Ennéades (trad. Bouillet)/IV/Livre 3

Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
Ennéade IV, livre iii :
Questions sur l’âme, I | Notes


LIVRE TROISIÈME.
QUESTIONS SUR L’ÂME[1].
PREMIÈRE PARTIE.

I. Nous nous proposons de déterminer ici quelles sont, parmi les questions qu’on élève sur l’âme, celles qu’on peut résoudre avec certitude, et celles sur lesquelles il faut s’en tenir au doute, en regardant ce doute même comme la récompense de ses recherches. Voilà, nous le croyons, un sujet intéressant d’étude. Qu’y a-t-il en effet qui mérite mieux d’être examiné et traité avec soin que ce qui concerne l’âme ? L’étude de l’âme a, entre autres avantages, celui de nous faire connaître deux espèces de choses, celles dont elle est le principe et celles dont elle procède elle-même[2]. C’est en nous livrant à cet examen que nous obéirons au précepte divin qui nous prescrit de nous connaître nous-mêmes[3]. Enfin, avant de chercher à découvrir et à comprendre le reste, il est juste que nous nous appliquions d’abord à connaître quelle est la nature du principe qui fait ces recherches[4] ; et, puisque nous aspirons à ce qui est aimable, il convient que nous commencions par contempler le plus beau des spectacles [celui de notre nature intellectuelle][5] : car, s’il y a dualité dans l’Intelligence universelle[6], à plus forte raison doit-il y avoir dualité dans les intelligences particulières. Nous avons aussi à examiner en quel sens on peut dire que les âmes sont les temples des dieux (ὑποδοχαὶ τῶν θεῶν)[7] ; mais nous ne pourrons traiter cette question qu’après avoir déterminé comment l’âme descend dans le corps.

Maintenant, venons à ceux qui prétendent que nos âmes elles-mêmes sont des émanations de l’Âme universelle (ἐϰ τῆς τοῦ παντὸς ψυχῆς ϰαὶ τὰς ἡμετέρας εἶναι)[8].

Ils soutiendront peut-être que, pour démontrer que nos âmes ne sont pas des parcelles de l’Âme universelle, il ne suffit pas de faire voir que nos âmes vont aussi loin [dans leur procession] que l’Âme universelle[9], ni qu’elles lui ressemblent par leurs facultés intellectuelles, en supposant toutefois qu’ils admettent cette ressemblance : car ils diront que les parties sont conformes au tout qu’elles composent[10]. Ils invoqueront l’autorité de Platon et soutiendront qu’il professe cette opinion dans le passage où il affirme en ces termes que l’univers est animé : « Comme notre corps est une partie de l’univers, notre âme est une partie de l’Âme de l’univers[11]. » Platon, ajouteront-ils, dit et montre clairement que nous suivons le mouvement circulaire du ciel, que nous en recevons nos mœurs et notre condition, qu’ayant été engendrés dans l’univers, nous devons tenir notre âme de l’univers qui nous renferme[12], et que, puisque chaque partie de nous participe de notre âme, nous devons nous-mêmes participer de l’Âme de l’univers, dont nous sommes des parties de la même manière que nos membres sont des parties de nous-mêmes. Enfin, ils citeront encore ces mots : « L’Âme universelle prend soin de tout ce qui est inanimé[13]. » Cette phrase paraît signifier qu’il n’y a point d’âme en dehors de l’Âme universelle : car c’est elle qui prend soin de tout ce qui est inanimé.

II. Voici ce qu’il faut répondre à de pareilles assertions. D’abord, en posant que les âmes sont conformes (ὁμοειδῆ), parce qu’elles atteignent les mêmes choses, et en les rapportant à un seul et même genre, on nie implicitement qu’elles soient des parties [de l’Âme universelle]. On aurait plus de raison de dire que l’Âme universelle est une et identique, et que chaque âme est universelle [c’est-à-dire est conforme à l’Âme universelle, parce qu’elle en possède toutes les puissances[14]]. Or, si l’on admet que l’Âme universelle est une, on la ramène à être autre chose [que les âmes particulières], c’est-à-dire à être un principe qui, n’appartenant en propre ni à celui-ci ni à celui-là, ni à aucun individu, ni au monde, ni à quoi que ce soit, fait lui-même tout ce que fait le monde ainsi que tout être vivant. Il convient en effet que l’Âme universelle n’appartienne pas à tel ou tel être, puisqu’elle est une essence ; qu’au contraire il y ait une Âme qui n’appartienne en propre absolument à aucun être, et que les âmes particulières appartiennent seules à des êtres particuliers.

Mais il faut expliquer plus clairement dans quel sens on prend ici le mot parties.

D’abord, il ne peut s’agir de parties d’un corps, qu’il soit homogène ou hétérogène ; et nous ne ferons qu’une observation sur ce point, c’est que, pour les corps homogènes, quand on parle de parties, on n’envisage que la masse et non la forme (εἶδος). Prenons pour exemple la blancheur. La blancheur d’une partie de lait n’est pas une partie de la blancheur de tout le lait existant ; c’est la blancheur d’une partie et non une partie de la blancheur : car, prise en général, la blancheur n’a ni grandeur ni quantité. C’est avec ces restrictions seulement qu’on peut dire qu’il y a des parties dans les formes propres aux choses corporelles[15].

Ensuite, lorsqu’il s’agit de choses incorporelles, le mot partie s’entend en plusieurs sens : ainsi l’on dit, en parlant de nombres, que deux est une partie de dix (il ne s’agit ici que de nombres abstraits) ; on dit aussi qu’une certaine étendue est une partie de cercle, ou de ligne ; on dit enfin qu’une notion est une partie de la science.

Pour les nombres et les figures géométriques, comme pour les corps, il est évident que le tout est nécessairement diminué par sa division en parties, et que chaque partie est plus petite que le tout. Ayant pour essence d’être des quantités déterminées, mais non la quantité en soi, ces choses doivent être susceptibles d’augmentation et de diminution[16]. Ce n’est certes pas dans ce sens que l’on peut entendre parties en parlant de l’Âme. Car l’Âme n’est pas une quantité comme une dizaine, qui forme un tout divisible en unités ; autrement, il s’ensuivrait une foule d’absurdités, puisqu’une dizaine n’est pas une unité véritable : il faudrait alors ou que chacune des unités fût âme, ou que l’Âme même résultat d’une somme d’unités inanimées.

D’ailleurs, ceux que nous combattons ont accordé que toute partie de l’Âme universelle est conforme au tout [§ 1] ; or, dans les quantités continues, il n’est nullement nécessaire que la partie soit semblable au tout : ainsi, dans le cercle et le quadrilatère [les parties ne sont pas des cercles ou des quadrilatères] ; toutes les parties de l’objet divisé (sur lequel on prend une partie) ne sont même pas semblables entre elles, mais varient de mille manières, comme les divers triangles dont se composerait un seul triangle. Ceux que nous combattons admettent encore que l’Âme universelle est composée de parties conformes au tout. Or, dans une ligne, une partie peut bien aussi être une ligne, et alors elle diffère du tout en grandeur. Mais quand il s’agit de l’âme, si la différence de la partie au tout consistait dans une différence de grandeur, l’Âme serait une grandeur et un corps : car ce serait alors en tant qu’Âme qu’elle se différencierait par sa quantité ; mais comment cela se pourrait-il puisqu’on suppose toutes les âmes semblables et universelles[17] ? Il est évident que l’Âme ne peut davantage se diviser comme les grandeurs, et nos adversaires eux-mêmes n’admettraient pas que l’Âme universelle se divise ainsi en parties : car ce serait détruire l’Âme universelle et la réduire à n’être plus qu’un vain nom (si l’on peut dire toutefois que, dans ce système, il y avait auparavant une Âme universelle[18] ; ce serait faire d’elle un tout semblable à du vin qu’on distribue dans plusieurs amphores, en disant que la partie de vin contenue dans chacune d’elles est une portion du tout[19].

Le mot parties doit-il donc être entendu [relativement à l’Âme] dans le sens où l’on dit qu’une proposition est une partie de la science totale ? Dans ce cas, la science totale n’en reste pas moins la même [quand elle est divisée], et sa division n’est que la production et l’acte (οἷον προφπρᾶς ϰαὶ ἐνεργείας ἑϰάστου οὔσης) de chacune des choses qu’elle comprend : ici, chaque proposition contient en puissance la science totale, et la science totale [malgré sa division] reste entière. — Si tel est le rapport de l’Âme universelle avec les autres âmes, l’Âme universelle, dont les parties sont telles, n’appartiendra à aucun être particulier, mais existera en elle-même. Elle ne sera donc plus l’Âme du monde. Cette dernière elle-même prendra rang au nombre des âmes regardées comme des parties. Toutes les âmes étant conformes entre elles seront au même titre parties de l’Âme qui est une et identique. Alors pourquoi telle âme est-elle l’Âme du monde, et telle autre l’âme d’une des parties du monde ? [On ne l’explique pas.]

III. Les âmes particulières sont-elles enfin des parties de l’Âme universelle comme, dans un animal, l’âme qui fait vivre le doigt est une partie de l’âme totale répandue dans l’animal entier ? Cette hypothèse conduit à admettre ou qu’il n’y a aucune âme en dehors du corps, ou que l’Âme universelle existe tout entière, non dans un corps, mais en dehors du corps du monde. C’est ce qu’il faut examiner. Pour cela, procédons en nous servant d’une comparaison[20].

Si l’Âme universelle se communique à tous les animaux particuliers, et si c’est en ce sens que chaque âme est une partie de l’Âme universelle (car, une fois divisée, l’Âme universelle ne saurait se communiquer à chaque partie), il faut que l’Âme universelle soit partout tout entière, qu’elle soit une et la même à la fois dans les divers êtres. Or, cette hypothèse ne permet plus de distinguer d’un côté l’Âme universelle, de l’autre les parties de cette âme, d’autant plus que ces parties ont la même puissance [que l’Âme universelle] : car, même pour les organes qui ont des fonctions diverses, comme les yeux et les oreilles, on n’admettra pas qu’il y ait une partie de l’âme dans les yeux, une autre dans les oreilles (une telle division ne convient qu’à des choses qui n’ont rien de commun avec l’âme) ; mais on dira que c’est bien la même partie de l’âme qui anime ces deux organes, en exerçant dans chacun d’eux une faculté différente. En effet, toutes les puissances de l’âme sont présentes dans ces deux sens [la vue, l’ouïe], et la différence de leurs perceptions a pour cause unique la différence des organes[21]. Toutes les perceptions cependant appartiennent à des formes [aux facultés de l’âme] et se ramènent à une forme [à l’âme] qui peut devenir toutes choses[22]. C’est ce qui est démontré encore par la nécessité, pour les impressions, de venir toutes aboutir à un centre unique. Sans doute les organes au moyen desquels nous percevons ne peuvent nous faire percevoir toutes choses, et par conséquent les impressions diffèrent avec les organes ; néanmoins, le jugement de ces impressions appartient à un seul et même principe, qui ressemble à un juge attentif aux paroles et aux actes soumis à son appréciation[23]. Mais on a dit plus haut[24] que c’est un seul et même principe qui produit les actes appartenant à des fonctions différentes [comme le sont la vue et l’ouïe]. Si ces fonctions sont comme les sens, il n’est pas possible que chacune d’elles pense[25] ; l’Âme universelle en est seule capable. Si la pensée est une fonction propre, indépendante, chaque intelligence subsiste par elle-même[26]. Enfin, quand l’âme est raisonnable, et qu’elle l’est de manière à être appelée raisonnable tout entière, ce qu’on nomme partie est conforme au tout, par conséquent n’est pas une portion du tout.

IV. Si c’est ainsi que l’Âme universelle est une, que faudra-t-il répondre quand on demandera quelles conséquences en dérivent, quand d’abord on exprimera le doute que l’Âme universelle puisse à la fois être une et être dans tous les êtres, quand ensuite on demandera comment il se fait que telle âme soit dans un corps et que telle autre n’y soit pas ? Il semblerait être plus conséquent d’admettre que toute âme est toujours dans un corps, surtout l’Âme universelle. Car on ne dit pas que cette Âme abandonne son corps comme la nôtre, et, bien que quelques-uns avancent qu’elle-même quittera un jour son corps, on ne prétend pas qu’elle doive être jamais en dehors de tout corps. En admettant même qu’elle doive un jour être séparée de tout corps, comment se fait-il qu’une âme puisse ainsi se séparer, et qu’une autre ne le puisse pas, puisqu’elles ont au fond la même nature ? On ne saurait élever une pareille question pour l’Intelligence : les parties entre lesquelles elle se divise ne sont distinguées les unes des autres que par leur différence individuelle, et elles existent toutes ensemble éternellement (car l’Intelligence n’est pas divisible). Tout au contraire, l’Âme universelle étant, comme on le dit, divisible dans les corps[27], il est fort difficile de comprendre comment toutes les âmes procèdent de l’Essence qui est une.

Voici ce qu’on peut répondre à cette question :

L’Essence qui est une [savoir l’Intelligence] subsiste en elle-même sans descendre dans les corps ; de l’Essence qui est une procèdent l’Âme universelle et les autres âmes, qui existent toutes ensemble jusqu’à un certain point et ne forment qu’une seule Âme en tant qu’elles n’appartiennent à aucun être particulier [contenu dans le monde sensible]. Mais, si par leurs extrémités supérieures elles se rattachent à l’unité, si elles coïncident en son sein, elles divergent ensuite [par leurs actes], comme la lumière se divise sur la terre entre les diverses habitations des hommes et néanmoins reste une et indivise. Dans ce cas, l’Âme universelle est toujours élevée au-dessus des autres parce qu’elle n’est point capable de descendre, de déchoir, d’incliner vers le monde sensible ; les nôtres, au contraire, descendent ici-bas, parce qu’une place déterminée leur est assignée dans ce monde et qu’elles sont obligées de s’occuper d’un corps qui exige une attention soutenue. L’Âme universelle ressemble par sa partie inférieure au principe vital qui anime une grande plante et qui y administre tout paisiblement et sans bruit[28] ; nos âmes sont semblables par leur partie inférieure à ces animalcules auxquels donnent naissance les parties de la plante qui se putréfient. C’est là l’image du corps vivant de l’univers. Quant à la partie supérieure de notre âme qui est conforme à la partie supérieure de l’Âme universelle, elle peut être comparée à un agriculteur qui, ayant remarqué les vers dont la plante est rongée, s’appliquerait à les détruire et s’occuperait de la plante avec sollicitude. C’est comme si l’on disait que l’homme bien portant et entouré d’hommes bien portants est tout entier aux choses qu’il a à faire ou à étudier : que malade, au contraire, il est tout entier à son corps et en devient dépendant.

V. Mais [demandera-t-on], comment l’Âme universelle peut-elle être à la fois ton âme, l’âme de celui-ci, l’âme de celui-là ? Sera-t-elle l’âme de celui-ci par sa partie inférieure, l’âme de celui-là par sa partie supérieure[29] ?

Professer une pareille doctrine, ce serait admettre que l’âme de Socrate vivrait tant qu’elle serait dans un corps, tandis qu’elle serait anéantie [en allant se perdre dans le sein de l’Âme universelle] au moment même où [par suite de sa séparation d’avec le corps] elle se trouverait dans ce qu’il y a de meilleur [dans le monde intelligible][30]. Non : nul des êtres véritables ne périt. Les intelligences elles-mêmes ne se perdent pas là-haut [dans l’Intelligence divine] parce qu’elles n’y sont pas divisées à la manière des corps, et qu’elles y subsistent chacune avec leur caractère propre, joignant à leur différence cette identité qui constitue l’être. Étant placées au-dessous des intelligences particulières auxquelles elles sont suspendues, les âmes particulières sont les raisons [nées] des intelligences, sont des intelligences plus développées ; de peu multiples, elles deviennent très-multiples, tout en restant unies aux essences peu multiples ; comme elles tendent à introduire la séparation dans ces essences moins divisibles [les intelligences], et qu’elles ne peuvent cependant arriver aux dernières limites de la division, elles conservent à la fois leur identité et leur différence : chacune demeure une, et toutes ensemble forment une unité.

Nous avons ainsi établi déjà le point important de la discussion, savoir que toutes les âmes procèdent d’une seule Âme, que d’une elles deviennent multiples, comme cela a lieu pour les intelligences, divisées de la même façon et en même temps indivises. L’Âme qui demeure dans le monde intelligible est la Raison une et indivisible [née] de l’Intelligence, et de cette Âme procèdent les raisons particulières et immatérielles, de la même manière que là-haut [les intelligences particulières procèdent de l’Intelligence une et absolue].

VI. Si l’Âme universelle et les âmes particulières sont conformes, comment se fait-il que la première ait créé le monde et que les autres ne l’aient point créé, puisqu’elles contiennent aussi chacune toutes choses en elle-même, et que nous avons déjà montré que la puissance productrice peut exister à la fois en plusieurs êtres ? Expliquons-en la raison maintenant. Nous pourrons ainsi examiner et découvrir comment la même essence peut agir, ou pâtir, ou agir et pâtir, d’une manière différente en différents êtres.

Comment donc et pourquoi l’Âme universelle a-t-elle fait l’univers, tandis que les âmes particulières en administrent seulement chacune une partie ? Cela n’est pas plus étonnant que de voir des hommes qui possèdent la même science commander les uns à un plus grand nombre, les autres à un moindre. Mais pourquoi en est-il ainsi, dira-t-on ? C’est, pourra-t-on répondre, qu’il existe une grande différence entre les âmes : elle consiste en ce que les unes, au lieu de se séparer de l’Âme universelle, sont restées dans le monde intelligible et ont contenu le corps [de l’univers], tandis que les autres, lorsque le corps [de l’univers] existait déjà et que l’Âme, leur sœur, le gouvernait, ont pris les lots qui leur sont échus par le sort, comme si celle-ci leur avait préparé des demeures destinées à les recevoir[31]. En outre, l’Âme universelle contemple l’Intelligence universelle, et les âmes particulières contemplent plutôt les intelligences particulières. Ces âmes eussent peut-être été capables aussi de faire l’univers ; mais cela ne leur est plus possible maintenant que l’Âme universelle l’a déjà fait et les a devancées. On aurait lieu d’ailleurs de faire la même question si toute autre âme eût fait l’univers la première. Peut-être est-il préférable d’admettre que, si l’Âme universelle a créé l’univers, c’est parce qu’elle est plus étroitement attachée aux choses intelligibles : car les âmes qui inclinent vers elles ont plus de puissance ; en se maintenant dans cette région tranquille, elles agissent avec plus de facilité ; or, c’est le signe d’une plus grande puissance d’agir sans pâtir. Ainsi, la puissance suspendue au monde intelligible demeure en elle-même, et, en demeurant en elle-même, elle produit. Les autres âmes, descendant[32] vers les corps, s’éloignent du monde intelligible et tombent dans l’abîme [de la matière]. Peut-être aussi l’élément multiple qui est en elles, se trouvant porté vers les régions inférieures, y a entraîné les conceptions de ces âmes et les a fait descendre ici-bas. En effet, la distinction du second et du troisième rang[33] pour les âmes doit s’entendre en ce sens que les unes sont plus près, les autres plus loin du monde intelligible. De même, parmi nous, toutes les âmes ne sont pas également disposées à l’égard de ce monde : les unes parviennent à s’y unir ; d’autres s’en rapprochent par leurs aspirations ; d’autres enfin y réussissent moins, parce qu’elles ne se servent pas des mêmes facultés et que les unes emploient la première, les autres la seconde, celles-là la troisième[34], quoiqu’elles possèdent également toutes ces puissances.

VII. Voilà ce que nous croyons vrai sur ce sujet. Quant au passage du Philèbe [cité § 1], il pourrait faire croire que toutes les âmes sont des parties de l’Âme universelle. Ce n’en est point là cependant le sens véritable, comme quelques-uns le croient ; il signifie seulement ce que Platon voulait établir en cet endroit, savoir que le ciel est animé. Platon le prouve en disant qu’il serait absurde de soutenir que le ciel n’a pas d’âme, quand notre corps, qui n’est qu’une partie du corps de l’univers, a cependant une âme ; or, comment la partie serait-elle animée sans que le tout le fût aussi[35] ? C’est dans le Timée[36] surtout que Platon explique clairement sa pensée. Après avoir exposé la naissance de l’Âme universelle, il fait naître postérieurement les autres âmes du mélange opéré dans le même vase d’où a été tirée l’Âme universelle ; il admet qu’elles sont conformes à l’Âme universelle, et il fait consister leur différence en ce qu’elles occupent le second ou le troisième rang. C’est ce que confirme encore ce passage de Phèdre : « L’Âme universelle prend soin de ce qui est inanimé[37]. » Quelle puissance en effet administre, façonne, ordonne, produit le corps, si ce n’est l’âme ? Qu’on ne dise pas qu’une âme a ce pouvoir et qu’une autre ne l’a pas. « L’âme parfaite, ajoute Platon, l’Âme de l’univers, planant dans la région éthérée, agit sur le monde sans y entrer, étant portée au-dessus de lui comme dans un char ; les autres âmes qui sont parfaites partagent avec elle l’administration du monde[38]. » Quand Platon parle de l’âme qui a perdu ses ailes (πτεροῤῥυήσασα), il distingue évidemment les âmes particulières de l’Âme universelle. S’il dit encore que les âmes suivent le mouvement circulaire de l’univers, qu’elles en tiennent leur caractère, qu’elles en subissent l’influence[39], on ne peut en conclure que nos âmes soient des parties de l’Âme universelle. En effet, elles peuvent fort bien subir l’influence exercée par la nature des lieux[40], des eaux et de l’air sur les villes qu’elles habitent et sur le tempérament des corps auxquels elles sont unies. Nous avons reconnu qu’étant contenus dans l’univers, nous possédons quelque chose de la vie propre à l’Âme universelle, et que nous subissons l’influence du mouvement circulaire du ciel ; mais nous avons aussi établi qu’il y a en nous une autre âme[41], qui est capable de résister à ces influences et qui manifeste son caractère différent précisément par la résistance qu’elle leur oppose. Quant à cette objection que nous sommes engendrés dans l’univers[42], nous répondrons que l’enfant est de même engendré dans le sein de sa mère, et que cependant l’âme qui entre dans son corps est distincte de celle de sa mère[43].

VIII. Telle est la solution que nous avons à proposer. On ne saurait nous objecter la sympathie qui existe entre les âmes. Cette sympathie s’explique par ce fait que toutes les âmes dérivent du même principe dont dérive aussi l’Âme universelle. Nous avons déjà montré qu’il y a une Âme [l’Âme universelle] et plusieurs âmes [les âmes particulières] ; nous avons également déterminé la différence qu’il y a entre les parties et le tout. Enfin nous avons aussi parlé de la différence qui existe entre les âmes. Maintenant, revenons brièvement sur ce dernier point.

Cette différence des âmes a pour causes principales, outre la constitution des corps qu’elles animent, les mœurs, les opérations, les pensées et la conduite de ces âmes dans les existences antérieures. C’est en effet des existences antérieures que Platon fait dépendre pour les âmes le choix de leur condition[44]. Si l’on considère enfin la nature des âmes en général, on trouve que Platon en assigne les différences en disant qu’il est des âmes qui occupent le second ou le troisième rang[45]. Or, nous avons dit que toutes les âmes sont toutes choses [en puissance][46], que chacune d’elles est caractérisée par la faculté qu’elle exerce principalement, c’est-à-dire que celle-ci s’unit en acte au monde intelligible, celle-là en pensée, cette autre en désir[47]. Les âmes, contemplant ainsi divers objets, sont et deviennent ce qu’elles contemplent. La plénitude et la perfection appartiennent aussi aux âmes, mais elles ne sont pas toutes identiques sous ce rapport, parce que la variété est la loi qui préside à leur coordination. En effet, la Raison [génératrice] universelle est une d’un côté, multiple et variée de l’autre, comme un être qui est animé et qui a des formes multiples[48]. S’il en est ainsi, il y a coordination (συνταξίς)[49] ; les êtres ne sont pas complètement séparés les uns des autres, et il n’y a pas de place pour le hasard dans les êtres réels ni même dans les corps ; par conséquent le nombre des êtres est déterminé. Il faut en effet que les êtres soient stables, que les intelligibles demeurent identiques, et que chacun d’eux soit numériquement un ; c’est à cette condition qu’il sera individu (τὸ τόδε)[50]. Quant aux corps, qui par leur nature sont dans un écoulement perpétuel parce que leur forme est pour eux une chose adventice, ils ne possèdent jamais l’existence formelle (τὸ εἶναι ϰατ’ εἶδος) que par leur participation aux êtres véritables[51]. Pour ces derniers au contraire, qui ne sont pas composés, l’existence consiste à être chacun numériquement un, à posséder cette unité qui est dès l’origine, qui ne devient pas ce qu’elle n’était pas, qui ne cessera pas d’être ce qu’elle est. En effet, s’il doit y avoir un principe qui les produise, il ne les tirera pas de la matière. Il faudra donc qu’il leur ajoute quelque chose de sa propre essence. Mais, si les intelligibles ont ainsi tantôt plus, tantôt moins de perfection, ils changeront (ce qui est en contradiction avec leur essence, qui est de demeurer identiques) ; pourquoi d’ailleurs deviendraient-ils tels maintenant et n’auraient-ils pas toujours été tels ? Enfin, s’ils sont tantôt plus, tantôt moins parfaits, s’ils deviennent, ils ne sont pas éternels. Or il est admis que l’âme est éternelle [en sa qualité d’essence intelligible].

Mais [demandera-t-on encore], peut-on appeler infini ce qui est stable ? Ce qui est stable est infini par sa puissance, parce que sa puissance est infinie sans être d’ailleurs divisée à l’infini : car Dieu aussi est infini [en ce sens qu’il n’a pas de limites]. Ainsi, chaque âme est ce qu’il est dans sa nature d’être, sans recevoir d’autrui une limite ni une quantité déterminée ; elle s’étend autant qu’elle veut ; elle n’est jamais contrainte d’aller plus loin ; mais partout elle descend vers les corps et les pénètre comme c’est dans sa nature. D’ailleurs, elle ne se sépare jamais d’elle-même, quand elle est présente dans le doigt ou dans le pied[52]. Il en est de même pour l’univers : en quelque endroit que pénètre l’Âme, elle reste toujours indivisible, comme lorsqu’elle pénètre les diverses parties d’une plante ; alors, si l’on coupe une certaine partie, le principe qui lui communique la vie reste à la fois présent dans la plante et dans la partie qui en a été détachée[53]. Le corps de l’univers est un, et l’Âme est partout dans son unité.

Si, quand un animal se putréfie, il s’y engendre une foule d’animalcules, ils ne tiennent pas leur vie de l’âme de l’animal entier : celle-ci a abandonné le corps de l’animal et n’y a plus son siége puisqu’il est mort[54]. Mais les matériaux qui proviennent de la putréfaction, étant convenablement disposés pour la génération d’animalcules, reçoivent chacun une âme différente, parce que l’Âme ne fait défaut nulle part. Cependant, comme une partie de ce corps est capable de la recevoir, et qu’une autre partie n’en est pas capable, les parties qui deviennent ainsi animées n’augmentent pas le nombre des âmes : car ces animalcules dépendent de l’Âme une en tant qu’elle reste une [c’est-à-dire de l’Âme universelle]. C’est comme en nous : quand on coupe quelques parties de notre corps, et que d’autres poussent à la place, notre âme abandonne les premières, et s’unit aux secondes en tant qu’elle reste une. Or l’Âme de l’univers demeure toujours une, et bien que, parmi les choses qui sont contenues dans cet univers, les unes soient animées, les autres inanimées, les puissances animiques n’en restent pas moins toujours les mêmes.


IX. Examinons maintenant comment il arrive que l’âme descende dans le corps, et de quelle manière ce fait a lieu : car il mérite aussi d’exciter notre étonnement et de provoquer notre attention[55].

Il y a pour l’âme deux manières d’entrer dans un corps. L’une a lieu quand l’âme, étant déjà dans un corps, subit une métensomatose (μετενσωμάτωσις), c’est-à-dire passe d’un corps aérien ou igné dans un corps terrestre, migration qu’on n’appelle pas ordinairement métensomatose, parce qu’on ne voit pas d’où l’âme vient ; l’autre manière a lieu quand l’âme passe de l’état incorporel dans un corps quel qu’il soit, et qu’elle entre ainsi pour la première fois en commerce avec un corps[56].

Il convient d’examiner ici ce qu’éprouve dans ce dernier cas l’âme qui, pure jusque-là de tout commerce avec le corps, s’entoure pour la première fois d’une substance de cette nature. De plus, il est juste, ou plutôt, il est nécessaire que nous commencions par l’Âme universelle.

Si nous disons que l’Âme entre dans le corps de l’univers et vient l’animer, c’est simplement pour expliquer notre pensée plus clairement ; la succession que nous établissons ainsi entre ses actes est purement verbale[57] : car il n’y a jamais eu de moment où l’univers ne fût pas animé, où son corps existât sans l’Âme, où la matière subsistât sans avoir de forme[58]. Mais on peut séparer ces choses par la pensée et par la parole, parce que, dès qu’un objet est composé, il est toujours possible de l’analyser par la pensée et la parole. Voici ce qui est en réalité.

S’il n’y avait pas de corps, il ne pourrait y avoir pour l’Âme de procession, puisque le corps est le lieu naturel de son développement. Comme l’Âme doit s’étendre, elle engendrera un lieu qui la reçoive, par conséquent, elle engendrera le corps. Or, le repos de l’Âme se fortifiant dans le Repos même[59], l’Âme ressemble à une lumière immense qui s’affaiblit en s’éloignant de son foyer, de sorte qu’au terme de son rayonnement, il n’y a plus qu’une ombre ; mais, en regardant cette ombre, l’Âme lui a donné une forme dès l’origine. En effet, il ne convenait pas que ce qui approche de l’Âme ne participât en rien à la Raison[60] ; aussi y a-t-il dans [la matière], cette ombre de l’Âme, une ombre de la Raison. L’univers est ainsi devenu une demeure belle et variée, que l’Âme universelle n’a pas privée de sa présence[61], sans cependant s’y incorporer ; elle a jugé l’univers tout entier digne de ses soins, et elle lui a ainsi donné autant d’être et de beauté qu’il était capable d’en recevoir, sans d’ailleurs rien perdre elle-même, parce qu’elle l’administre en demeurant au-dessus de lui dans le monde intelligible. De cette manière, en l’animant, elle lui accorde sa présence sans devenir sa propriété ; elle le domine et le possède sans être dominée ni possédée par lui. L’univers est en effet dans l’Âme qui le contient, et il y participe tout entier : il y est comme un filet dans la mer, pénétré et enveloppé de tous côtés par la vie, sans pouvoir toutefois se l’approprier. Mais ce filet s’étend autant qu’il le peut avec la mer : car aucune de ses parties ne saurait être ailleurs qu’où elle est. Quant à l’Âme universelle, elle est immense de sa nature, parce qu’elle n’a pas une grandeur déterminée ; en sorte qu’elle embrasse par une seule et même puissance le corps entier du monde, et qu’elle est présente partout où il s’étend. Sans lui, elle n’aurait nul souci de procéder dans l’étendue : car elle est par elle-même tout ce qu’il est dans son essence d’être. Ainsi, la grandeur de l’univers est déterminée par celle du lieu où l’Âme est présente ; et son étendue a pour limites celles de l’espace dans lequel il est vivifié par elle. L’ombre de l’Âme a donc une étendue déterminée par celle de la Raison qui rayonne de ce foyer de lumière ; et, d’un autre côté, cette Raison devait produire une étendue telle que son essence lui commandait de la produire[62].

X. Maintenant, revenons à ce qui a toujours été ce qu’il est. Embrassons par la pensée tous les êtres, comme l’air, la lumière, le soleil, la lune. Représentons-nous encore le soleil, la lumière, etc., comme étant toutes choses, sans oublier toutefois qu’il y a des choses qui occupent le premier rang, d’autres le second ou le troisième. Au sommet de cette série des êtres, concevons l’Âme universelle subsistant éternellement. Plaçons ensuite ce qui tient le premier rang après elle, et continuons ainsi jusqu’à ce que nous arrivions aux choses qui occupent le dernier rang, et qui sont en quelque sorte les dernières lueurs de la lumière que répand l’Âme ; représentons-nous ces choses comme une étendue d’abord ténébreuse, puis illuminée par la forme qui vient s’ajouter à un fond primitivement obscur. Ce fond est embelli par la Raison en vertu de la puissance que l’Âme universelle tout entière a par elle-même d’embellir la matière au moyen des raisons, comme les raisons séminales (οἱ ἐν σπέρματι λόγοι) façonnent et forment elles-mêmes les animaux et en font de petits mondes (μιϰροὶ ϰόσμοι). L’Âme donne à tout ce qu’elle touche une forme selon sa nature ; elle produit sans conception adventice, sans les lenteurs de la délibération ni celles de la détermination volontaire. Sinon, elle n’agirait plus selon sa nature, mais selon les préceptes d’un art emprunté. L’art en effet est postérieur à la nature : il l’imite en produisant d’obscures et faibles imitations de ses œuvres, des jouets sans prix ni mérite, et il emploie d’ailleurs un grand appareil de machines pour produire ces images[63]. L’Âme universelle, au contraire, dominant les corps par la vertu de son essence, les fait devenir et être ce qu’elle veut : car les choses mêmes qui existent depuis le commencement ne peuvent opposer de résistance à sa volonté. Souvent, dans les choses inférieures, par suite de l’obstacle qu’elles se font les unes aux autres, la matière ne reçoit pas la forme propre que la raison [séminale] contient en germe[64]. Mais, comme l’Âme universelle produit la forme universelle, et que toutes choses y sont coordonnées ensemble, l’œuvre est belle parce qu’elle est réalisée sans peine ni obstacle. Il y a dans l’univers des temples pour les dieux, des maisons pour les hommes, et d’autres objets adaptés aux besoins des autres êtres. Que pouvait en effet créer l’Âme, sinon ce qu’elle a la puissance de créer ? Comme le feu échauffe, comme la neige refroidit[65], l’Âme agit tantôt en elle-même, tantôt hors d’elle-même et sur d’autres objets. L’action que les êtres inanimés tirent d’eux-mêmes sommeille en quelque sorte en eux[66], et celle qu’ils exercent sur les autres consiste à rendre semblable à eux-mêmes ce qui peut pâtir. C’est en effet le caractère commun de tout être de rendre le reste semblable à soi. Quant à l’Âme, la puissance qu’elle a d’agir soit en elle, soit sur les autres choses, est une faculté vigilante. Elle communique la vie aux êtres qui ne l’ont point par eux-mêmes, et la vie qu’elle leur communique est semblable à sa propre vie. Or, vivant dans la Raison, elle donne au corps une raison, qui est une image de celle qu’elle-même possède : en effet, ce qu’elle communique aux corps est une image de la vie. Elle leur donne également les formes (μορφαὶ) dont elle possède les raisons. Or, elle possède les raisons de toutes choses, même des dieux[67]. C’est pourquoi le monde contient toutes choses.

XI. Les anciens sages, qui voulaient se rendre les dieux présents en fabriquant des statues[68], me paraissent avoir bien pénétré la nature de l’univers : ils ont compris que l’essence de l’Âme universelle est facile à attirer partout, qu’elle peut être aisément rendue présente dans toute chose disposée pour recevoir son action et pour participer ainsi quelque peu à sa puissance. Or une chose est toujours disposée à subir l’action de l’Âme quand elle se prête comme un miroir à recevoir toute espèce d’image[69]. La Nature dans l’univers forme avec un art admirable tous les êtres à l’image des raisons qu’elle possède : dans chacune de ses œuvres la raison [séminale] unie à la matière, étant l’image de la raison supérieure à la matière [de l’idée][70], se rattache à la Divinité [à l’Intelligence] d’après laquelle elle a été engendrée, et que l’Âme universelle a contemplée pour créer[71]. Il était donc également impossible qu’il y eût ici-bas quelque chose qui ne participât pas de la Divinité, et que celle-ci descendît ici-bas : car elle est l’Intelligence, le Soleil qui brille là-haut. Considérons-la comme le modèle de la Raison (παράδειγμα τοῦ λόγου). Au-dessous de l’Intelligence est l’Âme, qui en dépend, qui subsiste par elle et avec elle. L’Âme tient à ce Soleil [à l’Intelligence] : elle est l’intermédiaire par lequel les êtres d’ici-bas se rattachent aux êtres intelligibles, l’interprète (ἑρμηνευτιϰή)[72] des choses qui descendent du monde intelligible dans le monde sensible et des choses du monde sensible qui remontent dans le monde intelligible. En effet les choses intelligibles ne sont pas éloignées les unes des autres ; elles sont seulement distinguées par leur différence et leur constitution ; elles sont chacune en elle-même, sans aucune relation avec le lieu ; elles sont à la fois unies et distinctes. Les êtres que nous appelons des dieux méritent d’être regardés comme tels parce que jamais ils ne s’écartent des intelligibles, qu’ils sont suspendus à l’Âme universelle considérée dans son principe, au moment même où elle sort de l’Intelligence. Ainsi, ces êtres sont des dieux en vertu même du principe auquel ils doivent leur existence, et parce qu’ils se livrent à la contemplation de l’Intelligence, dont l’Âme universelle elle-même ne détache point ses regards.

XII. Si les âmes humaines se sont élancées d’en haut ici-bas, c’est qu’elles ont contemplé leurs images [dans la matière] comme dans le miroir de Bacchus[73] ; cependant elles ne sont pas séparées de leur principe, de leur intelligence : car leur intelligence ne descend pas avec elles[74], en sorte que, si leurs pieds touchent la terre, leur tête s’élève au-dessus du ciel[75]. Elles descendent d’autant plus bas que le corps sur lequel leur partie intermédiaire[76] doit veiller a plus besoin de soins. Mais Jupiter, leur père, prenant pitié de leurs peines, a fait leurs liens mortels[77] ; il leur accorde du repos à certains intervalles, en les délivrant du corps, afin qu’elles puissent revenir habiter la région où l’Âme universelle demeure toujours, sans incliner vers les choses d’ici-bas[78]. En effet, ce que l’univers possède actuellement lui suffit et lui suffira toujours, puisqu’il a une durée réglée par des raisons éternelles et immuables, et que, lorsqu’une période est finie, il recommence à en parcourir une autre où toutes les vies sont déterminées conformément aux idées[79]. Par là, les choses d’ici-bas étant soumises aux choses intelligibles, tout est subordonné à une Raison unique, soit pour la descente, soit pour l’ascension des âmes (ἔν τε ϰαθόδοις ψυχῶν ϰαὶ ἀνόδοις), soit pour leurs actes en général. Ce qui le prouve, c’est l’accord qui existe entre l’ordre universel et les mouvements des âmes qui, en descendant ici-bas, se conforment à cet ordre sans en dépendre, et sont parfaitement en harmonie avec le mouvement circulaire du ciel : c’est ainsi que les actions, les fortunes, les destinées trouvent toujours leurs signes dans les figures formées par les astres[80]. C’est là ce concert dont le son est, dit-on, si mélodieux, et que les anciens exprimaient symboliquement par l’harmonie musicale[81]. Or, il n’en pourrait être ainsi si toutes les actions et toutes les passions de l’univers n’étaient réglées par des raisons qui déterminent ses périodes, les rangs des âmes, leurs existences, les carrières qu’elles parcourent dans le monde intelligible, ou dans le ciel, ou sur la terre. L’Intelligence universelle reste toujours au-dessus du ciel, et demeurant là tout entière, sans sortir d’elle-même, elle rayonne dans le monde sensible par l’intermédiaire de l’Âme qui, placée près d’elle, reçoit l’impression de l’idée et la transmet aux choses inférieures, tantôt d’une façon immuable, tantôt d’une manière variée, mais réglée cependant[82]. Les âmes ne descendent pas toujours également ; elles descendent tantôt plus bas, tantôt moins bas, mais toujours dans le même genre d’êtres [dans le genre des êtres vivants][83]. Chaque âme entre dans le corps qui est préparé pour le recevoir, et qui est tel ou tel, selon la nature à laquelle l’âme est devenue semblable par sa disposition (ϰαθ’ ὁμοίωσιν τῆς διαθέσεως) car, selon que l’âme est devenue semblable à la nature d’un homme ou à celle d’une brute, elle entre dans tel ou tel corps[84].

XIII. Ce qu’on appelle l’inévitable Nécessité et la Justice divine[85] consiste dans l’empire de la Nature qui fait passer chaque âme avec ordre dans l’image corporelle qui est devenue l’objet de son affection et de sa disposition principale. Aussi l’âme se rapproche-t-elle par sa forme tout entière de l’objet vers lequel la porte sa disposition intérieure : c’est ainsi qu’elle est conduite et introduite où elle doit aller ; non qu’elle soit forcée de descendre à tel moment dans tel corps, mais, à un instant fixé, elle descend comme d’elle-même (οἶον αὐτομάτως) et entre où il faut. Chacune a son heure : quand cette heure arrive, l’âme descend comme si un héraut l’appelait, et pénètre dans le corps préparé pour la recevoir, comme si elle était subjuguée et mise en mouvement par les forces et les attractions puissantes dont la magie fait usage[86]. C’est de la même manière que, dans un animal, la nature administre tous les organes, meut ou engendre chaque chose dans son temps, fait pousser la barbe ou les cornes, donne à l’être des penchants et des pouvoirs particuliers, lorsqu’ils deviennent nécessaires[87]) ; c’est de la même manière enfin que, dans les plantes, elle produit les fleurs ou les fruits au moment convenable. La descente des âmes dans les corps n’est ni volontaire ni forcée : elle n’est pas volontaire, puisqu’elle n’est pas choisie et consentie par les âmes ; elle n’est pas forcée, en ce sens que celles-ci n’obéissent qu’à une impulsion naturelle, comme on est porté soit au mariage, soit à l’accomplissement de certains actes honnêtes, plutôt par instinct que par raisonnement. Cependant, il y a toujours quelque chose de fatal pour chaque âme : celle-ci accomplit sa destinée à tel moment, celle-là à tel autre moment ; de même, l’Intelligence supérieure au monde a aussi quelque chose de fatal dans son existence, puisqu’elle a elle-même sa destinée, qui est de demeurer dans le monde intelligible et d’en faire rayonner sa lumière. C’est ainsi que les individus viennent ici-bas en vertu de la loi commune à laquelle ils sont soumis. Chacun en effet porte en lui-même cette loi commune, loi qui ne tire point sa force du dehors, mais qui la trouve dans la nature de ceux qui lui sont soumis, parce qu’elle est innée en eux. Aussi, tous accomplissent d’eux-mêmes ses prescriptions au temps marqué parce que cette loi les pousse à leur but, parce que, puisant sa force en ceux-là mêmes auxquels elle commande, elle les presse, les stimule et leur inspire le désir de se rendre où les appelle intérieurement leur vocation.

XIV. Par là ce monde, qui déjà renferme beaucoup de lumières et qui est illuminé par des âmes, se trouve encore orné par les diverses beautés qu’il tient d’êtres divers[88] ; il reçoit ses beautés soit des dieux intelligibles, soit des autres intelligences qui lui donnent les âmes. C’est probablement ce qu’indique d’une façon allégorique le mythe suivant :

Prométhée ayant formé une femme[89], les autres dieux l’ornèrent ; ce morceau d’argile, après avoir été pétri avec de l’eau, fut doué de la voix humaine et reçut une forme semblable à celle des déesses ; puis Vénus, les Grâces et les autres dieux lui firent chacun un don. Aussi cette femme fut-elle appelée Pandore, parce qu’elle avait reçu des dons, et que tous les dieux lui avaient donné. Tous, en effet, firent un présent à ce morceau d’argile déjà façonné par une espèce de Providence (παρὰ προμηθείας[90] τινός). Si l’on dit qu’Épiméthée rejette le don de Prométhée, n’est-ce pas pour indiquer qu’il vaut mieux vivre dans le monde intelligible[91] ? Quant au créateur de Pandore, il est lié, parce qu’il semble attaché à son œuvre. Mais ce lien est tout extérieur, et il est brisé par Hercule, parce que celui-ci possède une force libératrice.

Qu’on interprète de cette manière ou d’une autre le mythe de Pandore, il est constant qu’il indique les dons que le monde a reçus, et sa signification est d’accord avec notre doctrine.

XV. En descendant du monde intelligible, les âmes viennent d’abord dans le ciel, et elles y prennent un corps au moyen duquel elles passent même dans des corps terrestres, selon qu’elles s’avancent plus ou moins loin [hors du monde intelligible]. Il en est qui vont du ciel dans des corps d’une nature inférieure ; il en est aussi qui passent d’un corps dans un autre. Ces dernières n’ont plus la force de remonter au monde intelligible parce qu’elles ont oublié ; elles sont appesanties par le fardeau qu’elles traînent avec elles. Or les âmes diffèrent soit par les corps auxquels elles sont unies, soit par leurs destinées diverses, soit par leur genre de vie, soit enfin par leur nature primitive. Différant ainsi les unes des autres sous tous ces rapports ou sous quelques-uns seulement, les âmes ou succombent ici-bas au Destin, ou tantôt y sont soumises et tantôt s’en affranchissent, ou bien, tout en supportant ce qui est nécessaire, conservent la liberté de se livrer aux actes qui leur sont propres et vivent d’après une autre loi, d’après l’ordre qui régit tout l’univers. Cet ordre embrasse toutes les raisons [séminales] et toutes les causes, les mouvements des âmes et les lois divines ; il est d’accord avec ces lois, il emprunte d’elles ses principes et relie à elles toutes les choses qui en sont les conséquences ; il maintient impérissables toutes les essences qui peuvent se conserver elles-mêmes conformément à la constitution du monde intelligible ; il conduit les autres êtres où les appelle leur nature, de telle sorte que, s’ils descendent çà ou là, il y a une cause qui leur assigne telle position, telle condition[92].

XVI. Les châtiments qui frappent justement les méchants doivent donc être rapportés à cet ordre qui régit toutes choses comme la convenance l’exige. Quant aux maux qui semblent frapper les bons contre toute justice, accidents, misère, maladies, on peut dire que ce sont les conséquences de fautes antérieures. Car ces maux sont étroitement liés au cours des choses, et y ont même leurs signes[93], en sorte qu’ils paraissent arriver selon la Raison [de l’univers]. Il faut cependant admettre qu’ils ne sont pas produits par des raisons naturelles (λόγοι φυσιϰοί), qu’ils ne sont pas dans les vues de la Providence, qu’ils en sont seulement les conséquences accidentelles[94]. Ainsi, qu’une maison vienne à tomber, elle écrase celui qui est dessous, quel qu’il soit d’ailleurs ; ou bien encore, qu’un mouvement régulier fasse avancer deux choses ou même une seule, il brise ou écrase ce qu’il rencontre. Ces accidents, qui semblent injustes, ne sont pas des maux pour celui qui les souffre, si l’on considère comment ils se rattachent à l’ordre salutaire de l’univers ; peut-être même constituent-ils de justes peines, et sont-ils l’expiation de fautes antérieures. Il ne faut pas croire qu’il y ait dans l’univers une série d’êtres qui obéisse à l’ordre, et une autre série qui reste abandonnée au hasard et au caprice : si tout arrive par des causes et des conséquences naturelles, conformément à une seule raison, à un seul ordre, les plus petites choses doivent rentrer dans cet ordre et s’y rattacher[95]. L’injustice faite à autrui est une injustice pour celui qui la commet et doit lui attirer un châtiment ; mais, par la place qu’elle tient dans l’ordre universel, ce n’est pas une injustice, même pour celui qui la souffre[96] ; il fallait qu’il en fût ainsi : si c’est un homme vertueux qui est victime de cette injustice, elle ne peut avoir pour lui qu’une fin heureuse. On ne doit pas croire que cet ordre universel ne soit ni juste ni divin, mais admettre au contraire que la justice distributive s’y exerce avec une convenance parfaite. Si certaines choses semblent blâmables, c’est qu’elles arrivent par des causes secrètes que nous ignorons[97].

XVII. Les âmes vont d’abord du monde intelligible dans le ciel. Voici la raison qu’on en peut donner. Si le ciel est le meilleur lieu du monde sensible, il doit être le plus voisin des limites du monde intelligible. Les corps célestes sont donc les premiers qui reçoivent les âmes, étant les plus propres à les recevoir. Le corps terrestre n’est animé que le dernier, et n’est propre qu’à recevoir une âme inférieure, parce qu’il est plus éloigné de la nature incorporelle. Toutes les âmes illuminent d’abord le ciel, et y répandent leurs premiers et leurs plus purs rayons ; le reste est éclairé par des puissances inférieures. Il est des âmes qui, descendant plus bas, éclairent les choses sublunaires ; mais elles ne gagnent pas à s’éloigner autant de leur origine.

Qu’on s’imagine un centre, autour de ce centre un cercle lumineux qui en rayonne, puis autour de ce cercle un second cercle lumineux aussi, mais lumière de lumière (φώς ἐκ φωτός)[98] ; ensuite, au delà et en dehors de ces deux cercles, un autre cercle, qui n’est plus un cercle de lumière, mais qui est seulement éclairé par une lumière étrangère, faute de lumière qui lui soit propre. Il y a en effet [en dehors des deux cercles] un rhombe ou plutôt une sphère qui reçoit sa lumière du second cercle, et qui la reçoit d’autant plus vive qu’elle en est plus proche[99]. La grande lumière [l’Intelligence] répand sa clarté en demeurant en elle-même, et la clarté qui rayonne d’elle [sur l’Âme] est la Raison. Les autres âmes rayonnent aussi, les unes en restant unies à l’Âme universelle, les autres en descendant plus bas pour mieux éclairer les corps auxquels elles accordent leurs soins ; mais ces soins sont pénibles. Comme le pilote qui dirige son navire sur les îlots agités s’oublie, dans l’effort de son travail, au point de ne pas voir qu’il s’expose à périr avec le navire dans le naufrage ; de même, les âmes sont entraînées [dans le gouffre de la matière] par l’attention qu’elles accordent aux corps qu’elles gouvernent[100]) ; ensuite, elles sont enchaînées à leur destinée, comme fascinées par un attrait magique, mais réellement retenues par les liens puissants de la Nature. Si chaque corps était parfait comme l’univers, il se suffirait complètement à lui-même, il n’aurait à craindre aucun danger, et l’âme qui y est présente, au lieu d’y être présente, pourrait lui communiquer la vie sans quitter le monde intelligible.

XVIII[101]. L’âme emploie-t-elle le raisonnement avant d’entrer dans le corps et après en être sortie ? Non : c’est quand elle est dans un corps qu’elle raisonne, parce qu’elle est incertaine, embarrassée, affaiblie : car, avoir besoin de raisonner pour arriver à une connaissance complète trahit toujours l’affaiblissement de l’intelligence[102]. Le raisonnement intervient dans les arts quand l’artiste hésite devant quelque obstacle ; mais, là où il n’y a pas défaut dans la matière, l’art la maîtrise et produit son œuvre instantanément[103].

Mais [dira-t-on], si les âmes ne raisonnent pas là-haut, elles ne seront plus raisonnables. — Elles sont raisonnables, parce qu’elles peuvent bien pénétrer l’essence d’une chose, quand l’occasion l’exige. Voici d’ailleurs l’idée qu’il faut se faire du raisonnement : si l’on admet qu’il consiste dans une disposition qui dérive toujours de l’Intelligence, dans un acte immanent, un reflet de cette puissance dans les âmes, celles-ci raisonnent aussi dans le monde intelligible ; mais alors elles n’ont aucun besoin du langage[104]. De même, quand elles habitent dans le ciel, elles n’ont pas non plus recours à la parole, comme le font celles qui sont ici-bas, par suite de leurs besoins et de leurs incertitudes. Elles agissent avec ordre et conformément à la nature, sans rien prescrire, sans délibérer. Elles se connaissent les unes les autres par une simple intuition (ἐν συνέσει), comme il nous arrive ici-bas de connaître nos semblables sans qu’ils nous parlent et par la seule vertu du regard[105]. Là-haut, tout corps est pur et transparent : chacun est tout œil ; rien n’est caché ni simulé ; avant que vous ayez parlé, votre pensée est déjà connue[106]. Quant aux démons et aux êtres animés qui habitent l’air, on peut croire qu’ils se servent de la voix : car ils sont des êtres vivants (ζῶα)[107]. »

XIX[108]. Faut-il admettre que [dans l’âme] l’indivisible et le divisible forment une seule et même chose, comme s’ils étaient mélangés ensemble ? ou bien doit-on considérer sous un autre point de vue la distinction de l’indivisible et du divisible, regarder le premier comme la partie supérieure de l’âme, et l’autre comme la partie inférieure, absolument de la même manière que nous disons qu’une partie de l’âme est raisonnable et l’autre irraisonnable ? Pour résoudre cette question, il faut examiner ce que sont la divisibilité et l’indivisibilité de l’âme.

Quand Platon dit que l’âme est indivisible, il parle absolument ; quand il affirme qu’elle est divisible, c’est relativement [au corps]. Il dit en effet qu’elle devient divisible dans les corps et non qu’elle est devenue telle[109]. Voyons donc comment, par sa nature, le corps a besoin de l’âme pour vivre, et quelle nécessité il y a que l’âme soit présente au corps tout entier.

Toute puissance sensitive, par cela même qu’elle sent par le moyen du corps tout entier, arrive à se diviser : car, puisqu’elle est présente partout, on peut dire qu’elle est divisée ; mais comme, d’un autre côté, elle se manifeste tout entière partout, on ne peut dire qu’elle soit divisée réellement ; on doit se borner à affirmer qu’elle devient divisible dans les corps. — Elle n’est divisée que dans le tact, objectera-t-on peut-être ? — Nous répondrons qu’elle l’est aussi dans les autres sens (puisque c’est toujours le corps qui la reçoit), mais qu’elle l’est moins. Il en est de même de la puissance végétative et nutritive ; et si la concupiscence réside dans le foie, la colère dans le cœur, ces appétits sont soumis aux mêmes conditions[110]. Peut-être d’ailleurs le corps ne reçoit-il pas ces appétits dans ce mélange, ou les reçoit-il d’une autre façon, de telle sorte qu’ils résultent de quelqu’une des choses que le corps tient de l’âme par participation. Quant à la raison et à l’intelligence, elles ne se communiquent pas au corps, parce qu’elles n’ont pas besoin des organes pour accomplir leurs fonctions ; au contraire, elles ne trouvent en eux qu’un obstacle à leurs opérations[111].

Ainsi, l’indivisible et le divisible sont dans l’âme deux parties distinctes, et non deux choses mélangées ensemble de manière à n’en constituer qu’une seule ; ils forment un tout composé de deux parties qui sont pures chacune et séparables l’une de l’autre par la puissance qui est propre à chacune d’elles[112]. Si donc la partie qui devient divisible dans le corps reçoit de la partie supérieure la puissance d’être indivisible, cette même partie peut être à la fois divisible et indivisible, comme étant mélangée à la fois de la nature divisible et de la puissance [d’être indivisible] qu’elle reçoit de la partie supérieure.

XX[113]. Les parties de l’âme que nous venons de nommer et les autres parties de l’âme sont-elles dans un lieu, ou les unes sont-elles dans un lieu, elles autres n’y sont-elles pas ? Si certaines parties sont dans un lieu, où sont-elles et comment y sont-elles ? ou bien aucune partie n’est-elle dans un lieu ? Telles sont les questions que nous avons maintenant à résoudre. En effet, si nous n’assignons aucun lieu pour siége à chacune des parties de l’âme, si nous admettons qu’elles ne sont nulle part, pas plus dans le corps que hors du corps, celui-ci restera inanimé, et nous ne pourrons expliquer comment ont lieu les opérations qui se produisent à l’aide des organes. Si, d’un autre côté, nous assignons une place dans le corps à certaines parties de l’âme sans en assigner à d’autres, celles auxquelles nous n’assignerons pas de place sembleront n’être pas en nous, par conséquent notre âme paraîtra n’être pas en nous tout entière.

Il ne faut admettre ni qu’une partie de l’âme, ni que l’âme tout entière est dans le corps comme dans un lieu (ἐν πόσῳ). En effet, le lieu a pour propriété de contenir, et de contenir un corps (περιεκτικὸν σώματος) ; or, là où chaque chose est divisée, il est impossible que le tout soit dans chaque partie ; mais, l’âme n’est pas corps, et elle contient le corps plutôt qu’il ne la contient[114].

Elle n’y est pas non plus comme dans un vase (ἐν ἀγγείῳ) : car, dans ce cas, le corps serait inanimé, qu’il contînt l’âme comme un vase ou comme un lieu. Dira-t-on que l’âme est en quelque sorte concentrée en elle-même et communique au corps quelque chose d’elle-même par une transmission de proche en proche (διαδόσει τινί)[115] ? Alors ce qu’elle communiquera à ce vase sera autant de perdu pour elle.

D’ailleurs le lieu (en prenant ce mot dans son sens propre) est incorporel, par conséquent, n’est pas un corps. Quel besoin aurait-il donc de l’âme ? En outre [si l’âme est dans le corps comme dans un lieu], le corps approchera de l’âme par sa surface et non par lui-même[116]. On peut encore faire beaucoup d’autres objections à ceux qui placent l’âme dans le corps comme dans un lieu. Dans cette hypothèse, en effet, le lieu devra être porté avec la chose dans laquelle il sera ; quelle sera d’ailleurs la chose qui portera le lieu avec elle ? Ensuite, si l’on définit le corps un intervalle (διάστημα), il sera encore moins vrai de dire que l’âme est dans le corps comme dans un lieu : car l’intervalle doit être vide ; or le corps n’est pas le vide, il est dans le vide.

L’âme ne sera pas non plus dans le corps comme [une qualité] dans un sujet (ἐν ὑποκειμένῳ) : car l’attribut d’un sujet en est une simple affection (πάθος), comme une couleur, une figure ; or l’âme est séparable du corps.

Elle ne sera pas non plus dans le corps comme la partie dans le tout (μέρος ἐν ὅλῳ) : car l’âme n’est pas une partie du corps. Dira-t-on qu’elle est une partie du tout vivant ? Il restera toujours à déterminer comment elle est dans le tout : car elle n’y sera pas comme le vin est dans une amphore, ou comme un vase est dans un autre, ni comme une chose est en elle-même.

Elle ne sera pas non plus dans le corps comme le tout dans les parties : il serait ridicule d’appeler l’âme un tout, et le corps les parties de ce tout.

Elle ne sera pas non plus dans le corps comme la forme dans la matière (εἶδος ἐν ὕλῃ) : car la forme engagée dans la matière n’est pas séparable. Il faut d’ailleurs que la matière existe déjà pour que la forme vienne s’y ajouter ; or c’est l’âme qui produit la forme dans la matière ; elle en est donc distincte. Répondra-t-on que l’âme n’est pas la forme engendrée dans la matière, qu’elle est une forme séparable ? Il resterait encore à expliquer comment cette forme est dans le corps, puisque l’âme est séparable du corps[117].

S’il en est ainsi, comment se fait-il que tous les hommes disent que l’âme est dans le corps ? C’est que l’âme n’est pas visible, tandis que le corps est visible. Or, apercevant le corps, et jugeant qu’il est animé parce qu’il se meut et qu’il sent, nous disons qu’il a une âme, et nous sommes par conséquent amenés à penser que l’âme est dans le corps. Mais, si nous pouvions voir et sentir l’âme, reconnaître qu’elle enveloppe le corps tout entier par la vie qu’elle possède, et qu’elle s’y étend également de tous les côtés jusqu’à ses extrémités, nous dirions que l’âme n’est en aucune façon dans le corps, que c’est au contraire l’accessoire qui est dans le principal, le contenu dans le contenant, ce qui s’écoule dans ce qui ne s’écoule pas[118].

XXI. Que répondrons-nous si quelqu’un, sans rien affirmer lui-même à ce sujet, nous demande comment l’âme est présente au corps, si l’âme est tout entière présente au corps de la même manière, ou si une de ses parties est présente d’une manière, une autre d’une autre manière ?

Puisqu’aucune des comparaisons que nous avons examinées précédemment ne nous semble exprimer convenablement le rapport de l’âme avec le corps, dirons-nous que l’âme est dans le corps comme le pilote dans le navire ? Cette comparaison est bonne pour exprimer que l’âme est séparable du corps ; mais elle n’indique pas encore convenablement la manière dont l’âme est présente au corps. Si l’âme est dans le corps comme le passager est dans le navire, elle n’y sera que par accident ; si elle y est comme le pilote est dans le navire qu’il gouverne, la comparaison ne sera pas encore satisfaisante : car le pilote n’est pas dans tout le navire comme l’âme est tout entière dans tout le corps[119]. Dirons-nous que l’âme est dans le corps comme le serait l’art dans ses instruments, dans un gouvernail par exemple, que nous supposerions animé et renfermant en lui-même la puissance de gouverner le navire avec art ? Cette comparaison est encore impropre en ce que l’art vient du dehors. Si, assimilant l’âme à un pilote qui serait incarné dans son gouvernail, nous la plaçons dans le corps comme dans un instrument naturel (ἐν ὀργάνῳ φυσιϰῷ)[120] de telle sorte qu’elle le meuve à son gré, aurons-nous trouvé la solution que nous cherchons ? ou bien demanderons-nous encore comment l’âme sera dans son instrument ? Quoique ce dernier mode de présence l’emporte sur les précédents, nous voulons en trouver un qui approche encore plus de la réalité.

XXII. Ce mode, le voici : L’âme est présente au corps comme la lumière est présente à l’air (ὡς τὸ φῶς πάρεστι τῷ ἀέρι)[121]. La lumière en effet est présente à l’air sans lui être présente, c’est-à-dire, elle est présente à l’air tout entier sans s’y mêler, et elle demeure en elle-même tandis que l’air s’écoule : quand l’air dans lequel rayonne la lumière vient à s’éloigner d’elle, il n’en garde rien ; tant qu’il reste soumis à son action, il est illuminé[122]. L’air est donc dans la lumière plutôt que la lumière n’est dans l’air[123]. Aussi Platon, en expliquant la génération de l’univers, a-t-il avec raison placé le corps [du monde] dans l’Âme et non l’Âme dans le corps : il dit aussi qu’il y a une partie de l’Âme dans laquelle est le corps, et une autre partie dans laquelle il n’y a aucun corps[124], en ce sens qu’il y a des puissances de l’Âme dont le corps n’a pas besoin. Il en est de même des autres âmes : leurs puissances en général ne sont pas présentes au corps, les puissances dont le corps a besoin y sont seules présentes ; et elles y sont présentes sans être édifiées (ἐνιδρυθέντα)[125] ni sur les membres ni sur le corps entier : pour la sensation, la faculté de sentir est présente tout entière à tout l’organe qui sent [au cerveau tout entier] ; de même, pour les autres fonctions, les diverses facultés sont présentes chacune à un organe différent. Je vais m’expliquer.

XXIII. Puisque, pour le corps, être animé c’est être pénétré de la lumière que répand l’âme, chaque partie du corps y participe d’une façon particulière ; chaque organe, selon son aptitude, reçoit la puissance propre à la fonction qu’il remplit[126] : c’est ainsi qu’on dit que la puissance de la vue réside dans les yeux ; celle de l’ouïe, dans les oreilles ; celle du goût, dans la langue ; celle de l’odorat, dans le nez ; et celle du tact, dans le corps entier, puisque, pour ce dernier sens, le corps entier est l’organe de l’âme. Or, comme le tact a pour instruments les premiers nerfs, qui possèdent aussi la puissance de mouvoir l’animal (πρὸς τὴν ϰίνησιν τοῦ ζώου ἡ δύναμις) et sont le siége de cette puissance ; comme en outre les nerfs ont leur origine dans le cerveau, on y a placé le principe de la sensation et de l’appétit (ἡ τῆς αἰσθήσεως ϰαὶ ὁρμῆς ἀρχή) en un mot de tout l’animal[127], parce que l’on pensait sans doute que la puissance qui se sert des organes est présente dans la partie du corps où sont les origines de ces organes. Il eût mieux valu dire que l’action de la puissance qui se sert des organes a son origine dans le cerveau : car la partie du corps de laquelle part le mouvement imprimé à l’organe devait servir en quelque sorte de fondement à la puissance de l’artisan[128], puissance dont la nature est en harmonie avec celle de l’organe [qu’elle met en mouvement] ; ou plutôt cette partie du corps ne sert pas de fondement à cette puissance, car cette puissance est partout, mais le principe de l’action est dans la partie du corps dans laquelle est le principe même de l’organe.

D’un autre côté, comme la puissance sensitive et la ' puissance appétitive, appartenant à l’âme sensitive et imaginative, sont au-dessous de la raison, parce qu’elles se rapportent à ce qu’il y a d’inférieur, tandis que la raison est en haut [est la puissance qui d’en haut dirige l’animal][129], il en résulte que les anciens ont placé la raison dans la partie la plus élevée de tout l’animal, dans la tête, non que la raison soit dans le cerveau[130], mais parce qu’elle a pour siége la puissance sensitive, par l’intermédiaire de laquelle elle réside dans le cerveau. Il fallait en effet attribuer la puissance sensitive au corps, et, dans le corps, aux organes les plus capables de se prêter à son action. Quant à la raison, qui n’a point de commerce avec le corps, elle devait être en commerce avec la puissance sensitive, qui est une forme de l’âme et peut participer à la raison[131] : car la puissance sensitive juge en quelque sorte, et la puissance imaginative a quelque chose d’intellectuel ; enfin, l’appétit (ὁρμή) et le désir (ὅρεξις) se rattachent à l’imagination et à la raison. La raison est donc dans la tête, non comme dans un lieu, mais parce qu’elle est en rapport avec la puissance sensitive qui réside dans cet organe, comme nous l’avons expliqué tout à l’heure.

Quant à la puissance végétative, nutritive et générative, comme elle exerce son action dans le corps tout entier, que c’est par le sang qu’elle le nourrit, que le sang est contenu dans les veines, et que les veines ainsi que le sang ont leur origine dans le foie, on a donné cet organe pour siége à la partie de l’âme appelée concupiscence : car la puissance d’engendrer, de nourrir et d’accroître le corps implique concupiscence[132]. Enfin, comme le sang [devenu par la respiration] subtil, léger, mobile, pur, est un instrument convenable pour la puissance irascible, le cœur, qui est la source du sang (car c’est du cœur que part le sang qui possède ces qualités), est avec raison assigné pour siége au bouillonnement de la puissance irascible[133].

XXIV. Où passera l’âme quand elle sera sortie du corps[134] ? — Elle n’ira pas là où il n’y a rien qui puisse la recevoir. Elle ne saurait passer dans ce qui n’est pas naturellement disposé pour la recevoir, à moins qu’il n’y ait quelque chose qui attire une âme insensée. Dans ce cas, l’âme demeure dans ce qui est capable de la recevoir et le suit là où par sa nature il peut exister et être engendré. Or, comme il y a des lieux divers, il est nécessaire que la différence [des demeures dans lesquelles les âmes viennent habiter] provienne de la disposition de chaque âme et de la justice qui règne sur les êtres. Nul en effet ne saurait échapper à la punition que méritent d’injustes actions. La loi divine est inévitable[135] et possède la puissance d’accomplir les jugements [rendus d’après ses décrets]. L’homme destiné à subir une peine est entraîné à son insu vers cette peine et ballotté çà et là[136] par un mouvement qui ne s’arrête pas ; enfin, comme fatigué de lutter contre les choses auxquelles il voulait résister, il se rend dans le lieu qui lui convient, et arrive par un mouvement volontaire à subir une souffrance involontaire. La loi prescrit la grandeur et la durée de la peine. Plus tard, par suite de l’harmonie qui régit tout dans l’univers, la fin du châtiment qu’endure l’âme concourt avec la faculté qu’elle reçoit de quitter les lieux où elle était.

Les âmes qui ont un corps sentent par cela même les châtiments corporels qu’elles subissent. Quant à celles qui sont pures, qui n’entraînent avec elles rien de corporel, elles ont nécessairement le privilége de n’être dans rien de corporel. Si elles ne sont dans rien de corporel (car elles n’ont pas de corps), elles résident là où est l’essence, l’être et le divin, c’est-à-dire en Dieu. C’est là, c’est en Dieu que l’âme pure habite, avec les essences intelligibles[137]. Si tu cherches encore où est une telle âme, cherche aussi où sont les intelligibles ; et si tu les cherches, ne les cherche pas avec les yeux comme si c’étaient des corps.

XXV. La mémoire soulève les questions suivantes[138] : Subsiste-t-elle généralement dans les âmes qui sont sorties d’ici-bas ? Subsiste-t-elle seulement dans quelques-unes ? Dans ce dernier cas, est-elle générale ou spéciale, durable ou passagère ? — Pour bien résoudre ces questions, il faut d’abord déterminer quel est en nous le principe auquel appartient la mémoire ; c’est-à-dire, il faut déterminer non ce qu’est la mémoire, mais en quelle espèce d’êtres elle doit exister en vertu de sa nature (car nous avons défini ailleurs la mémoire et nous en avons souvent parlé). Il est donc nécessaire de déterminer avec exactitude quel est en nous le principe auquel il est naturel de se souvenir[139].

Si la mémoire suppose soit une connaissance, soit une passion adventice, elle ne saurait être attribuée aux essences impassibles et placées en dehors du temps. Elle ne convient donc pas à Dieu, à l’Être et à l’Intelligence, qui existent en dehors du temps, qui sont éternels et immuables, qui n’ont ni avant ni après, qui demeurent toujours dans le même état, sans jamais éprouver aucun changement. Comment ce qui est identique et immuable pourrait-il faire usage de la mémoire, puisqu’il ne saurait acquérir ni garder une disposition différente de la précédente, ni avoir des pensées successives dont l’une serait présente et l’autre serait passée à l’état de souvenir[140] ?

Mais [dira-t-on], qui empêche l’intelligence de connaître les changements des autres êtres, les révolutions périodiques du monde, par exemple, sans changer elle-même ? — Il faudrait alors qu’elle suivît les changements de l’objet en mouvement, puisqu’elle penserait d’abord une chose, puis une autre. En outre, la pensée est autre chose que la mémoire, et il ne faut pas donner le nom de mémoire à la pensée de soi-même. En effet, l’intelligence ne s’applique pas à retenir ses pensées et à les empêcher de s’échapper ; sinon, elle pourrait craindre aussi que son essence ne lui échappât[141]. Pour l’âme même, se souvenir n’est pas la même chose que se rappeler les notions innées : quand elle est descendue ici-bas, elle peut posséder ces notions sans y penser, surtout si elle est récemment entrée dans les corps[142]. Les anciens semblent avoir appelé mémoire et réminiscence (μνημὴ, ἀνάμνησις)[143] l’acte par lequel l’âme pense aux choses qu’elle possède ; c’est là une espèce particulière de mémoire, tout à fait indépendante du temps.

Mais peut-être notre solution semble-t-elle être superficielle et ne pas reposer sur un examen assez approfondi de la question. On pourrait en effet demander si la mémoire et la réminiscence, au lieu d’appartenir à l’âme raisonnable, ne sont pas propres à l’âme inférieure, ou au composé de l’âme et du corps que nous appelons l’animal. Si elles appartiennent à l’âme inférieure, d’où tient-elle ce qu’elle possède et comment le possède-t-elle ? Même question, si c’est l’animal. — Pour cela, il faut (comme nous l’avons déjà dit plus haut) chercher quel est en nous le principe auquel appartient la mémoire. Si c’est l’âme qui possède la mémoire, quelle faculté ou quelle partie la mémoire y constitue t-elle ? Si c’est à l’animal qu’appartient la mémoire, comme l’ont avancé quelques-uns, le regardant comme le principe sentant, quel est en lui le mode d’action de cette faculté ? Que faut-il en outre appeler l’animal ? Enfin, est-ce le même pouvoir qui perçoit les choses sensibles et les choses intelligibles, ou bien y a-t-il là deux puissances différentes ?

XXVI. Si les deux éléments qui composent l’animal concourent à l’acte de la sensation, la sensation est commune à l’âme et au corps[144], comme les actes de percer, de tisser[145]. Ainsi, dans la sensation, l’âme joue le rôle d’artisan et le corps celui d’instrument[146] : le corps éprouve la passion (πάσχει) et sert de messager à l’âme ; l’âme perçoit l’impression (τύπωσις) produite dans le corps ou par le corps[147] ; ou bien encore elle porte un jugement (ϰρίσις) sur la passion qu’il a éprouvée[148]. Il en résulte que la sensation est une opération commune à l’âme et au corps.

Il n’en saurait être de même de la mémoire, par laquelle l’âme, ayant déjà par la sensation perçu l’impression produite dans le corps, la conserve ou la laisse échapper[149]. On prétendra peut-être que la mémoire aussi est commune à l’âme et au corps, parce que sa bonté dépend de notre complexion. Nous répondrons que le corps peut entraver ou non l’exercice de la mémoire, sans que cette faculté cesse d’être propre à l’âme. Comment essaiera-t-on de prouver que le souvenir des connaissances acquises par l’étude appartient au composé et non à l’âme seule ? Si l’animal est le composé de l’âme et du corps, en ce sens qu’il est une troisième chose engendrée par leur union[150], il sera absurde de dire qu’il n’est ni l’âme, ni le corps. En effet, il ne saurait être une chose différente de l’âme et du corps, ni si l’âme et le corps sont transformés dans le composé dont ils sont les éléments, ni s’ils forment un mixte[151], de telle sorte que l’âme ne soit plus qu’en puissance dans l’animal ; même dans ce cas, c’est encore l’âme, et l’âme seule qui se souviendrait. Ainsi, dans un mélange de miel et de vin, si l’on sent quelque douceur, c’est au miel seul qu’il faut l’attribuer.

Oui [répondra-t-on], c’est l’âme qui se souvient, mais c’est parce qu’elle réside dans le corps et qu’elle n’est pas pure : il faut qu’elle soit affectée de telle ou telle manière (ποιωθεῖσα) pour pouvoir imprimer au corps les formes des choses sensibles (ἀναμάττεσθαι τοὺς τῶν αἰσθητῶν τύπους) ; il faut qu’elle ait son siége dans le corps pour recevoir ces formes et les conserver. — Mais, d’abord, ces formes ne sauraient avoir d’étendue[152] ; ensuite elles ne sauraient être ni des empreintes, ni des impressions, ni des images (ἐνσφραγίσεις, ἀντερείσεις, τυπώσεις)[153] : car il n’y a dans l’âme aucune impulsion (ὠθισμὸς), ni aucune empreinte semblable à celle d’un cachet sur la cire, et l’opération même par laquelle elle perçoit les choses sensibles est une espèce de pensée (ou d’intellection, νόησις)[154]. En effet, comment pourrait-on dire qu’il y a impression dans l’acte de la pensée ? Comment la pensée aurait-elle besoin du corps ou d’une qualité corporelle ? Il est d’ailleurs nécessaire que l’âme se rappelle ses mouvements[155], par exemple, ses désirs qui n’ont pas été satisfaits et dont le corps n’a point atteint l’objet ; or que pourrait nous dire le corps d’un objet qu’il n’a pas atteint[156] ? [Quant aux pensées], comment l’âme se rappellerait-elle conjointement avec le corps les choses que le corps, par sa nature même, ne peut absolument pas connaître ?

Sans doute il faut admettre qu’il y a des affections qui passent du corps dans l’âme[157] ; mais il est aussi des affections qui appartiennent exclusivement à l’âme, parce que l’âme est un être réel, qu’elle a une nature et des opérations qui lui sont propres[158]. S’il en est ainsi, elle doit avoir des désirs et se les rappeler, se souvenir qu’ils ont été ou non satisfaits, parce que, par sa nature, elle ne fait pas partie des choses qui sont dans un écoulement perpétuel[159] ; sinon, nous ne saurions lui accorder le sens intime (συναίσθησις), ni la conscience (παραϰολούθησις), ni la réflexion (σύνθεσις), ni l’intuition d’elle-même (σύνεσις)[160]. Si elle ne les possédait pas par sa nature, elle ne les acquerrait pas par son union avec le corps. Sans doute il est des opérations (ἐνεργείαι) que l’âme ne peut accomplir sans le concours des organes ; mais elle possède par elle-même les facultés (δυνάμεις) dont dépendent ces opérations ; elle possède en outre par elle-même d’autres facultés dont les opérations ne relèvent que d’elle seule[161]. De ce nombre est la mémoire, dont le corps ne fait qu’entraver l’exercice : en effet, quand l’âme s’unit au corps, elle oublie ; quand elle se sépare du corps et se purifie, elle recouvre souvent la mémoire. Puisque l’âme possède la mémoire quand elle est seule, nécessairement le corps, avec sa nature mobile et sujette à un écoulement perpétuel, est une cause d’oubli, non de mémoire : il est donc pour l’âme le fleuve du Léthé (λήθη, oubli). C’est donc à l’âme seule qu’appartient la mémoire[162].

XXVII. À quelle âme appartient la mémoire ? Est-ce à l’âme qui a une nature plus divine et qui nous constitue essentiellement ? Est-ce à l’âme que nous recevons de l’Âme universelle[163] ?

La mémoire appartient à l’une et à l’autre ; mais, dans un cas, elle est particulière, et dans l’autre, générale. Si les deux âmes sont réunies, elles possèdent ensemble les deux espèces de mémoire ; si elles existent et demeurent toutes deux séparées, elles se rappellent chacune plus longtemps ce qui la concerne elle-même, moins longtemps ce qui concerne l’autre. C’est pour cela que l’on dit que l’image d’Hercule est aux enfers[164]. Or, nous devons admettre que cette image se rappelle toutes les actions faites en cette vie : car c’est à elle que cette vie appartient spécialement. Quant aux autres âmes qui [réunissant en elles la partie raisonnable à la partie irraisonnable] possèdent ensemble les deux espèces de mémoire, elles ne peuvent cependant se rappeler que les choses qui concernent cette vie et qu’elles ont connues ici-bas, ou même les actes qui ont quelque rapport avec la justice.

Il nous reste à déterminer ce que dirait Hercule [c’est-à-dire [l’homme proprement dit] seul et séparé de son image. Que dirait donc l’âme raisonnable si elle était séparée et isolée ? — Car, l’âme qui a été attirée par le corps connaît tout ce que l’homme [proprement dit] a fait ou éprouvé ici-bas. Avec le cours du temps, à la mort, se reproduisent les souvenirs des existences antérieures ; mais l’âme en laisse échapper quelques-uns par mépris. S’étant en effet purifiée du corps, elle se rappellera les choses qu’elle n’avait pas présentes dans cette vie[165]. Si, après être entrée dans un autre corps, elle vient à considérer le passé, elle parlera de cette vie qui lui est devenue étrangère, de ce qu’elle a récemment abandonné, et d’une foule de faits antérieurs. Quant aux circonstances qui arrivent dans une longue période, elles seront toujours plongées dans l’oubli.

Mais, encore une fois, que se rappellera l’âme isolée du corps ? Pour résoudre cette question, il faut déterminer à quelle puissance de l’âme appartient la mémoire.

XXVIII. La mémoire appartient-elle aux puissances par lesquelles nous sentons et nous connaissons ? Est-ce par la concupiscence que nous nous rappelons les choses qui excitent nos désirs, et par la colère, celles qui nous irritent ? Oui, dira quelqu’un. C’est bien la même faculté qui éprouve le plaisir et qui en conserve le souvenir : ainsi, lorsque la concupiscence, par exemple, rencontre un objet qui lui a déjà fait éprouver du plaisir, elle se rappelle ce plaisir en voyant cet objet. Pourquoi, en effet, n’est-elle pas émue de même par un autre objet ? Pourquoi n’est-elle pas émue d’une autre façon par cet objet même ? Pourquoi donc ne pas lui attribuer aussi la sensation des choses de cette espèce ? Pourquoi, enfin, ne pas rapporter aussi la concupiscence à la puissance de sentir, et ne pas faire de même pour tout, en donnant à chaque chose son nom d’après ce qui prédomine en elle ?

Devons-nous attribuer à chaque puissance la sensation, mais d’une manière différente ? Dans ce cas ce sera la vue, par exemple, et non la concupiscence, qui percevra les choses sensibles ; mais la concupiscence sera ensuite éveillée par la sensation qui se trouvera transmise de proche en proche, et, quoiqu’elle ne juge pas la sensation, elle éprouvera, sans en avoir conscience (ἀπαραϰολουθήτως)[166], l’affection qui lui est propre. Il en sera de même pour la colère : ce sera la vue qui nous montrera une injustice, mais ce sera la colère qui s’en irritera, comme, lorsqu’un berger aperçoit un loup près de son troupeau, il suffit de l’odeur ou du bruit du loup pour exciter le chien, quoiqu’il n’ait rien aperçu lui-même. Il en résulte que c’est bien la concupiscence qui éprouve le plaisir et qui en garde une trace, mais que cette trace constitue une affection, une disposition, et non un souvenir ; c’est une autre puissance qui a vu goûter le plaisir et qui se souvient de ce qui a eu lieu. Ce qui le prouve, c’est que la mémoire ignore souvent les choses auxquelles a participé la concupiscence, quoique la concupiscence possède encore des traces.

XXIX. Rapporterons-nous la mémoire à la sensibilité ? Admettrons-nous que c’est la même faculté qui sent et qui se ressouvient ? — Mais, si l'image de l’âme [l’âme irraisonnable] possède la mémoire, comme nous le disions plus haut [§ 27], il y aura en nous deux principes qui sentiront ; si ce n’est pas la sensibilité qui possède la mémoire, si c’est une autre puissance, il y aura en nous deux principes qui se souviendront ; enfin, si la sensibilité est capable de saisir les notions, elle devra aussi percevoir les conceptions de la raison discursive, ou bien ce sera une autre faculté qui percevra les unes et les autres.

Admettrons-nous donc que la puissance de percevoir (τὸ ἀντιληπτιϰόν) est commune à l’âme raisonnable et à l’âme irraisonnable, et lui accorderons-nous le souvenir des choses sensibles et des choses intelligibles ? — Reconnaître que c’est une seule et même puissance qui perçoit également ces deux espèces de choses, c’est faire faire déjà un pas à la question. Si l’on divise en deux cette puissance, il y aura encore néanmoins deux espèces de mémoire ; enfin, si nous accordons les deux espèces de mémoire à chacune des deux âmes [à l’âme raisonnable et à l’âme irraisonnable], il y aura ainsi quatre espèces de mémoire.

Est-il absolument nécessaire que nous nous souvenions des sensations par la sensibilité, que ce soit la même puissance qui éprouve la sensation et qui se souvienne de la sensation, que ce soit également la raison discursive qui conçoive et se souvienne des conceptions ? Mais les hommes qui raisonnent le mieux ne sont pas ceux qui se souviennent aussi le mieux, et ceux qui ont des sens également délicats n’ont pas tous pour cela une mémoire aussi bonne les uns que les autres ; au contraire, les uns ont des sens délicats, tandis que les autres ont une bonne mémoire, sans être cependant capables de percevoir également bien. D’un autre côté, si sentir et se rappeler sont choses indépendantes l’une de l’autre, il y aura [outre la sensibilité] une autre puissance qui se rappellera les choses précédemment perçues par la sensation, et cette puissance devra sentir ce qu’elle se rappellera[167].

[Pour résoudre toutes ces difficultés] nous dirons que rien n’empêche d’admettre que l’acte de la sensation (αἴσθημα) produit dans la mémoire une image (φάντασμα), et que l’imagination, qui est différente [de la sensation], possède le pouvoir de conserver et de se rappeler ces images. C’est en effet à l’imagination que vient aboutir la sensation[168], et, quand la sensation n’est plus, l’imagination en garde la représentation (ὅραμα)[169]. Si donc cette puissance conserve l’image de l’objet absent, elle constitue la mémoire[170] ; selon que l’image demeure plus ou moins de temps, la mémoire est ou n’est pas fidèle, nos souvenirs durent ou s’effacent. C’est donc à l’imagination qu’appartient la mémoire des choses sensibles. Si les divers esprits possèdent cette faculté à des degrés inégaux, cette différence tient soit à la diversité des forces, soit à l’exercice[171], soit à l’absence ou à la présence de certaines dispositions du corps qui peuvent avoir ou non de l’influence sur la mémoire ou y porter le trouble[172]. Mais nous reviendrons ailleurs sur cette question.

XXX. Que dirons-nous des conceptions intellectuelles (διανοήσεις) ? Admettrons-nous qu’elles soient aussi conservées par l’imagination ?

Si l’imagination accompagne toute pensée (νόησις), si ensuite elle en conserve en quelque sorte l’image, il y aura ainsi souvenir de l’objet connu ; sinon, il faut chercher une autre solution. Peut-être la raison (λόγος), dont l’acte accompagne toujours la pensée, a-t-elle la fonction de la recevoir et de la transmettre à l’imagination[173]. En effet, la pensée est indivisible, et, tant qu’elle n’est pas tirée des profondeurs de l’intelligence, elle reste en quelque sorte cachée dans son sein. La raison la développe, et, la faisant passer de l’état de pensée à celui d’image, l’étale pour ainsi dire dans notre imagination comme dans un miroir[174] ; c’est ainsi que la pensée est perçue, qu’elle dure et devient un souvenir. L’âme, qui est toujours en mouvement pour arriver à la pensée [par la raison discursive], nous la fait ainsi saisir quand elle en reçoit le reflet. Autre chose est la pensée, autre chose la perception de la pensée. Nous pensons toujours, mais nous ne percevons pas toujours notre pensée. Cela tient à ce que le principe qui perçoit les pensées perçoit aussi les sensations, et s’occupe des unes et des autres tour à tour.

XXXI. Si la mémoire appartient à l’imagination, et que l’âme raisonnable ainsi que l’âme irraisonnable possèdent également la mémoire[175], il y aura deux espèces d’imagination [l’imagination intellectuelle et l’imagination sensible], et, si les deux âmes sont séparées, elles posséderont chacune une espèce d’imagination. Mais, puisque les deux espèces d’imagination se trouvent contenues en nous dans le même principe, comment se fait-il qu’il y ait deux imaginations, et à laquelle appartient le souvenir ? Si le souvenir appartient aux deux espèces d’imagination, il y aura toujours deux imaginations (car on ne peut dire que le souvenir des choses intelligibles appartienne à l’une, et celui des choses sensibles à l’autre ; sinon ce seraient deux êtres animés n’ayant rien de commun ensemble). Si donc le souvenir appartient également aux deux imaginations, quelle différence y a-t-il entre elles ? Ensuite, comment ne remarquons-nous pas cette différence ? En voici la cause.

Quand les deux espèces d’imagination sont d’accord, elles concourent [à produire un seul acte] : la plus puissante domine, et il ne se produit en nous qu’une seule image ; la seconde accompagne la première ; c’est le faible reflet d’une puissante lumière. Quand les deux espèces d’imagination sont au contraire en désaccord et luttent ensemble, alors l’une se manifeste seule, et nous ignorons ce qui est dans l’autre, comme nous ignorons complètement que nous avons deux âmes : car les deux âmes sont fondues en une seule, et l’une sert de véhicule à l’autre. L’une voit tout, mais elle ne garde que certains souvenirs quand elle sort du corps et elle laisse tomber dans l’oubli la plupart des choses qui se rapportent à l’autre. De même, quand, après nous être liés avec des amis d’un ordre inférieur, nous en avons acquis d’autres plus distingués, nous nous souvenons fort peu des premiers et beaucoup des seconds.

XXXII. Que dirons-nous du souvenir des amis, des parents, d’une épouse, de la patrie et de tout ce qu’un homme vertueux peut se rappeler convenablement ?

Dans l’image de l’âme [l’âme irraisonnable] ces souvenirs seront accompagnés d’une affection passive ; mais dans l’homme [l’âme raisonnable] ils n’en seront pas accompagnés : car les affections existent dès le principe dans l’âme inférieure ; dans l’âme supérieure, par suite de son commerce avec l’autre, il y a aussi quelques affections, mais seulement des affections honnêtes. Il convient à l’âme inférieure de chercher à se rappeler les actes de l’âme supérieure, surtout quand elle a été elle-même convenablement cultivée : car elle peut devenir meilleure dès le principe et se former par l’éducation qu’elle reçoit de l’autre. Quant à l’âme supérieure, elle doit volontiers oublier ce qui lui vient de l’âme inférieure. Elle peut d’ailleurs, quand elle est bonne, contenir par sa puissance l’âme qui lui est subordonnée[176]. Plus elle désire se rapprocher du monde intelligible, plus elle doit oublier les choses d’ici-bas, à moins que toute la vie qu’elle a menée ici-bas ne soit telle qu’elle n’ait confié à sa mémoire que des choses louables[177]. Dans ce monde même, en effet, il est beau de s’affranchir des préoccupations humaines ; il est donc convenable également de les y oublier toutes. On peut en ce sens dire avec raison que l’âme vertueuse doit être oublieuse. Elle échappe ainsi au multiple, elle ramène le multiple à l’unité, et abandonne l’indéterminé. Elle cesse donc de vivre avec le multiple, elle s’allége[178] et vit pour elle-même. En effet, quand, étant encore ici-bas, elle désire vivre dans le monde intelligible, elle néglige tout ce qui est étranger à sa nature. Elle retient donc peu de choses terrestres quand elle est arrivée au monde intelligible ; elle en a plus quand elle habite le ciel. Hercule [dans le ciel[179]] peut bien se glorifier de sa valeur ; mais cette valeur même lui paraît peu de chose quand il est arrivé à une région plus sainte encore que le ciel, quand il habite le monde intelligible, et qu’il s’est élevé au-dessus d’Hercule lui-même par la force qu’il a déployée dans ces luttes qui sont les luttes des vrais sages.



    analogues : « Oblivionem quidem omnes [animæ] descendendo hauriunt ; aliæ vero magis, minus aliæ… Hinc est quæ apud Latinos lectio, apud Græcos vocatur repetita cognitio, quia, quum vera discimus, ea recognoscimus quæ naturaliter noveramus, priusquam materialis influxio in corpus venientes animas ebriaret : hæc est autem hyle, quæ omne corpus mundi, quod ubicunque cernimus, ideis impressa formavit ; sed altissima et purissima pars ejus, qua vel sustentantur divina vel constant, nectar vocatur et creditur esse potus deorum ; inferior vero et turbidior, potus animarum ; et hoc est quod veteres Lethœum fluvium vocaverunt. » Proclus, dans son Commentaire sur le Cratyle de Platon (§ 178, p. 111, éd. Boissonade), cite ce passage de Plotin en ces termes : ἄγει γὰρ ἡ μνήμη πρὸς τὸ μνημονευτὸν, φησὶ Πλωτῖνος, ϰαὶ ὥσπερ ἡ Μνημοσύνη τὴν μνήμην τῶν νοητῶν ἀνεγείρει, οὕτω ϰαὶ ἡ Λητὼ τὴν λήθην δωρεῖται τῶν ἐνύλων.

    materiæ et nutritioni magis mancipatæ sunt. » Nous adoptons le sens de Creuzer qui est parfaitement d’accord avec ce que Plotin dit ailleurs sur l’état de l’intelligence dans les enfants (Enn. I, liv. I, § 11 ; t. I, p. 47).

  1. Après avoir, dans les deux livres précédents, déterminé en général l’essence de l’âme, Plotin traite ici quelques-unes des principales questions que soulèvent sa nature et l’exercice de ses facultés : 1o  Toutes les âmes ne sont-elles que les parties ou les émanations d’une seule Âme (§ 1-8) ? 2o  Pour quelle cause et de quelle manière l’âme descend-elle dans le corps (§9-17) ? 3o  L’âme fait-elle usage de la raison discursive quand elle est hors du corps (§ 18) ? 4o  Comment l’âme est-elle à la fois divisible et indivisible (§ 19) ? 5o  Quels sont les rapports de l’âme avec le corps (§ 20-23) ? 6o  Où va l’âme après la mort (§ 24) ? 7o  Quelles sont les conditions de l’exercice de la mémoire et de l’imagination (§ 25-32) ? — Pour les autres Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume.
  2. Saint Augustin exprime la même pensée avec plus de vivacité : « O utinam doctissiraum aliquem, neque id tantum, sed etiam eloquentissimum, et omnino sapientissimum perfectumque hominem de hoc interrogare possemus, quonam ille modo quid anima in corpore valeret, quid in seipsa, quid apud Deum, cui mundissima proxima est et in quo habet summum atque omne bonum suum, dicendo atque disputando explicaret ! » (De Quantitate animœ, 33.)
  3. Voy. Enn. VI, liv. VII, § 41. Voy. aussi Porphyre (Du précepte : Connais-toi toi-même, dans l’Appendice de ce volume) et Proclus (Commentaire sur le 1er Alcibiade, t. II, p. 2, 14, 16, éd. de M. Cousin).
  4. Voy. Enn. I, liv. I, § 13 ; t. I, p. 50.
  5. Voy. ci-dessus, p. 244, no 6. Saint Augustin, qui cite textuellement ce livre de Plotin à diverses reprises, comme on le verra ci-après (p. 290, note 2, et p. 305, note 1), paraît faire allusion à ce passage dans les termes suivants : « Cujus [philosophiæ] duplex quæstio est : una de anima, altera de Deo. Prima efficit ut nosmetipsos noverimus, altera ut originem nostram ; illa nobis dulcior, ista carior ; illa nos dignos beata vita, beatos hæc facit. Prima est illa discentibus, ista jam doctis. Hic est ordo studiorum sapientiæ, per quem fit quisque idoneus ad intelligendum ordinem rerum, id est ad dignoscendos duos mundos, et ipsum parentem universitatis, cujus nulla scientia est in anima nisi scire quomodo cum nesciat. » (De Ordine, II, 18.)
  6. Voy. ci-dessus, p. 239, et la note 1.
  7. C’est par leur intelligence. Voy. ci-après, p. 289, note 2.
  8. Première question : Toutes les âmes ne sont-elles que les émanations ou les parties d’une seule âme (§ 1-8) ? On a déjà vu ci-dessus (p. 9, 15, 38, 70) Plotin combattre l’opinion d’Héraclite et des Stoïciens qui n’admettaient qu’une seule âme dans l’univers. Dans le morceau suivant, qu’il faut rapprocher du livre IX de cette Ennéade, il paraît avoir pour but de réfuter quelques-uns des nouveaux Pythagoriciens qui, tels qu’Apollonius de Tyane et Numénius, pensaient que les âmes particulières ne sont que les parties entre lesquelles se divise et se distribue l’Âme totale du monde (Voy. M. Ravaisson, Essai sur la métaphysique d’Aristote, t. II, p. 325-328, 341-343, 391), et peut-être aussi les Manichéens, comme on le verra ci-après par la note 1 de la page 268. En tout cas, les philosophes que Plotin combat ici professaient une doctrine analogue à celle qu’Averrhoès enseigna au moyen âge, comme Ficin le remarque judicieusement dans son Commentaire. Nous ajouterons que l’argumentation de Plotin ressemble sur plusieurs points à celle que saint Thomas a développée dans ses écrits contre Averrhoès. Voy. ci-après, p. 271, note 1, et p. 274, note 1.
  9. Voy. ci-après, § 6, p. 275.
  10. Il y a dans le texte grec : « εἶναι γὰρ ὁμοειδῆ ϰαὶ τὰ μέρη τοῖς ὅλοις. Ficin traduit : « esse namque dicent partes toti conformes. » Le sens de cette expression est expliqué dans le § 2, p. 264.
  11. Plotin ne cite pas ici Platon textuellement. Voici le passage qu’il résume. « Socrate. Je te demande si notre corps est nourri par celui de l’univers, ou si celui-ci tire du nôtre sa nourriture, et s’il en a reçu et en reçoit ce qui entre, comme nous l’avons dit, dans la composition du corps ? Protarque. Cette question, Socrate, n’a pas besoin de réponse… Socr. Ne dirons-nous pas que notre corps a une âme ? Prot. Oui, nous le dirons. Socr. D’où l’aurait-il prise, mon cher Protarque, si le corps de l’univers n’est pas lui-même animé et s’il n’a pas les mêmes choses que le nôtre et de plus belles encore ? Prot. Il est clair, Socrate, qu’il ne l’a point prise d’ailleurs. » (Philèbe, p. 29 ; t. II, p. 345 de la trad. de M. Cousin.)
  12. Plotin fait ici allusion à un passage du Phèdre (p. 246-248 ; t. VI, p. 48-55 de la trad. de M. Cousin), dans lequel il est dit que l’âme humaine suit le mouvement circulaire des astres tant qu’elle est parfaite, et vient ensuite habiter un corps terrestre quand elle a perdu ses ailes. Plotin dit encore (t. I, p. 178), en parlant d’un passage du Timée (cité t. I, p. 468-470) : « Par ces paroles, Platon semble dire que nous sommes asservis aux astres, que nous en recevons nos âmes, qu’ils nous soumettent à l’empire de la nécessité quand nous venons ici-bas, que c’est d’eux que nous tenons nos mœurs, et, par nos mœurs, les actions et les passions qui dérivent de la partie passive de l’âme. »
  13. Voy. le passage du Phèdre cité ci-dessus, p. 89, note 2.
  14. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XXXIX ; t. I, p. LXXXI.
  15. Voy. ci-dessus, p. 254, fin.
  16. Fénelon se sert du même argument dans sa réfutation du Spinosisme : « Tout ce qui a des parties réelles qui sont bornées et mesurables ne peut composer que quelque chose de fini : tout nombre collectif ou successif ne peut jamais être infini. Qui dit nombre dit amas d’unités réellement distinguées et réciproquement indépendantes les unes des autres pour exister et n’exister pas. Qui dit amas d’unités réciproquement indépendantes dit un tout qu’on peut diminuer, et qui par conséquent n’est point infini. Il est certain que le même nombre était plus grand avant le retranchement d’une unité qu’il ne l’est après qu’elle est retranchée. Depuis le retranchement de cette unité bornée le tout n’est point infini ; donc il ne l’était pas avant ce retranchement. » (Fénelon, De l’Existence de Dieu, II, ch. 3.)
  17. Les âmes particulières sont universelles en ce sens qu’elles possèdent toutes les puissances de l’Âme universelle. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XXXIX ; t. I, p. LXXXI.
  18. Nous lisons avec MM. Creuzer et Kirchhoff : εἰ ἀρχή[ν] τίς ποτε ἦν πᾶσα.
  19. Cette comparaison était employée par les Manichéens. Voy. ci-après, p. 268, note 1.
  20. Cette comparaison consiste à examiner si l’Âme universelle est avec les âmes particulières dans le même rapport que l’âme particulière avec les diverses forces qui résident dans les différents organes. Némésius attribue aux Manichéens la doctrine que Plotin combat ici : « Les Manichéens disent que l’âme est immortelle et incorporelle ; mais ils prétendent qu’il n’y a qu’une seule Âme, savoir, l’Âme universelle, qui est partagée et distribuée entre tous les corps animés et inanimés ; que les uns en ont une plus grande partie, et les autres une moindre ; que les corps inanimés en ont moins, les corps animés en ont plus, et les corps célestes en ont bien plus que les autres ; qu’ainsi toutes les âmes particulières ne sont que des parties de l’Âme totale (τῆς ϰαθόλου ψυχῆς μέρη τὰς καθ’ ἕκαστον εἶναι ψυχάς). S’ils disaient que cette Âme se communique à tous les êtres sans se diviser (ἀμερίστως μερίζεσθαι), comme la voix à tous ceux qui l’entendent, il n’y aurait que demi-mal ; mais ils prétendent que la substance même de l’âme est divisée ; et, par une absurdité plus grande encore, ils affirment qu’elle réside proprement dans les éléments, qu’elle se partage avec eux quand les corps sont engendrés, et qu’elle se réunit de nouveau quand les corps périssent, de même que l’eau se divise, se rapproche et se réunit ; que les âmes pures se réunissent avec la lumière, tandis que celles qui ont été souillées par la matière passent dans les éléments, puis des éléments dans les plantes et les animaux. Ainsi, ils font de l’âme une substance corporelle, ils la divisent, ils la soumettent à toutes les affections corporelles, et cependant ils disent qu’elle est immortelle. » (De la Nature de l’homme, ch. II, p. 54 de la trad. de M. Thibault.) Ces idées ont beaucoup d’analogie avec celles des Gnostiques. Voy. Enn. II, liv. II, § 5 et 10 ; t. I, p. 270 et 287.
  21. La démonstration que Plotin donne ici de l’unité du principe sentant est empruntée à Platon : « Il serait étrange qu’il y eût en nous plusieurs sens, comme dans des chevaux de bois, et que nos sens ne se rapportassent pas tous à une seule essence, qu’on l’appelle âme ou autrement, avec laquelle, par les sens comme par autant d’instruments, nous sentons tout ce qui est sensible… La raison qui me fait exiger ici de toi tant d’exactitude,
  22. M. Kirchhoff lit : πάσας μέντοι εἰδῶν εἶναι εἰς πάντα δυναμένων μορφοῦσθαι, « toutes les perceptions appartiennent à des formes qui peuvent devenir toutes choses, » ce qui offre aussi un sens satisfaisant. Voy. plus loin, liv. VI, § 3.
  23. « Quid ? quod eadem mente res dissimillimas comprehendimus ut colorem, saporem, calorem, odorem, sonum ; quæ nunquam quinque nuntiis animus cognosceret nisi ad eum omnia referrentur, et is omnium solus judex esset. » (Cicéron, Tusculanes, 1, 20.) Voy. aussi Aristote, De l’Âme, III, 1, 2, 3.
  24. Ces mots rappellent le commencement du § 3.
  25. Cette phrase n’est pas rendue d’une manière claire par Ficin. Le sens en est : εἶτε [τὰ διαφόρα τῶν ἔργων], si les fonctions différentes [c’est-à-dire si les âmes qui sont regardées comme des fonctions différentes de l’Âme universelle], ὡς αἱ αἰσθήσεις, sont [par rapport à l’Âme universelle] comme les sens [par rapport à l’âme particulière], οὖκ ἕνι ἕϰαστον αὐτῶν νοεῖν, il n’est pas possible que chacune d’elles [chacune des âmes particulières regardées comme des fonctions de l’Âme universelle] pense [par elle-même, c’est que je voudrais savoir s’il est en nous un seul et même principe, avec lequel nous atteignons, par les yeux, ce qui est blanc ou noir, et les autres objets par les autres sens ; et si à chaque espèce de sensations correspondent des organes corporels. » (Théétète, p. 184 ; t. II, p. 156, de la trad. de M. Cousin.) parce que toutes les pensées particulières doivent être rapportées à l’Âme universelle, comme toutes les sensations différentes des divers organes sont rapportées à un seul et même juge].
  26. Dans son traité De Unitate intellectus, saint Thomas réfute les partisans d’Averrhoès par une argumentation semblable. En voici le résumé : « En général, un même agent qui emploie des instruments divers peut produire des actions multiples ; ainsi le même musicien produira plusieurs sons, s’il touche à la fois une harpe et une lyre. La diversité des instruments sert dans ce cas à diversifier l’action. Mais l’intelligence est à elle-même son instrument ; elle ne suppose pas d’organe extérieur ; donc, si elle est une, son action est nécessairement une, et puisque les hommes, dans le système d’Averrhoès, ne forment qu’un seul être intelligent, de même, ils ne sauraient avoir, par rapport aux mêmes intelligences, qu’une seule et même intellection… Donc, si l’entendement est un pour tous les hommes, toutes les pensées humaines se trouveront ramenées à une opération unique : le genre humain tout entier pensera, voudra, agira de la même manière. Que dis-je ? Tous les hommes penseront aux mêmes objets. Si j’ai l’idée d’une pierre, vous aurez cette même idée en même temps que moi, puisqu’il ne se peut pas que l’intelligence, étant la même chez tous, ne soit pas chez tous, dans le même temps, dirigée vers les mêmes choses. » (Ch. Jourdain, Philosophie de saint Thomas, t. I, p. 302.) Voy. aussi les Lettres de S. Augustin, CLXVI.
  27. Voy. ci-dessus, p. 260.
  28. Voy. ci-dessus, p. 231, note 1.
  29. Plotin a déjà réfuté cette hypothèse précédemment, dans le § 3, en montrant que les âmes particulières ne sont pas des fonctions diverses de l’Âme universelle, fonctions qui n’auraient pas une existence distincte de celle de l’Âme universelle, et qui, par conséquent, périraient avec le corps, comme Ficin l’explique dans son Commentaire : « Neque finges eas [rationales animas] nihilo ab Anima mundi differre, quasi sint quædam propagines ejus per corpus ; nec aliter anima mea a tua differat, quam quia differunt inter se corpora, per quæ facta fuerit propagatio ; nec aliter utraque differat ab Anima mundi, quam quia illa quidem sit radix plantave prima, hae vero sint ejus propagines. Sic enim intellectualis ipsa Socratis anima, post obitum in mundi Animam (ut fingitur) resolvenda, dum propriam perdiderit existentiam, esse omnino desinet quando accesserit ad esse perfectum. »
  30. Dans sa Somme contre les Gentils, saint Thomas oppose le même argument aux sectateurs d’Averrhoès : « S’abstraire du corps, vivre à la science et à la vertu, se repaître la vue de vérités immatérielles, n’est-ce pas là pour l’âme l’existence achevée et parfaite ? Comment donc son être serait-il anéanti par l’événement de la mort, qui l’affranchit de la servitude des sens et la rapproche de ce terme suprême qui représente pour elle la perfection ? » (Philosophie de S. Thomas, par M. Ch. Jourdain, t. I, p. 306.)
  31. Voy. Enn. II, liv. IX, § 18 ; t. I, p. 309, 475-477.
  32. Taylor lit avec Ficin προῆλθον, processerunt, au lieu de προσῆλθον, accesserunt. Cette correction ne semble pas nécessaire à MM. Creuzer et Kirchhoff.
  33. Plotin fait ici allusion à un passage du Timée de Platon que nous avons cité dans le tome I, p. 469. Il revient encore sur cette idée dans le § 7.
  34. Voy. ci-après le commencement du § 8.
  35. Voy. ci-dessus, p. 263, note 4.
  36. Voy. le passage du Timée cité t. I, p. 469.
  37. Ce passage du Phèdre a été cité ci-dessus p. 89, note 2.
  38. Plotin paraphrase ici Platon au lieu de le citer textuellement. Voy. ibid.
  39. Voy. ci-dessus la note 1 de la page 264.
  40. Il y a dans le texte : ἱϰανὴ γὰρ ψυχὴ ϰαὶ παρὰ φύσεως τόπων πολλὰ ἀπομάττεσθαι, ϰ. τ. λ. Ficin traduit : « Potest enim anima ex natura locorum multa cœlitus imminentia propulsare. » Il donne ainsi à ἀπομάττεσθαι le sens d’ἐϰϐάλλειν, ce qui ne paraît pas convenir à la liaison des idées. Nous préférons l’interprétation de Taylor qui traduit : « For soul is sufficiently able to represent many things in itself, from the nature of places, etc. »
  41. Plotin reconnaît dans l’Âme humaine deux parties principales, qu’il nomme l’âme irraisonnable et l’âme raisonnable. Voy. t. I, p. 324, 471-472.
  42. Voy. ci-dessus, § 1, p. 264.
  43. Voy. t. I, p. 475-478.
  44. Voy. Platon, République, liv. X, p. 619 ; t. X, p. 287 de la trad. de M. Cousin.
  45. Voy. ci-dessus § 7, p.277.
  46. Voy. ci-après le livre VI, § 3.
  47. Voy. ci-dessus § 6, p. 276.
  48. Voy. ci-dessus Enn. III, liv. II, § 16, p. 61.
  49. « Quum omnia Deus fecerit, quare non æqualia fecit ? Quia non essent omnia, si essent æqualia : non enim essent multa rerum genera, quibus conficitur universitas, primas et secundas, et deinceps us que ad ultimas, ordinatas habens creaturas ; et hoc est quod dicitur omnia. » (S. Augustin, De diversis quœstionibus, § 41.)
  50. On sait que cette formule, qu’on a traduite au moyen âge par le terme barbare de hacceitas, exprime l’individualité dans le système d’Aristote. Il résulte de là que, pour Plotin, l’individualité de l’âme consiste dans son unité et son identité. Cette opinion est analogue à celle que Fénelon a exprimée sur le même sujet : « Que si l’on veut de bonne foi considérer l’existence actuelle sans abstraction, il est vrai de dire qu’elle est précisément ce qui distingue une chose d’une autre. L’existence actuelle de mon voisin n’est point la mienne ; la mienne n’est point celle de mon voisin ; l’une est entièrement indépendante de l’autre : il peut cesser d’être, sans que mon existence soit en péril ; la sienne ne souffrira rien quand je serai anéanti. Cette indépendance réciproque montre l’entière distinction, et c’est la véritable différence individuelle. Cette existence actuelle et indépendante de toute autre existence produite est l’être singulier ou l’individu. Cet être singulier est vrai et intelligible selon la mesure dont il existe par communication. » (De l’Existence de Dieu, II, chap. 4.)
  51. « Omne bonum a Deo ; omne speciosum, bonum, in quantum speciosum est ; et omne quod species continet speciosum est. Omne autem corpus, ut corpus sit, specie aliqua continetur. Omne igitur corpus a Deo. » (S. Augustin, De diversis quœstionibus, § 10.)
  52. Voy. ci-dessus, p. 257-258.
  53. Dans son traité De la Quantité de l’âme (32), saint Augustin déduit de ce principe qu’on ne morcelle pas l’âme d’un vermisseau en coupant son corps en plusieurs morceaux : « Si ergo salis perpexisti in hac similitudine quomodo possit dissecto corpore anima non secari, accipe nunc quomodo frusta ipsa corporis, quum anima secta non sit, vivere possint, etc. »
  54. Nous lisons avec MM. Creuzer et Kirchhoff : οὐ γὰρ ἂν ἀπέθανε.
  55. Deuxième question : Pour quelle cause et de quelle manière l’âme descend-elle dans le corps (§ 9-17) ? Voy. ci-après le livre VIII qui a été composé avant celui-ci.
  56. Voy. ci-après §15. Voy. aussi les Éclaircissements du tome I, p. 454.
  57. Voy. ce que Plotin dit ci-dessus sur les mythes, p. 120-121.
  58. Sur la coexistence de la matière et de la forme, ainsi que sur l’éternité du monde, Voy. t. I, p. 199 et 265. La question de savoir si Platon admettait ou non l’éternité du monde, comme Aristote, a donné lieu à de nombreuses controverses dont on trouvera le résumé dans les Études sur le Timée de M. H. Martin (t. II, p. 180-208) et dans les Études sur la Théodicée de Platon et celle d’Aristote de M. J. Simon (p. 73-78). Quant à l’interprétation que Plotin donne ici de la doctrine de Platon, elle remonte à Xénocrate et à ses disciples : « Parmi ceux, dit Aristote, qui prétendent ainsi que le monde est né et que pourtant il ne périra pas, quelques-uns appellent à leur secours une excuse qui manque de vérité. De même, disent-ils, que l’on trace certaines figures de géométrie, sans prétendre qu’elles se soient jamais produites dans la nature, mais pour aider l’intelligence de ceux qui les voient construire, nous en usons de même dans nos discours sur la génération, non pas que nous prétendions que les choses aient commencé d’être, mais parce que nous voulons rendre l’enseignement plus facile, et faire mieux comprendre la nature des choses. » (Du Ciel, I, 10, p. 279.) Plutarque dit aussi, en parlant des opinions de Xénocrate, de Crantor et de leurs disciples sur la formation de l’âme : « Tous ces philosophes s’accordent à penser que l’âme n’est point née dans le temps et n’est point engendrée ; mais, suivant eux, elle a plusieurs facultés dans lesquelles Platon divise son essence pour en faciliter l’étude, et c’est ainsi qu’en paroles seulement, et non en réalité, il la suppose née et résultant d’un mélange ; et de même, à les en croire, Platon connaissait fort bien que le corps du monde est éternel et n’a jamais été engendré, mais, sachant combien il serait difficile d’embrasser par la pensée l’économie du monde et l’ordre qui y règne, si l’on ne supposait d’abord sa génération et le concours primitif des éléments générateurs, il comprit qu’il fallait suivre cette voie. » (De la Formation de l’âme, 3.)
  59. Le Repos appartient à l’Intelligence et constitue un des Genres de l’être, selon Plotin. Voy. ci-dessus p. 174.
  60. Voy. ci-après, § 10.
  61. « Ce monde visible n’est autre chose que la demeure de Dieu, c’est-à-dire de celle des puissances divines qui constitue la bonté. » (Philon, De Somniis, p. 6-18, éd. Mangey.) « Celui qui est venu dans la grande cité du monde ne doit-il pas naturellement et nécessairement regarder Dieu comme un Père, un Créateur et un Monarque ? En effet, Dieu ne s’est pas proposé de faire une œuvre d’art ; cependant, le monde est plein d’art, parce qu’il a été fait par un être qui unit la sagesse à la bonté et à la perfection. » (Philon, De Monarchia, p. 217.
  62. Voy. ci-dessus Enn. III, liv. VI, § 16, 17.
  63. Voy. ci-dessus, p. 211-212.
  64. Voy. t. I, p. 102,190.
  65. Voy. la même comparaison dans le tome I, p. 263, note 3.
  66. Voy. ci-dessus, p. 215, fin.
  67. Sur la différence des dieux et des démons, Voy. ci-dessus, p. 112. Voy. encore ci-après, § 11, fin.
  68. Voy. Jamblique (De Mysteriis, I, 19) et Proclus (Scholia in Cratylum, § 51, p. 21, Boissonade). M. Vacherot, dans son Histoire de l’École d’Alexandrie (t. II, p. 396), cite sur ce sujet un passage remarquable d’Olympiodore : « Qu’on ne croie pas que les philosophes adorent des idoles, des pierres, comme des divinités ; mais, comme nous sommes soumis aux conditions de la sensibilité, et que nous ne pouvons atteindre aisément à la puissance incorporelle et immatérielle, les images ont été inventées pour en éveiller ou en rappeler le souvenir : en regardant ces images naturelles, en leur rendant hommage, nous pensons aux puissances qui échappent à nos sens. » Voy. aussi le passage d’Hermès cité par saint Augustin, Cité de Dieu, VIII, 23.
  69. Voy. le développement de cette comparaison ci-dessus, p. 156.
  70. Voy. t. I, p. 249, notes.
  71. Ibid., p. 191-194. Voy. encore Enn. III, liv. VIII, § 3 et 4.
  72. « Cette expression signifie que l’Âme universelle est l’image et la parole de l’Intelligence, comme l’Intelligence elle-même est l’image et la parole de l’Un : « L’Âme est la parole et l’acte de l’Intelligence, comme l’Intelligence est la parole » [le Verbe] de l’Un. » (Enn. V, liv. I, § 6.) Dans son Essai sur la Métaphysique d’Aristote (t. II, p. 441), M. Ravaisson fait remarquer à ce sujet que, selon saint Grégoire le Thaumaturge, saint Basile, saint Athanase, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Jean Damascène, saint Augustin, etc., ces diverses qualifications ne conviennent pas moins au Saint-Esprit à l’égard du Fils qu’au Fils à l’égard du Père. Voy. Denis Petau, Dogmata theologica, t. II, p. 679, 681. Voy. encore ci-après, p. 297, note 1.
  73. D’après un mythe antique, Bacchus, s’étant contemplé dans un miroir et ayant été charmé de sa beauté, avait formé la nature à son image. Appliquant ce symbole aux âmes humaines, on disait qu’elles s’étaient elles-mêmes contemplées dans le miroir de Bacchus, et que, s’étant éprises d’amour pour leur image, elles étaient descendues dans des corps. Ce mythe est lié à celui de Narcisse auquel Plotin a fait allusion dans le tome I, p. 110. Voy. sur ce sujet M. Creuzer, Religions de l’antiquité, t. III, p. 279 de la trad. de M. Guigniaut.
  74. Voy. ci-après le livre VIII, § 8. Le P. Thomassin cite ce passage dans ses Dogmata theologica (t. I, p. 144), et il fait observer avec raison que cette théorie rend inutile la réminiscence : « Si dum anima corpus mortale hic vegetat, apice interim sui, seu mente, connectitur interestque intelligibili idearum mundo, quas œternas rationes vocat Augustinus [De divers. quœstionibus, § 46], quid opus est vel priorem corporibus vitam, vel residuam illinc reminiscentiam comminisci, quum possit mens sese ad æternas rationes et veri ideas semper presentes advertere, et ibi coram videre atque intueri ea vera, quæ sedulo interrogatori tam fideliter respondent ? »
  75. C’est une allusion à ce vers d’Homère sur la Discorde :

    Οὐρανῷ ἐστήριζε ϰάρη, ϰαὶ ἐπὶ χθονὶ βαίνει.

    (Iliade, IV, vers 443.)
  76. Voy. t. I, p. 262, note 2.
  77. Jupiter est appelé le Père des âmes parce qu’il représente l’Âme universelle, dont procèdent les âmes particulières (Enn. V, liv. VIII, § 13). Cette phrase a été citée par S. Augustin dans un passage de la Cité de Dieu que nous avons donné dans les Éclaircissements du tome I, p. 434, note 4.
  78. Voy. t. I, p. 275-276.
  79. Voy. Enn. V, liv. VII, § 1.
  80. Voy. t. I, p. 174-178, 464-466.
  81. Dans la République (liv. X, p. 617 ; t. X, p. 286 de la trad. de M. Cousin), Platon, décrivant le fuseau des Parques et les huit cercles concentriques qui ont pour axe la tige du fuseau, c’est-à-dire les huit cercles célestes traversés par l’axe du monde, dit que sur le rebord supérieur de chacun de ces cercles est assise une sirène qui fait entendre un son continu et toujours le même, et que ces huit sons simultanés forment une seule harmonie. Voy. à ce sujet M. H. Martin, Études sur le Timée, t. II, p. 36-39.
  82. Voy. t. I, p. 191.
  83. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XXXIX, t. I, p. LXXX.
  84. Voy. t. I, p. 385-387.
  85. Voy. ci-dessus p. 52, note 1, et ci-après § 24.
  86. Voy. Enn. IV, liv. IV, § 24, 40, 43, et liv. IX, § 3.
  87. Voy. t. I, p. 189, note 4. On trouve la même idée dans saint Augustin : « On peut dire en un sens que, dès qu’il a été conçu, l’enfant possède tout ce qu’il doit acquérir : il le possède idéalement et en puissance, mais non en fait, de même que toutes les parties du corps humain sont contenues dans la semence, quoique plusieurs manquent aux enfants déjà nés, les dents, par exemple, et autres parties analogues. C’est dans cette raison séminale de la matière qu’est renfermé tout ce qu’on ne voit pas encore, tout ce qui doit paraître un jour. » (Cité de Dieu, XXII, 16 ; t. IV, p. 311 de la trad. de M. Saisset.)
  88. ὁ ϰόσμος ἐπιϰοσμεῖται ἐπὶ τοῖς προτέροις ἄλλους ϰόσμους. Le mot ϰόσμος signifiant à la fois monde et beauté, il y a dans cette phrase un jeu de mots intraduisible.
  89. Le mythe de Pandore a été raconté diversement par les anciens. Il n’est donc pas étonnant que Plotin s’écarte ici du récit d’Hésiode, auquel il fait allusion. Nous avons déjà montré (t. I, p. 508, note 2) que les Gnostiques s’étaient aussi servis de ce mythe en le transformant complètement.
  90. Le mot προμηθεία, Providence, fait allusion au nom Προμηθεύς, prévoyant. Ainsi, Prométhée est ici considéré comme un Dieu dans lequel est personnifiée la Providence. Cette idée a été développée par Olympiodore qui dit, dans son Commentaire sur le Gorgias, que Prométhée est la puissance qui préside à la descente des âmes raisonnables sur la terre.
  91. Ici Plotin s’écarte encore d’Hésiode en faisant d’Épiméthée un sage. On trouve la même idée dans Himérius (Himerii eclogœ, p. 745, éd. Wernsdorf). Le mythe de Pandore a encore été interprété de diverses manières par Plutarque (De audiendis poetis, p.23), [[|Julien]] (Discours VI, p. 194), Thémistius (Orationes, XXVI, p. 338).
  92. Voy. ci-dessus, p. 64.
  93. Voy. ci-dessus, p. 13-14.
  94. Voy. ci-dessus, p. 82-83.
  95. On trouve les mêmes idées dans saint Augustin : « Quidquid casu fit, temere fit ; quidquid temere fit, non fit providentia. Si ergo casu aliqua fiunt in mundo, non providentia universus mundus administratur. Si non providentia universus mundus administratur, est ergo aliqua natura atque substantia quæ ad opus providentiæ nos pertineat. Omne autem quod est, in quantum est, bonum est. Summe enim est illud bonum, cujus participatione sunt bona cetera quæcunque sunt ; non per aliud, sed per seipsum bonum est, quam divinam etiam Providentiam vocamus. Nihil igitur casu fit in mundo. Hoc constituto, consequens videtur ut quidquid in mundo geritur, partim divinitus geratur, partim nostra voluntate. Deus enim quovis homine optimo et justissimo longe atque incomparabiliter melior et justior est. Justus autem regens et gubernans universa, nullam pœnam sinit cuiquam immerito infligi, nullum prœmium immerito dari, etc. » (S. Augustin, De divers. quœstionibus, § 24.)
  96. Voy. ci-dessus, p. 51, note 3.
  97. « Fieri potest ut per malum hominem divina Providentia et puniat et opitulelur… Sed quum omnis tribulatio aut pœna impiorum sit, aut exercitatio justorum, quia eadem tribula et paleas concidit et frumenta paleis exuit, unde tribulatio nomen accepit ; rursus, quum pax et quies a molestiis temporalibus et bonos lucretur et corrumpat malos : omnia hæc divina Providentia pro meritis moderatur animarum. Sed tamen non sibi eligunt boni ministerium tribulationis, nec mali amant pacem. Quare ipsi quoque, per quos id agitur quod ignorant, non justitiæ, quæ refertur ad Deum, sed malevolentiæ suæ mercedem accipiunt. Quemadmodum nec bonis imputatur, quod ipsis prodesse volentibus nocetur alicui, sed bono animo benevolentiæ præmium tribuitur ; ita etiam cetera creatura pro meritis animarum rationalium vel sentitur, vel latet, vel molesta, vel commoda est. Summo enim Deo cuncta bene administrante quæ fecit, nihil inordinatum in universo, nihil injustum est, sive scientibus sive nescientibus nobis. Sed in parte offenditur anima peccatrix ; tamen quia pro meritis ibi est, ubi talem esse decet, et ea patitur quæ talem pati æquum est, universum regnum Dei nulla sua fœditate deformat. » (S. Augustin, De diversis quœstionibus, § 27.)
  98. La remarque que nous avons faite ci-dessus (p. 288, note 4), pour le terme d’interprète employé par Plotin en parlant de l’Âme universelle, s’applique également ici à l’expression lumière de lumière. C’est surtout dans l’Ennéade V (liv. I, § 2 et suiv.) que Plotin se sert pour l’Âme universelle d’expressions usitées chez les Chrétiens pour l’Esprit-Saint ; ainsi il dit : « L’Âme universelle a produit tous les animaux en leur soufflant un esprit de vie, etc. »
  99. Le centre ou foyer de lumière représente l’Un ; le premier cercle de lumière, l’Intelligence divine ; le second cercle de lumière, l’Âme universelle qui reçoit de l’Intelligence les idées ; et la sphère illuminée par le second cercle de lumière, le monde sensible auquel l’Âme universelle communique la vie par les raisons séminales. Voy. ci-dessus, § 10, p. 287.
  100. Nous lisons ici avec MM. Creuzer et Kirchhoff ϰαὶ τοῖς ἑαυτῶν au lieu de ἐφ’ ἑαυτῶν, qui paraît être la leçon adoptée par Ficin. La comparaison employée ici par Plotin est empruntée à Numénius. Voy. les fragments de ce philosophe dans le tome I, p. CIII-CIV.
  101. Troisième question : L’âme fait-elle usage de la Raison discursive quand elle est hors du corps ?
  102. Sur la différence de la Raison discursive et de l’Intelligence, Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 326-328. La doctrine de Plotin sur ce point est fort bien résumée dans le passage suivant de saint Augustin : « Ita fortasse Ratiocinatio nominatur, ut Ratio sit quidam mentis aspectus, Ratiocinatio autem rationis inquisitio, id est aspectus illius per ea quæ aspicienda sunt motu. Quare ista opus est ad quœrendum, illa ad videndum. Itaque quum ille mentis aspectus, quem Ratiotiem vocamus, conjectus in rem aliquam videt illam, scientia nominatur. » (De Quantitate animœ, 27.)
  103. Voy. ci-après liv. IV, § 12.
  104. « Ces saints anges n’apprennent pas à connaître Dieu par des paroles sensibles, mais par la présence même de la parole immuable de la vérité, c’est-à-dire par le Verbe, Fils unique de Dieu… C’est encore ainsi qu’ils connaissent les créatures, non en elles-mêmes, mais dans la sagesse de Dieu comme dans l’art qui les a produites ; par conséquent, ils se connaissent mieux en Dieu qu’en eux-mêmes… Or, il y a une grande différence entre connaître une chose dans la raison qui est la cause de son être, ou la connaître en elle-même ; comme on connaît autrement les figures des mathématiques en les contemplant par l’esprit qu’en les voyant tracées sur le sable, ou comme la justice est autrement représentée dans la vérité immuable que dans l’âme du juste. Il en est ainsi de tous les objets de la connaissance… Toutes ces merveilles de la création sont autrement connues des anges dans le Verbe de Dieu, où elles ont leurs causes et leurs raisons éternellement subsistantes et selon lesquelles elles ont été faites, qu’elles ne peuvent être connues en elles-mêmes. Ici, connaissance obscure qui n’atteint que les ouvrages de l’art ; là, connaissance claire qui atteint l’art lui-même. » (Cité de Dieu, XI, 29 ; t. II, p. 317 de la trad. de M. Saisset.)
  105. « Il est fort possible et fort croyable que dans l’autre vie nous verrons de telle façon les corps du ciel nouveau et de la terre nouvelle que nous y découvrirons Dieu présent partout, non comme aujourd’hui, où ce qu’on peut voir de lui se voit en quelque sorte par les choses créées,… mais comme nous voyons maintenant la vie des hommes qui se présentent à nos yeux. Nous ne croyons pas qu’ils vivent, nous le voyons. » (S. Augustin, Cité de Dieu, XXII, 29 ; t. IV, p. 359 de la trad. de M. Saisset.)
  106. « Et nos pensées aussi deviendront visibles, etc. » (S. Augustin, ibid.)
  107. Ce passage est cité par Hermias dans son Commentaire sur le Phèdre (p. 94) : « Plotin, dans le premier livre des Questions sur l’âme, dit avec raison que les démons qui habitent dans les airs se servent de la voix : car le choc imprimé à l’air constitue la voix. » Voy. encore sur ce sujet M. H. Martin, Études sur le Timée, t. II, p. 144.
  108. Quatrième question : Comment l’âme est-elle à la fois divisible et indivisible ?
  109. Voy. le passage du Timée cité ci-dessus, p. 260, note 1.
  110. Voy. ci-après pour l’appétit irascible, § 23, p. 311, et livre IV, § 20 ; pour l’appétit concupiscible, livre IV, § 28.
  111. Voy. les passages de Bossuet cités dans les Éclaircissements du tome I, p. 344-346, notes.
  112. Nous lisons avec M. Kirchhoff χωρίς τῇ δυνάμει.
  113. Cinquième question : Quels sont les rapports de l’âme avec le corps (§ 20-23) ? Voy. les fragments d’Ammonius Saccas (Union de l’âme et du corps, t. I, p. XCV), et de Porphyre (Principes de la théorie des intelligibles, § t. XXI, XXII, t. I, p. LXIV).
  114. Voy. les fragments d’Ammonius Saccas et de Numénius traduits dans le tome I (p. XCIV, C), ainsi que les passages d’Aristote et de Posidonius cités dans le tome I, p. XCI, note 2, et p. 358, note 2.
  115. Plotin fait ici allusion au système des Stoïciens. Voy. ci-dessus p. 258, note 2.
  116. Voy. t. I, p. LXIII, note 3.
  117. En disant que l’âme n’est point dans le corps comme la qualité dans le sujet, ni comme la partie dans le tout, ni comme la forme dans la matière, Plotin a pour but de réfuter les Péripatéticiens. Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 356-358.
  118. Ce passage est cité par Maxime de Tyr (XV, 5, p. 169), et saint Augustin y fait allusion dans les termes suivants : « E. Quid igitur faciam ? Nonne istis rationibus confici potest animas nostras non esse in corporibus ? Quod si ita est, nonne ubi sim nescio ? Quis enim mihi eripit quod ego ipse anima sum ? A. Ne perturbere, ac magis bono animo facito sis. Ista enim cogitatio et consideratio ad nosmetipsos nos invitat, et quantum licet avellit a corpore. Quod autem tibi visum est, non esse animam in corpore viventis animantis, quanquam videatur absurdum, non tamen doctissimi homines, quibus id placuerit, defuerunt, neque nunc arbitrer deesse ; sed, ut ipse intelligis, res est subtilissima, et ad quam cernendam mentis acies satis purganda est. » (De Quantitate animœ, 30.) Par doctissimi homines, saint Augustin désigne ici Plotin et Porphyre. Il emploie la même expression dans son Traité De la Musique (VI, 16) en citant le livre de Plotin Sur les vertus (Enn. I, liv. II). Voy. encore ce qu’il dit du livre Sur l’influence des astres, t. I, p. 166, note 1.
  119. Voy. les passages d’Aristote, de Descartes et de Bossuet cités t. I, p. 358 (note 2) et 359 (note 1). Aristote paraît avoir lui-même emprunté cette comparaison au Critias de Platon (p. 109). Cette comparaison a été reproduite ensuite par beaucoup de philosophes platoniciens, tels que Philon (De opificio mundi, t. I, p. 28 ; De migratione Abraham, t. III, p. 412, éd. Pfeiff), Numénius (Voy. les fragments traduits dans le tome I, p. CIII), Proclus (Commentaire sur le Cratyle, § 69, p. 33, éd. Boissonade ; Commentaire sur le premier Alcibiade, p. 109-110, éd. Cousin), etc.
  120. Cette comparaison est employée par Aristote : « De même que la faculté de couper est l’essence de la hache, et que la vision est l’essence de l’œil, de même la veille est une réalité parfaite, une entéléchie ; et l’âme est comme la vue et comme la puissance de l’instrument. Le corps n’est que ce qui est en puissance ; et de même que l’œil est à la fois la pupille et la vue, de même aussi l’âme et le corps sont ici l’animal… Tous les corps formés par la nature sont les instruments de l’âme. » (De l’Âme, liv. II, 1 et 4 ; p. 168 et 190 de la trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire.) Voy. aussi Enn. I, liv. I, § 3, 4 ; t. I, p. 38-40.
  121. Voy. le passage de S. Augustin cité dans le tome I, p. 255, note 1.
  122. Dans sa Somme (I, q. CIV, art. 1), saint Thomas d’Aquin se sert de cette comparaison pour expliquer que toutes les choses créées s’anéantiraient dès que la puissance divine cesserait de les vivifier : « Quia non habet radicem in aere, statim cessat lumen, cessante lumine solis. Sic autem se habet omnis creatura ad Deum, sicut aer ad solem illuminantem. » Voy. Ch. Jourdain, Philosophie de S. Thomas, t. I, p. 240.
  123. Voy. t. I, p. 40, 43, 49, 361. Némésius formule ainsi cette théorie dans son traité De la Nature de l’homme (III, p. 74 de la trad. de M. Thibault) : « La nature purement incorporelle pénètre librement toutes choses et n’est pénétrée par aucune ; de telle sorte que, pénétrant les choses, elle s’y unit, et que, n’en étant pas pénétrée, elle ne se mêle pas et ne se confond pas avec elles. »
  124. Voy. les passages du Timée cités dans le tome I, p. 158, note 2, et p. 360-361. La partie de l’Âme universelle qui n’a point de rapport avec le corps est la Puissance principale de l’Âme ; celle qui fait vivre le corps par sa présence est la Puissance naturelle et génératrice (t. I, p. 180, 191-193).
  125. Voy. t. I, p. 360, note 3.
  126. « Chaque sens est dans l’organe en tant que cet organe est spécial. » (Aristote, De l’Âme, III, 2, p. 269 de la trad.) Voy. encore les fragments de Porphyre, Des facultés de l’âme (t. I, p. XCII-XCIII).
  127. Plotin s’écarte ici de Platon qui, dans le Timée, attribue aux veines les fonctions des nerfs et en fait les organes de la sensibilité et du mouvement (H. Martin, Études sur le Timée, t. II, p. 301-303, 314-317). Il s’écarte également d’Aristote qui considère le cœur comme le siége des sensations (Des parties des animaux, II, 10 ; III, 5). Il suit la doctrine de Galien, d’après lequel le cerveau est l’origine des nerfs, le foie le principe et le centre des veines, le cœur le point de départ et l’origine de toutes les artères, et le sang épais que le foie forme par l’élaboration des aliments diffère du sang spiritualisé (c’est-à-dire rendu plus subtil et plus léger par le mélange du souffle) que le cœur distribue dans le corps ; il en résulte que le cerveau est le siége de la raison, de la faculté de sentir et d’imprimer le mouvement volontaire, que le foie sert d’instrument à la faculté concupiscible, nutritive, végétative, naturelle, et le cœur à la colère, c’est-à-dire à cette énergie naturelle qui commande à l’appétit et nous rend capables d’action. Voy. à ce sujet le Mémoire de M. Chauvel sur le traité de Galien intitulé : Des Dogmes d’Hippocrate et de Platon, Paris, 1857, p. 80-93.
  128. « Le corps, étant l’instrument de l’âme, doit avoir une division analogue à celle des facultés de l’âme : car il a été combiné avec elles de manière à leur rendre tout le service possible et à ne les gêner en rien. D’ailleurs, à chaque faculté de l’âme a été affecté, pour son usage, un organe particulier du corps. L’âme peut donc être considérée comme l’ouvrier, le corps comme l’instrument, l’objet de l’action comme la matière, et l’action elle-même comme l’œuvre. » (Némésius, De La Nature de l’homme, V, p. 91 de la trad. de M. Thibault.)
  129. Voy. Enn. I, liv. I, § 7 ; t. I, p. 44.
  130. Plotin fait ici allusion au passage suivant de Platon : « Comme une partie de la moelle devait, ainsi qu’une terre labourée, recevoir en elle-même la semence divine [c’est-à-dire le principe immortel de l’Âme], il la fit ronde de toutes parts et donna à cette portion de la moelle le nom de cervelle [ou d’encéphale, ἐγϰέφαλον, de ἐν et de ϰεφαλή], parce que, dans chaque animal entièrement formé, la tête devait être le vase où elle serait contenue. » (Timée, p. 73 ; t. I, p. 197 de la trad. de M. H. Martin.) Cicéron a dit aussi : « Sensus autem interpretes ac nuntii rerum, in capite, tanquam in arce, mirifice ad usus necessarios et facti et collocati sunt. » (De natura Deorum, II, 56.)
  131. Voy. le passage de Bossuet cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 341, note 1.
  132. « Quant à la partie de l’âme qui désire le boire et le manger et toutes ces choses dont la nature de notre corps lui fait éprouver le besoin, les dieux la logèrent dans les parties situées entre le diaphragme et le nombril [dans le foie] ; ayant formé dans tout cet espace comme une sorte de râtelier pour la nourriture du corps, ils y lièrent cette partie de l’âme comme une bête brute, mais qu’il est nécessaire de nourrir pour alimenter le corps auquel elle est attachée, afin que la race mortelle puisse subsister. » (Platon, Timée, p. 70 ; trad. de M. H. Martin, p. 191.)
  133. « La partie de l’âme qui participe à la force virile et à la passion énergique, étant opiniâtre, fut logée plus près de la tête, entre le diaphragme et le cou, afin qu’obéissant à la raison et de concert avec elle elle comprimât par la force les désirs sensuels, lorsque, rebelles aux ordres que leur donnerait la raison du haut de sa citadelle, ils ne voudraient pas s’y soumettre volontairement. » (Platon, Timée, p. 70 ; trad. de M. H. Martin, p. 189.) Ce que Plotin dit ici du sang artériel est emprunté à Galien, dont nous avons déjà résumé la doctrine à la page 358, note 3.
  134. Sixième question : Où va l’âme après la mort ? Voy. encore ci-après le livre IV, § 39, 45.
  135. Voy. ci-dessus p. 291. Proclus, dans son Commentaire sur le Timée (p. 323), cite en ces termes ce passage de Plotin : « Le choix des vies, bon ou mauvais, est soumis à des lois fatales, et les âmes vont dans le lieu que leur assigne la loi qu’elles portent en elles-mêmes, comme le dit Plotin. »
  136. Il faut lire αἰωρούμενος, et non περιαγόμενος, comme le propose Taylor : c’est une expression empruntée à Platon (Ménéxène, p. 248).
  137. Le P. Thomassin cite et commente ce passage dans ses Dogmata theologica, t. I, p. 249.
  138. {{t|Septième question : Quelles sont les conditions de l’exercice de la Mémoire et de l’Imagination (§ 25-32) ?
  139. Ce passage rappelle le début du traité d’Aristote sur ce sujet : « Qu’est-ce que la mémoire ? Qu’est-ce que c’est que se souvenir ? Quelle est la cause de ces phénomènes ? Entre les parties diverses de l’âme, quelle est celle à laquelle se rapportent et cette faculté, et l’acte qui constitue le souvenir, la réminiscence ? » (De la Mémoire et de la Réminiscence, 1 ; trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire, p. 109.)
  140. On trouve dans saint Augustin les mêmes idées sur la mémoire : « Omne præteritum jam non est ; omne futurum nonduni est : omne igitur et futurum et præteritum deest. Apud Deum autem nihil deest. Nec præteritum igitur, nec futurum, sed omne prœsens est apud Deum. » (De diversis quaestionibus, § 17.)
  141. « Quibus autem est memoria necessaria, nisi prætereuntibus et quasi fugientibus rebus ? Ille igitur sapiens amplectitur Deum, eoque perfruitur qui semper manet, nec exspectatur ut sit, nec metuitur ut desit, sed eo ipso quo vere est, semper est præsens… Quid memoria opus est [sapienti], quum omnes suas res praesentes habeat ac teneat ? Non enim vel in ipso sensu, ad id quod ante oculos nostros est, in auxilium nobis vocamus memoriam. Sapienti ergo ante illos interiores intellectus oculos habenti omnia, id est Deum ipsum fixe immobililerque intuenti, cum quo sunt omnia quæ intellectus videt ac possidet, quid opus est, quæso, memoria ? » (S. Augustin, De Ordine, Il,2.) Voy. ci-après, p. 328, note 1.
  142. Il y a dans le texte : ϰαὶ μάλιστα ἐνταῦθα ἠϰούσῃ. Ficin traduit : « et maxime huc longe profectam. » Creuzer propose un autre sens : « et maxime quæ modo huc advenit » ; il le justifie en ces termes : « Nimirum Plotinus loqui videtur de animis infantium haud ita multo ante natorum, quæ conturbutæ recenti lapsu et quasi ebriæ minus valent superiores mentis vires explicare, sed
  143. Voici la distinction que Platon établit entre la mémoire et la réminiscence : « Si l’on disait que la mémoire est la conservation de la sensation, on parlerait juste, du moins à mon avis… Lorsque l’âme, sans le corps et retirée en elle-même, se rappelle ce qu’elle a éprouvé, nous appelons cela réminiscence ; et aussi, lorsque ayant perdu le souvenir, non plus seulement d’une sensation, mais d’une connaissance, elle se rend à elle-même ce souvenir. Voilà tout ce que nous appelons mémoire et réminiscence. » (Philèbe, t. II, p. 359 de la trad. de M. Cousin.)
  144. Voy. Enn. I, liv. I, § 7, 9 ; t. I, p. 43, 46. Plotin reproduit ici la doctrine de Platon : « Pose pour certain que parmi les affections que notre corps éprouve ordinairement, les unes s’éteignent dans le corps même avant de passer jusqu’à l’âme et la laissent sans aucun sentiment ; les autres passent du corps à l’âme, et produisent une espèce d’ébranlement qui a quelque chose de particulier pour l’un et pour l’autre, et de commun aux deux… Lorsque l’affection est commune à l’âme et au corps, et qu’ils sont ébranlés l’un et l’autre, tu ne le tromperas pas en donnant à ce mouvement le nom de sensation. » (Philèbe, t. II, p. 357 de la trad. de M. Cousin.)
  145. Voy. t. I, p. 40, note 3.
  146. Voy. ci-dessus, p. 309.
  147. Voy. ci-dessus, p. 123-124.
  148. Le jugement que l’âme porte sur la sensation est l’opinion : « N’est-il pas vrai que c’est de la sensation et de la mémoire que nous viennent ordinairement l’opinion et la résolution de nous en faire une ? » (Platon, Philèbe, t. II, p. 376 de la trad. de M. Cousin.) Voy. les Notes et Éclaircissements du tome I, p. 337.
  149. Voy. ci-après le livre VI, § 2. Voy. aussi les fragments de Porphyre traduits dans le tome I (p. LXVII, § XXV et note 4). S. Augustin s’exprime sur ce sujet dans les mêmes termes : « Non enim, si per sensus percipimus aliquid quod memoriæ commendamus, ideo iri corpore memoria esse putanda est, etc. » (De Musica, I, 4.)
  150. Voy. t. I, p. 43, 382.
  151. C’était la doctrine des Stoïciens. Voy. t. I, p. CXXX, note 2.
  152. Voy. saint Augustin, De Quantitate animæ, 5, et De Anima et ejus origine, IV, 17.
  153. Plotin combat ici la doctrine des Stoïciens : « Les Stoïciens disent que l’homme, à sa naissance, a sa partie dirigeante semblable à une feuille de papier parfaitement disposée pour recevoir des caractères. Chaque idée vient s’y écrire par les sensations : car, lorsqu’on a senti un objet, le blanc, par exemple, on en garde le souvenir quand cet objet n’est plus là. » (Plutarque, De Placitis philosophorum, IV, 11.) Selon Zénon, la sensation consiste dans une impulsion extérieure, « impulsio oblata extrinsecus, » appelée représentation, φαντασία (Cicéron, Académiques, I, 11) ; selon Cléanthe, les objets extérieurs impriment sur nos organes une image semblable à l’empreinte d’un cachet sur la cire, τύπωσις (Sextus, Adversus mathematicos, VII, p. 288) ; mais, selon Chrysippe, l’impression produite dans l’âme n’est qu’une simple modification, ἀλλοίωσις ; (Diogène Laërce, VII, § 50). Ces philosophes n’ont fait que reproduire, en les prenant dans leur sens propre, des expressions employées avant eux par Platon et par Aristote dans un sens figuré. Nous avons déjà cité (t. I, p. 334 et note 1) des passages dans lesquels Platon et Aristote comparent l’âme à une cire molle qui reçoit l’empreinte d’un cachet, comparaison qui a donné naissance à l’idée de la table rase ; ajoutons qu’Aristote dit également que la sensation est une modification, ἀλλοίωσις (Physique, VII, 4).
  154. Voy. t. I, p. 43, 333.
  155. « Affectiones quoque mel animi eadem memoria continet, non illo modo quo eas habet ipse animus quum patitur eas, sed alio multum diverso, sicut sese habet vis memoriæ, etc. » (S. Augustin, Confessiones, X, 13.)
  156. Voy. Platon, Philèbe, t. II, p. 363 de la trad. de M. Cousin.
  157. Voy. le passage du Philèbe cité ci-dessus, p. 316, note 1.
  158. Voy. Enn. I, liv. I, § 2 ; t. I, p. 37.
  159. On sait qu’Héraclite enseignait que les objets sensibles sont dans un écoulement perpétuel.
  160. Les quatre termes dont Plotin se sert ici sont des équivalents. Il emploie souvent συναίσθησις et σύνεσις comme synonymes (Enn. III, liv. VIII, § 3 ; Enn. V, liv. VIII, § 11, etc.). Le sens du mot παραϰολούθησις, que nous avons vu dans l’Ennéade I (liv. IV, § 10), a été expliqué ci-dessus (Enn. III, liv. IX, § 3, fin). Quant au mot σύνθεσις, il paraît être l’équivalent de l’expression στᾶσα ἐν ᾧ ἐστιν qu’on trouve dans cette phrase : στᾶσα σὲ [ψυχὴ] ἐν ᾧ ἐστιν, ἐν τῖη αὑτῆς στάσει ϰαὶ οἷον συναισθήσει, τῇ συνέσει ταυτῇ ϰαὶ συναισθήσει τὸ μεθ’ αὑτήν εἶδεν (Enn. III, liv. VIII, § 3). Sur la conscience, Voy. t. I, p 353.
  161. Voy. t. I, p. 43-47, 362.
  162. Macrobe, dans son Commentaire sur le Songe de Scipion (I, 12), exprime des idées
  163. La première est l’âme raisonnable (t. I, p. 44, 47, 324, 328) ; la seconde, l’âme irraisonnable (t. I, p. 45, 475-478).
  164. Plotin veut dire que l’âme irraisonnable, image de l’âme raisonnable, est plongée dans l’obscurité de la vie sensible. Sur l’image d’Hercule, Voy. le tome I, p. 50, et ci-après § 32, p. 329.
  165. Voy. le passage du Philèbe cité ci-dessus, p. 315, note 1.
  166. Voy. ci-dessus (p. 319) la note sur le mot παραϰολούθησις.
  167. « La mémoire ne se confond ni avec la sensation ni avec la conception intellectuelle ; mais elle est ou la possession ou la modification de l’une des deux, avec la condition d’un temps écoulé. » (Aristote, De la Mémoire, 1 ; tr. fr., p. 113.)
  168. Voy., sur l’imagination sensible, les Éclaircissements du tome I, p. 332-336, 338-339.
  169. Plotin reproduit ici la théorie d’Aristote, sans faire cependant concourir comme lui le corps à l’acte du souvenir : « Ici on pourrait se demander comment il se fait que, la modification de l’esprit étant seule présente, et l’objet même étant absent, on se rappelle ce qui n’est pas présent. Évidemment on doit croire que l’impression qui se produit par suite de la sensation dans l’âme, et dans cette partie du corps qui perçoit la sensation, est analogue à une espèce de peinture, et que la perception de cette impression constitue précisément ce qu’on appelle la mémoire… Voilà donc ce qu’est la mémoire et ce que c’est que se souvenir. Répétons-le : c’est la présence dans l’esprit de l’image, comme copie de l’objet dont elle est l’image ; et la partie de l’âme à laquelle elle appartient en nous, c’est le principe même de la sensibilité [le sens commun], par lequel nous percevons la notion de temps. » (De la Mémoire, 1 ; trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire, p. 115, 120.) Voy. aussi Porphyre, Des Facultés de l’âme, t. I, p. LXVII, note 3.
  170. Voy. sur ce point le beau morceau de saint Augustin : « Venio in campos et lata prætoria memoriæ, ubi sunt thesauri innumerabilium imaginum de cujuscemodi rebus sensis invectarum, etc. » (Confessiones, X, 8.)
  171. « Du reste, l’exercice et l’étude conservent la mémoire en la forçant de se ressouvenir ; et cet exercice n’est pas autre chose que de considérer fréquemment la représentation de l’esprit, en tant qu’elle est une copie, et non pas en elle-même. » (Aristote, ibid., 1 ; tr. fr., p. 120.)
  172. « Ceux qui sont trop jeunes et ceux qui sont trop vieux sont sans mémoire, à cause du mouvement dont ils sont agités ; ils sont tout absorbés les uns par le développement qui se fait en eux, les autres par le dépérissement qui les emporte, etc. » (Aristote, ibid., 2, tr. fr. p. 136.)
  173. Voy. les Éclaircissements du tome I sur la raison discursive, p. 326, 341 ; et sur l’imagination intellectuelle, p. 339-341.
  174. Plotin reproduit ici la théorie de l’imagination intellectuelle qu’il a développée dans l’Ennéade l (liv. iv, § 10 ; t. I, p. 84). Il s’y est inspiré d’Aristote : « Antérieurement, nous avons parlé de l’imagination dans le traité De l’Âme, et nous avons dit qu’on ne peut penser sans images. Le phénomène qui se passe dans l’acte de l’entendement est absolument le même que pour le tracé d’une figure géométrique qu’on démontre. Ainsi, quand nous traçons une figure, bien que nous n’ayons aucun besoin de savoir précisément la grandeur du triangle décrit, nous ne l’en traçons pas moins d’une certaine dimension déterminée. De même, en le pensant par l’entendement, bien qu’on ne pense pas à sa dimension, on se le place cependant devant les yeux avec une dimension quelconque ; et on le pense en faisant abstraction de cette grandeur… Il faut nécessairement que la notion de grandeur et de mouvement nous vienne de la faculté qui nous donne aussi celle de temps ; et l’image n’est qu’une affection du sens commun. Il en résulte évidemment que la connaissance de ces idées est acquise par le principe même de la sensibilité. Or, la mémoire des choses intellectuelles ne peut non plus avoir lieu sans images ; et, par suite, ce n’est qu’indirectement que la mémoire s’applique à la chose pensée par l’intelligence ; en soi elle ne se rapporte qu’au principe sensible. » (De la Mémoire, 1 ; tr. fr., p. 113.) Voy. aussi les Éclaircissements du tome I, p. 339-341.
  175. Voy. ci-dessus, § 27.
  176. Saint Augustin a reproduit et développé tout ce que Plotin dit ici sur la différence des deux âmes et sur la subordination de l’âme irraisonnable à l’âme raisonnable : « Negas ergo, non solum e corpore et anima, sed etiam ex anima tota constare sapientem : si quidem partem istam, qua utitur sensibus, animæ esse negare dementis est… Anima sapientis perpurgata virtutibus et jam cohærens Deo sapientis etiam nomine digna est, nec quidquam ejus aliud decet appellari sapientem ; sed tamen quasi quædam, ut ita dicam, sordes atque exuviæ, quibus se ille mundavit et quasi subtraxit in seipsum, ei animæ serviunt. Vel si tota hæc anima dicenda est, ei certe parti animæ serviunt, quam solam sapientem nominari decet. In qua parte subjecta etiam ipsam memoriam puto habitare. Utitur ergo hac sapiens quasi servo, ut hæc ei jubeat, easque jam domito atque substrato metas legis imponat, ut dum istis sensibus utitur propter illa, quæ jam non sapienti, sed sibi sunt necessaria, non se audeat extollere, nec superbire domino, nec iis ipsis quæ ad se pertinent passim atque immoderate uti. Ad illam enim vilissimam partem possunt ea pertinere quæ prætereunt. » (De Ordine, II, 2.) Plusieurs expressions de ce passage, telles que : anima sapientis perpurgata virtutibus et jam cohærens Deo, etc. rappellent ce que Plotin dit sur la purification dans le livre Des Vertus (§ 4, 5 ; t. I, p. 57-58). Les noms de sage et de maître donnés ici à l’âme raisonnable sont également empruntés au même livre (§ 5, p. 59.)
  177. « Nec omnino huic [memoriae] quidquam commendari arbitrer a sapiente : si quidem Deo semper inflxus est, sive tacitis, sive cum hominibus loquens ; sed ille servus jam bene institutus diligenter servat quod interdum disputanti domino suggerat, et ei tanquam justissimo gratum faciat officium suum sub cujus se videt potestate vivere. Et hoc facit non quasi ratiocinando, sed summa illa lege summoque ordine præscribente. » (S. Augustin, ibid.) Ces dernières lignes rappellent cette pensée de Plotin : « L’influence de la raison [sur la partie irraisonnable] s’exercera sans lutte et sans contrainte, etc. » (Enn. I, liv. II, § 5 ; t. I, p. 59.)
  178. Il y a dans le texte : ἀλλὰ ἐλαφρά ϰαὶ δι’ αὑτῆς. Ficin traduit : « sed levia hæc existimans » ; et Creuzer : « sed allevata et per se sola. » Nous avons adopté le sens de Creuzer.
  179. Nous suivons ici Ficin qui a été conduit par la liaison des idées à sous-entendre in cœlis, en sorte qu’il faut placer Hercule dans quatre régions, dans l’enfer, sur la terre, dans le ciel et dans le monde intelligible. Creuzer approuve l’interprétation de Ficin. Taylor, au contraire, en a adopté une autre ; il traduit : « And Hercules, indeed [when in Hades] may speak of bis own fortitude ; but in the intelligible world, he will consider these things as trifling, being transfered into a more sacred place. »