Essai de psychologie/Chapitre 74

(p. 228-230).

Chapitre 74

Du régime de l’éducation à l’égard des tempéramens vicieux.


La nature est souvent vicieuse. Les plus mauvaises dispositions sont un présent de la naissance comme les dispositions les plus heureuses. Il est des vices de tempérament comme il est des vertus de tempérament. La même main a formé le lion courageux et le daim timide, le porc glouton & l’ane sobre, le léopard farouche & le chien docile, le loup cruel & l’innocent agneau.

L’éducation prudente n’attaque point de front un tempérament vicieux : elle ne le combat point à force ouverte. Les coups qu’elle lui porteroit pourroient atteindre au principe de la vie. Elle se conduit avec plus d’art. Au lieu d’opposer au torrent l’inflexibilité de la roche, elle ne lui oppose que la souplesse de l’osier. Elle se laisse pénétrer jusqu’à un certain point ; elle cede avec mesure : elle prend un peu du mouvement afin d’en faire perdre. Elle détourne à propos tout ce qui pourroit augmenter l’effort du courant & grossir ses eaux. Elle parvient ainsi peu-à-peu à surmonter sa violence, à empêcher ses débordemens, à modérer sa pente, à changer la direction. Ce torrent qui menaçoit les campagnes, ne coule plus que pour les embellir & les fertiliser. Ses eaux terribles maniées par cet excellent ingénieur vont rendre à la société des services de tout genre. Elles vont remplacer une multitude de bras, animer une infinité de machines.

Ce n’est donc pas tant à détruire le tempérament vicieux, qu’à le contenir dans certaines limites & à faire une juste application de cette force, que l’éducation déploie son génie. Elle veut du mouvement : il est l’ame du monde. Elle redoute un repos, une inaction qui conduiroit à une funeste léthargie. Mais, elle ne redoute pas moins un trop grand mouvement, un mouvement qui tendroit à pervertir, à détruire l’individu. Elle écartera donc avec le plus grand soin tout ce qui pourroit exciter un semblable mouvement dans des fibres disposées à le recevoir. L’effet qu’il y produiroit ne seroit pas absolument momentané. L’état actuel des molécules élémentaires des fibres, leur arrangement, leur position respective s’en ressentiroient plus ou moins ; & ce changement, quelque léger qu’il fût, seroit toujours un nouveau degré de propension ajouté à ceux que les fibres posséderoient déja. Cet effet seroit encore plus dangereux s’il étoit accompagné de sensations agréables & un peu vives. L’imagination s’y trouveroit intéressée. Elle reproduiroit ces sensations ; & en les reproduisant elle augmenteroit la disposition des organes à les transmettre. Elles acquerroient ainsi plus de vivacité & solliciteroient l’ame plus fortement.