Enquête sur la monarchie/Préface de l’édition de 1909/II

Nouvelle librairie nationale (p. 3-4).

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le regardent que secondairement, l’assistance et l’enseignement, par exemple, quand il rejette par système le concours des particuliers dans l’ordre où ils sont compétents, l’argent doit lui manquer pour remplir les devoirs qui n’incombent qu’à lui. Mais l’élection oblige. Notre République élective est bien forcée de faire ses plus grosses dépenses dans l’opération qui lui donne le jour. Cela lui coûte cher. Ses prétendues lois sociales imposent une lourde charge et du reste n’apportent que des satisfactions fort maigres aux intéressés. Appliquées avec une injustice inévitable, ne pouvant desservir que la clientèle du Parlement, ces lois ont aggravé le mécontentement général. L’esprit public tarit. Le patriotisme est découragé. La désertion, l’insoumission, l’indiscipline militaire font des progrès. Les services d’Etat de plus en plus centralisés suscitent la révolte et la coalition de leurs fonctionnaires. Il en résulte un séparatisme moral, en attendant que les crises de séparatisme local se partagent le territoire. Le gouvernement des agitateurs nantis subit l’assaut de plus en plus violent, naturel et logique des agitateurs à nantir. Sa tyrannie contre les patriotes et les gens de bien n’a de mesure que son impuissance à l’égard de l’anarchie et de l’Étranger. Par sa faiblesse et par ses abus de pouvoir, ni la société ni la nation n’espèrent plus de tranquillité. L’avenir est au trouble, qui pénètre partout et croît chaque jour.

Les plus fâcheux pressentiments sont donc vérifiés et les hommes de l’âge de M. Rouvier peuvent déclarer que « la France se dissout ». Moins accessible à la pensée de la mort de tout un peuple, la plus récente génération commencera par se demander quelle cause précise dissout une société dont les membres ne sont nullement dissolus mais, au contraire, se sentent pleins de vigueur et débordent de vie. Il sera toujours temps de mettre en cause le pays. Avant de l’accuser, il convient au moins d’examiner son gouvernement. La question constitutionnelle se pose donc. Oui ou non, la démocratie républicaine est-elle apte à gérer l’intérêt national français ? Et si la raison et l’expérience répondent que non, quelle est donc la forme de monarchie appelée à remplacer la république ? Quelle est l’organisation générale appelée à remplacer la démocratie ?


II. — La méthode

Le seul mérite de l’Enquête que je réimprime en la complétant est de poser avec constance cette question préliminaire des rapports de l’État et de la patrie.

Ils sont étudiés en eux-mêmes, eu égard à la France seule, en faisant provisoirement abstraction de la volonté des électeurs français. Le sort de la nation, de laquelle dépend leur sort, est en jeu. On ne 4 ENQUÊTE SUR LA MONARCHIE

pouvait pas mettre aux voix le problème de l’existence nationale. On devait le soumettre à la pensée des patriotes. Si la valeur de leurs réponses diverses importe beaucoup, leur nombre est secondaire en regard de ces nécessités politiques qui ne dépendent pas des goûts ni des dégoûts. Je me suis efforcé de lire le tableau des réalités nécessaires, comme le voient les yeux, comme le comprend la raison.

Quelques conservateurs n’ont pas vu sans chagrin sacrifier la chère méthode suivant laquelle on accumula pêle-mêle les doléances sur l’autorité abaissée, la revendication des libertés violées et des droits méconnus, les querelles de classe et les griefs de religion. Sans dédaigner aucun des termes ainsi agités et brouillés, ni la juste émotion qu’ils éveillent ensemble, je n’ai pas estimé superflu de les mettre en ordre.

Ces termes, tous ces termes précieux, jusqu’au dernier, on les retrouvera par la suite de notre étude, mais chacun à la place que lui marque et que lui mesure non pas son mérite ou son importance, mais ce qu’on peut appeler son numéro d’ordre pour la position et le raisonnement du problème. En ramenant le problème politique au commun dénominateur de notre intérêt national, on n’en évite aucun aspect, on les éclaire tous. Les cas de conscience, les crises d’intérêt privé, les difficultés sociales gagnent en netteté quand on les examine invariablement du point de vue qui nous est commun et qui fonde notre communauté politique : il y a une aire territoriale appelée la France ; il y a des hommes, appelés les Français, que dominent vingt siècles d’une même vie partagée : faisons une synthèse de nos questions françaises subjectivement à la France. Cet adverbe barbare fera peut-être entendre à des esprits fermés ou malintentionnés qu’on ne se soucie aucunement ici de nier l’ordre intrinsèque de ces questions, ni l’existence de points de vue plus généraux. On dit : de point de vue politique plus général, il n’y en a pas ; il n’est point de cadre politique plus large que la nation. Or, la nation est en danger. Nous parlons de cela et de ce qui en dépend.


III. — Le ralliement a la Monarchie

Cette méthode eut l’avantage d’occuper si fortement le terrain du patriotisme que les républicains ne purent désormais s'y placer sans malaise, car il les exposait tout nus au reproche funeste de désirer le roi, à moins que ce ne fût au péril de le désirer, d’être attirés à lui par la magie du vrai ou par la dure chaîne des raisons auxquelles on ne peut pas répondre. Quiconque a voulu convenir de mettre le salut de la nation au-dessus de tout intérêt et de tout préjugé n’a plus trouvé grand’chose à dire en faveur de la République. Par leurs réti