NOTES SUR L’ANOSCOPIE[1]



Prophetæ prophetabant mendacium et sacerdotes applaudebant manibus suis : et populus dilexit talia.
Jérém., cap. V, v. 31


Notre crédulité fait toute leur science.
Voltaire, Œdipe, acte IV, sc. 5.


La connaissance de l’avenir n’appartient qu’à la Divinité. Ceux qui prétendent s’attribuer la faveur de découvrir les choses cachées, sont de ces imposteurs ambitieux qui ne s’arrogent ces prétendues inspirations que pour mieux acquérir de l’ascendant sur le peuple, toujours avide du merveilleux, en spéculant sur son ignorance et sa crédulité. On a vu quelquefois les prédictions de ces adroits fripons justifiées par l’événement, et les Pères de l’Église et autres gens grossiers ont poussé a bonhomie jusqu’à faire accroire que Dieu a doué les démons de la science divinatoire, pour donner plus d’éclat à la vérité et confondre l’erreur par l’erreur. Ainsi, parce que plusieurs prédictions ont reçu leur accomplissement, que tous les peuples de la terre ont cru aux magiciens, est-ce une raison pour en conclure qu’ils connaissaient l’avenir ? Et l’homme sensé pourra-t-il jamais être la dupe d’une aussi grossière supercherie ?

Que des spéculateurs aient eu l’effronterie d’accréditer cette absurdité, je le veux croire : le Deutéronome, au chap. 18, v. 11, en parle positivement. Mais qu’il existe des êtres qui ont reçu l’heureux privilège d’expliquer les mystères de la nature, voilà ce qu’il est permis de révoquer en doute, en disant avec l’ingénieux Barclay que si, à force de prédire au hasard, les prophéties se sont trouvées quelquefois accomplies, ce n’est pas ce qui doit étonner le plus, mais de voir que ces misérables charlatans, parmi un si grand nombre de conjectures qu’ils ont proférées, n’aient pas plus souvent rencontré la vérité.

Le peuple juif, beaucoup plus hébété qu’un autre, quoique peuple élu de Dieu, usait de sortilège et consultait les devins. Nous en trouvons dans l’Écriture un exemple frappant : Saül, abandonné de l’esprit de Dieu, parce qu’il avait montré un cœur compatissant envers le malheureux Agag, roi d’Amalec, son confrère, s’en fut trouver, déguisé, la pythonisse d’Endor, pour la consulter sur l’issue de sa guerre contre les Philistins. La magicienne, dit l’Écriture, évoqua l’ombre de Samuël, qui prédit à Saül sa défaite et sa mort prochaines[2]. Malgré que Rollin et les Pères de l’Église affirment que Dieu a souvent inspiré l’oracle de Delphes, il n’est pas moins vrai de dire que cette terrible prédiction n’était que d’une femme fort habile, instruite des mauvaises affaires de ce roi, et qui, possédant le secret des ventriloques, fit croire à Saul que c’était le prophète lui-même qui lui parlait.

En effet, les mots hébreux jiedoni et ob signifient connaisseur, savant et devin, noms que les Grecs traduisent par celui de πύθων, python, qui veut dire en hébreu outre ou peau de bouc, parce que la pythonisse du temple d’Apollon et celle d’Endor, en rendant leurs oracles ambigus et obscurs, avaient le ventre enflé comme une outre, par l’effort qu’elles faisaient pour parler au fond du gosier. Les interprètes de la Bible désignent ces prêtresses sous le nom de ενγαστρίμὒθοι ou ventriloques, parce qu’en parlant du ventre, elles rendent un son de voix tellement obscur, qu’on dirait qu’elle sort de dessous la terre, et qu’elle vient de fort loin. Le prophète Isaïe n’était point dupe de ces fourberies, car il dépeint tous ces misérables magiciens comme de véritables ventriloques, qui trompent ceux qui les consultent par l’artifice de leurs paroles rauques et étouffées[3].

Ainsi point de subtilité démoniaque dans un art uniquement fondé sur l’imposture et une superstitieuse crédulité ; parce que, pour avoir le don de prédire l’avenir, il faudrait d’abord en démontrer l’existence, ce qui impliquerait une manifeste contradiction dans les termes de prévoir ce qui n’est qu’un pur néant.

Cicéron, dans son ouvrage de la Divination, a livré à un ridicule éternel les aruspices qui consultaient les entrailles des bêtes, les augures qui jugeaient de l’avenir par le vol et le chant des oiseaux, les magiciens qui enchantaient des serpents, les prophètes qui interprétaient les oracles des dieux, les pythonisses qui évoquaient des ombres, les tireurs d’horoscope, et les pansarets qui prétendaient par leurs sortilèges détourner le mal que pourrait faire l’être malfaisant qu’adore le peuple de l’Indoustan ; en un mot, toutes les prédictions absurdes et les prétendues inspirations dont la terre est infatuée, auxquelles la raison du dix-huitième siècle a porté le dernier coup de grâce.

  1. Du grec ανα, au-dessus, et de σκοπιἁ, action d’épier, formé de σκοπέω, je considère, je contemple. — Astrologie judiciaire, jonglerie.
  2. Reg., cap. XXVIII, v. 7 à 21.
  3. Isaïa, cap. VIII, v. 19, et cap. XXXI, v. 4.