Essai de psychologie/Chapitre 82

(p. 254-260).

Chapitre 82

De la maniere d’enseigner les premiers principes de la religion.


J’ouvre un catéchisme à l’usage des enfans, qu’on dit fait par un habile homme : j’y vois à la tête cette question ; qu’est-ce que Dieu ? La réponse est aussi sensée que la demande ; Dieu est un esprit infini & tout parfoit, éternel, tout puissant, présent par-tout. Quoi donc ! Un seul de ces attributs suffiroit pour absorber le philosophe le plus profond, & vous voulez en faire entrer toute la collection dans la tête d’un enfant ! Sans doute, que vous ne prétendez pas qu’il comprenne ces termes ? Et pourquoi, je vous prie, chargez-vous si inutilement sa mémoire ? Que diriez-vous d’un traité de géométrie élémentaire qui commenceroit par les propriétés de la parabole ou par les suites infinies ? Si vous voulez parler de Dieu à l’enfant, faite le lui connoître sous les images sensibles d’un pere, d’un ami, d’un bienfaiteur absent qui lui envoie chaque jour de quoi fournir à ses besoins & à ses plaisirs.

Je continue à feuilleter ce catéchisme ; & je trouve dès la seconde ou la troisieme section la doctrine des anges fideles & des anges rebelles ; satan esprit malin, orgueilleux, artificieux, tentateur de nos premiers parens, ennemi naturel de l’homme, &c. à quoi bon cela, je le demande ; qu’à jeter dans l’ame de l’enfant des terreurs paniques, que les discours d’un domestique ignorant et superstitieux ne manqueront pas de fortifier ? Je confesse ingénument que je ne connois point l’utilité de ces instructions ; & je souhaiterois ardemment que toute cette doctrine des démons eût été reléguée pour toujours dans la philosophie orientale.

La maniere de présenter les dogmes de la religion aux enfans n’est guere moins absurde. On diroit qu’on n’ait pour but que d’exercer leur mémoire ou plutôt de l’accabler par cet assemblage de termes obscurs, métaphysiques & quelquefois contradictoires. Est-ce là cette religion annoncée aux simples et faite pour éclairer l’entendement & toucher le cœur ? Ou n’est-ce point plutôt un extrait de théologie scholastique ?

Que dirons-nous encore de la morale, déja si seche par elle-même, & qu’on prend soin de rendre encore plus rebutante par cette ennuyeuse cathégorie de vertus & de vices ?

Pour moi, si j’avois à dire ma pensée sur l’instruction des enfans, sujet si important, si rebattu, mais sur lequel on ne sauroit trop rebattre, j’avouerois que tous nos catéchismes me paroissent inutiles ou même nuisibles à cette fin. Je voudrois ne parler de Dieu & de la religion à l’enfant que lorsque sa raison auroit atteint une certaine maturité. Il me semble que l’idée assez claire & toujours présente du pouvoir paternel suffit pour diriger cet âge tendre, sans qu’il soit besoin d’y faire intervenir la notion psychologique d’un esprit infini dont il ne sauroit concevoir l’existence. Quand je vois un enfant joindre les mains à demi, lever vers le ciel des yeux qui ne disent rien, réciter à la hâte d’un ton piteux et d’une voix mal articulée une priere qu’il a apprise avec beaucoup de peine, je ne vois qu’un jeune singe qui répéte sa leçon. De telles prieres ne sauroient être d’aucune utilité pour celui qui les fait ni édifiantes pour ceux qui les écoutent ; et elles jettent même une sorte de ridicule sur ce que la religion a de plus saint. Je voudrois donc n’entretenir d’abord l’enfant que des choses les plus sensibles, que des objets qui s’offriroient à lui tous les jours. Je n’oublierois point que si nous sommes machines, c’est sur-tout à cet âge, et que les ressorts de cette machine qu’il s’agit de monter sont les sens. J’instruirois l’enfant de ses devoirs sans paroître l’en instruire. J’en resserrerois le nombre le plus qu’il me seroit possible, en les déduisant des relations les plus prochaines, les plus essentielles, des relations qui auroient pour objets immédiats son propre corps, ses parens & les personnes avec lesquelles il auroit à vivre. Je l’intéresserois à l’observation de ces devoirs principalement par le bien naturel qui en résulte. Je les lui ferois goûter en les lui rendant toujours utiles, & en en bannissant avec soin la gêne, le dégoût & le chagrin. La table, le jeu, la promenade seroient l’école où il recevroit ses instructions. Les fables de La Fontaine l’amuseroient utilement. Je saisirois toutes les occasions qui s’offriroient naturellement de glisser dans son ame quelque vérité, de développer dans son cœur quelque sentiment. J’exciterois son petit amour propre par des éloges & des récompenses dispensés à propos & par une émulation bien ménagée. Je le formerois à la réflexion en conversant souvent avec lui & en lui laissant une grande liberté de m’interrompre & de dire tout ce qu’il penseroit. Je ferois rencontrer sous ses pas, comme par hasard, une de ces merveilles de la nature dont tous les yeux sont frappés : je lui en développerois peu-à-peu les particularités les plus curieuses et les plus à sa portée. Je lui ferois desirer de voir d’autres objets de ce genre. Je l’acheminerois ensuite insensiblement à s’enquérir de l’auteur de ces choses. Je lui ferois chercher, et je chercherois avec lui cet esprit invisible qui semble nous dire par-tout, me voici. J’échaufferois sa curiosité pour cet être le plus intéressant de tous les êtres ; & je la satisferois en le lui faisant connoître sur-tout par ses attributs moraux. Je m’attacherois à lui rendre Dieu aimable, à imprimer pour lui dans son cœur le même amour, & s’il étoit possible un amour plus vif, que celui qu’il ressentiroit pour ses parens les plus chers. Je me ferois une espece de devoir de ne parler jamais de Dieu qu’avec un air de recueillement & en accompagnant la prononciation de ce nom auguste de gestes propres à faire sur l’esprit de l’enfant une impression mêlée de joie & de respect. Je lui montrerois ce tendre pere pressé sans cesse du soin de ses créatures, leur donnant à toutes la pâture, le vêtement & le domicile. Un gâteau d’abeilles, la coque d’un ver à soie, le nid d’un oiseau seroient mes démonstrations. Le ramenant ensuite à lui-même, je lui ferois remarquer le nombre & l’excellence des biens par lesquels Dieu a voulu distinguer l’homme de tous les animaux. Je lui découvrirois enfin dans la rédemption le trait le plus touchant de la bonté divine. Je lui produirois Jésus-Christ sous la relation simple & tout-à-fait intelligible d’un envoyé, dont la mission a pour objet principal d’annoncer le pardon au pécheur qui se repent & de mettre en évidence la vie & l’immortalité. J’applanirois à ses yeux la route du salut. Je ferois des loix du seigneur un joug facile & un fardeau léger . J’accoutumerois le jeune homme à envisager la religion comme ce qui doit égayer toutes ses occupations, assaisonner tous ses plaisirs, embellir autour de lui toute la nature. Je voudrois que cette idée riante, je serai éternellement heureux, l’accompagnât par-tout, qu’elle assistât à son coucher & à son lever ; qu’elle le suivît dans la compagnie & dans la solitude, qu’elle dissipât ou adoucît tous les chagrins qui pourroient s’élever dans son ame. Je ferois souvent retentir à ses oreilles ce chant d’allégresse, paix sur la terre & bonne volonté envers les hommes .