967, &c

  5. Il eſt difficile d’imaginer ce qui peut avoir engagé M. Locke à nous débiter ce long raiſonnement contre les Carteſiens. C’eſt à eux qu’il en veut ici ; & il leur parle des idées des Goûts & des Odeurs, comme s’ils croyoient que ce ſont des Qualités inhérentes dans les Corps. Il eſt pourtant très-certain que long-temps avant que M. Locke eût ſongé à compoſer ſon Livre, les Carteſiens avoient démontré que les Idées des Saveurs & des Odeurs ſont uniquement dans l’Eſprit de ceux qui goûtent les Corps qu’on nomme ſavoureux & qui flairent les Corps qu’on nomme odoriferans ; & que bien loin que ces Idées enferment en elles-mêmes aucune idée d’étenduë, elles ſont excitées dans notre Ame par quelque choſe dans les Corps qui n’a aucun rapport à ces Idées, comme on peut le voir par ce qui a été remarqué ſur la page 91. ch. VIII. §. 14. - Lorsque je vins à traduire cet endroit de l’Eſſai concernant l’Entendement humain, je m’apperçus de la mépriſe de M. Locke, & je l’en avertis : mais il me fut impoſſible de le faire convenir que le ſentiment qu’il attribuoit aux Carteſiens, étoit directement oppoſé à celui qu’ils ont ſoûtenu, & prouvé avec la derniere évidence, & qu’il avoit adopté lui-même dans cet Ouvrage. Quelque temps après, commençant à me défier de mon jugement ſur cette affaire, j’en écrivis à M. Bayle, qui me répondit que j’étois bien fondé à trouver l’ignoratio elenchi dans le paſſage en queſtion. On peut voir ſa Réponſe dans la 247me. Lettre, p. 932. Tom. III. de la Nouvelle Edition des Lettres de Mr. Bayle, publiée en 1729. par Mr. Des-Maizeaux, qui l’a augmentée de Nouvelles Lettres, & enrichie de Remarques très-curieuſes & très-inſtructives. Et voici la Note par laquelle ce judicieux Editeur a trouvé bon de confirmer la cenſure que M. Bayle avoit faite du Paſſage qui fait le ſujet de cet article : Les Carteſiens, dit il après avoir cité les propres paroles de M. Locke juſqu’à ces mots, Ils auroient compris que toutes ces Idées n’enferment en elles-mêmes aucune idée d’étenduë, - Les Carteſiens à qui Mr. Locke en veut ici, ont fort bien compris, que toutes ces Idées n’enferment en elles-mêmes aucune idée d’étenduë. Ils l’ont dit, redit, & prouvé plus nettement qu’on ne l’avoit encore fait : de ſorte que l’avis que M. Locke leur donne, n’eſt pas fort à propos, & pourroit même faire croire qu’il n’entendoit pas trop bien leurs Principes, comme M. Coſte s’en étoit apperçu, & comme l’inſinuë M. Bayle.
  6. Act. XVII, veſ. 28. Εν αὐτῷ ζῶμεν, καὶ κινούμεθα, καὶ ἐσμεν. Ces paroles de l’Original expriment, ce me ſemble, quelque choſe de plus que la Traduction Françoiſe, ou du moins elles repréſentent la même choſe plus vivement & plus nettement. C’eſt la réflexion que je fis ſur les paroles de S. Paul dans la prémiere Edition Françoiſe de cet Ouvrage. Je voulois inſinuer par-là qu’on devoit expliquer ces paroles litteralement & dans le ſens propre. M. Locke parut ſatisfait du tour que j’avois pris, qui tendoit en effet à établir ce que M. Locke croyoit de l’Eſpace, & qu’il inſinuë en pluſieurs endroits de cet Ouvrage, quoi que d’une maniére myſterieuſe & indirecte, ſavoir que cet Eſpace eſt Dieu lui-même, ou plûtôt une propriété de Dieu. Mais après y avoir penſé plus exactement, je m’apperçois qu’il y a beaucoup plus d’apparence, que dans ce Paſſage il faut traduire comme ont fait quelques Interprêtes, ἐν αὐτῷ, par lui, C’est par lui que nous avons la vie, le mouvement & l’être, c’est de la Bonté de Dieu que nous tenons la vie, ce grand Bien qui eſt le fondement de tous les autres ; & c’eſt par ſon aſſiſtance actuelle que nous en jouïſſons Cette explication eſt fort naturelle, & s’accorde très bien avec ce que S. Paul venoit de dire dans le même Diſcours d’où ce paſſage eſt tiré, que c’eſt Dieu qui donne à tous la vie, la reſpiration & toutes choſes, αὐτός διδοὺς πᾶσι ζωὴν, καὶ πνοὴν, καὶ τὰ πάντα, ℣. 25. C’eſt d’ailleurs une choſe connuë de tous ceux qui ont quelque teinture de la Langue Grecque que la prépoſition ἐν que S. Luc a employée dans le Paſſage en queſtion ſignifie quelquefois par dans les meilleurs Auteurs, & ſurtout dans le Nouveau Teſtament : ἐλάλησεν ἡμῖν ἐν ὑιῶ, dit S. Paul dans ſon Epitre aux Hebreux, Il nous a parlé par ſon fils, Ch. I. ℣. 1. & dans ce même Chapitre des Actes, ℣. 31. ἐν ἀνδρὶ ᾧ ὥρισε, par l’homme qu’il a deſtiné. Pour ce qui eſt des raiſonnemens purement Philoſophiques que Mr. Locke employe dans ce Chapitre & ailleurs pour établir ſon ſentiment ſur l’exiſtence & les proprietez de l’Eſpace voyez ce qui en a été dit dans ce même Chapitre, §. 16. pag. 125. dans la Note