Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Lettre M


Panckoucke (1p. 485-552).
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MACHINE, (subst. fém.). Une composition dans laquelle le peintre fait entrer un nombre d’objets dont l’heureuse combinaison demande du génie, est désignée en terme de peinture par le mot machine.

Ce mot est principalement employé à signifier une grande composition, telle qu’est ordinairement un plafond, une coupole, ouvrages qu’on peut regarder comme les grands poëmes de la peinture ; mais, en général, un tableau qui offre un nombre de figures & d’objets considérable, & pour l’heureux assemblage desquels le génie a besoin de toutes ses ressources, est appellé par les artistes une machine, une grande machine.

Cette expression renferme des idées étendues de noblesse, de grandeur, d’intérêt, de dimensions même, qui font qu’on ne s’en sert pas pour des productions dans lesquelles toutes ces choses ne le trouvent point assemblées, ou ne sont pas nécessaires.

Une belle machine en peinture suppose donc un grand ensemble des parties de l’art, qui surprend & attache, comme une belle machine, dans le sens propre, signifie l’assemblage des moyens choisis qu’emploie la méchanique pour plaire & causer de l’admiration. On dit, comme je l’ai fait observer, d’un plafond, d’une coupole, d’une galerie peinte, d’un vaste tableau, que ce sont de grandes, de belles, de superbes machines ; on le dit, à bien plus forte raison, lorsque la peinture est accompagnée, dans quelque grande composition des arts, de tout ce que chacun d’eux peut produire de digne de contribuer à mériter ce nom.

Nous ne connoissons guère aujourd’hui qu’un feul ouvrage vraiment digne de le porter dans toute l’étendue qu’on peut lui donner, & qui puisse bien désigner ce qu’il signifie : c’est le Temple de saint Pierre à Rome.

Grande & superbe machine en effet, vaste dans ses dimensions, sublime dans son objet, surprenante dans son exécution. L’architecture y est enrichie par la peinture & la sculpture employées comme accessoires, mais avec une si juste mesure, que chacun des objets qui arrêtent les regards, n’a pas un droit assez grand pour les distraire de l’effet général.

Les moyens les plus durables y sont employés pour la peinture même, & les matières les plus précieuses pour les ornemens.

Voilà ce qui constitue véritablement une


grande & admirable machine. Voilà les moyens par lesquels une nation peut prouver, pendant une longue suite de siècles, qu’elle a porté les arts à un haut degré de perfection, & que l’esprit & l’ame de ceux qui en composoient l’éle, élevés aux idées de la beauté libérale, ont su s’appliquer aux objets auxquels elle convient le mieux.

Que n’est-il possible d’inspirer ces principes & ce sentiment nobles & élevés des grandes machines à un peuple qui possède d’ailleurs tout ce qui seroit necessaire pour les mettre en exécution ? Il est fâcheux pour ceux qui aiment leur patrie, leur nation & les arts, de voir parmi nous si peu de monumens (je pourrois dire peut-être aucun) qui puissent annoncer un jour que nous avions fait d’assez grands progrès pendant deux siècles, féconds en talens, pour en laisser à ceux qui nous suivront, des preuves dignes de leur servir de modèles & d’exemples. Quels sont donc les obstacles qui s’y opposent ? quelles sont les qualités qui semblent nous manquer à cet égard ?

Le sentiment des grandes convenances, & l’esprit de suite qui, fondé sur elles, donne la constance nécessaire pour ne pas s’écarter, pendant un grand nombre d’années, d’un plan, & le courage de le porter à sa perfection, sans que la mort de ceux qui l’ont formé, & la succession de ceux sous l’administration desquels il s’exécute, change rien à l’esprit qui l’a fait concevoir.

Il est besoin, sans doute, que des génies très-distingués conçoivent l’idée de ces chefs-d’œuvre. Il est besoin de vrais patriotes & d’administrateurs très-éclairés pour les exécuter ou les faire exécuter. Cette dernière condition se rencontre parmi nous (osons le dire) plus rarement que la première, parce qu’il seroit nécessaire que les hommes propres à se montrer uniquement animés par la gloire nationale, fussent profondément instruits des principes généraux de tous les arts libéraux, regardés, non comme arts d’agrément, mais comme langages des grandes institutions, ce qui les mettroit à l’abri des préjugés, des modes, des incertitudes & des variations qui peuvent influer sur leurs jugemens & leurs volontés. (Article de M. Watelet.).

MAGIE, (subst. fém.). La magie, au sens propre, s’est évanouie avec une partie des exreurs que produit l’ignorance. La magie, au sens figuré, magie puissante dans ses effets, mais dont les principes & les moyens sont encore inconnus à la plupart des hommes, s’est multipliée & s’est étendue par les découvertes des sciences, & sur-tout par les progrès des arts libéraux.

La magie de la peinture est séduisante par d’agréables illusions. Ses artifices trompent facilement, lorsqu’on ne fait point d’efforts pour s’en défendre, & non-seulement on ne lui sait pas mauvais gré des erreurs qu’elle cause ; mais plus nous éprouvons qu’elle nous abuse, plus notre reconnoissance & notre considération augmentent pour elle : effet fort remarquable, puisque le charlatan, (espèce de magicien fort accréditée de nos jours) lorsqu’il est convaincu d’avoir trompé, excite la haine, l’indignation ou le mépris, tandis que l’artiste dont on éprouve & l’on reconnoît l’artifice, excite l’admiration & devient cher à ceux qu’il a fait tomber dans l’erreur.

Je dis l’artiste en général, car chacun des arts libéraux a sa magie qui lui est particulière. Ses effets sont de fasciner en quelque façon deux de nos sens, l’ouïe ou la vue. Ces deux sens flattés, ou habilement trompés, livrent aux artistes l’empire de l’esprit & du cœur de ceux qui s’occupent de leurs ouvrages.

Dans le nombre de six arts que j’appelle libéraux, deux agissent sur le sens de l’ouïe ; les quatre autres ont pour objet de captiver la vue.

La parole & la musique produisent leurs effets magiques par le moyen de l’organe qui fait entendre : la pantomime, la peinture, la sculpture & l’architecture, agissent & exercent leurs charmes sur l’organe de la vue.

On peut observer, à ce sujet, que l’ouïe est un sens passif, & qu’on peut regarder le sens de la vue comme un instrument actif ; car on peut resuser de diriger ou de fixer les yeux sur un objet ; mais on n’a pas absolument la même puissance sur les oreilles, ou du moins cette puissance, bien plus difficile à exercer, est le plus souvent en défaut, si elle n’emploie pas de moyens étrangers.

Je n’examinerai pas ici les différences que la nature de ces organes apporte aux effets des sensations que nous éprouvons ; mais je dirai seulement que la magie de la peinture est une des plus séduisantes par ses illusions, parce qu’elles ont un effet presque général, qu’elles agissent avec une promptitude extrême, & que les hommes vont d’eux-mêmes, avec empressement, au-devant de l’illusion qu’elles produisent.

La magie de la peinture est appuyée sur celle de la lumière, c’est-à-dire, sur ses innombrables effets qui produisent les couleurs & les modifient sans cesse à nos yeux.

Mais, d’après ce fondement, l’art a cherché, dans ses progrès, à étendre ses effets magiqués par le secours de l’ordonnance ; par la beauté, la correction des figures, des expressions ; par la vigueur du coloris, enfin par une infinite de mystères que les maîtres ou l’étude apprennent à ceux qui s’y dévouent.

Cependant, pour revenir à la plus ordinaire acception du terme dont il s’agit dans cet article, c’est à la couleur qu’il est plus particulièrement affecté dans le langage de l’art ; mais il faut, pour qu’il soit appliqué avec justesse, que le tableau dont on vante la magie obtienne effectivement son effet le plus puissant du mérite de la couleur, & que les causes particulières de l’illusion qu’il produit ne soient pas faciles à démêler par ceux qui en éprouvent les effets.

Un tableau est remarquable par sa magie, si les couleurs y empruntent de leur harmonie, de leurs savantes oppositions, de leurs distributions méditées, une valeur qu’elles n’auroient pas sans ces recherches.

Ces mystères des oppositions, des transitions ou passages, des relations ou sympathies des diverses couleurs entre-elles, & de l’harmonie puissante qui en résulte, ne peuvent être pénétrés & développés que par une pratique suivie & toujours raisonnée.

Voyez opérer un savant artiste, vous appercevrez sur sa palette, dans le seul arrangement de ses couleurs & sur-tout dans l’ordre des teintes qu’il a préparées, une sorte de magie qui attache vos yeux & qui vous plaît.

Voyez-le ensuite prendre avec la brosse ou le pinceau une teinte dont son intelligence éclairée a pressenti l’effet, cette teinte, examinée seule dans l’intervalle qu’il met à la porter de la palette sur la toile, offre souvent un ton que vous jugez si peu convenable à l’objet auquel vous voyez qu’il est destiné, que vous croyez ce choix une erreur de l’artiste : cependant sa main intelligente & sûre la place, & dans l’instant, par un effet vraiment magique, les couleurs qui environnent cette teinte, lui dérobent ce qui sembloit devoir blesser vos regards, ou cette teinte leur donne elle-même ce qui sembloit leur manquer.

C’est la vigueur du coloris sur lequel s’est monté l’artiste, c’est le caractère de l’harmonie, l’accord des tons voisins, qui font que la teinte dont j’ai parlé est précisément celle qui convenoit à la place qu’on lui assigne, & qu’en ce moment elle augmente ou complette l’illusion magique qui donne du relief à un objet peint sur une surface plate, & le fait sortir du fond sur lequel il sembleroit devoir rester attaché.

Ainsi, dans la réunion d’un grand orchestre, un instrument qui prélude seul, avant de M A G concerter, peut vous porter des sons durs ou peu agréables par eux-mêmes, & ce même instrument placé, réuni avec les autres, ou succédant à son tour à ceux qui préparent son juste effet, en produit un que vous n’auriez pas soupçonné.

Voilà une idée de la magie de la couleur : quelques opérations d’un artiste habile qui veut bien initier son élève ou un amateur curieux dans ses mystères, lui en apprendroient plus que je ne puis le faire ; car s’il est bien établi que ce qui parvient à l’esprit par les yeux, fait en général une impression prompte & durable, ce principe est bien plus vrai lorsqu’il s’agit d’objets absolument relatifs au sens de la vue.

D’ailleurs, il est dans les arts libéraux des secrets, pour ainsi dire, que l’art du discours ne peut éclaircir, & que la pratique dévoile en un moment.

Je ne m’étendrai donc pas sur différens détails des opérations de la peinture, qu’on peut appeller figurément magiques, telles que le charme par lequel une couleur harmonieuse arrête votre regard, par lui votre attention, ensuite par celle-ci votre intérêt sur un objet principal, & d’autres d’un genre semblable, parce que je m’étendrois trop. J’essayerai cependant d’en donner quelques idées aux mots propres & non figurés qui se trouveront y avoir quelque rapport.

Je dirai seulement encore que les pratiques de cette partie mystérieuse de l’art sont sujettes à différentes méthodes. L’étude de la nature, ou l’instruction qu’on reçoit des maîtres & de l’étude des bons ouvrages, doivent décider les jeunes artistes sur le choix.

Le génie doit aussi les inspirer ; car c’est à lui seul qu’est réservé de nos jours le pouvoir magique, tel qu’il peut exister parmi les hommes instruits.

Cette science surprenante, la magie n’est en effet aujourd’hui que le pouvoir des ames sur les ames, ou par leur propre ascendant, ou par le secours des arts divins qui dépendent du génie ; car ce sont eux qui lui donnent les moyens de maîtriser & de modifier à son gré les sens, les esprits & les cœurs.

Pour vous, jeunes artistes, vous voyez, par ce que j’ai dit, que la région des arts est un pays de prodiges. Ceux qui l’habitent, semblables aux anciens habitans de la Thessalie, sont plus ou moins magiciens. Qu’il vous soit donc permis de vous croire, puisque vous habitez cette région, capables de parvenir à la connoissance des mystères qui l’ont rendue célèbre, & d’opérer des merveilles & des prestiges.

Armez-vous d’une baguette ; tracez des figures, & si vous êtes initiés dans les secrets dont vous devez faire usage, ces figures, seu-


lement tracées, causeront des impressions de joie, de douce volupté, ou de douleur. Vous ferez passer dans les ames, par des images peintes ou des figures de cire, de terre, de marbre, d’airain, la vénération, l’amour, le délire ou la sagesse. Vous ferez enfin revivre les morts ; vous immortaliserez les mortels, & il semblera qu’on voie agir & parler des hommes qui, réellement, n’auront aucune consistance & aucun mouvement.

Jeunes gens, c’est figurément, il est vrai, que je m’exprime ainsi ; mais si vous êtes nés véritablement peintres, pourquoi ne vous parlerois pas le langage des poëtes ? ne serois-je pas autorisé de même à parler aux poëtes le langage des peintres ? vous avez tous la même destination, & il est naturel qu’on entretienne avec les mêmes idiômes ceux dont l’imagination est également consacrée à s’élever sans cesse audessus des choses ordinaires, & à donner, non-seulement un corps aux êtres abstraits, mais une ame à la matière & à des signes de convention.

Laissez-vous donc aller aux illusions, au point de vous croire destinés aux prodiges.

Si vous n’estimiez pas votre art plus que ne font tous ceux qui ne sont ni peintres, ni poëtes, vous ne mériteriez jamais ces titres ; vous seriez toujours confondus dans la foule.

Un homme qui aime véritablement, se croit, par la possession de l’objet de ses affections, le plus heureux, & par-là le premier des mortels. Il ne changeroit pas son sort contre celui des rois & même des dieux. Un artiste, dans la jouissance heureuse de son art, se croit au-dessus de tous ceux qui s’occupent des autres connoissances ; & celui qui est vraiment peintre, regarde, en les plaignant, ceux qui ne peignent pas.

Enfin il est nécessaire, pour que les arts & les sciences s’entretiennent parmi les hommes & s’avancent à leur perfection, que chacun des savans & des artistes croient avoir choisi la première de toutes les professions.

Dans ce pays d’illusions, dans la république des arts, chaque individu qui, sous une infinité de rapports, est égal à ses semblables, jouit de l’erreur séduisante de penser qu’il porte sa tête au-dessus de tous ceux avec qui il se mesure.

Il est cependant peu de géans parmi eux. Quelques-uns quil’ont été, se sont crus fort inférieurs à la taille dont ils étoient doués, & je dois vous dire que, par un effet magique, différent de ceux dont je vous ai parlé, ce sentiment, qui les diminuoit à leurs regards, les grandissoit à ceux des autres. (Article de M. Watelet.)

MAIGRE, MAIGREUR, (adj.), (subst. fém). On dit un pinceau maigre, un crayon maigre, un trait, un contour maigre, une touche maigre ; maigre ; c’est le contraire du large, du moëlleux, du nourri ; c’est ce qui produit un ouvrage sec. Si l’on voit grandement la nature, on n’en sera point une représentation maigre ; on la représentera largement, comme elle se montre elle-même. Nous avons parlé des figures maigres, sous le mot grêle.

Dans l’enfance de l’art, on a été maigre dans toutes les parties ; on l’a été dans tous les sens où ce mot pui ;sse se prendre. On tâtonnoit encore la nature, parce qu’on n’avoit pas appris à la connoître ; on ne la voyoit qu’en détail, au lieu de la voir dans ses masses ; on n’osoit rien faire largement, parce qu’on n’avoit pas encore assez opéré pour contracter une heureuse hardiesse. La timidité de l’inexpérience conduisoit nécessairement à la maigreur.

La maigreur est par tout un défaut, même dans les ouvrages en petit : mais c’est une vertu d’y montrer à propos un crayon fin, un pinceau fin, une touche fine, en prenant même la finesse dans le sens physique. (L.).

MAIN, (subst. fém.) Ce mot est du langage des arts dans les phrases suivantes : ce tableau est de bonne main : On reconnoît dans cette touche la main d’un grand maître. Les tableaux de chevalet qui portent le nom de Raphaël, sont rarement de sa main ; ils ont été peints d’après ses dessins par d’habiles élèves. Il s’en faut bien que l’art ne consiste tout entier dans le travail de la main. C’est l’habitude qui apprend à distinguer la main des maîtres. L’adresse de la main n’est pas une partie méprisable du métier. De grandes beautés de l’art peuvent être dégradées par la timidité de la main. Dufresnois avoit une grande théorie, mais la main lui manquoit, parce qu’il avoit moins exercé l’art qu’il ne l’avoit contemplé. Les conceptions les plus ingénieuses sont peu de chose dans les arts sans la pratique de la main, & la science de la nature.

La Hollande a produit un artiste qui peignit réellement avec la main. Cornille Ketel, après avoir peint pendant vingt ans, comme les autres, avec la brosse, s’avisa de quitter cet instrument de l’art, & de se servir de ses doigts au lieu de pinceaux. Pour n’avoir pas de témoins de ses premiers essais en cette manière, il commença par son portrait, & réussit. Ne trouvant pas encore ce tour de force assez singulier, il se mit à employer les doigts de sa main gauche, comme ceux de la droite, & en vint même jusqu’à peindre avec les orteils. On rapporte ce trait, moins pour le faire admirer, que comme une bizarrerie qui ne mérite pas de trouver d’imitateurs. En effet, comme le remarque M. Descamps, peintre lui-même : « dès qu’on peut mieux peindre avec le pinceau qu’avec les pieds & les mains, pourquoi abandonner un usage plus sûr & plus facile ? Le but d’un Artiste étant de faire le mieux possible, on doit préférer la manière de bien faire facilement, à celle de mal faire difficilement. »

Cependant il paroît que Ketel ne fit pas mal ; mais n’auroit-il pas mieux fait par le procédé ordinaire ?

Il disoit une chose juste ; c’est que tout sert d’instrument quand on a le génie. Il ajoutoit que c’étoit pour le prouver qu’il avoit quitté le pinceau ; & en cela il avoit tort ; car il auroit dû reconnoître que les instrumens aident aux opérations du génie.

La main, prise dans le sens ordinaire, est du nombre de ce que les artistes appellent extrémités, parties qui exigent le plus d’étude, & qui doivent être traitées avec le plus de soin. (Article de M. Levesque.)

MAITRE, (subst. masc.). Ce mot, dans la langue des arts libéraux, a souvent la même signification que dans celle des arts mécaniques : on entend par maître, l’artiste qui donne aux jeunes gens des leçons de son art, & l’on dit en ce sens : MM. David & Vincent ont eu M. Vien pour maître.

Maître signifie aussi un artiste assez distingué par ses talens, pour que ses ouvrages puissent servir de modéles aux élèves & même aux professeurs de l’art. Quand on emploie ce mot dans cette acception, on y joint souvent l’adjectif grand : On dit les ouvrages des grands maîtres ; ce tableau est d’un grand maître. Les travaux qu’ont laissés les grands maîtres, sont de belles leçons pour la postérité.

Souvent le jeune artiste n’est pas libre de se se choisir un maître ; ce choix est fait par ses parens, ou dépend des circonstances. Il peut d’ailleurs ne se trouver aucun maître habile dans le pays où il vit, dans le siècle où il est né : mais il a en effet autant de maîtres qu’il a vécu avant lui, ou loin de sa résidence, de grands artistes dont il puisse étudier les ouvrages. Les statuaires de l’ancienne Grèce, séparés de lui par une période de deux mille années, sont des maîtres qui lui prodiguent encore aujourd’hui les plus savantes leçons. Leurs écoles sont toujours gratuitement ouvertes, & l’on y puise des principes toujours sûrs, tandis que, dans bien d’autres écoles, on vend chèrement des leçons qui ne peuvent qu’égarer.

C’est après avoir eu sous les yeux les ouvrages des grands maîtres, & s’en être assiduement nourri, qu’on peut produire quelque chose qui leur ressemble ; c’est après avoir formé nos yeux par leur manière de voir, & avoir fait contracter à notre esprit l’habitude de former des pensées nobles & grandes comme les leurs, que nous serons capables de reconnoître, & de choisir ce qu’il y a de grand & de beau dans la nature. Pour inventer, il faut avoir réuni une masse de matériaux que notre esprit puisse mettre en œuvre. Rien ne se fait de rien. Ce que nous appellons invention, n’est que la faculté de combiner d’une manière nouvelle, les idées que nous avons reçues. Si nous n’acquérons qu’un petit nombre d’idées, nous ne pouvons faire qu’un petit nombre de combinaisons, & nous ne serons par conséquent que de foibles inventeurs. On a vu, dans tous les genres, des hommes en qui l’on avoit d’abord soupçonné du génie, mais à qui l’on a bientôt refusé cette qualité, parce qu’ils ne faisoient toujours que revenir sur leurs premières traces & parcourir un cercle étroit. Ce n’est pas qu’en effet ils n’eussent reçu de la nature le génie, mais c’est qu’ayant négligé de le nourrir, ils l’avoient rendu inactif, en lui refusant les moyens d’ôpérer.

Un esprit vuide ne sera jamais inventeur. Homère avoit toute la science de son temps ; & l’on peut considérer ses poëmes comme l’Encyclopédie d’un peuple nouvellement sorti de la barbarie. Michel-Ange, Raphaël connoissoient tout ce que pouvoient leur avoir appris leurs prédécesseurs, c’est-à-dire, tous les ouvrages des artistes qui avoient travaillé depuis la renaissance des arts, & toutes les antiques alors découvertes.

Plus l’esprit s’enrichira des trésors des anciens & des modernes, plus il acquerra d’étendue, &, à dispositions égales, celui dont les soins auront rassemblé le plus de richesses, sera celui qui montrera le plus d’invention. Je dis à dispositions égales, car tel esprit est trop foible pour employer ses richesses ; il en est accablé : tel autre, manquant de netteté, ne peut ni les mettre en ordre, ni même les connoître.

Quand on recommande d’étudier les ouvrages de ceux qui nous ont précédés, cela ne veut pas dire qu’il faille copier leur manière de colorer, de composer, de dessiner, de penser. Il faut se rendre les émules, & non les esclaves de ceux qu’on se propose pour modèles ; il faut sur-tout joindre constamment l’étude de la nature à celle des grands maîtres.

Mais, sans les maîtres, l’étude de la nature réduiroit l’artiste au même point où se trouva le premier inventeur de l’art, & ses progrès ne surpasseroient pas ceux de ce premier inventeur. Dans un siècle qui a suivi tant de siècles où les arts ont été cultivés, il faut s’éclairer par l’expérience de tous les siècles passés. C’est cette expérience qui nous apprend à voir la nature ; elle se découvre à tous les yeux ; mais il faut que les yeux apprennent à la lire. Elle nous offre le spectacle des plus belles formes ; mais ce sont les maîtres qui nous enseigneront à les discerner.

En considérant les ouvrages des maitres, il faut, dit M. Reynolds, que nous suivons dans cet article, chercher les principes qui les leur ont fait produire. Ils sont écrits sur la toile ; mais ce n’est pas une observation superficielle qui nous les fera lire. L’art est caché ; c’est aux recherches de l’observateur à le découvrir.

Il est certain que l’art s’apprend mieux par l’inspection des ouvrages, qu’en lisant ou en écoutant les principes qui en ont été déduits. Ces principes ne font qu’avertir, c’est au discernement à reconnoître, dans ces ouvrages, ce qui est excellent, ce qui est ordinaire, & ce qui est défectueux. (Article extrait de M. REYNOLDS.

MANIEMENT, (subst. masc.) Maniement du crayon, du pinceau. On dit aussi quelquefois qu’un peintre sait bien manier ses couleurs, que les couleurs sont bien maniées dans un tableau ; expression figurée, puisqu’on ne manie point en effet les couleurs, mais le pinceau qui en est chargé. On dit encore qu’un peintre a bien manié son sujet, pour faire entendre qu’il s’en est rendu maître, comme d’une substance molle ou flexible qu’on manie à son gré.

La peinture proprement dite, & indépendamment des parties qui appartiennent à l’art, étant un métier qui consiste à employer les couleurs à l’aide du pinceau, un bon maniement de pinceau est essentiel à ce métier. Un peintre qui fait des ouvrages estimables à d’autres égards, mais qui n’a qu’un mauvais maniement de pinceau, est un artiste habile, mais qui ne possède pas le métier de son art.

Il est douteux que les Grecs eussent, dans le temps d’Apelles, ce que nous appellons un beau maniement de pinceau, lorsque ce peintre célèbre disputoit avec Protogènes à qui traceroit les lignes les plus fines, lorsque ce dernier employoit plusieurs années à peindre un tableau d’une seule figure : mais cela ne signifie pas qu’ils ne fussent de très-grands artistes, & qu’ils ne possédassent des qualités bien supérieures à cette adresse de la main. Les modernes ne remporteroient donc qu’une bien foible victoire sur les anciens, quand ils parviendroient même à démontrer que ceux-ci nes égaloient pas dans une partie toute manuelle. On sait même que depuis la renaissance des arts, les grands maîtres des écoles Romaine & Florentine n’ont pas excellé dans cette partie, & qu’elle n’a été portée à sa plus haute perfection que par des écoles inférieures. On peut encore observer que l’art a dégénéré, quand cette partie du métier est devenue plus séduisante. Mais cela ne signifie pas qu’il soit permis de la négliger, sur-tout dans les ouvrages qui doivent être exposés près de l’œil du spectateur. A présent que le métier est devenu familier, on ne pardonne pas à l’artiste de le posséder foiblement. Il est nécessaire au plaisir des yeux, 4£@ M A N & c’est en plaisant d’abord aux yeux, que l’art exerce ensuite son empire sur l’ame.

Mais l’artiste en possédant bien son métier, ne doit l’estimer que ce qu’il vaut, & ne le regarder que comme le moyen, & non comme le but de son art. Le peintre qui sait seulement bien manier le pinceau, & disposer des couleurs, possède un talent qui peut le faire marcher l’égal d’un fabricant d’étoffes : chacun d’eux emploie des moyens differens ; mais ils ont tous deux le même objet, celui de flatter la vue. (article de M. Levesque.)).

MANIÈRE, (subst. fém.). Ce mot se prend en deux sens : lorsqu’on dit qu’un artiste a de la manière, on entend qu’il s’est fait une pratique qui ne tient qu’aux habitudes qu’il a contractées & qui s’éloigne de la nature. Quand on dit, la manière d’un maître, on entend le caractère particulier, qui, défectueux ou louable, le distingue de tout autre artiste, comme les traits d’un homme le distinguent d’un autre homme.

Voici comment s’exprime Mengs, en parlant de la manière prise dans le premier sens. « Elle est, dit-il, une espèce de fiction ou d’imposture ; il y en a de deux sortes : l’une qui consiste à omettre plusieurs parties, & l’autre à rendre les parties d’une manière nouvelle & contraire à la nature. On trouve des exemples de l’une & de l’autre, savoir, des artistes qui, en cherchant le grand goût, ont omis tant de parties, qu’ils ont dénaturé l’essentiel de la chose même ; & d’autres qui, en voulant corriger & embellir les objets, ont fait les grandes parties beaucoup plus grandes, & les petites beaucoup plus petites : de sorte qu’ils ont passé les bornes de la nature, tant dans les formes que dans les jours & les ombres, & les autres parties de l’art. »

Ces dernières paroles indiquent assez que la manière ne consiste pas seulement dans le dessin, mais qu’elle peut se trouver, & quelle se trouve toujours plus ou moins dans la couleur, dans l’effet, dans le maniement de pinceau. Quand elle annonce seulement le caractère de l’artiste, sans s’éloigner de la vérité, elle est une dépendance nécessaire de l’art ; car chaque artiste a nécessairement sa manière de dessiner, de colorer, de peindre, comme chaque individu qui écrit a son caractère particulier d’écriture. Quand elle est fondee seulement sur l’habitude, sur l’affectation, sur l’abandon de la nature, elle est toujours condamnable, quand elle auroit même quelque chose d’agréable ou d’imposant qui lui attireroit des admirateurs.

Dans quelque sens que l’on prenne le mot


manière, celle d’un maître n’est jamais ce qu’on doit imiter de lui : c’est comme si nous voulions imiter l’attitude, le geste, la démarche d’un autre homme ; toutes qualités qui tiennent à sa conformation, & ne conviendroient pas à la nôtre.

Comme la manière d’un maître, dit M. Reynolds, que nous suivrons dans ie reste de cet article, comme, dis-je, la manière d’un maître est une particularité qui le singularise & le distingue d’un autre, qu’elle est une des parties les plus remarquables de ses ouvrages, celle qui frappe d’abord les yeux, il est facile au jeune artiste de s’y tromper, & de croire imiter ce qui fait la gloire de ce maître, lorsqu’il n’imite que le caractère individuel qui lui étoit propre, & qui ne devoit être propre qu’à lui. Cette imitation est d’autant plus déplacée, qu’on peut dire que la plus belle manière est cependant un défaut, puisque le but de l’art est la parfaite représentation de la nature, & qua c’est la nature qu’on doit retrouver dans les ouvrages de l’art, & non la pratique particulière de celui qui l’exerce. Ce défaut sera toujours plus ou moins attaché aux représentations de la nature, parce que faites par des hommes, elles recevront toujours quelque chose de ce qui leur est personnel : mais l’artiste qui cherche à imiter la manière d’un autre, y joint encore nécessairement quelque chose d’une manière qui lui est propre à lui-même, & son ouvrage qui devroit être une imitation aussi voisine de la nature qu’il est possible, se trouvera doublement manièré.

La manière d’un grand artiste, toujours défectueuse en ce qu’elle n’est pas la nature, a cependant sa beauté. Elle peut être grande, fine, hardie, mœlleuse, soignée, &c. Les admirateurs, de ce maître oublient qu’elle est un défaut, & cherchent à l’imiter, au lieu des vraies beautés qui méritent seules de leur servir de modèles. Ils oublient qu’elle est belle dans celui à qui elle est personnelle, à qui elle a été donnée par la nature ; dans celui qui n’a pu se dispenser de l’avoir, parce qu’elle tient à son organisation ; mais qu’elle perd son mérite dans le servile imitateur, qui auroit dû avoir sa manière propre, s’il avoit eu le mérite d’être quelque chose. La manière des grands maîtres est estimée, non par elle-même, mais à la faveur des beautés qui l’accompagnent.

Ce qui entraînera l’artiste dans une manière empruntée, ce sera sa ténacité à n’étudier qu’un seul maître. Il en prendra certainement la manière, & n’en prendra sur-tout que la manière. Il lui restera inférieur, parce que l’artiste qu’il a choisi pour guide, a étudié différens maîtres & la nature, & que lui-même se borne à n’étudier qu’un maître. Un homme peut mériter sans doute qu’on l’étudie ; mais aucun n’a pu M A N

s’élèver assez au-dessus des autres, pour mériter d’être étudié seul.

Raphaël étudia d’abord le Pérugin son maître, & se borna tellement à l’étudier, qu’il étoit difficile de distinguer les ouvrages de l’un d’avec ceux de l’autre : mais portant ensuite plus loin ses regards, il imita les grands contours de Michel-Ange, la couleur de Léonard de Vinci & de Fra Bartolomeo, il étudia celles des antiques qu’il put voir par lui- même, & envoya des dessinateurs en Grèce pour lui apporter au moins des dessins de celles qu’il ne pouvoit étudier. C’est en réunissant tant de modèles, qu’il devint lui-même un grand modèle pour ses successeurs : il ne prit pas une manière empruntée, &, toujours imitateur, il resta toujours original. (article de M. Levesque.)).

MANIERE-NOIRE . Sorte de gravure sur cuivre. VOYEZ l’articleGRAVURE : Nous en décrirons lès DANS Procédés le Dictionnaire de pratique.

MANIÈRÉ, (adj.). On dit dans la langue & l’usage général qu’un homme est manièré : on dit que le style d’un auteur est manièré, qu’un morceau de musique, une statue, une façade de bâtiment sont manièrés. Toutes ces expressions tendent à désigner que les objets dont on parle, ont de l’affectation, de la recherche dans le caractère & dans les formes. On peut donc dire que le manièré est une mauvaise imitation de la simplicité, du naturel, de la noblesse ou des graces.

Le malheur des arts & des mœurs est que plus les sociétés humaines semblent connoître le prix de certaines perfections, plus elles les vantent sur-tout, & plus elles substituent souvent à leur place l’affectation qui forme le manièré. Il sembleroit que la véritable perfection consisteroit, dans les arts & dans la morale, à être parfait, sans, pour ainsi dire, le savoir, comme la perfection de la beauté & de la grace dans les femmes, est de posséder ces avantages sans s’en douter. La jeunesse est l’âge qui adopte plus facilement le manièré ; mais les graces qui lui sont naturelles, le rendent pour l’ordinaire moins choquant. D’ailleurs on lui pardonne volontiers des erreurs. Les artistes qui se livrent à la société, sont souvent entraînés, comme les jeunes gens dont je viens de parler, au manièré, & l’exercice des arts d’imagination prolonge, pour ainsi dire, dans plusieurs de ceux qui les cultivent, la jeunesse de l’esprit. Aussi est-il assez ordinaire de voir des artistes long-temps jeunes, soit par quelques-unes des erreurs propres à cet âge, soit aussi par les agrémens dont il est doué.

Il est un manièré dans l’art de peinture, qui provient du méchanisme de l’art. On pourroit l’appeller manièré d’habitude & le premier dont j’ai parlé, manièré de caractère. C’est ce que l’on entend aussi par le mot manièré, lorsqu’en langage de peinture, on ne donne pas de sens défavorable à ce mot.

L’imperfection attachée à notre nature, est cause que, pour acquérir la facilité nécessaire à l’exercice des talens, nous sommes obligés de répéter une infinité de fois les mêmes opérations, les mêmes mouvemens, les mêmes procédés, & de plier, par une longue habitude, nos organes à l’emploi que nous voulons leur donner. Cet exercice renouvellé produit effectivement la facilité d’opérer, mais les organes contractent des habitudes ; je dirois volontiers des tics. Ils s’accoutument à une sorte de routine, défavorable à la perfection, car la perfection de l’imitation doit approcher de celle de la nature qui est, inépuisable en variétés.

Cette habitude, dont je viens de parler, ne se borne pas à asservir les organes ; car l’esprit même, qui est à la fois actif & paresseux, s’habitue aussi, quant aux opérations qui le concernent, à repasser, par les routes qu’il s’est frayées ; de manière que l’artiste se laisse insensiblement dominor par une double routine, celle des organes & celle des idées. Son dessin alors, ses contours, sa touche, sa couleur, son choix d’harmonie ; d’une autre part, sa composition, ses airs de tête, ses expressions, ses dispositions de figures, de grouppes, de draperies, de plis, tout enfin se ressent de cet ascendant de l’habitude.

Arrêtons-nous encore un moment à ces détails pour les rendre plus intelligibles à ceux qui ne les connoissent pas. Nous passerons ensuite à ce qu’on peut adresser à ce sujet à ceux qui, exerçant les arts, entendent, comme on dit, à demi-mot.

Le peintre, obligé de plier sa main à l’usage prompt & facile de la brosse ou du pinceau, pour appliquer & pour mêler les couleurs, ou pour ajouter la touche qui donne l’ame, la vie, le mouvement aux objets qu’il représente, acquiert une manière de parvenir à ces opérations qu’il recommence sans cesse, & cette manière dans laquelle il se renferme sans s’en appercevoir, à laquelle il se borne enfin, devient tellement sensible, tellement reconnoissable, que, sans avoir approfondi l’art, & sans beaucoup de raisonnemens, un marchand, un homme du monde qui voit beaucoup de tableaux, distinguent les ouvrages des différens maîtres. L’habitude contractée par le peintre, devient donc une manière ou une convention qu’il s’est imposée & qui donne, en quelque sorte, le signalement de ses ouvrages. Il devient reconnoissable par des objets répétés, comme l’Écrivain par certaines formes de lettres & un auteur par certains tours &

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certaines expressions favorites. Voilà ce qu’on entend, dans le langage de l’art, par les mots manièré & manière.

I1 vous est plus aisé, jeunes artistes, qu’à d’autres, d’être convaincus que la nature est infinie dans ses modifications & que nous sommes bornés dans notre industrie & dans notre intelligence. De plus, nous recevons tous en naissant des penchans. Si les vôtres vous portent à l’affectation, & qu’on vous reproche d’être manièrés dans votre talent, de grace, considérez le ridicule de ceux qui le sont dans leurs discours, dans leurs écrits & dans leur maintien. Observez par comparaison les beautés simples des ouvrages qu’on regarde comme parfaits, la simplicité des discours des hommes véritablement éloquens, le naturel de ceux qui agissent, parlent, marchent, se tiennent, sans que l’art ou l’artifice influent sur leur ame, sur leur esprit, ou sur leur manière d’être : & il sera bien difficile que vous ne fassiez pas les plus grands efforts pour vous rapprocher au moins de ceux-ci par imitation & pour ne plus ressembler aux autres.

Quant à la manière, dans le sens le plus établi de ce mot, il est impossible, si vous peignez beaucoup, que vous n’en contractiez pas une ; mais la meilleure est celle qui caractérise les grands maîtres de l’art, & dans laquelle certaines perfections dominent tellement, que c’est à cette marque qu’on les reconnoît plus sûrement. Les belles têtes de Raphaël, ses admirables dispositions, cette correction élégante, cette force & ce vrai dans la couleur du Titien, cette abondance du Véronèse, ces grâces du Correge & du Guide, voilà des manières auxquelles on sera satisfait de vous reconnoître & qu’on ne peut prendre en mauvaise part ; mais l’afféterie, le coloris gris, jaunâtre, rouge ou noir, les uniformités de têtes, de grouppes, l’habitude de certains contrastes & des repoussoirs ; voilà des manières trop communes pour qu’il soit glorieux de les avoir acquises. Elles servent plus aisément que les premières dont j’ai parlé, aux brocanteurs qui tirent bien plus facilement parti à cet égard des défauts que des beautés ; aussi, lorsqu’ils dévoilent le secret de leurs connoissances, le plus souvent c’est en démontrant vos imperfections. (Article de M.Watelet.)).

MANŒUVRE, (subst. fém.) elle renferme la manière de faire les teintes, celle d’empâter les couleurs, le maniement du pinceau, & le style de la touche. Ces détails constituent l’essentiel du métier de la peinture, mais les qualités qui constituent l’essentiel de l’art, sont toutes spirituelles. La belle manœuvre de pinceau consiste à peindre à pleine couleur, portant toujours teinte sur teinte, noyant les tournans dans les fonds, & conduisant le pinceau du sens de l’objet qu’on veut rendre.

On a vu des artistes chercher à se distinguer par une manœuvre bisarre : Tel fut Ketel, dont nous avons parlé à l’article main. Tel fut aussi Gelder, élève de Rembrandt. Tantôt il plaçoit la couleur sur la toile avec le pouce, tantôt avec le couteau de palette ; d’autre fois, il se servoit de l’ente de son pinceau, & faisoit, avec cet instrument, des effets singuliers. On voit de lui des franges & des broderies qui sont presque de reliefs. Avec beaucoup d’intelligence, on peut réussir par des moyens bizarres ; mais c’est la singularité du talent, & non celle des procédés qui distingue vraiment le grand artiste.

MAQUETTE, (subst. fém.). C’EST en sculpture non léger Modèle ou rien n’est arrêté, et n’offre Qui that the première pensée de l’artiste. Quelquefois Elle Est Faite en cire, MAIS, plus ordinairement en terre. Les maquettes are, verser les sculpteurs, that are, verser les peintres, des esquisses heurtées.

MARCHE, (subst. fém.). On dit la marche du crayòn, du pinceau. La marche du pinceau doit suivre le mouvement des muscles dans le dessin du nud, & le sens des plis dans la peinture des draperies. Une marche savante caractérise le pinceau des grands maîtres. Cependant quelques peintres habiles n’ont tendu qu’à l’effet, sans donner à leur pinceau une marche décidée : quelquefois une marche artistement indécise, contribue à produire le ragoût ; mais il est toujours plus sûr de suivre une marche qui n’est conforme aux règles de l’art, que parce qu’elle est indiquée par la nature. Une marche libertine peut plaire, une marche savamment réglée instruit.

MARINE, (subst. fém.). Ce mot se dit du spectacle de la mer, comme paysage se dit du spectacle la campagne. La vue de la mer, de ses calmes, de ses bourasques, de ses tempêtes, des dangers & des naufrages dont elle est le théâtre, offre des objets d’étude assez variés, assez vastes pour occuper un artiste tout entier, sans lui permettre de partager son temps à d’autres genres. Les peintres qui se livrent à cette partie, se nomment peintres de marines. L’Italie, la Hollande ont produit en ce genre d’habiles artistes, à qui, de nos jours, un François a disputé la palme. Nous ferions suspects si nous voulions apprécier ici le mérite d’un de nos concitoyens que nous avons le bonheur de posséder encore : il suffira de dire que ses tableaux sont recherchés même par les Italiens, qu’on ne soupçonnera pas d’accorder M A R trop légèrement, à des étrangers, les prix du talent pittoresque.

MARINE . Ce mot signifie aussi la science & la pratique de la navigation ; on dit : « il sert dans la marine ; il connoît bien la marine ; la marine a fait de grands progrès depuis le renouvellement des sciences. » C’est en prenant ce mot dans cette acception, que nous allons, en faveur des artistes, traiter de la marine des anciens. Il n’est pas rare qu’ils choisissent, ou qu’on leur propose des sujets qui les obligent d’en avoir quelque connoissance.

Rien ne seroit plus vain que de rechercher l’origine de la navigation : elle a été inventée par tous les peuples qui habitent les bords de la mer. Des Sauvages voyent flotter des arbres ; ils lie hasardent d’en creuser quelques-uns pour se faire des nacelles, ou d’en rassembler plusieurs pour se faire des radeaux. C’est donc l’une de ces deux sortes d’embarcations que doit représenter le peintre, si le sujet qu’il traite est pris chez un peuple qui en soit encore au plus foible dégré de l’industrie.

Les Grecs ont nommé monoxyles, les canots creusés dans un arbre ; ce mot, dans leur langue, signifie un seul bois. Les Romains les appelloient trabariae, parce qu’ils étoient faits d’une seule poutre, trabes. Pline dit que les Germains avoient de ces canots qui portoient trente hommes ; ce qui supposoit qu’alors la Germanie avoit des arbres d’une grosseur prodigieuse ; Isidore parle de Monoxyles qui portoient dix hommes, ce qui n’excède pas la vraisemblance : j’en ai vu qui en portoient deux, & qui étoient taillés dans des arbres ordinaires.

Chaque peuple s’est fait des canots avec les substances que le pays lui procuroit le plus familièrement. Les Bretons en construisoient avec des branches flexibles, qu’ils couvroient de cuirs : d’autres ont fait le même usage de l’osier ; & d’autres encore de carcasses de poissons cétacés. Les Egyptiens avoient des necelles de papyrus, & même de terre cuite. Juvénal parle de ces dernières :


Parvula fictilibus solitum dare vela phaselis, Et brevibus pictâ remis incumbere testâ.


Il est étonnant qu’on osât se fier à la voile sur des nacelles si fragiles, & qu’en les peignant, on ajoutât le luxe à tant de simplicité.

Le radeau n’est qu’un assemblage de poutres grossières : il se nommoit en grec schedia, & ce mot exprime le peu de temps qu’exige sa construction. Homère représente Ulysse construisant un radeau pour sortir de l’isle où Circé l’avoit retenu. Le Héros, lie ensemble de grosses poutres, les recouvre de planches, y ajoute


un bordage d’osier, & y adapte un mât. Sur cette frêle machine, il va braver le gouffre de Carybde & la voracité de Sylla.

Dans les temps héroïques, quand les Grecs entreprirent l’expédition de la Colchide, quand Agamemnon conduisit devant Troie mille vaisseaux, on avoit déjà surpassé la sauvage industrie dont nous venons de parler ; mais l’art de la marine étoit encore dans l’enfance.

Elle fut d’abord exercée dans la Grèce par les brigands qui habitoient des isles ou des côtes maritimes, & s’embarquoient probablement sur de foibles nacelles, pour piller les côtes & les isles voisines. Du temps de Thucydide, Minos passoit pour le plus ancien souverain qui eût possédé une marine : il nettoya de pirates la mer de Grèce, pour s’assurer à lui-même les revenus qu’ils tiroient de leurs expéditions. Il se rendit maître de toute cette mer, soumit les isles Cyclades, en chassa les Cariens, y envoya le premier des colonies, & en confia le gouvernement à ses fils.

L’expédition des Argonautes, que l’on rapporte à l’an 1292 avant notre ère, est devenue éternellement célèbre, parce qu’elle fut regardée comme une entreprise de long cours, non moins étonnante alors que le furent depuis la navigation de Christophe Colomb, ou le premier voyage autour du monde. Le nom même d’Argos, l’artiste alors prodigieux qui construisit le vaisseau que montérent les Argonautes, a été préservé de l’oubli. Ce bâtiment, ou plutôt cette barque, avoit cinquante rames, & les héros qui la montoient, en étoient eux-mêmes les rameurs.

Le plus ancien poëme qu’ait inspiré cette expédition, porte le nom d’Orphée. Il avoit été appellé par les Argonautes pour exercer au milieu d’eux les fonctions sacerdotales, comme le devin Calchas monta sur les vaissaux des Grecs dans leur expédition de Phrygie. Assurément le Chantre de la Thrace n’est point l’auteur du poëme des Argonautes : mais ce poëme est au moins d’une antiquité respectable. S’il est l’ouvrage d’Onomacrite, qui, suivant Clément d’Alexandrie, composa les poësies attribuées à Orphée ; il remonte à la domination de Pisistrate, & c’est par conséquent le plus ancien poëme grec qui nous reste après ceux d’Homère & d’Hésiode. Ce qui est certain, c’est que les mœurs antiques y sont peintes avec une simplicité que l’on recherche en vain, quand on vit loin du temps où régnoient ces mœurs. On reconnoît qu’Homère étoit voisin du siècle de ses héros, & que Virgile & Fénélon ne l’étoient pas.

Le faux Orphée nous représente les Argonautes frappés d’une admiration semblable à la stupeur, à l’aspect du bâtiment construit par Argos : mais quand il nous décrit ensuite la 4P4

M A R manière dont ce prodigieux navire fut traîné du rivage à la mer, on reconnoît que ce n’étoit en effet qu’une barque à-peu-près telle que celles de nos pêcheurs. Sans doute, il n’eût pu mettre dans son récit tant de vérité, si, de son temps, la navigation eût été bien plus parfaite que dans celui des Argonautes.

« Argos, dit-il, à l’aide de leviers & de cordages, entreprit de mettre en mouvement le navire, en l’élevant du côté de la pouppe. Il appella tous les guerriers, & les engagea par des paroles flatteuses, à partager le travail. Aussi-tôt ils se préparèrent à lui obéir ; ils se dépouillèrent de leurs armes, ceignirent un cable sur leur poitrine, & chacun employa toute la force de son poids. »

Quand le vaisseau fut en mer, Argos & Tiphys levèrent le mât, préparèrent les voiles, & attachèrent le gouvernail du côté de la pouppe, en le serrant avec des courroies.

Apollonius de Rhodes vivoit plus tard que le premier chantre des Argonautes ; aussi, donne-t-il déjà l’idée d’une manœuvre un peu plus industrieuse pour mettre le vaisseau à flot : il suppose que les compagnons de Jason creusèrent un fossé qui alloit jusqu’à la mer par un plan incliné, ce qui devoit faciliter la descente du navire. Par la différence de ces deux écrits, on voit les progrès qui s’étoient faits depuis le temps du premier poëte jusqu’à celui du second : cet intervalle a dû être à-peu-près de trois siècles.

Quand on a vu, dans nos ports, lancer même un de nos moindres bâtimens, on sourit à la peinture de ce prodigieux navire des Argonautes qu’on tiroit à la mer avec des cordes, & l’on conçoit qu’il ne valoit pas même un de nos paquebots. C’est ce que confirme encore la manœuvre d’Argos & de Tiphys qui lèvent le mât, & qui attachent le gouvernail avec des courroies. Il faut savoir que le mât se levoit quand on mettoit en mer, & se baissoit quand on étoit au port ; alors il se logeoit dans une rainure, ou dans une sorte de caisse, qu’Homère appelle istodochos, le receveur du mât. Quant au gouvernail, ce n’étoit qu’un aviron plus large que les rames ; on lui voit encore cette forme sur des vaisseaux de la colonne Trajanne, élevée dans le second siècle de notre ère. A quelques-uns de ces vaisseaux, il est contenu par une courroie, comme il l’étoit au vaisseau des Argonautes ; à d’autres, il n’est retenu que par les mains du pilote, ce qu’on peut regarder comme une inexactitude de l’artiste : dans tous, il est placé à la partie latérale de la pouppe, au lieu d’être à l’arrière du vaisseau, ou plutôt il y avoit deux gouvernails, un à chaque bord.

Il est inutile au sujet que nous traitons de fixer avec précision le temps où vivoit Hésiode. Les uns le font contemporain d’Homère, d’autres


veulent qu’il l’ait précédé ; d’autres le font naître un siècle plus tard ; comme la navigation paroît être restée fort long-temps dans le même état, ces époques nous sont indifférentes ; il suffit qu’Hésiode soit un très-ancien poëte. Ecoutons les conseils qu’il donne à Persès son frère, dans le poëme des œuvres & des jours. Il lui recommande fortement de ne pas s’embarquer pendant l’hiver, mais de tirer alors son navire à terre, & de le bien affermir de tous les côtés avec des pierres assez fortes pour résister à l’impétuosité des vents. « Déposez, ajoute-t-il, en votre logis, tous les ustensi es de la navigation ; pliez & arrangez les voiles, & pendez le gouvernail au-dessus de la fumée. »

On retiroit donc le vaisseau à terre, on l’assuroit avec des pierres qu Homère appelle Hermata (des soutiens, des appuis). On exposoit le gouvernail à la fumée du foyer, pour le tenir séchement. Quand la belle saison permettoit de s’embarquer, on dérangeoit les piertes, & on tiroit le bâtiment à la mer, comme le firent les Argonautes. Cette pratique est restée la même pendant un grand nombre de siècles. Les Athéniens avoient au pyrée des loges dans lesquelles ils retiroient leurs vaisseaux.

Ceux des temps les plus anciens, n’avoient point de ponts. Le faux Orphée nous représente les Argonautes descendant au fond du navire, & prenant les rames.

La navigation devoit être devenue plus familière au temps du siège de Troies. Achille prit douze villes par mer ; Ulysse commanda neuf fois des flottes ; celle des Grecs confédérés étoit de mille vaisseaux ; mais ces vaisseaux étoient construits comme celui des Argonautes ; ils étoient de même sans ponts : ils ne contenoient de même que cinquante hommes. Thucydide observe que quelques-uns en portoient cent vingt.

Le même Historien nous apprend qu’après la guerre de Troie, les Corinthiens imaginèrent les premiers des vaisseaux semblables à-peu-près à ceux qu’on voyoit de son temps : il ne s’explique pas davantage. On peut croire qu’il s’agit de vaisseaux pontés, & même à plusieurs rangs de ponts & de rames. Ils furent propres à contenir un plus grand nombre d’hommes. Jusqu’à cette époque, on s’en étoit tenu assez fidèlement aux vaisseaux à cinquante rames. On peut remarquer que les plus anciens vaisseaux étoient longs. Quand on eut imaginé de faire des vaisseaux ronds, ils furent consacrés au commerce, parce qu’ils portoient plus de marchandises ; les autres, qui marchoient mieux, continuèrent de servir à la guerre.

Les Phocéens sonr les premiers des Grecs qui aient entrepris de longues courses ; &, par la raison que nous venons de dire, ils se servoient de vaisseaux longs & à cinquante rames : Les Romains n’eurent point de vaisseaux avant la première guerre punique : mais quand ils eurent choisi pour ennemis les Carthaginois qui étoient les maîtres de la mer, ils furent obligés de créer une flotte, & de se former à la navigation.

Ils ne connoissoient point la mer ; mais pendant qu’on leur construisoit des vaisseaux, ils furent exercés à terre par les Consuls aux manœuvres maritimes. Des bancs furent rangés sur la terre dans le même ordre que les bancs des vaisseaux : on y fit asseoir les hommes destinés à l’emploi de rameurs ; &, à la voix de leurs Commandans, ils faisoient jouer les rames, comme s’ils eussent été en pleine mer. Quand la flotte fut prête, il ne fallut que quelques jours pour achever de les former.

Passons à la construction extérieure des vaisseaux anciens ; c’est la seule partie qui intéresse spécialement les artistes.

Ils avoient, comme ceux d’aujourd’hui, une quille, c’est-à-dire, une pièce de charpente qui régnoit dans toute leur longueur, & des côtes qui en formoient la carcasse ; mais la quille étoit plongée dans l’eau, & la carcasse revêtue de planches ; ainsi ces deux parties sont étrangères aux artistes.

Les vaisseaux que nous représentent les bas-reliefs antiques, décrivent en général une ligne droite, & ne s’élèvent en s’arrondissant qu’à la pouppe & à la proue.

La pouppe qui est la partie postérieure du vaisseau, est celle qui s’élève davantage. On y voit ordinairement un gaillard ou château où se tenoit le Commandant : son élévation est considérable, & devoit prendre beaucoup de vent : ce château porte quelquefois le nom de tente. Dans le roman grec de Chœreas & Callirhoë, on voit Statira sortir de la tente, & se montrer au Roi des Perses, son époux, qui étoit sur le rivage, & croyoit l’avoir perdue pour toujours. Dans le même roman, quand Chœréas, après de longues infortunes, ramène Callirhoë à Syracuse, la tente ou château est couvert d’une étoffe fabriquée à Babylone ; le rideau se lève, & le père de Callirhoë la voit couchée sur un lit d’or, & vêtue de pourpre tyrienne.

De la pouppe s’élevoit, en décrivant une portion d’arc, un ornement qu’on nommoit aplustre. On ne peut guère mieux le comparer, quant à sa forme & à son mouvement, qu’à la queue d’un écureuil ; il dépassoit le château, & étoit plus ou moins travaillé : souvent il se terminoit par une triple ou quadruple aigrette. Il paroît qu’on attachoit quelquefois une lanterne à son extrémité.

L’aplustre, comme nous venons de le dire, s’étendoit sur le vaisseau ; un autre ornement, nommé chénisque, qui prenoit sa naissance vers le haut de la pouppe, s’étendoit sur la mer : il représentoit le col & la tête d’une oie. Le chenisque étoit beaucoup moins grand que l’aplustre.

C’étoit ordinairement à la pouppe qu’étoit représentée la divinité protectrice du vaisseau. On appelloit cette représentation la tutèle.

La proue entière représentoit assez grossièrement une tête d’oiseau ; les yeux de cet animal étoient sculptés, & son bec, que les Latins appellent rostrum, étoit placé au niveau de l’eau. Ce bec ou rostre, fut d’abord imaginé pour garantir les vaisseaux contre les écueils : c’étoit une poutre armée d’airain ou de fer. On en fit dans la suite une des armes les plus terribles des combats maritimes. Les rostres alors cessèrent d’avoir la figure d’un bec : ce furent des lames fortes & très-aiguës, destinées à percer les vaisseaux ennemis. Quelquefois ils représentoient des faisceaux d’épées ; quelquefois aussi, comme la machine nommée bélier, ils ressembloient à une tête d’animal. Souvent un seul vaisseau avoit plusieurs rostres les uns au-dessus des autres ; cependant, il ne faut pas toujours prendre pour un rostre, une tête ou tel autre ornement de métal qui s’avance de la proue au-dessus de l’eau. Il avoit la fonction d’empêcher que les rostres ne s’engageassent pas dans le vaisseau ennemi, au point de ne pouvoir s’en retirer, ce qui entraînoit le naufrage des deux bâtimens.

On sent que la proue devoit être très-forte dans les vaisseaux de guerre, puisqu’elle étoit l’arme offensive la plus rédoutable ; aussi, quand on destinoit à la guerre un vaisseau d’abord construit pour le commerce, on le remettoit sur le chantier, pour en fortifier la proue de puissans madriers.

C’étoit communément à cette partie que l’on plaçoit en peinture ou en sculpture de bas ou de plein relief, une figure qui donnoit son nom au vaisseau. Dans les fragmens d’un bas-relief antique, qui représentoit un combat naval, on voit au-dessus de la proue la représentation d’un Centaure, grand comme nature, & l’on conjecture, avec beaucoup de vraisemblance, que ce bâtiment se nommoit le Centaure. Ces fragmens, déterrés à Rome, ont été achetés par le Duc d’Alcala, qui les a fait transporter à Séville. Don Emmanuël Marti, Doyen d’Alicante, en, a envoyé les dessins à Don Bernard de Montfaucon, qui les a placés dans son antiquité expliquée.

Il semble que les anciens aient recherché sur-tout à multiplier les rangs de rames dans les vaisseaux, & qu’ils aient cru que de ette multiplication résultoit une construction plus parfaite. On eut d’abord des vaisseaux à trois rangs de rames, & l’on parvint à multiplier ces rangs jusqu’à quinze & bien au delà, ce qui '49*

M A R n’est pas concevable. On a même bien de la peine à se faire une idée des vaisseaux à cinq, & même à trois rangs de rames placés les uns au-dessus des autres ; mais quoique cette idée puisse coûter à notre imagination, nous sommes obligés de l’admettre, puisque le fait est prouvé par des passages multipliés des anciens & par des bas-reliefs antiques. On voudroit en vain adopter l’interprétation d’un savant, qui, fondé sur un passage d’un scholiaste grec des siècles inférieurs, prétendoit que le premier rang étoit formé par les rameurs qui étoient à la pouppe ; le second, par ceux qui étoient au milieu du vaisseau, & le troisième, par ceux de la proue. Cette interprétation leveroit toute difficulté : mais peut-elle s’accorder avec le récit de Silius Italicus, 1. 14, v. 425, qui rapporte que le feu prit au haut d’un vaisseau, & que déjà les rameurs du premier rang avoient abandonné leurs rames, avant que ceux des derniers rangs fussent informés de l’incendie ? S’accorde-t-elle avec ce que nous apprennent les anciens, que les rameurs du dernier rang avoient de plus foibles gages, parce que, se servant de rames plus courtes, ils avoient moins de peine ? N’est-elle pas sur-tout renversée par la vue des bas-reliefs, qui nous montrent des vaisseaux à deux & trois rangs de rames distribués par étages ?

Il est vrai que s’il falloit supposer que les rameurs aient été placés perpendiculairement les uns au-dessus des autres, on ne comprendroit pas comment les vaisseaux pouvoient s’élever assez au-dessus de l’eau pour donner place à tant de rangs, & comment les rames des rangs supérieurs pouvoient être assez longues pour atteindre la mer : mais la colonne trajanne & quelques médailles, nous montrent que les rames n’étoient pas perpendiculairement les unes au-dessus des autres, & quelles étoient rangées en échiquier ; ce qui donne quelque facilité, non pas de concevoir bien précisément comment les rameurs étoient placés, mais de comprendre qu’ils pouvoient l’être. On peut imaginer qu’au-dessous de l’intervalle que laissoient entr’eux deux bancs des rameurs du premier rang, étoit placé un banc de rameurs du second rang, &c.

Le premier rang étoit assis sur le haut pont, & ses rames sortoient par des ouvertures menagées à des balustrades qui couronnoient le bordage du vaisseau. Les bancs du second rang étoient placés sur un pont inférieur, & les rames sortoient par des sabords. Il paroît, par le bas-relief du Duc d’Alcala, que, dans les batailles, les rameurs du premier pont se retiroient pour le laisser libre aux gens de guerre, & que le vaisseau n’étoit manœuvré que par les rameurs des rangs inférieurs.

On voit par le témoignage des anciens, qu’à quelques exceptions près, les vaisseaux qui passoient cinq ou six rangs de rames, manœuvroient fort mal, & contribuèrent plusieurs fois à la perte des batailles. On cessa depuis Auguste, de donner aux vaisseaux plus de trois rangs de rames ; & c’est pour cela que les bas-reliefs n’en offrent aucun qui en ait un plus grand nombre. Enfin, l’historien Zosime qui écrivoit dans le cinquième siècle, nous apprend qu’alors, depuis long-temps, on ne construisoit plus même de trirèmes ou galères à trois rangs.

Les vaisseaux des anciens n’avoient en général qu’un mât. En travers de ce mât, étoit attachée en forme de croix, l’antenne qui soutenoit la voile. La hune étoit peinte, & souvent ornée de dorure. On pourroit croire qu’elle avoit quelque ressemblance avec une tasse ; c’est du moins ce que fait conjecturer le mot Carchesium, qui signifie également hune & tasse.

On a fait des voiles de toutes sortes de matières, de peaux, de nattes, de lin : on en a fait de rondos, de quarrées, de triangulaires : mais celles des Romains & des Grecs étoient triangulaires & de lin. Dans les grands vaisseaux, on eut jusqu’à douze voiles : quelques-unes nommées sipara, n’avoient qu’un pied : elles servoient à recueillir les derniers souffles d’un vent qui s’affoiblissoit :


Summaque tendens Sipara, ventorum perituras colligit auras.


LUCAN.

Julius Pollux entend sans doute autre chose, quand il ne compte que trois voiles : la grande, dit-il, est au milieu du vaisseau, la moyenne à la poupe, & la plus petite à la proue. Pline s’exprime de même : « a Déjà, dit-il, les plus grandes voiles ont cessé de suffire aux vaisseaux : quoiqu’un arbre entier suffise à peine à la longueur des antennes ; on a cependant ajouté des voiles au-dessus des autres voiles ; & de plus on en a mis à la poupe & à la proue. » Jam verò nec vela majora satis esse cœperunt navigiis : sed quamvis amplitudini antennarum singulae arbores sufficiant, super cas tamen addi velorum alia vela, prœtereaque alia in proris, alia in puppibus. Ces voiles placées à la pouppe & à la proue n’indiquent-elles pas clairement trois mâts ? Quel auroit été l’usage des voiles de la pouppe & de la proue, s’il n’y avoit pas eu de mâts pour les tendre ?

Athénée nous apprend qu’il y avoit trois mâts au grand vaisseau d Hiéron, tyran de Syracuse, construit par Archimède. Il résulte des passages de Pline & de Pollux que ce vaisseau n’étoit pas le seul qui eût cet avantage. On comptoit même encore une quatrième voile, nommée artemo, MAI & placée à la proue. Elle étoit plutôt destinée, dit Isidore, à diriger qu’à hâter la course des vaisseaux. Cela semble avoir quelque rapport à la voile du beaupré.

On trouve dans le dialogue de Lucien intitulé le navire, un passage qui peut aider à établir les proportions que les anciens donnoient à leurs vaisseaux. Celui dont il parle, & qui apportoit du bled des ports de l’Egypte à celui du Pirée, étoit d’une grandeur extraordinaire ; sa longueur étoit de cent vingt coudées, sa largeur du quart de sa longueur, & il avoit vingt-neuf coudées de haut. Ce bâtiment étoit d’un seul mât. Un petit vieillard chauve, dit Lucien, à l’aide d’une foible barre, guide le gouvernail de cette énorme machine. Ces mots, quand on n’en auroit pats d’autres preuves, nous apprendroient ce que ses bas-reliefs de la colonne trajanne nous laissent ignorer, c’est-à-dire, que les anciens avoient des gouvernails à-peu-près semblables aux nôtres, fixés de même à l’arrière du bâtiment, & dans lesquels il entroit une barre ou timon qui servoit à les manier ; on nommoit ce timon clavus ; & l’extrémité que tenoit la main du pilote, se nommoit l’anse, ansa.

Lucien, dans le même dialogue, parle de vaisseaux qu’il appelle triarmena à trois voiles, & l’on doit entendre par cette expression, des vaisseaux à trois mâts, puisqu’on a vu que même un vaisseau à un seul mât avoit jusqu’à douze voiles.

Dans les premiers temps on ne connoissoit pas les ancres telles que les nôtres. Nous avons vu que, quand on abordoit, on tiroit le bâtiment sur le rivage. Quand il falloit l’arrêter quelque temps en mer, on se servoit de pierres retenues au vaisseau par un cordage. Les Grecs nommoient ces pierres eunê, qui signifie lit, parce qu’elles forçoient le vaisseau à demeurer tranquille comme dans un lit. Ce nom resta aux véritables ancres, quand elles furent inventées ; mais on les nomma plus communément ancura de leur forme courbe & crochue. Ce mot ne se trouve pas dans Homère, apparemment par ce que la chose elle-même n’existoit pas encore. Il se trouve dans le poëme des Argonautes du faux Orphée ; mais il faut croire que c’est un anachronisme échappé à l’auteur, & qui peut servir à dévoiler son imposture. Én effet, s’il eût été le compagnon des Argonautes, il n’auroit pu nommer & ce qui n’existoit pas de leur temps, & ce qui même probablement n’existoit pas encore du temps d’Homère.

Les arts contribuoient à l’embellissement des vaisseaux ; on les ornoit de peintures, de bas-reliefs, de statues. De célèbres peintres de la Grèce avoient commencé par être peintres de vaisseaux, comme chez nous le Puget a commencé par orner de sculptures les vaisseaux de Marseille.

Comme les navires des anciens étoient peu considérables, ils étoient aisément construits, & l’on en avoit un grand nombre. Les Grecs alliés conduisirent douze cents voiles contre la puissance de Priam. La flotte de Xerxès, à la bataille de Salamine, étoit de 1207 trirêmes, sans compter les bâtimens inférieurs ; & celle des Grecs, qui fut victorieuse, étoit de 378 vaisseaux sans compter aussi les petits bâtimens. Des états médiocres avoient en guerre plus de vaisseaux que n’en armeroit aujourd’hui la France & même l’Angleterre.

La construction étant imparfaite, les naufrages étoient fréquens. Un passage de Ménandre, conservé par Athénée, fait présumer que la perte approchoit beaucoup du tiers des bâtimens. « Sur trente vaisseaux, dit ce pœte comique & par conséquent satyrique, il n’y en a pas le tiers qui fasse naufrage ; sur autant d’hommes qui se marient, il n’y en a pas un qui se sauve. » Cependant on avoit toujours, comme du temps d’Hésiode, la précaution de ne mettre en mer que dans la belle saison. Il n’est pas vraisemblable que le roman grec qui porte le nom de Chariton, ait été écrit avant le cinquième siècle de notre ère, & l’auteur nous représente Chéréas, qui, transporté par l’Amour, a l’audace de s’embarquer avant le retour du printemps.

Dans les batailles, on élevoit des remparts autour des vaisseaux afin que les soldats pussent combattre comme des troupes assiégées que protègent les murs de leurs Villes ; & pour que les navires ressemblassent encore mieux à des forteresses, on y élèvoit aussi des tours à la pouppe, à la proue & même sur les côtés. Elles étoient connues dès le temps de Thucydide, plus de quatre cents ans avant notre ère : si elles eussent été solidement établies sur les bâtimens, elles auroient mis obstacle à la navigation : mais on embarquoit les pièces toutes préparées & parfaitement assorties ; il ne s agissoit plus que de les monter dans le besoin. Quelquefois on dressoit de ces forts au centre même du vaisseaux, comme on le voit sur le bas-relief du Duc d’Alcala ; il falloit alors baisser le mât ; mais cette manœuvre paroît été avoir ordinaire dans les batailles. De tous les vaisseaux que représente ce bas-relief, aucun n’est mâté, quoique tous ne soient pas chargés de tours. Apollonius nous apprend aussi que l’on baissoit le mât toutes les fois que l’on cessoit d’aller à voiles.

On combattoit sur mer avec des traits, des pierres, des faulx. On se servoit de grappins pour accrocher le vaisseau ennemi, on baissoit un pont qui unissoit les deux bâtimens, & l’on se battoit alors comme sur terre. On faisoit tomber sur le navire qu’on attaquoit des masses de

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MAS plomb capables de le briser ; on y lançoit, à l’aide des balistes, de grosses flèches ardentes, enveloppées d’étoupes souffrées. Une machine nomme asser faisoit le même effet que le bélier ; c’étoit une poutre attachée au mât comme la vergue, & qui étoit armée de fer aux deux extrémités. Quand les vaisseaux étoient accrochés, on faisoit jouer cette machine qui écrasoit les hommes & perçoit quelquefois le bâtiment.

Le dauphin, non moins redoutable, étoit une masse de métal à laquelle on donnoit la forme d’un dauphin. Elle étoit suspendue à la vergue, & on la faisoit tomber sur le navire ennemi par un mouvement semblable à celui d’une bascule.

Les anciens avoient des vaisseaux à voiles & sans rames ; on en voit un de cette espèce sur la colonne Théodosienne, qui a été copié dans l’antiquité expliquée de Montfaucon. Quoique nous ayions taché de décrire en détail la forme & la construction des bâtimens antiques, les artistes qui auront besoin d’en représenter dans leurs ouvrages, ne pourront se dispenser de jetter les yeux sur ceux qui leur sont offerts par la colonne trajane ; on les retrouve dans l’antiquité expliquée, & dans les costumes de Dandré-Bardon : mais ces morceaux ne les instruiront que sur la forme générale. Il s’en faut bien qu’on y reconnoisse la précision que les anciens cherchoient avec tant de soin dans la représentation de la figure humaine. On voit dans la colonne trajane des vaisseaux à deux rangs de rames qui peuvent à peine contenir trois hommes, & dont le château, destiné au commandant, ne recevroit pas même un enfant. On voit un vaisseau à trois rangs qui, par conséquent, indépendamment de la carêne, avoit trois ponts les uns au-dessus des autres, & qui n’a pas même la hauteur d’un homme. La barque de la colonne théodosienne est censée aller à voiles, quoique cependant on n’y voie pas de voiles, & l’artiste a oublié de donner à ce bâtiment un gouvernail. En un mot, toutes ces représentations de vaisseaux antiques doivent être plutôt regardées comme de légères indications, que comme de véritables imitations ; mais ces indications, quelque défectueuses qu’elles soient, doivent, faute de mieux, être consultées par les artistes. (Article de M. Levesque.)

MASSE, (subst. fém.). On appelle masse une partie qui a de la grandeur, de l’étendue ; ce mot ne s’emploie que relativement à l’effet du clair-obscur ; & comme le clair-obscur se compose des lumières, der demi-teintes, des ombres & des reflets, il peut y avoir des masses de ces différentes espèces. On dit donc tune belle masse d’ombre, une belle masse de lumière.

Quand on dit, ce dos, cette poitrine fait une belle masse, c’est par rapport au clair-obscur, & non par rapport à la forme, que l’on considère ces parties. En effet, comme elles ont de la largeur, elles peuvent, si elles sont éclairées, fournir de belles masses de lumière.

Comme on ne peut fixer l’attention du spectateur que par des effets larges, & que de petits effets multipliés partageroient la vue, on recommande aux artistes de traiter leurs sujets par grandes masses. Les masses sont au clair-obscur, ce que les grouppes sont à l’ordonnance des objets ; ou plutôt les masses ne sont autre chose que de véritables grouppes de clairs, de demi teintes, de bruns & de reflets. Des figures dispersées çà & là sur une toile, ne feroient point un tableau unique qui fixeroit le regard par son unité : ce seroient, sur une même toile, autant de tableaux qu’il y auroit de figures, & le spectateur ne seroit pas plus puissamment invité à porter son attention sur l’un de ces tableaux que sur l’autre. De même, si des lumières & des ombres semblables étoient répandues sans art sur une toile, elles ne formeroient pas un effet capable d’attirer les yeux par leur unité : mais le regard se porteroit indifféremment sur l’une ou l’autre de ces parties d’ombre ou de lumière, ou plutôt il négligeroit tout parce qu’il ne seroit invité par rien.

C’est donc la raison, source unique de tous les principes justes, qui a ordonné que dans un tableau, il y eût une masse principale d’ombre & de lumière, & qu’en général les ombres & les lumières fussent distribuées par masses.

Mais cela ne signifie pas que, dans un tableau, une seule masse de lumière doive être vivement tranchée par une seule masse d’ombre. Cet effet est piquant, précisément parce qu’il est rare, & il ne doit pas être plus prodigué dans l’art que dans la nature : sur-tout il ne doit pas devenir la manière constante d’un artiste. Il ne peut se trouver que dans un lieu resserré, éclairé d’un jour qui passe par une ouverture resserrée elle-même, ou recevant seulement la clarté d’une lumière artificielle. Ces effets singuliers ont été recherchés sur-tout par l’école hollandoise, & l’on peut dire qu’en cela, comme dans bien d’autres parties, elle a resserré les bornes de l’art. S’il se plaît à représenter les oppositions tranchantes qu’offre quelquefois la nature, il doit encore plus aimer à représenter la douce harmonie qui fait son principal caractère.

Les Vénitiens ont été les plus grands maîtres dans l’art d’épancher les lumières & les ombres par grandes masses, sans paroître cependant rechercher les oppositions violentes.

Le Poussin, ainsi que Raphaël, n’a pas affecté l’artifice des grandes ombres & des grands clairs.

« On voit dans ses tableaux, dit Félibien, les M É C objets tels qu’on les découvre ordinairement dans le grand air & en pleine campagne, où l’on ne voit point ces fortes parties de jours & d’obscurités. Aussi plusieurs, ajoute-il, no s’en servent que comme d’un secours pour suppléer à leur impuissance. Ils les affectent même souvent avec aussi peu de raison & de jugement que les contrastes d’actions extraordinaires, & les mouvemens mal entendus : cachant dans ces grandes ombres les défauts du dessin, & trompant les ignorans par des mouvemens forcés & ridicules qu’ils leur font regarder comme de merveilleux effets de l’art. »

Félibien reprend un excès, une affectation, une manière ; mais il reste toujours vrai que si, dans l’imitation de la nature, on n’observe point les masses avant de s’occuper des détails, on ne fera que des imitations fausses. C’est par des masses, & non par des détails, que la nature frappe d’abord le sens de la vue ; ce sont donc aussi ses masses qu’il faut sur-tout représenter, si l’on veut faire une copie qui lui ressemble ; ce sont ses masses qu’il faut saisir avant d’étudier ses détails, si l’on veut représenter ses effets, & ce n’est qu’en représenteres effets que l’on peut faire opérer à l’art les impressions qu’elle produit. (Article de Levesque.)

MÉCHANISME de l’art . Voyez l’article MANŒUVRE. Sans doute la partie intellectuelle de l’art conservera toujours le premier rang : mais l’artiste ne peut espérer aucun succès, qu’autant qu’il saura faire valoir, par un heureux méchanisme, les conceptions de sa pensée. Il doit parler à l’ame par le sens de la vue ; il faut donc qu’il occupe agréablement la vue, s’il veut que ses idées passent jusqu’à l’anme des spectateurs. La représentation de la nature visible est le moyen qu’il emploie pour parler à la pensée : il doit donc posséder tous les moyens méchaniques qui conduisent à une belle reprétentation de la nature visible. Il en est comme du poëte qui auroit vainement reçu de la nature le plus heureux génie, s’il ne connoissoit ni les règles du langage, ni l’élégance du style, ni les principes de la versification. La peinture, la statuaire, sont des sortes de poésie ; mais pour les exercer, il faut être d’abord statuaire ou peintre.

M. Reynolds exige de l’artiste une qualité qu’il appelle le génie de l’exécution méchanique. Il fait consister ce génie dans la faculté de rendre quelqu’objet que l’on se propose, comme formant un tout-ensemble, de sorte que l’effet général & l’expression de ce tout, puissant occuper entièrement l’esprit, & le détourner, pour un temps, de l’examen des beautés & des défauts particuliers & subordonnés.

Si l’artiste, dans la vue de former un tout, négligeoit tellement les détails, qu’il n’entrât dans aucune des particularités de ce tout, il manqueroit son but, parce qu’en effet il n’exprimeroit rien : mais une représentation minutieuse de tous les détails, de quelque manière qu’elle pût être exécutée, ne lui mérireroît jamais le titre d’homme de génie. On peut même dire que, par ce soin scrupuleux, chaque détail seroit pour lui, pendant un temps, un tour distinct & séparé dont il s’occuperoit entièrement, & dont il occuperoit le spectateur à son tour, sans le fixer par une unité d’intérêt ou de plaisir. En effet, si tout est également soigne, tout également précieux dans un ouvrage, tout appelle également à la-fois l’attention du spectateur, ou plutôt tour la distrait & rien ne l’appelle. C’est ainsi qu’un homme ne pourroit rien entendre, si vingt personnes lui parloient à-la fois.

Si j’embrasse d’un coup-d’œil une scène que m’offre la nature, il y aura vrille particularités que je ne remarquerai même pas, & qui ne feront encore sur moi qu’une impression trèsfoible, si, par un regard particulier, je veux y faire quelqu’attention. Mais il y aura dans cette même scène des choses caraéléristiques qui frapperont mes sens avec force & prendront l’empire sur mon imagination. Or, ce tableau, offert par la nature, est celui que l’art doit imiter : ces objets, qui frappent mes lins, sont ceux dont il doit s’occuper ; ceux que je ne remarque même pas, sont ceux qu’il doit laisser vagues & indéterminés. La nature, grandement observée, dicte donc elle - même les loix du méchanisme de l’art, & montre à l’artiste le plan qu’il doit suivre dans l’exécution.

On connoit de l’école de Venise des paysages, des marines, des vues, & même des tableaux d’histoire ou de la vie commune, qui étonnent le spectateur par un air de vérité quand il les regarde à une juste distance ; qui ne l’étonnent pas moins par l’absence des détails quand il les regarde de près ; ces tableaux sont des représentations fers justes de ceux que présente la nature, quand on l’embrasse d’ux coup-d’œil.

Ce ne seroit qu’un foible mal, si, dans l’ouvrage de l’art, les petits détails qui na contribuent pas au caractère général du tout, n’étoient qu’inutiles ; mais ils sont réellement nuisibles, parce qu’ils détruisent l’attention en l’empêchant de se fixer sur l’objet principal.

Observez que l’impression que laissent à notre esprit les choses mêmes qui nous sont les plus familières, n’est opérée que par leur effet général, & que c’est ce même effet général qui nous les fait reconnoître quand nous les

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yoo M É C revoyons. Nous ne connoissons même que ces traits caractéristiques des personnes avec qui nous vivons chaque jour.

se sont donc ces choses caractéristiques, cet effet général que la peinture doit exprimer, puisque c’est tout ce qui est conforme à notre manière de voir, tout cc qui a coutume de frapper nos sens. L’art doit se prêter à notre manière propre de considérer les choses. Le peintre ne traitera pas le paysage comme il seroit considéré par un botaniste, scrutateur des moindres objets du règne végétal : il en est de même des autres objets soumis à son art.

Il seroit difficile de déterminer quel degré d’attention il faut donner aux petits détails : il suffit d’avertir que c’est en exprimant l’effet général du tout ensemble qu’on parvient à donner aux objets leur vrai caraétère. Par-tout où se trouve cet effet, malgré les négligences qui peuvent d’ailleurs se remarquer dans l’o tvrage, on reconnoît la main d’un maître ; & on peut assurer que quand l’effet général est bien rendu, l’objet s offre à nous d’une manière bien plus frappante que lorsqu’il est exécuté avec la plus scrupuleuse exaélitude. La première manière est celle d’une vue grande & profonde qui embrasse la nature d’un coupd’œil ; l’autre est celle d’une vue courte & timide, qui ne voit rien que par petites parties.

Les propriétés de tous les objets, relativement à la peinture, sont le contour ou le dessin, le coloris & le clair-obscur. Le dessin sert à donner la forme aux objets ; le coloris exprime leurs qualités visibles, & le clairobscur leur solidité.

L’artiste ne peut jamais parvenir à la perfection dans aucune de ces parties, s’il n’a pas contracté l’habitude de voir les objets en grand, & de remarquer l’effet qu’ils produisent sur l’œil lorsqu’il est dilaté, & seulement occupé du tout-ensemble, sans en appercevoir distinctement chaque partie. C’est par cette habitude qu’on apprend également à bien connoître le caractère principal des choses, & à l’imiter par une méthode habile & exréditive. Il ne faut pas entendre, par cette merhode, un tour d’adresse, ou un méchanisme de routine, fondé sur la conjeéture & la pratique, mais une science profonde des moyens & des effets, qui toujours conduit, par la route la plus sûre & la plus courte, au but qu’on se propose.

Les plus grands artistes, offerts généralement pour modèles, n’ont pas da leur célébrité au fini précieux de leurs ouvrages, ni à l’attention scrupuleuse qu’ils ont portée aux détails ; mais à la vaste idée qu’ils ont conçue des objets, & à ce pouvoir de l’art qui lui donne son effet caractéristique pour une expression convenable.


Raphaël, par son dessin ; le Titien, par son coloris, tiennent le premier rang entre les peintres. Les productions les plus considérables & les plus estimées de Raphaël sont tes cartons, & ses peintures à fresque du Vatican, & l’on sait que ces ouvrages sont loin d’être minutieusement terminés. II parolt que cet artiste a principalement consacré ses soins à l’économie de l’ensemble, tant de ses compositions en général, que de chaque figure en particulier : car on peut regarder chaque figure comme formant, par elle-même, un tout plus petit, quoiqu’elle ne soit qu’une partie relativement à l’ouvrage auquel elle appartient ; & l’on en peut dire autant des têtes, des mains, des pieds, &c.

Mais quoiqu’à l’égard des formes, Raphaël possédât l’art de considérer & de concevoir l’ensemble, cet art n’étoit plus le même quand il s’agissoit de l’effet général qui est offert à l’œil par le moyen du coloris & du clair obscur. Il est en cette partie fort inférieur au Titien.

Ce grand maître est parvenu à rendre, par le moyen de quelques coups de pinceau, l’image & le caractère de tons les objets qu’il a voulu représenter, & à produire, par cela seul, une imitation plus parfaire que ne l’avoir jamais pu faire Jean Bellin, ou tout autre de ses prédecesseurs, en finissant avec exaétitude jusqu’au moindre cheveu. Sa grande attention a été d’exprimer la teinte générale des objets, de conserver les masses de clairs & de bruns, & de donner, par opposition, une idée de la solidit, qui est une qualité inhérente à la matièr. Lorsque ces choies sont observées, sans qu’il y ait rien de plus, l’ouvrage produit, à 1 emplacement qui lui convient, tout l’effet qu’il doit faire ; mais quand il y en a quelqu’une qui. manque, l’ensemble du tableau, quelque bien fini que puissent d’ailleurs en être les détails, paroîtra faux, & même non fini, à quelque jour & à quelque distance que ce soit.

En vain s’occupera-t-on à chercher une variété de teintes, si, en se donnant ce soin, on perd de vue la carnation générale de la chair ; & c’est également sans fruit qu’on tâchera de finir de la manière la plus précieuse les parties, si l’on ne consèrve pas les masses, ou si le tout ensemble n’est pas bien d’accord.

Ce n’est pas que l’on veuille cconseiller ici de négliger les détails. Il seroit difficile d’établir précisément quand & jusqu’à quel point il faut s’y arrêter ou les sacrifier ; on doit sur cela s’en rapporter au goût & au jugement de l’artiste ; mais on n’ignore pas combien un emploi judicieux des détails sert quelquefois à donner de la force & de la vérité à un ouvrage, & combien par conséquent les détails peuvent ajouter à l’ititérêt du spectateur. Tout ce qu’on propose ici, est de faire sentir la véritable différence qui se trouve entre les parties essentielles MËC & les parties subordonnées ; de montrer quelles sont les qualites de l’art qui exigent principalement l’attention de l’artiste, & d’indiquer celles qu’il peut négliger sans porter aucun préjudice à sa réputation.

S’il faut toujours négliger quelque chose, il est certain que c’est le moindre qui doit céder au plus important. La vraie manière de terminer un ouvrage, c’est d’augmenter, par une judicieuse économie des parties, l’effet du tout ensemble, & non de perdre son temps à finir précieusement, & peut-être mesquinement, ces parties.

La perfection dans toutes les parties & dans tous les genres de la peinture, depuis le style le plus sublime de l’histoire, jusqu’àl’imitation de la nature morte, dépend de cette faculté d’embrasser d’un coup-d’œil le tout-ensemble, & sans cette faculté le travail le plus opiniâtre devient infructueux.

En parlant ici du tout-ensemble, on n’entend pas seulement le tout-ensemble relativement à la composition, mais le tout-ensemble relativement au style général du coloris ; le tout-ensemble relativement au clair-obscur ; le tout-ensemble même relativement à chaque partle, qui, prise séparement, peut être le principal objet du peintre.

Il seroit à desirer, sans doute, que les charmes de l’art fussent toujours employés à consacrer des sujets intéressans & dignes d’être transmis à la postérité ; c’est avec quelque douleur que ceux qui sont vivement touchés de la dignité de la peinture voient que le plus grand nombre des tableaux n’ont été entrepris par les artistes que comme des occasions d’occuper leurs pinceaux, plutôt que d’illustrer un grand sujet par les ressources de leur génie. Cependant le prix qu’on attache à de pareilles peintures, sans qu’on en considère, & souvent même sans que l’on en connoisse le sujet, nous montre à quel degré l’attention peut être fixée par le pouvoir de l’art seul, & même ce qu’on peut appeller le méchanisme de l’art.

Rien ni. prouve mieux l’excellence de ce pouvoir, que de voir qu’il imprime un caractère de génie à des ouvrages dont l’auteur, en les faisant, n’a prétendu à aucun autre mérite qu’à celui d’exercer ce méchanisme, & dans lesquels il n’y a d’ailleurs ni expression, ni caractère, ni noblesse, ni même un sujet qui puisse intéresser personne. On ne peut, par exemple, refuser au tableau des nôces, de Paul Véronèse, le caractère de génie, sans heurter le sentiment général ; & des personnes, même dont l’autorité semble faire loi, ont regarde cet ouvrage comme le chef-d’œuvre de l’art par excellence ; on ne sauroit le refuser non plus au tableau d’autel peint par Rubens pour l’église de faint Augustin d’Anvers. Cependant ni Putt ni l’autre de ces deux ouvrages n’est interessant par le sujet. Celui de Paul Véronèse ne représènte qu’un grand concours de peuple à un repas ; & le sujet de Rubens, si l’on peut même lui donner le nom de sujet, est une assemblée de plusieurs saints qui ont vécu en diftérens siècles. Toute la perfection de ces deux tableaux consiste dans l’habileté de l’exécution ; l’habileté qui opère des effets puissans par l’influence de la facultéqu’elle possède d’embrasser un tout ensemble d’un seul coup- d’œil, & de le faire embrasser de même au spectateur.

Celui qui fait généraliser & rassembler les idées pour en former un tout, exprimera un grand nombre de vérités par un petit nombre de lignes, s’il est écrivain ; & par un petit nombre de traits, s’il est peintre. C’est cc qu’on ne trouvera pas dans un ouvrage dans lequel on aura fini les parties avec le plus grand soin, sans faire attention à l’ensemble ou a l’effet général.

Ceux qui n’ont aucune connoissance de la peinture, croient que, parce qu’elle est un art, ses productions doivent leur plaira d’autant plus qu’ils y voient l’art employé avec plus d’ostentation. En partant de cette erreur, ils préfèrent une exécution delicate & finie, & un coloris brillant, à la vérité, la simplicité, l’unité de la nature. Ils ne sàvent même pas ce que c’est qu’un tout-ensemble, & les artistes ineptes ne le savent pas mieux. Mais les personnes qui sont en état de réfléchir, & qui, sans connoître l’art, & sans vouloir s’ériger en juges, se contentent de se livrer à l’impression qu’elles éprouvent, louent & condamnent un ouvrage selon que l’auteur a rendu ou manqué l’effet général. Il faut cependant supposer que ces personnes n’aient pas l’esprit préoccupé par de fausses notions de l’art. Ici, l’approbation ou la critique générale, que l’artilte méprise peut-être comme ne devant être attribuée qu’à l’ignorance des principes, devroit servir à régler sa conduite, & ramener son attention à ce qui doit être son objet principal ; objet dont il s’écarte trop souvent pour l’amour de quelques beautés inférieures qui n’appartiennent qu’aux détails.

Ce n’ est posqu’il ne faille point finir ses ouvrages. Nous ne prétendons pas louer le défaut d’exactitude, & nous avons voulu seulement indiquer l’etpece d’exactitude qui, seule, mérite d’être regardée comme telle. Aucun ouvrage ne peut être terminé avec trop de soin ; mais ce soin doit être dirigé vers le but convenable. Le travail excessit que l’on on accorde aux détails est le plus souvent, même parmi tes grands maîtres, pernicieux à l’effet général.

Toute la substance de cet article est extraite du onzième discours, de M. REYNOLDS, dont on n’a même fait souvent que transcrire la traduction. (Article de M. Levesque.)

j02 M Ê L MÉLANGE, (subst. masc.). Il se fel non Melange gradué de couleurs sur la palette, when Le peintte y préparer teintes SES. Il S’en fel non deuxième mélange lorsqu’il fond sur la session teintes toile, l’enduit, ous le panneau.

MÊLANGE . de la mythologie antique avec des personnages modernes. se mêlange est aussi vicieux dans la peinture que dans la poésie ; les peintres se le pont permis dans un temps où les poëtes se le permettaient eux-mêmes ; Michel-Ange a été sévèrement repris d’avoir introduit, dans le tableau du jugement dernier, un démon nautonnier, qui, dans sa barque, passe les ames au séjour infernal. On a condamné, dans les tableaux de la galerie, peinte par Rubens, au Luxembourg, ces divinités du paganisme introduites parmi des chrétiens. Mais on peut observer que ce ne sont plus des divinités, mais de simples figures allégoriques, de simples personnages iconologiques, & que Rubens, en traitant poétiquement son sujet, a cru pouvoir y parler le langage de la poësie. C’est ainsi, que sur des tombeaux placés dans des églises chrétiennes, Hercule n’est plus le fils de Jupiter, mais le symbole de la force & de la valeur ; l’amour, avec son flambeau renversé, n’en plus le fils de Vénus, mals le symbole de l’amour maternel, de la tendresse conjugale, &c.

On a aussi blâmé le Poussin d’avoir fair un mêlange du naturel & du métaphysique ; d’avoir par exemple, dans te Pyrrhus sauve, peint un fleuve naturel, & sur ses bords un fleuve métaphysique, un Dieu fleuve ; ce qui est aussi déplace, disent ses critiques, que si après avoir peint une rivière, il eût écrit à côté, ceci est une rivière.

Ce n’est pas là une faute qui pttisse détruire la réputation de sagesse que s’est acquis le Poussin ; mais il ne faut pas l’imiter. Michel-Ange est inexcusable d’avoir placé dans le sujet sacré du jugement dernier un diable qui conduit une barque, parceque, dans notre croyance, il n’y a point de fleuve qui mene aux enfers, & que ce nautonnier & sa barque ne présentent aucune allégorie. Quant à Rubens, il a fait, dans la galerie du Luxembourg, une trop belle machine du mêlange des personnages naturels & allégoriques, pour qu’on ose le condamner : mais ibn exemple ne doit pas engager ses successeurs à introduire l’allégorie dans l’histoire. C’est bien moins dans la représentation des personnages inventés par les anciens poëtes, que dans celle des mouvemens qu’impriment les affections de l’ame, que consiste la poésie pittoresque. (Article de M. Levesque.)

MELANGE . De Dans la pratique de la gravure en taille douce, le nom Donne this to a DONT substance sur le vernis couvre l, verser that the travail ne Soit Pas trop mordu par l eau-forte.

MENAGER, (v. act.). Ménager des effets heureux, de beaux effets, c’est se réserver le moyen de les produire. Ménager ses teintes, c’est prendre soin de ne les pas brouiller. Ménager le blanc, le noir, c’est ne les pas prodiguer. Si l’on ne ménage pas le blanc, on tombe dans la farine ; si l’on ne ménage pas le noir, on devient dur. Le noir demande d’autant plus à être ménagé, que les couleurs n’y poussent que trop avec le temps.

En genéral il faut ménager, c’est-à-dire employer avec beaucoup de discrétion les grands mouvemens, les expressions violentes, les contrastes marqués d’attitude & de grouppes, les masses tranchantes d’ombre & de lumière, les nombre des personnages, les richesses de luxe, les ornemens recherchés, les teintes éclatantes : c’est le moyen de parvenir au simple, qui toujours accompagne le beau.

MEPLAT, (adj.). Une ligne méplate. Il se prend aussi substantivement ; de beaux méplats. Il semble que ce mot se dise pour miplat, à demi-plat.

Il seroit difficile de donner, par le discours une idée précisé de cette ligne, qui d’ailleurs n’est pas toujours absolument la même, & qui varie autant que les différentes formes du corps humain qu’elle décrit : le méplat du deltoïde n’est ni celui du biceps, ni celui des gémeaux. Le méplat, dans la nature des hommes, approche plus de la ligne droite ; & dans la nature des femmes, de la ligne circulaire.

Les formes d’un beau corps ne sont pas rondes ; elles seroient lourdes : elles ne sont pas droites ; elles seraient roides. Elles tendent plus ou moins, suivant les parties, suivant les âges, suivant les sexes, au rond & au plat, sans être jamais plates ni rondes ; & c’est cette tendance de la ligne droite à la ligne circulaire, & de la ligne circulaire à la droite, qui constitue la ligne méplate. Le meplat est donc un arc surbaissé, ou une ligne qui semble tendre à la ligne droite, & qui prend cependant une légère rondeur.

Dans l’enfance de l’art, quand on n’avoit pas encore appris à bien voir la nature, on re. présentoit roides les parties qui tendent le plus à s’applattir ; & comme ces dernières parties dominent, il résultoit de cette méthode une roideur contraire à la nature, qui constitue le caractère gothique.

Au lieu de tracer ici des lignes pour démontrer différent méplats, je crois qu’il suffira de renvoyez à la nature, ceux même des lecteurs qui ont le moins d’habitude de la considérer avec dés yeux d’artistes. Regardez de profil un front ; s’il est rond ou plat, il est désectueux : un beau front vous offrira une ligne méplate. Un autre méplat sera offert par le menton. se qu’on appelle vulgairement le gt as de la jambe, vu de face ou de profil, présente un grand & beau meplat ; des lignes méplates, tracent toutes les formes de la main & du pied. Sous quelque point de vue que l’on considère un cheval, on verra ses différentes formes tracer de belles lignes méplates., qui annoncent sa force, sa souplesse & sa legèreté. Les animaux plus lourds tendent plus, dans leur ensemble, à la I. gne circulaire.

Les lignes méplates donnent au dessin de la fermeté, les lignes arrondies de la pesanteur & de la mollette, les lignes angulaires de la dureté.

Si la nature s’arrondit dans quelques-unes de ses formes, c’est pour retourner promptement au méplat. Après l’arrondissement de l’humerus, vient le méplat du deltoïde : les gémeaux tendent à s’arrondir vers leur insertion, & ils sont aussi tôt suivis d’une forme méplate.

J’ai dit que la nature s’arrondissoit dans quelques parties ; mais je n’ai pas dit qu’elle y fût ronde : elle ne l’est jamais.

Au lieu de faire consister la beauté dans la ligne serpentine, ondoyante, flamboyante, il vaudroic mieux la faire consister dans la ligne méplate, puifgu’elle se forme des diffrentes variétés de cette ligne. C’est ce que M. Falconet a insinué par la ligne de beauté qu’il a opposée à celle de Hogarth.

Le bras accompagné de la main, étudié avec constance & avec soin, donneroit, je crois, l’idée & l’habitude de presque tous les grands & petits méplats que l’art peut employer. Cette étude conduiroit bientôt à deffiner aisé ment la figure entière. (Article de M. Levesque.))

MESQUIN, (adj.). De l’italien meschino, pauvre, petit, miserable. Le dessin est mefquin, si l’on s’arrête aux petites formes de la nature, à sa pauvreté, ses mesquintries, au lieu de saisir ses belles & grandes formes. La composition est mesquinesi elle n’offre pas la richesse du sujet. L’exécution est mesquine, si elle en seche, & timide. La manière cil mesquine si elle en petite, froide, léchée. Enfin le genre est mesuine, petit par lui-même, il n’en pas relevé par la beauté de l’exécution. Le choix peut être tellement mesquin, que toutes les ressources de l’art puissent à peine l’excuser aux yeux des personnes délicates. Tel est celui de certains peintres hollandois, qui ont pris pour sujets de leurs tableaux un sale gueux, se grattant l'aisselle ; un autre se pansant un ulcère ; un paysan ivre, vomissant le vin dont il s’est


surchargé l’estomac. Tels sont pourtant les ouvrages que nous voyons souvent porter à de très hauts prix dans les ventes par de très nobles acquéreurs : & c’est ainsi que la richesse récompense la dégradation de l’art ! que diroient les Raphaël, les Poussin, les Rubens ? (L.).

MEUBLER, (verb. act.). Ce tableau est bien meublé, c’est-à-dire qu’il est bien décoré de meubles somptueux, de riches ornemens, de brillons ustensiles. On sent que ce terme étoit autrefois inconnu dans la langue des arts, lorsque les grands maîtres faisoient consister la vraie richene dans une belle & noble simplicité. On peut croire que les peintres ont cherché à bien meubler leurs tableaux, quand un sentiment secret leur a fait comprendre que la richesse des meubles seroit le plus grand intérêt qu’ils pourroient y mettre. Les grands peintres des affections humaines, de la beauté des formes, ont médiocrement recherché la gloire d’habiles peintres de meubles.

Si, par ce mot pris métaphoriquement, on entend garnir un tableau d’un grand nombre de figures, il n’étoit pas non plus, dans ce sens, à l’usage des grands maîtres de l’école romaine & de leurs imitateurs. Ils évitoient de multiplier les figures dans leurs tableaux, &, en faisant de grandes choses, ils se piquoient d’œcunomiser les moyens. (L.).

MÉTIER, (subst. masc.). C’en le nom que l’on donne à tout art méchanique & manuel, & même à la partie mcchanique des arts libéraux. La povsie a son métier, qui consiste dans le talent de faire des vers. Le talent d’écrire, celui d’observer de certaines règles, fondées sur la raison, ou imaginées pour donner des secours à l’art, forment le métier de l’éloquence. Ces exemples font assez connoître que le métier, porté à sa perfection, ne tient pas uniquement à des ressources méchaniques, & qu’il exige encore des qualités intellectuelle.

Les articles exécution, facilité, faire, fait, meckanisme, manœuvre, &c. appartiennent au métier des arts qui dépendent du dessin.

On borne ordinairement le métier de la peinture à ce qui concerne le maniement du pinceau ; mais nous croyons pouvoir lui donner une bien plus grande étendue : le talent de bien dessiner, celui de composer, Iorsqu’il’ se borne à un bel agencement de figures, de grouppes, d’accessoires, l’intelligence du clair obscur, celle de la couleur, toutes ces qualités portées jusqu’au point de perfection qui satisfait aux principes, mais inférieures à la perfection qui connitue le génie, sont autant de parties d un métier qui ne jouit d’une grande

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M I L estime, que parce qu’il suppose de rares talens, des talens mêmceintellectuels, dans les nobles artisans qui le professent. ce qu’on appelle un bon peintre, & mêmc un fort bon peintre, est celui qui possède bien ces différentes parties de son métier, ou du moins un grand nombre d’entr’elles, ou quelquefois encore celui qui en porte un petit nombre jusqu’a l’excellence. L’expressif & le beau sont des qualités qui appartiennent au génie, & qui constituent l’art. Elles peuvent faire un grand artine d’un homme qui ne possède mêmo qu’une seule partie du métier.

Demandera-t-on si l’union de ces deux qualités est absolument nécessaire pour constituer l’artiste, ou, ce qui est la mémo chose, l’homme de génie ? Je cross que le beau ne peut subsister dans l’absence entière de l’expressif ; car c’est l’expression seule qui anime & donne la vie, & la beauté ne peut être belle sans êure vivante ; elle cet le produit d’un beau corps & d’une ame intelligente & sensible. Mais l’expressif peut subsister sans le beau, & suffira seul à donner la qualité d’artiste à celui dont il anime les ouvrages. Pourroit-on la refuser en effet à un Albert Durer, à un Rimbrandt ? Raphaël, qui unissoit l’expression à la beauté sera le prince de l’art, & tel peintre qui jouit d’une grande estime, justement méritée, ne sera qu’un excellent artisan en peinture. (Article de M. Levesque.)

MIGNARD, (adj., Qui se Prend quelquesois substantivement). Donner In the mignard, C’EST DANS tomber l’affeté, le petit, le mesquin, versez Chercher le gracieux. Sur un reproche CE Défaut à Pierre Mignard, premier peintre du roi, apres la mort de Lebrun. Ses Ennemis disoient QUE LES VIERGES étaient mignardes .

MILICE des anciens . Nous ne nous sommes pas propose de distribuer, sous différens articles de ce dictionnaire, un traité complet du costume des anciens. ce projet seroit trop vaste, & le terme que l’on a pris avec les souscripteurs pour la livraison de cet ouvrage ne permettroit pas de remplir une entreprise qui exigeroit tant de recherches : mais comme il est cependant à desirer que ce livre tienne lieu aux jeunes artistes d’un grand nombre de livres relatifs il différentes parties de l’art, nous avons cru devoir leur faire connnitrc au moins ce qu’il leur est le plus utile de savoir sur les usages des nations dont l’histoire fournit le plus fréquemment les sujets de leurs travaux. Nous avons déja parlé de la marine des Grecs & des Romains ; nous allons traiter ici de ce qui concerne leur milice : nous traiterons dans d’autres articles de leurs nôces, de leurs pompes


funèbres, de leurs rites religieux, de leurs triomphes, de leurs vêtemens. Ces articles donneront un commencement de théorie que l’on pourra perfectionner par l’inspection des statues & des bas- reliefs antiques, par celle des ouvrages des maîtres modernes qui ont le plus étude l’antiquité, & par la lecture des livres qui ont traité spécialement des usages des anciens. Nous avons cru devoir entreprendre ce travail, parce qu’il arrive trop ordinairement, quand on ne pofsèdc pas au moins une théorie commencé, que l’on voit les sources les plus sécondes de l’instruction sans y puiser aucune connoissance solide.

Les siecles héroïques comprennent les temps qui s’écoulèrent avant & peu après le siège de Troie. Homère nous peint une vie simple, des mœurs dures, des arts naissans, & il est de la plus grande vérité dans ses peintures, parce que les mœurs qu’il traçoitétoint encore celles de son temps.

Les commencemens des siècles héroïques remontent donc au commencement de la vie sociale dans la Grèce, à l’époque oú les hommes quittèrent la vie sauvage pour se réunir dans des espèces de hameaux qu’ils appellèrent des villes, & pour exerçer une industrie encore foible & bornée.

Ils cultivèrent d’abord imparfaitement la terre autour de leurs hameaux, ils rassemblèrent des troupeaux d’animaux domesiiques, & furent long-temps encore plus pasteurs qu’agricoles, ou, ce qui signifie la même chose, encore plus barbares que policés.

Ils étoient entourés de vastes solitudes où les monstres croissioient en paix, sortant quelquefois de leurs repaires pour venir tourmenter les troupeaux & les pasteurs. Quelques sauvages avoient encore gardé leur premiere indépendance ; mettant dans leur force toute leur industrie, ils voloient les fruits, les troupeaux, massacroient les hommes, enlevoient les femme, & troubloient la société naissante. Ainsi les exploits des premiers héros, des premiers défenseurs de la société, furent de détruire les brigands & les monstres. Apollon, que l’on peut ici regarder comme un héros, tua le serpent Python, Hercule l’hydre de Lerne, Persée le monture marin qui menaçoit Andromède, Bellérophon la Chimère, ‘Thésée le Minotaure. Hercule nous représente bien le héros d’un peuple encore à demi-sauvage : son principal vècement est une peau de bêne, celle du lion terrible dont il a délivré ses citoyens ; son arme la plus redoutable est un bâton noueux ; ses mœurs sont grossières, son appétit vorace, ses passions indomptée, son courage féroce.

Les hommes rassemblés en société, & puissans de leurs foces réunies, détruifrent, sans doute, les brigands sauvages & isolés, ou les forcèrent M I L à embrasser eux-mêmes la vie sociale, en ne leur laissant plus, dans l’état solitaire, qu’une vie précaire & difficile à soutenir. Mais le brigandage ne cessa point avec la vie sauvag.

Nous avons vu que les villes n’étoient que des hameaux, & chaque ; hameau contenoit un peuple entier, qui avoit son roi, ses vieillards ou magiftrars, son armée conrposée de tout ce qui étoit en erat de porter les armes.

Un sentiment trop naturel aux hommes, c’est qu’ils doivent être justes dans le sein de leur sociéré, mais qu’ils ne sont soumis à aucun devoir, à aucune observation de la justice envers les étrangers : & dans l’état dont nous parlons, tout ce qui n’étoit pas habitant d’un hameau, étoit étranger pour lui, & par conséquent expose à ses attaques.

Un autre sentiment aussi naturel, c’est que tout ce qui exige du courage est vertu, ou plutôt que le courage est la vertu suprême, & renferme toutes les autres. On peut découvrir l’origine de ce sentiment dans celle des sociétés, torsque les hommes ne pouvoient trouver le repos & la sureté que dans leur courage.

Ainsi les habitans des sœiétés naissantes exercèrent done sans remords le brigandage contre les sœiétés voisines, parce qu’ils croyoient n’être obligés envers elles à aucune observation de la justice : ils l’exercèrent même avec orgueil, parce que le brigandage exige de la valeur.

On s’informoit peu si les exploits guerriers étoient fondés sur la justice, pourvu qu’il témoignassent du courage : on désigna l’homme vertueux, l’homme excellent parle mot aristos, & ce mot étoir formé du nom que les Grecs donnoient au dieu de la guerre : ils l’appelloient Arés ; ce sur aussi de Ion nom que vint le mot Areté, qui signifioir la vertu.

On vit donc les héros punir quelquefois les brigands, & quelquefois s’honorer d’être brigands eux-mêmes. Toute la Grèce, dit Thurydide, étoit toujours en armes, parce qu’il n’y avoit de fureté ni dans les maisons, ni sur les chemins. On étoit armé pour attaquer pour le défendre, pour faire le brigandage pour le repousser. Le prix du vainqueur étoit ordinairement d’emmener les troupeaux de bœufs des vaincus, & les vaincus à leur tour cherchoient à porter le ravage chez les vainqueurs. Si Thésée fit la guerre a Pirithoüs, C’est que celui-ci lui avoit enlevé des bœufs.

Dès-qu’on ofa se halârder sur la mer, en exerça la piraterie. Le nem de pirates n’avoit rien d’odieux dans son étymologie ; il signifioit seulement un faiseur d’ais, de tentatives. I1 ne l’étoit pas non plus en lui-même : on 4emanemit sans impolitesse à un étranger qui


abordoit sur un rivage, s’il émit voyageur, ou marchand ou pirate.

La guerre se fit souvent pour des femmes enlevées : l’enlevcment d’Hélène arma la Grèce contre la Phrygie. La ville de Troye fut prise & renversee après dix ans de siège, pour punir le ravissement d’une femme, qui aruit bien voulu être ravie. Des rois, des fils de rois furent engagés malgré eux dans cette grande expédition, & l’on peut croire que ces sortes d’engagemens forcés étoient en usage pour les entreprises importantes. Ulysse feignit même. d’être fou, pour s’exempter de marcher à cette guerre : Achille fut tiré du Gynecée de Lycomèd, où il étoit déguisé sous des habits de fille Dans les maisons où il, y avoit Plusieurs enfans, mâles, on en tira un au sort.

Déjà étoient inventées la plupart des armes offensives & défensives, dont les homme, ont fair usage jusqu’à l’invention de l’artillerie moderne. Le casque le nemmoit Cynée, parce que dans l’origine, il étoit fait de peau da chien marin. On changea depuis la matière en conservant le même nom. On fit des casques de peau de taureau, on en fit même de peau de belette, renforcée, apparemment, de quelqu’autre substance plus capable de résisteraux coups. Homère parle de casques entièrement d’airain ; peut-être cet airain étoit-il quelquefois recouvert seulement d’une peau de bête, pour donner au guerrier un a’r plus terrible.

Les cesques étoient surmontes d’un, de deux, de quatre cimiers, destinés à recevoir des queues de chevaux, dont les crins agités par le vent & par le mouvement du guerrier, augmentoient la terreur des ennemis. Cette coëssure guerrière s’attachoit sons le menton par le moyen d’une courroie.

Les cuirasses étoient souvent d’airain : il y en avoir qui étoient cemposés d’anneaux ; d’autres étoient faites d’une sorte & épaisse piquure de lin ; telle étoit celle d’Ajax Oïlée. On revêroit quelquefois par dessus la cuirasse, en forme de manteau, une peau de lion, d’ours, ‘ de léopard, ou même de taureau.

Les guerriers portoient une large ceinture, garnie d’airain ; elle contenoit & rcrforçoit en même temps la cuirasse. I a ceinture de Ménélas lui fauva la vie contre la flèche qui lui fut lancée par Pandare. La ceinture faisoit le complément de l’armure, & l’on disoit se ceindre, pour signifier quo l’on revêtoit les armes.

Les guerriers couvroient aussi le devant de leurs jambes d’une arme défensive, qu’on nommoit Cnêmis. Elle étoit aussi, pour l’ordinaire, d’airain ou dr. léton, & s’attachoir quelquefois avec des agraffes d’argent.

Les Grecs alloient donc aux combats, presqu’entièrement couverts de métal, comnmme l’é étoient autrefois les chevaliers François, & c’est par un mensonge favorable à l’art, que nos peintres les représentent couverts d’une armure qui cache à peine les formes du nud. Ils ont abandonné la vérité troc peu pircoresque, pour lui substiruer l’idéal. Les anciens leur avaient laissé des exemples de cette heureuse licence.

Chacune de ces armes ne défendait que la partie du corps ; le bouclier le protégeait tout entier : il étoit haut, large & concave, &, comme le dit Tyrtée, dans sa seconde élégi, il couvrait les jambes, les cuisses, la poitrine & les épaules. Les guerriers pésamment armés, n’employaient pas toujours cette arme pour leur seule défente ; ils en protégeaient encore les archers, parce que ceux-ci croient armés à la légère. Le bouclier avoir enfin sur les autres armes défensives l’avantage de pouvoir être manié avec adresse.

Il émit ordinairement composé de plusieurs cuirs de bœufs appliqués les uns sur les autres, & recouverts d’airain : quelquefois du milieu de la surface extérieure sortoit une forte pointe qui pouvait percer l’ennemi, & changer le bouclier en arme offensive. On le tenait de la main gauche à l’aide d’une courroie qui y étoit adaptée. Il étoit communément de forme ronde, au moins du temps d’Homere. Celui d’Ajax étoit compote de sept cuirs de bœufs, recouverts d’une lame d’airain ; quelquefois il n’y avoit que quatre ou cinq cuirs. Le bouclier d Enée étoit composé de deux lames d’airain, deux d’étain, & une d’or. Une baguette de métal en renforçoit la circonférence. Homère qui se plaisoit a représenter la force de l’es heros supérieurs à celle des hommes de ton temps, peut avoir exagéré l’épaiffeur, & par confequent le poids des boucliers. Mais cet idéal inventé par le poëte, peut être adopte par l’attife, & l’on pourrait regarder comme une grave faute de costume d’armer Ajax d’un bouclier léger.

Entre les armes défenfives, la lance tenoit le premier rang. Elle étoir fort longue, & l’épithète que lui donne souvent Homère, signifie qu’elle portait une grande ombre ; Dolicoscios. Le bois en étoit communément de frêne, & la pointe d’airain, car dans les temps héroïques, comme le dit Pausanias, les armes. étaient de ce métal ; on n’employait pas encore le fer à cet usage, car ce métal, le plus commun de tous, n est pas en même-temps le plus facile à travailler. Aussi trouve-t-on encore dans des tombeaux de la Sibérie, de vieilles armes d’airain, aussi dures que le fer trempé. J’en ai vu dans le cabinet du célèbre M. Pallas. Une autre pointe d’airain armait le bout inférieur Ife la lance : elle étoit destinée à être enfoncée en terre pour la contenir droite quand le guerrier vouloit se repoler. On appelloit cette


pointe Sauroter, du mot Sauro, qui signifie un lésard, parce qu’elle entrait en terre comme cet animal.

Le javelot émir une lance courre qu’on lançoit contre l’ennemi, quand il le trouvoit à une foible distancc : cette arme, sans porter à beaucoup près aussi loin que la flèche, devoit, par sa force & son poids, être bien plus redoutable, & faire de plus larges blessures.

se n’étoit guère qu’après avoir lancé le javelot, qu’on en venait à tirer l’épée. Elle étoit suspendue à un baudrier & reposoit sur la cuisse gauche. Au siége de Troye, celle du roi des rois, du puissant Agautentnon, etoit enrichie de clous d’argent. Cette parcimonie d’ornemens, qu’llomère rapporte avec fidélité, me persuade que C’est par une exagération poëtique, qu’en d’autres occafions il a tant prodigué l’or. C’est un privilège des podres de se 1ivrer à l’imagination ; mai, je ne crois pas qu’il soit impossible d’établir certaines régles de critiques your reconnaître souvent la vérité historique a travers les fables de la poësie.

Une épithete emploéc par Hesiode peut faire présumer que l’epée doit renfermée dans un fourreau noir, à moins qu’il ne voulut exprimer qu’elle étoit attachée à un baudrier noir, petite circonstance assez indifférente aux peintres : mais ils doivent savoir que ses Grecs ne portaient pas le poignard ou coutelas, (Machœra) à la manière des Orientaux ; mais qu’il étoit adapté au fourreau de l’épée : c’est ce qu’Homère dit très-clairement. Ce coutelas, qui étoit quelquefois une arme offensive, servoit aussi a couper les poils de la tête des victimes dans les fâcrifices ; & on peut croire aussi que les guerriers n’avoient pas d’autres couteaux de table.

Les archers n’étaient pas aussi considérés que les guerriers qui portoient l’armure complette : sans chercher d’autres preuves de ce fait, il est assez bien établi dans la tragédie d’Ajax, de Sophocle, par le mépris qu’Agamemnon témoigne Pour Teucer, parce qu’il n’étoit qu’Archer. On sait que les fleches étaient enfermées dans un carquois, attaché sur l’épaule gauche. L’arc étoit fait de corne de chevreuil. La rainure qui recevoir la flèche émit de métal, & la corde de nerf de bœuf. L’archer, au temps du siège de Troye, tirait la corde jusqu’à l’a mamelle. Aussi, dit — on, que les Amazones se brûloient la mamelle droite, parce qu’elle empêchait de tendre la corde assez fortement. rais ensuite les Grecs empruntèrent des Perses l’usage de tenir l’arc plus haut, & de tirer la corde jusqu’à l’oreille droite. Cette manière étoit la meilleure, & donnait la facilité de viler plus juste au but, parce qu’alors la flèche étoit à la hauteur de l’œil, comme on a soin d’y tenir à présent le canon du fusil, on appuyant la crosse contre l’épaule droite.

La fronde étoit connue au siège de Troye ; mais on ne voit pas que les principaux guerriers en fissent usage : ils jettoient seulement des pierres avec les mains. Agamemnon combat à la lance, à l’epée & avec des pierres. Les guerriers abandonnèrent dans la suite cette manière de combattre, & l’on ne le servit plus des pierres, cire pour les lancer du haut des murailles sur les assiégeans. se célèbre Pyrrhus, qui appt it aux Romains à le vaincre, fut tué, si l’on en croit Justin, d’une pierre qui lui fut lancée, lorsqu’il tenoit Antigone assiégé dans Argos. Plutarque rapporte qu’il tut tué dans la ville d’une tuile, qu’une vieille femme lui jctta sur la tête du haut d’un toit.

On pense bien que des héros qui prenaient pour armes les pierres qu’ils trouvaient ficus leurs pas, durent employer en guerre contre les ennemis les haches fortes & tranchantes qu’ils consacroient aux arts en temps de paix, & qu’ils ne durent pas non plus abandonner l’arme d’Hercule. Mais la maflire d’Hercule n’avoit été que de bois ; celles des héros qui parurent au siège de Troye étiient de fer. Ces deux armes étoient encore employées par nos ayeux sous le nom de haches d’armes & de masses d’armes.

Quoiqu’Homère nous prenne que les massues de ses héros étoient de fer, il n’en est pas moins vrai que les autres armes, & sur-tout les défensives, étoient d’airain, comme il le dit. Cela est prouvé par les armes anciennes de ce métal que Pausanias vit conservées dans plusieurs temples de la Grèce, & par celles de Théfée, trouvées dans son tombeau, par Cimon, fils de Miltiade. Servius Tullius ordonna que les armes défensives de la premiere classe des guerriers de Rome fussent d’airain.

Les armes des capitaines Grecs étoient chergées d’ornemcns ciselés, sur-tout les cuirasses, les casques & les boucliers.

Dans les temps héroïques, on nourrissoit des chevaux pour la guerre, & souvent Homère donne à ses guerriers le titre de dompteurs de chevaux : il entre même dans un grand détail fur la manière dont on les panloit, sur la nourriture qu’on donnait. Cependant il ne paroît pas qu’alors alors on eût une cavalerie proprement dite, & ceux qu’or. appelloit alors des cavaliers, combattaient sur des chars. Julius Pollti, dit expressément, qu’Homère ne connoissoit pas d’autre cavalerie. Deux guerriers montaient à la fois le même char ; l’un tenait les guides & l’autre combattait ; souvent le cocher n’étoit pu un homme moins ; illustre que le combattant, & quelquefois ils s’offraient mutuellement l’alternative de combattre ou de conduire le char. On y entroit par la partie postéricure. Il s’éleveit en s’arrondissant sur le devant, à hauteur d’appui, & ceux qui le montaient s’y tenoient debout au moins dans ie temps du combat, car on sait qu’ils avaient un siege. Ces chars étoient chargés d’ornemens. Homère nous raconte que celui de Rhesus étoit orné d’or & d’argent, & celui de Diomède d’or & d’étain. Quoique nous ne devions pas regarder les détails de ce poëte comme des verités historiques, ils nous apprennent du moins les otages de son siècle, & nous sont voir qu’alors l’argent & l’étain étaient employés presqu’indifférenrment & pour les chars & les armures. Les chars étaient quelquefois entourés de voiles ou de ridaux : mais ce que dit Homère est insuffisant pour nous faire connoître comment ces pièces d’étoffes, destinées sans-doute à garantir les guerriers du soleil & de la poussière, étoient adaptées au char.

Les rênes étaient ornées de métal ou d’ivoire : les mors étaient quelquefois aussi ornés d’voire, teint de couleur de pourpre. Cet ornement, dit Homère, étoit Werve aux chevaux des Rois.

Les chars n’étoient ordinairement traînés que de deux chevaux attelés de front. Cependant il parait qu’Hector en avoir quatre & qu’il leur auresse la parole, dans le huitième livre de l’Illiade. Il est vrai que les Scholies attribuées à Didyme, réduisent ce nombre à deux ; mais leur interprétation me parut forcé. D’ailleurs il est certain qu’Homère connoissoit les chars à quatre chevaux, puisqu’il compare à la légèrete de leur courte la marche du vaisseau des Phéaciens qui conduisit Ulysse à Ithaque : mais l’usage de trois chevaux étoit plus ordinaire : le troisième étoit attelé de la manière que nous appelions en arbalête.

Il seroit assez difficile d’etablir qu’elle étoit la tactique dans les temps héroïques ; il le seroit même de prouver qu’il y en cils une : cette ignorance où nous sommes est favorable aux arts qui s’accordent mal de la trop grande régularité, & qui tirent un parti avantageux d’un heureux désordre.

Homère cependant nous fait le tableau d’une ordonnance qui a été approuvée dans des temps où l’art de la guerre avoir fait des progrè : Nestor place à la tête les chevaux & les chars, il place derrière la nombreuse & vaillante infanterie, qu’il regarde comme le rempart de la bataille ; & les troupes les plus lâches, il les met au centre, pour qu’elle fussent malgré elles obligées de combattre.

Le même poète nous peint la phalange cette ordonnance si sorte, si difficile à ébranler, que Philippe renouvella dans la suite pour en avoir lu la description dans l’Illiade, & qui doit être comptée entre les causes de ses victoires

S s s ij & de celles de son fils. Les lances, dit le poëte, étoient soutenues & fortifiées par les lances, les boucliers par les boucliers, les casques par les casques, les hommes par les hommes.

Avant de marcher au combat, les troupes se fortifioient par un repas ; c’est une circonstance qu’Homère n’oublie jamais. Quand on étoit prêt d’en venir aux armes, on adressoit une prière aux Dieux pour en obtenir la victoire, & souvent on promettoit de leur consacrer les armes des vaincus. Il y avoit toujours dans l’armée des devins ou prêtres, car chez les peuples simples, le don prophétique est toujours attaché au sacerdoce. C’étoit eux qui offroient aux Dieux les victimes, qui prédisoient les succès en consultant les entrailles des holocaustes, ou le vol des oiseaux. Couronnés de lauriers, & tenant une torche en main, ils marchoient à la tête des combattans.

Les généraux adressoient la parole aux soldats, les animoient par leurs discours, & souvent ils menaçoient les lâches de leur donner la mort. Eux-mêmes donnoient l’exemple de la valeur ; combattant toujours à la tête de l’armée. Souvent les chefs se détachoient, pour offrir à ceux des ennemis le combat singulier ; ces duels étaient précédés de longs discours, où l’un & l’autre champion exaltoit son illustre origine, sa force & sa valeur, & tâchoit d’humilier son adversaire. Les mêmes mœurs ont été retrouvées chez les sauvages, parce qu’elles sont dans la nature.

Les héros Grecs, encore barbares, chargeoient d’outrages les morts ennemis, les mutiloient, les laissoient en proie aux oiseaux & aux chiens. Aussi voyoit-on souvent se livrer des combats autour des morts, leurs amis voulant les arracher aux ennemis pour leur accorder les honneurs de la sépulture, & les ennemis s’obstinant à les enlever pour en avoir les dépouilles & les insulter à loisir. J’ai entendu des personnes délicates accuser Homère d’avoir peint ces mœurs féroces ; mais ce grand peintre ne pouvoit connoître d’autre héroïsme que celui de son temps. On ne croyoit point alors que les loix de l’humanité pussent obliger les hommes envers leurs ennemis. Le plus souvent l’ennemi qui se rendoit à son vainqueur étoit égorgé de sang-froid, & des railleries outrageantes précédoient toujours le coup mortel : ceux à qui l’on daignoit accorder la vie, étoient vendus comme esclaves.

On peut croire que dans les temps héroïques, l’art des sièges fut très-imparfait. Comme on manquoit de machines, les assiégeans se contentoient de bloquer la place, & de dévaster aux environs tous les lieux d’où les assiégés auroient pu tirer des secours ; eux-mêmes construisoient des murailles pour s’y enfermer, élevant ainsi


une ville près de celle qu’ils menaçoient. Leurs tentes mêmes étoient des espèces de maisons, construites en bois, & couvertes de chaume. Il semble qu’on seroit demeuré dans une entière inaction, si les assiégés n’avoient pas fait de fréquentes sorties.

Il est vraisemblable que le siége de Troye, qui occupa neuf ans entiers les forces de la Grèce auroit été encore long-temps prolongé, si Epeus n’eût pas imaginé de construire un grand cheval de bois, qui fut rempli de guerriers, & que les assiégés eurent la simplicité d’introduire dans leur ville ; ou plutôt si ce même Epeus n’eût pas inventé, pour battre les murailles, une machine qui fut nommée cheval, parce que la poutre qui en formoit la principale partie le terminoit pas une sorte de marteau d’airain, qui ressembloit à la tête de cet animal. On donna ensuite le nom de Béliers à des machines semblables, parce qu’on les termina en forme de têtes de Béliers.

Les propositions de paix, ou d’armistices, se faisoient ordinairement par la voie des Hérauts : ils étoient inviolables, même pour les ennemis, & Homère les appelle divins. Les Lacédémoniens accordèrent les honneurs de la divinité, & consacrèrent un temple à Talthybius, héraut d’Agamemnon, & ordonnèrent que ses descendans restassent pour toujours en possession de cet emploi respectable. Les mêmes fonctions, la même inviolabilité, & non les mêmes honneurs, ont êté attribués par les modernes aux Hérauts d’armes, & abandonnés dans la suite à de simples trompettes.

Les conventions se traitoient avec des cérémonies sacrées. Quand Agamemnon & Priam convinrent d’un armistice, on amena, des deux côtés, un agneau qui fut immolé à la terre, à Jupiter & au Soleil. Agamemnon lui-même égorgea la victime & lui coupa des poils de la tête, qui furent distribués aux plus illustres assistans ; voulant signifier qu’il li souhaitoit que fussent ainsi tranchés le, jours de ceux qui violeroient le traité. Le serment se faisoit sur les parties de la victime consacrées aux Dieux, & il étoit défendu de les manger. Quand Agamemnon immola un sanglier, pour jurer qu’tI n’avoit eu aucun commerce avec Briséïs, son héraut Talthybius jetta dans la mer les parties consacrées, pour servir de pâture aux poissons.

On apportoit aussi des deux côtés du vin dans des phioles, on le mêloît & on en faisoit des libations. Aussi, chez les anciens Grecs, le mot Spondai signifioit libations, & traité, & ceux qui enfreignoient leur serment, sont appellés dans Homère violeurs de phioles, Yperphialoi. Ils vouloient signifier par cette effusion du vin, qu’ils souhaitoient que le sang des parjures fût ainsi répandu. « O Jupiter, s’écrie Agamemnon, !MIL & vous Dieux immortels, que la cervelle de ceux qui, les premiers, violeront leur serment, que celles de leur postérité, soit repandue à terre comme ce vin, & que leurs épouses passent en des bras étrangers. »

Les deux contractans se présentoient ensuite la main. « Que deviendront, dit Nestor, les conventions, les sermens ? Détruisez-donc par le feu, ces résolutions prises de concert, ces libations de vin sans mêlanges, ces mains à qui nous avons donné notre confiance. »

Ceux qui pensent que le cheval de Troie étoit la même machine qui fut dans la suite appellée Bélier, doivent convenir que les âges suivans n’ont guère ajouté aux inventions militaires des siècles héroïques, que la cavalerie proprement dite, & les machines nommées Balistes & Catapultes qui servoient à lancer des pierres & des traits. Ce qui distingua les temps postérieurs, ce fut surtout une tactique, devenue successivement plus savante. On combattoit, à-peu-près, avec les mêmes armes que les anciens ; mais on inventa un art de combattre qui leur avoit été inconnu.

Nous croyons qu’il ne sera pas inutile aux artistes de trouver ici, par ordre alphabétique, une description des différentes armes, & des choses les plus essentielles qui concernent l’art de la guerre.

AQUILIFER ou Porte Enseigne, chez les Romains, étoit ordinairement coëffé d’une dépouille de lion, qui lui descendoit sur les épaules, & lui enveloppoit la partie supérieure du corps. Une cotte de maille, c’est-dire, une sorte de vêtement composé d’anneaux de métal, formoit ses armes défensives.

ARCHER : il avoit aussi pour armure une cotte de mailles, & sa jambe gauche étoit chaussée d’une bottine, parce que c’étoit, comme le dit Végéce, cette jambe gauche qu’il avançoit, pour tirer avec plus de force. Sciendum præterea, cum missilibus agiter, sinistros pedes in antè milites habere debere, ita enim vibrandis spiculis vehementior ictus est . L. 1. C. 22.

BALISTE . Machine, à l’aide de laquelle les anciens lançoient au loin des traits pesans, quelquefois armés de feux. Les moderne ; en ont fait usage, jusqu’à ce que l’emploi de la poudre à canon fut devenu familier. La baliste ressembloit beaucoup à l’arbalêtre, qui a elle-même beaucoup de rapport avec l’arc : la plus grande différence consiste dans celle de ; forces qui sont agir ces différentes armes. On se servoit d’un moulinet, ou cabestan, pour tendre la corde de la baliste ; on lâchoit ensuite la détente, & les bras de la machine, faite comme


un arc, retournant à la place qu’on les avoit forçés de quitter, entraînoient la corde qui, par son élasticité, lançoit le trait à une grande distance. Les anciens avoient des balistes portées sur des charpentes à quatre roues.

BAUDRIER Il servoit à attacher l’épée. Quelquefois on suppléoit au baudrier par une chaine. Il étoit souvent très-richement orné de perles, de pierres précieuses, de bulles ou d étoiles d’or ou d’argent. Celui des Gladiateur, n’étoit qu’une courroie.

BÉLIER . Nous avons vu que cette machine, destinée à battre les murailles, est de l’invention des Grecs, & que ce fut peut-être Epeus qui en fit usage le premier au siége de Troie. se n’étoit autre chose qu’une poutre ronde, ou quarrée, armée d’un énorme marteau de métal, fait en tête debélier. Il étoit quelquefois suspendu par des cordages, dans une charpente quarrée, quelquefois dans une tour mobile, d’autres fois encore dans une membrure fort simple. Quelquefois à l’aide de cordages, des soldats tiroient la poutre, & lâchant subitement la corde, la machine alloit frapper le mur avec toute la force qu’elle avoit acquise. D’autres fois on élevoit la tête du bélier avec des poulies, & on la laissoit retomber contre la muraille. Ceux qui faisoient jouer cette terrible machine étoient logés dans des guérites qui faisoient partie du bâtiment où elle étoit contenue. Elles étoient construites de fortes planches, & ordinairement recouvertes de peaux de bêtes fraîchement écorchées, & enduites de terre glaise. Par ce moyen les travailleurs étoient à l’abri des traits, des pierres & des feux que leur lançoient les assiégés.

BOTTINE, en grec χνημις, en latin ocrea. Homère donne souvent aux Grecs une épithète, qui signifie bien chaussés de bottines. De son temps, elles étoient souvent d’airain ; elles furent de fer dans la suite. Elles ne couvroient que la partie antérieure de la jambe. Les Grecs en portoient aux deux jambes, & les Romains ordinairement à une seule : les frondeurs & archers à la jambe gauche, l’infanterie pesante à la jambe droite ; elle seule combattoit de près, & dans cette sorte de combat, dit Végéce, c’est la jambe droite qui est avancée. Cum ad pila, ut appellant, venitur, & manu ad manum gladiis pugnatur, tunc dextros pedes inantè milites habere debent.... L. 1. C. 22.

BOUCLIER . Nous en avons parlé suffisamment dans la description de la milice sous les temps héroïques, qui précéde ce vocabulaire,

5 io Il y eût des boucliers très riches par le travail & la matière ; on en fit d’argent ; d’autres furent ornés de plaques d’or. On leur donna différentes grandeurs & différentes formes. Les boucliers des Lacédemoniens, sur lesquels on les rapportoit, quand ils étoient tués dans le combat, ne devoient pas être moins grands que l’écu des Romains. On en peut dire autant du bouclier Espagnol, nommé Cetra, sur lequel, au rapport de Tite-Live, le soldat se couchoit pour passer les fleuves à la nage. Voyez sur différentes sortes de boucliers, les mots Clypeus, Parma, Pelta, Scutum.

BUCCINATEURS, ou trompettes, chez les Romains, étoient coëffés de la dépouille d’une tête de lion.

CAMP . Polybe dans son livre sixième, & Hygin ont soigneusement décrit les camps des Romains. Le premier de ces auteurs a été traduit en françois, & les artistes pourroient, au besoin, le consulter : mais ils chercheront peu à donner une représentation détaillée d’un camp, qui n’offrant que des lignes parallèles, est loin d’avoir un aspect pittoresque. Cependant, comme ils peuvent du moins être obligés de représenter la vue d’en camp, ils doivent avoir quelqu’idée de sa construction.

Les Romains, dans les premiers temps de la republique, & lorsqu’ils n’avoient affaire qu’aux peuples de l’Italie, connoissoient peu l’art de camper : ils l’apprirent de l’un de leurs ennemis, de Pyrrhus, & puisqu’ils eurent un Grec pour maître, on peut croire que leurs camps différoient peu de ceux des Grecs. Cependant les derniers ne donnoient point à leurs camps une forme si régulière, & au lieu d’en creuser les fortifications, ils cherchoient à profiter de celles que leur offroit la nature. Ainsi leurs camps changeoient de forme suivant le terrein, au lieu que ceux des Romains se ressembloient tous, & qu’un soldat qui avoit habité un camp, savoit précisément où seroit placé son logement dans un autre.

Quand il ne s’agissoit de camper que pour un temps fort court, deux lignes de l’armée restoient en ordre de bataille, & la troisième étoit commandée pour creuser les retranchemens. Ils consistoient en un fossé, large de cinq pieds, sur trois de profondeur. La terre rejettee du côté du campy formoit un rempart, qu’on revêtoit de gazon, & qu’on fortifioit par des palissades.

Mais quand l’armée devoit faire un plus long séjour ; Ion camp devenoit une place forte & présentoit l’aspect d’une ville de guerre. Un rempart fait de terre, avec des fascines, & revêtu de gazon, étoit défendu par un fossé large de onze à douze pieds, & d’une


profondeur proportionnée. Il étoit flanqué de tours, distantes l’une de l’autre de quatre-vingt pieds, & accompagnées de parapets, garnies de créneaux. Il étoit ordonné aux soldats, sous peine de mort, de faire ce travail sans quitter leurs armes, ou du moins leurs épées, & apparemment leurs principales armes défensives, telles que le oasque & la cuirasse.

La tente du général s’élevoit au milieu d’une place quarrée, dans l’endroit le plus favorable, pour voir tout le camp. De l’autre côte étoit le logement du questeur, & la caisse militaire dont il avoit le dépôt. Ces deux logemens formoient la tête du camp, & on laissoit devant eux un espace libre de cent pieds de large.

Les quartiers du camp étoient partagés en cinq rues parfaitement alignées, dont l’une faisoit le milieu de cette sorte de ville. Toutes avoient cinquante pieds de large, & une rue nommée quintaine, d’une même largeur, les coupoit par la moitié. Tout le monde étoit logé spacieusement : deux fantassins avoient dix pieds de terre. La cavalerie en avoit cent en quarré pour chaque turme composé de trente chevaux.

Cette ville guerrière étoit quarrée, & avoit une porte au milieu de chacune de ses faces Quelques savans ont cru que ces portes étoient placées aux quatre angles. Au reste on ne s’en est pas toujours tenu a la forme quarrée, au moins sous les Empereurs : il y a eu des camps circulaires, triangulaires, ovales, oblongs, semi-lunaires.

Le général, dans le choix du lieu propre à établir son camp, avoit soin qu’il y eût de l’eau, du bois, des pâturages, précaution de la plus grande importance, puisqu’une armée passoit quelquefois un hiver dans le même camp, & quelle pouvoit y être assiégée. La disette d’eau la forçoit quelquefois à se rendre. Si l’on ne pouvoir renfermer une rivière ou une source dans le camp, on y creusoit du moins des puits.

CASQUE . les Casques des Romains avoient moins de profondeur & pardevant moins de saillie que ceux des Grecs. Une plaque de fer à charnieres couvroit les oreilles, & diminuant de largeur, passoit sous le menton : cette pièce manquait ordinairement aux Casques des Grecs qui laissoient les oreilles découvertes ; mais les derniers avoient une visière qui, relevée, faisoit au casque un ornement, & baissée, défendoit le visage du guerrier. Les casques des Grecs étoient plus ornés de sculpture & de ciselure que ceux des Romains. Les cimiers des deux nations étoient également surmontés de panaches & offroient quelque fois des figures de MIL’ divers animaux, mais ordinairement d’animaux terribles. Les guerriers subalternes n’avoient quelquefois qu’un cimier en forme de bouton, & sans panache. Du temps de Polybe, le casque du jeune soldat étoit un simple armet, couvert de peau de loup ou de quelqu’autre animal ; le soldat plus âgé qui avoit l’armure complette, portoit un casque d’airain, surmonté de trois plumes rouges ou noires, hautes d’une coudée.

CATAPULTE . Machine de guerre qui servoit à lancer des pierres énormes, & n’étoit guére moins terrible que les canons & les mortiers des modernes. Nos pères l’appeloient bombarde, & en ont fait usage jusqu’a l’invention du canon, & même quelque temps après. « On lançoit les pierres avec la catapulte, dit d’André Bardon, par le moyen d’un cuilleron. Le manche de ce cuilleron étoit engagé dans un échevau de cordes qui le tenoit dans une position perpendiculaire fortement attaché contre la pièce de traverse où, dans l’instant de la détente, le cuilleron devoit frapper. Lorsqu’on vouloit lancer la pierre, on le baissoit à force par le secours d’un cabestan, jusqu’à ce qu’il fût engagé dans le ressort qui devoit le contenir. On mettoit alors la pierre dans la coupe du cuilleron, & d’un coup de maillet donné sur le ressort qui l’enchaînoit, on lâchoit la détente. Soudain le cuilleron, par son élasticité, se portoit avec une rapidité extraordinaire vers le centre où il étoit engagé, & frappant avec violence contre la pièce transversale, sur le coussinet plein de paille hachée, poussoit la pierre au loin par une progression circulaire d’une force terrible. On a vu des catapultes qui lançoient à plus dé cent vingt-cinq pas des pierres de trois cents livres pésant. Joseph raconte qu’au siège de Jérusalem, il y en avoit d’assez fortes pour les jetter jusqu’à deux stades. Appien dit que Sylla, dans la guerre contre Mithridate, avoit des balistes qui jettoient au loin vingt grosses balles de plomb à la fois. Il y avoit des catapultes-balistes, qui ne différoient de celles qu’on vient de décrire que par un canal qu’on y ajoutoit, & dans lequel on disposoit des javelots de manière qu’ils étoient lancés au loin par le même effort qui lançoit les pierres. Les catapultes de campagne, beaucoup moins fortes que les autres, étoient fixées sur de petits chariots, & on les faisoit agir sans les déplacer. » On peut consulter sur les bombardes de nos pères l’histoire de la milice françoise par le P. Daniel. Vitruve a décrit la catapulte, ainsi que la baliste, mais d’une maniere fort obscure.

CAVALERIE . Nous avons vu que, dans les siécles héroïques, on appelloit chevaliers ceux qui combattoient sur des chars, & qu’on ne connoissoit point alors d’autre cavalerie. Homere donne souvent au vieux Nestor le titre de cavalier, Hippora Nestor, & assurément ce prince ne combattoit point à cheval.

La cavalerie de certains peuples combattoit sur deux chevaux attachés ensemble. Ils n’avoient point de housse, afin que le cavalier ne risquât pas de s’embarrasser les jambes en sautant d’un cheval sur l’autre.

L’antiquité a connu les chevaux bardés ; les romains les nommoient cataphracti, & ils avoient emprunté du grec & le mot & la chose. Cette expression signifie des chevaux munis d’armes défensives.

Dans la cavalerie pésante, le guerrier étoit armé d’une cuirasse d’écailles, de corne, ou de lin. Il avoit des cuissards. Le cheval étoit armé lui-même d’un chanfrein qui lui garantissoit la tète & avoit les flancs bardés.

Aléxandre forma une troupe qu’on peut comparer à nos dragons puisqu’elle combattoit à pied & à cheval. Elle faisoit en plaine le service de la cavalerie, & dans les lieux où l’on ne pouvoit se servir de chevaux, celui de l’infanterie. On remarque que ce corps étoit armé moins pésamment que l’infanterie, & plus que la cavalerie ordinaire, ce qui prouve que, jusqu’alors, la cavalerie avoit consisté en troupes légères.

Dans un ouvrage destiné aux artistes & aux amateurs des arts, nous ne nous serons point de scrupule de copier un artiste ; & ce que nous allons ajouter, sera transcrit du costume des anciens peuples par Dandré Bardon.

Les monumens anciens prouvent que la cavalerie romaine, depuis Romulus qui l’institua, n’est point d’autre vêtement, d’autre armure que l’infanterie. Le simple corselet sans manteau, un casque à oreillettes, quelquefois surmonté de légères lames festonnées qui tenoient lieu d’aigrette, une cravatte ou mouchoir pour hausse-col, des chausses où tenoit la sandale, formoient l’ajustement des cavaliers : les chausses éroient quelquefois tailladées vers le cou-de-pied. Une courte, épée, un bouclier de cuir de bœuf, un javelot ou une lance étoient leurs armes offensives & défensives. La seule qui leur fût propre, & dont l’infanterie ne faisoit point usage, étoit une boule de fer ou de plomb, emmanchée d’un bâton assez court : elle faisoit apparamment l’office de la massue des temps héroïques, de la masse d’armes de nos pères, & du casse-tête des sauvages de l’Amérique.

La cavalerie arboroit pour étendart, l’aigle, le dragon volant, & le labarum qui étoit une petite banière, attachée à une pique surmontée d’une aigle. Sous les empereurs chrétiens, le labarum porta le monogramme du Christ, c’est à dire un P au milieu d’un X, & il fut surmonté d’une JI2

M I L croix. Les enseignes de la cavalerie ne différoient de celles de l’infanterie que par la couleur qui étoit bleue, & parce qu’elles étoient taillées en barderolles. Les porte-enseignes, comme dans l’infanterie, étoient vêtus d’une dépouille de lion qui leur servoit à la fois de coëffure & de menteau.

La cavalerie, dans ses légions, avoit des licteurs pour punir les coupables, des hastats qui combattoient à la lance, des jaculateurs armés d’arcs, de flêches & de carquois. On peut dire qu’à l’exception des frondeurs, elle avoit la même police, les mêmes secours & les mêmes ressources que l’infanterie.

Ses chevaux avoient pour harnois le porte-mors, le frontal, & la bride, une housse ou pièce d’étoffe au lieu de selle, & pour tout ornement des bandes de cuir découpées en treffle à la croupière & au poitrail.

Quoique ce soit ainsi que les bas-reliefs représentent ordinairement la cavalerie romaine, il est certain cependant que les Romains ont connu, ainsi que les Grecs, les chevaux bardés, & les cavaliers vêtus de l’armure complette. Polybe remarque qu’ils armèrent plus pesamment leurcavalerie pour la rendre plus utile.

Les cavaliers anciens, qui n’avoient point de selles, ne connoissoient pas non plus les étriers : ils se lançoient également à cheval à droite & à gauche. Les romains n’étoient point dans l’usage de ferrer les chevaux ; maison ferroit les mulets destinés à porter les bagages. Les chevaux des Grecs étoient ferrés. Les housses, chez ce peuple, étoient des peaux de bêtes, qui servoient tout à la fois à la commodité du cavalier & à la parure du cheval. On fixoit cette dépouille par une sangle qui passoit sous le ventre, & par les deux pattes antérieures de la dépouille qu’on nouoit devant le poitrail du cheval. On laissoit flotter les deux autres sur la croupe.

La Grèce avoit dans sa cavalerie des étendarts qui lui étoient particuliers, ainsi que quantité de signaux & d’enseignes militaires. C’étoient de grands guidons de soie ou de riches banderolles, portant l’image des dieux que révéroit spécialement la nation à qui appartenoit l’enseige, ou le nom des cohortes qui l’arboroient. On avoit aussi des drapeaux volumineux sur lesquels étoient brodés en or le nom & les titres du général. On portoit ordinairement cet étendart à coté de la divinité protectrice de la brigade. Les Romains n’avoient point de ces étendarts magnifiques. Jusqu’au règne du fastueux Constantin, les enseignes impériales n’étoient elles-mêmes que des labarum d’une forme très simple & d’une étoffe peu recherchée. C’est vraisemblablement des Perses que les Grecs avoient emprunté leur luxe militaire.

CEINTURE . Elle faisoit une partie essentielle de l’habillement militaire. Il suffisoit pour dégrader un soldat, de lui ôter sa ceinture. On se servoit même quelquefois du mot ceinture, cingulum, pour signifier l’état militaire.

CHARS . Nous avons fait connoître les chars de combat qui étoient en usage au siège de Troye, & qui le furent encore long-temps après. Il y eut des chars à un seul timon, à deux, & à un plus grand nombre, qu’on atteloit de six, huit, dix chevaux. Il est fait mention dans Xénophon de charsà quatre timons.

Les chars armés de faulx étoient particuliers aux Perses, & passent pour avoir été inventés par Cyrus. Ils étoient tirés par des chevaux bardés & montés de deux guerriers couverts de fer, qui les guidoient avec impétuosité au milieu des rangs les plus épais des ennemis. La partie postérieure du char étoit garnie de fers tranchants, circulairement placés, afin qu’on n’y pût monter sans se déchirer. Aux axes des roues étoient adaptées des faulx, que ceux qui le montoient levoient & baissoient, à l’aide d’un cordage. C’est dumoins ce que dit un auteur incertain cité par Dempster. Du temps de Xénophon les aissieux étoient armés de longues faulx disposées horisontalement, & d’autres, au dessous, tournées contre terre, renversoient & déchiroient les hommes & les chevaux. On ajouta dans la suite de longues pointes de fer au timon. L’usage de ces charsfut enfin abandonné, parce qu’on parvint à les rendre inutiles en ouvrant les rangs pour leur donner un passage, & même à les rendre funestes aux ennemis, en effrayant les chevaux & les faisant retourner en arrière.

CHAUSSURE . Nous avons déjà parlé des bottines de fer qui étoient au nombre des armes défensives. Elles descendoient jusqu’au cou-de-pied, qui étoit lui-même quelquefois couvert d’une plaque de fer. Il paroît que souvent les soldats romains n’avoient que des espèces de chaussesqu’on peut supposer de cuir ou de peau & qui paroissent avoir été fendues sur les mollet. Il paroît, par des bas-reliefs que les porte-enseignes étoient nud-jambes. La chaussure la plus ordinaire étoit le brodequin : il consistoit quelquefois en simples bandes de cuir qui tenoient à la semelle & serpentoient sur le pied & au bas de la jambe : quelquefois c’étoit une courte bottine qui ne montoit que jusqu’aux mollets, & qui étoit parée de bandelettes & d’autres ornemens. La semelle des gens de guerre étoit de bois, garnie de lames de fer très minces, & semée de cloux à têtes quarrées, qui les rendoient très fermes sur la terre, mais qui rendoient aussi leur marche difficile & incertaine quand ils se trouvoient sur des pierres.

CHLAMYDE . C’étoit un manteau qui s’attachoit M I L tachoit sur l’épaule gauche, par le moyen d’une agraffe. Cet ajustement grec fut adopté par les romains.

CLYPEUS, bouclier des romains, il étoit d’airain & de forme ronde, & n’étoit pas si grand que celui qu’ils appeloient scutum.

CORDITUUM . On pourroit traduire ce mot par garde-cœur. c’étoit une plaque d’airain ou d’autre métal, longue & large d’un palme, dont le soldat romain se couvroit la poitrine.

CORSELET . C’étoit la principale partie de la cuirasse, celle qui couvroit la poitrine, l’estomac & le ventre.

COTTE de mailles, sorte de cuirasse composée d’anneaux de métal.

CUIRASSES . Elles étoient composées d’un corselet fait de deux parties qui se joignoient ensemble par des courroies & des agraffes ; l’une couvroit la partie antérieure du corps, & l’autre, le dos. On y ajustoit un gorgerin qui défendoit le haut de la poitrine, & des épaulières qui réunissoient à la région des épaules les deux parties du corcelet. Les chefs portoient ordinairement des cuirasses de métal ; elles étoient plus ornées chez les Grecs que chez les Romains, qui en général, ont plus recherché dans leurs armes la bonté que le faste. Si les monumens antiques sont fidèles à cet égard, les armuriers représentoient sur les cuirasses les principaux muscles du corps. Il y avoit des cuirasses faites de piquures de lin ou de laine, d’autres de toile garnie de plaques de métal, d’autres de lames de métal, d’autres enfin d’un cuir assez bien apprêté pour qu’il fût souple & moëlleux & se prêtât aux mouvements du corps. Le soldat romain portoit, au lieu de corselet, des bandes de cuir, & y ajoutoit le cordituum pour se défendre la poitrine.

CUISSARDS . Arme défensive, destinée à défendre les cuisses ; elle étoit formée de bandes de métal, ou de plaques taillées en écailles. Ces pièces tenoient ensemble par des charnières, ou elles étoient fixées sur un cuir. Elles ne couvroient que la partie antérieure de la cuisse.

ÉLÉPHANS . Les Perses, les Indiens & d’autres peuples de l’Asie & de l’Afrique en avoient dans leurs armées ; ils ont été imités dans la suite par les Macédoniens, les Carthaginois, & même les Romains qui s’en servirent pour la première fois dans la guerre de Macédoine contre Philippe. On posoit sur le dos des Éléphans des tours chargées de soldats ; on accoutumoit ces animaux à combattre eux-mêmes ; on leur gar-


nissoit les dents de fer, pour qu’ils fussent moins exposés à les briser & qu’ils portassent des coups plus redoutables.

ENSEIGNES . Celles des grecs étoient une bannière ou labarum, un jeune bélier, une chlamyde élevée au bout d’une lance. Il ne paroit pas que les enseignes fussent connues dans les temps héroïques.

L’enseigne des Romains fut jusqu’à Marius, une poignée de foin au bout d’une lance : c’est ce qui fit nommer les enseignes romaines manipuli, des poignées. L’aigle devint ensuite la principale enseigne des légions ; on en eut d’autres représentant un loup, un sanglier, un cheval, un minotaure. Ces figures étoient posées sur un plateau, au haut d’une lance, dont le bois étoit souvent garni de médaillons qu’on appelloit fercules. Quelquefois sur l’épaisseur du plateau, on lisoit S. P. Q. R. c’est à dire le sénat & le peuple romain. Les mêmes caractères se trouvoient aussi sur le labarum. Une main entourée de lauriers étoit une enseigne commune aux grecs & aux romains. La chouette, oiseau consacré à Minerve, étoit l’enseigne d’Athènes ; Castor & Pollux, celle de Lacédémone, &c.

ÉPAULIERES . Parties de la cuirasse qui s’agraffoient au corselet, & passoient par dessus les épaules qu’elles servoient à défendre. C’étoit à l’épaulière gauche que s’agraffoit la chlamyde.

ÉPÉE . Il paroit que celle des Grecs étoit une sorte de sabre ou de cimeterre. Celle des Romains, au moins du temps de Polybe, se portoit à droite : elle avoit une lame à deux tranchans, & une pointe très acérée : on la nommoit épée espagnole. La lame n’avoit que deux pieds & demi de long. Les Romains l’attachoient, ainsi que les Grecs à un baudrier.

FALARICA, gros trait, qui, d’un côté, étoit armé d’un fer long d’ne coudée, & avoit à l’autre extrêmité une ule de plomb. Les falariques se lançoient à l’aide de machines.

FAULX . Elles ont fait quelquefois partie des armes offensives. Nous avons parlé des chars armés de faulx.

FRONDEURS, guerriers qui lançoient des pierres à l’aide d’une fronde. Ils ont fait partie de la milice chez la plupart des anciens peuples, & même chez les Romains. Les frondeurs de cette nation étoient vêtus d’une tunique sans manches ; ils avoient le petit bouclier nommé pelta, le casque & une seule bottine.

GENOUILLÈRE, plaque de métal qui défendoit

ji 4 MIL défendoit les genoux : elle recrouvroit l’extrêmité inférieure des cuissarts & l’extrêmité supérieure des bottines.

GORGÉRIN : je donne ce nom à une pièce de métal qui garnissoit la cuirasse vers le haut de la poitrine.

HACHES . Elles ont été longtems au nombre des armes offensives. Il y avoit des doubles haches.

HASTA, longue pique armée de fer. Les soldats qui la portoient se nommoient hastati.

INFANTERIE . Arrien en distingue trois sortes. L’infanterie pesamment armée qui a la cuirasse, l’écu, le coutelas, la longue lance : l’infanterie légère qui n’a ni écu, ni bottines, ni casques, & qui combat en lançant des traits, comme flêches, traits, pierres jettées à la fronde ou à la main : la moyenne qui porte le petit bouclier nommée pelta, & qui est elle-même nommée peltaste. Ses armes offensives sont celles que les Romains nommoient veruta & les grecs acontia. Elle a d’ailleurs, comme l’infanterie pesante, le casque, & les bottines, elle a aussi des cuirasses d’écailles ou d’anneaux.

Polybe, qui parle spécialement de l’infanterie romaine, n’en distingue que deux ; celles des plus jeunessoldats, & l’autre composée de guerriers qui ont acquis toute leur force. La première portoit le bouclier nommé parma. Elle avoit pour arme offensive le pilum. La seconde avoit ce qu’on appeloit l’armure par excellence, armatura. Elle consistoit dans le grand bouclier, nommé scutum, dans l’épée d’espagne, la sorte de javelot nommé verutum, le casque, la bottine, la lorica & le cordituum. On peut voir tous ces mots dans leur ordre alphabéthique.

JUPPE . Nous appellons ainsi, faute d’autre mot, une sorte de juppe courte ressemblante à un tablier de nos brasseurs, ou à la trousse des coureurs, qui étoit attachée au bas de la cuirasse. Elle représentoit la partie inférieure d’une tunique que la cuirasse étoit censée recouvrir, & descendoit tout au plus jusqu’au dessus des genoux.

LABARUM, enseigne faite en forme de bannière.

LACERNE . Grand manteau assez ample pour être revétu par dessus toutes les armes. Il étoit particulier aux Romains.

LAMBREQUINS . C’étoit des bandes attachées au bas de la cuirasse & qui tomboient sur la sorte de juppe, que, dans le costume du théâtre, nous nommons tonnelet. Les lambrequins étoient ornés de broderie, de plaques de métaux, de franges ; quelquefois même ils étoient doubles. Les plus illustres Romains, moins fastueux que les grecs dans leurs armes, avoient souvent des cuirasses sans lambrequins.

LANCEA . Ce n’étoit pas notre lance, qui seroit plutôt l’hasta des romains. La lancea avoit au milieu une courroie qui aidoit à la lancer, & servoit à la retirer.

LICTEURS . Nous copierons encore ici Dandré Bardon. Les licteurs étoient, dit-il, des gardes qui marchoient devant les magistrats supérieurs pour faire ranger le peuple. Ils portoient des haches enveloppées dans des faisceaux de baguettes, différemment caractérisés suivant la dignité de l’officier qu’ils précédoient. Leur vêtement étoit à-peu-près le même que celui des soldats. Ils avoient le corselet, comme eux ; Ils portoient quelquefois la lacerne. D’autres fois cependant ils étoient très pauvrement ajustés ; ayant la moitié du corps & les bras nuds, sur-tout lorsqu’ils avoient quelqu’exécution à faire ; car ils servoient de bourreaux, toujours prêts à délier leurs faisceaux pour frapper de verges ou décapiter les coupables. Les licteurs qui devoient accompagner un triomphateur, montoient à cheval le jour de la cérémonie, marchoient à sa suite ajustés du corselet du casque, de l’épée, du bouclier, & portant devant eux le signe de leur profession posé debout sur le cheval ; le fer de la hache penchoit en avant. Les faisceaux qu’on n’accordoit que par honneur aux flamines de Jupiter & aux vestales, n’étoient composés que de baguettes. Ceux qui étoient portés devant les juges civils ou militaires, ayant droit de vie & de mort sur les coupables, étoient distingués par le fer de la hache que les baguettes enveloppoient. Les faisceaux des consuls avoient une pointe d’acier ; ceux des rois de Rome, étoient surmontés d’un fer de hallebarde où étoit un crochet derrière le tranchant. Ceux que le sénat décernoit aux héros victorieux, étoient entrelacés de branches de laurier : on les conservoit précieusement dans les familles, comme la distinction la plus honorable dont la république pût illustrer un guerrier ; mais il ne leur étoit pas permis de s’en décorer en public. A l’égard des faisceaux ordinaires, qui servoient à punir les coupables, les uns n’étoient que de petits fagots de houssines propres à la fustigation ; les autres un tas de baguettes, qui entouroit la hache destinée à décapiter.

Sous les empereurs, on regarda comme une ignominie, digne des criminels obscurs, d’avoir M IL la tête tranchée avec une hache, & comme une distinction d’avoir le cou coupé avec une épée. Ce préjugé est descendu jusqu’à nous, & l’épée est devenue un instrument de supplice, réservé pour les nobles.

LORICA : bandes de cuir qui formoit la cuirasse des Soldats romains. On a donné par extension le même nom à des cuirasses de métal, quoique l’étymologie de la lorique soit le mot lorum, qui signifie une courroie.

MANTELET, Vinea. Nous transcrirons encore cet article de Dandré-Bardon. Les mantelets, sous lesquels les sapeurs se garantissoient des traits de l’ennemi, étoient des espèces de toits formés de planches assemblées à angle aigu sur deux poutres écartées & montées sur quatre roues. Ces planches formoient un triangle, dont le plan des roues étoit la base. Il y en avoit de ressemblans à nos guérites de sentinelles, simplement couverts d’un toit en dos d’âne, qui n’avoit de pente que sur les côtés, & d’autres assemblés comme les feuilles d’un paravent, sans couvertures & portés sur des roulettes. Ceux-ci servoient à pénétrer dans des recoins, où, à l’aide d’une tarrière, on faisoit de grands trous qu’on remplissoit de matières combustibles, pour embraser tout ce qui pouvoit périr par le feu. Les principaux mantelets, dont les sappeurs faisoient usage dans la démolition des tours & des remparts, & qui étoient les plus exposés aux efforts des assiégés, n’étoient pas construits différemment pour la forme : mais les madriers, les poutres & les roues en étoient beaucoup plus forts. Quelquefois ils étoient distingués par la décoration du drapeau de la légion qui fournissoit les travailleurs de l’armée. C’est à la faveur de ces machines solides à toute épreuve, que les sappeurs manœuvroient sans craindre les plus terribles traits que les assiégés pouvoient lancer contre eux. C’est aussi sous l’abri de leurs boucliers, pressés les uns contre les autres, que les soldats faisant ce qu’on appelloit la tortue, favorisoient ces ouvriers, avançoient sans rien craindre, & pénétroient en sureté dans la place par les différentes brêches que les travailleurs venoient d’ouvrir. Un des expédiens les plus efficaces pour garantir les fappeurs, contre les traits de l’ennemi, étoit d’élever devant les mantelets, des rideaux faits de gros cables, qui amortissoient la force des coups, & de donner aux travailleurs des casques & des corselets couverts d’osier.

OREILLETTES . Dans les casques romains, la mentonnière s’élargissoit en remontant vers les oreilles qu’elle couvroit entièrement. Il paroit même, à l’inspection de quelques casques, que la plaque qui défendoit l’oreille, & que nous nommons oreillette étoit distincte de la mentonnière. Les casques grecs laissoient ordinairement les oreilles découvertes.

PARMA : bouclier rond, & qui avoit trois pieds de diamêtre. Il étoit à l’usage des jeunes soldats, comme plus léger que l’écu ; mais il suffisoit à défendre le corps.

PELTA, bouclier petit & léger, dont on rapporte l’invention aux Amazones. Il avoit, dit Julius Pollux, la forme d’une feuille de lierre ; il étoit échancré à la partie supérieure en forme de croissant.

PILUM . C’étoit un trait plus léger que le verutum. Le bois en avoit la grosseur d’un doigt & deux coudées de long. Le fer étoit long d’un palme, & si mince vers la pointe qu’il s’émoussoit après avoir une fois frappé, ce qui le rendoit inutile à l’ennemi. Il se nommoit spiculum du temps de Végece.

SAGUM, saye, sorte de tunique militaire, sans manches, que les romains avoient empruntée des gaulois, & qui étoit assez large pour se revêtir pas dessus l’armure.

SARISSE, lance macédonienne, qui avoit jusqu’à quatorze coudees de long.

SCUTUM, écu ; c’étoit le grand bouclier des Romains, fait dans la forme de ces tuiles qui s’arrondissent en dehors & sont concaves en dedans. Sa largeur étoit de deux pieds & demi, & sa longueur de quatre pieds. Il étoit composé de deux planches parfaitement collées & recouvert d’une peau de veau ou de quelqu’autre animal. Une bande de fer le fortifioit en haut & en bas ; en haut pour recevoir les coups d’épée, en bas pour qu’il ne fût pas rongé par la terre. Au milieu étoit une plaque de fer à l’épreuve des coups les plus violens.

SIEGES . L’art d’attaquer & de défendre les places a été fort imparfait jusqu’à l’invention de l’artillerie moderne. Mais les sièges étoient d’autant plus terribles, que les machines moins actives & moins destructives en prolongoient davantage la durée. Les assiégés, privés de tout, & souvent même de l’espérance, languissoient dans une longue attente de la mort dont ils cherchoient toujours à reculer l’instant. Sans ressources, ils ne se rendoient pas encore, parceque la férocité du droit de la guerre les condamnoit presque toujours à la mort ou à l’esclavage. On vit trop souvent, dans des villes assiégées, les défenseurs de la place se nourrir de la chair de leurs morts, des femmes déchirer

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M I L & dévorer leurs enfans, d’autres faire des provisions de chairs humaines salées.

Les fortifications consistoient en de hautes & épaisses murailles, des tours & des fossés. On les défendoit, en jettant sur les assiégeans, des pierres, des poutres, des meubles, des tuiles, des graisses & des huiles bouillantes. On lançoit sur les machines des traits enflammés, enveloppés d’étoupes & enduits de poix & de bitume.

Les assiégeans employoient pour battre les murailles, les béliers, les énormes pierres lancées par les catapultes, la sappe qu’ils faisoient à couvert sous leurs mantelets. Ils montoient à l’escalade en faisant la tortue pour se garantir des pierres que les assiégés rouloient sur eux. Ils construisoient des tours roulantes qui les élevoient à la hauteur des remparts, avec lesquels ils s’établissoient même une communication par le moyen d’un pont qu’ils y jettoient. On pourroit s’etendre davantage sur les moyens que les anciens employoient pour l’attaque & la défense des places ; mais il est inutile ici d’entasser ce qui ne seroit d’aucun usage aux arts pittoresques.

TELUM étoit le javelot ; son nom semble venir du mot grec têté qui signifie loin, parcequ’en effet il se lançoit de loin.

TENTES . Les tentes des anciens étoient à peu près de la forme des nôtres ; mais quand on devoit rester longtemps campé, on les rendoit plus solides en les couvrant d’un toit de bois, ou plutôt au lieu de tentes, on construisoit alors des barraques. Les tentes ou barraques des chefs, étoient souvent entourées de fortes barricades ; on prenoit sur tout cette précaution pour la tente du Questeur, parce qu’elle étoit le dépôt du trésor.

TORTUE . Ce mot est consacré dans notre langue, & il n’est plus permis de le changer : mais on peut observer que, dans l’origine, on auroit dû traduire par le mot voute, ce que les Romains appelloient testudo dans l’art militaire, c’est à dire l’industrie qu’avoient leurs soldats de se faire une voute ou un toit de leurs boucliers réunis. Ils avoient emprunté cette expression de l’architecture, & l’on sait que, dans cet art, le mot testudo signifie une voute, parce qu’en effet la voute d’un bâtiment a quelque ressemblance avec l’écaille de la tortue.

Quand les soldats grecs ou romains vouloient approcher d’une place, protéger des travailleurs, ou monter à l’escalade, ils se serroient & rangeant au-dessus de leurs têtes, leurs boucliers dansle même ordre que se rangent les tuiles d’un toit, ils formoient une voute impénétrable aux traits légers, & sur laquelle rouloient les choses pesantes qu’on jettoit sur eux. Par le moyen de la tortue, ils se servoient quelque fois d’échelles à eux-mêmes, un second corps de soldats montant sur la voute que fortmoit le premier, & en formant lui-même une autre à son tour, sur laquelle pouvoit gravir un troisième. Les boucliers longs des Romains étoient encore plus commodes pour cette opération que les boucliers ronds des Grecs.

TOURS . Nous avons parlé des tours roulantes au mot siége. Elles avoient souvent plusieurs étages. A l’étage inférieur étoient les sappeurs ; plus haut étoit suspendu le bélier ; au niveau des remparts ennemis étoit un étage, où, par le moyen d’un pont, on combattoit corps à corps avec les assiégés comme dans la plaine ; plusieurs étages encore supérieurs étoient remplis de guerriers qui lançoient des traits sur les défenseurs de la place. Les tours étoient encore en usage dans le XIVe. siécle, comme la plupart des armes & des machines anciennes.

TRIBUNAL, endroit élevé, d’où les magistrats haranguoient le peuple, & les généraux les soldats. Ce n’étoit souvent qu’une pierre quarrée, ou un monticule de terre revêtu de gazon. Onélevoit toujours un tribunal dans les camps.

TROMPETTE . Les anciens avoient plusieurs instrumens guerriers que nous rassemblerons sous ce nom : la trompette proprement dite qui étoit droite, le lituus qui se recourboit à l’extrêmité opposée à l’embouchure, le cornet qui se courboit aux deux extrêmités, le clairon qui formoit la spirale & ressembloit assez à nos cors de chasse.

TUBICINE, celui qui sonnoit de la trom pette. Voyez bccinateur.

VERUTUM ; sorte de javelot, de la longueur de trois coudées. Le fer aussi long que le bois, étoit accompagné de deux crochets en forme de hameçons, de sorte qu’on ne pouvoit le retirer de la blessure sans déchirer les chairs.

VISIERE . Les casques des grecs avoient des visières qui pouvoient se baisser. Voyez casque. (Article de M. Levesque.)

MINIATURE, (subst. fem.). Genre de peinture en petit, dans lequel on employe des couleurs délayées à l’eau gommée. On se contente ordinairement de pointiller les chairs, & l’on peint à gouache les fonds & les draperies. On connoît cependant des miniatures où tout le travail est pointillé.

On a lieu de présumer que ce genre est d’origine françoise. On voit en effet que les Italiens n’avoient point de terme dans leur M I N langue pour le désigner, ce qui prouve invinciblement qu’il ne leur appartenoit pas : on n’est obligé d’employer des mots étrangers que pour désigner une industrie étrangère, & chaque peuple a, dans sa langue, des noms pour faire connoître les arts dont il est l’inventeur. Le Dante, dans son enfer, adressant la parole à un miniaturiste italien, est obligé d’employer une périphrase pour indiquer sa profession, & de dire que son art est celui que les Parisiens nomment enluminure ; c’étoit le nom qu’on donnoit alors en France à la miniature, & le Dante qui avoit vécu à Paris, ne pouvoit manquer d’en être bien informé. Il est donc très-vraisemblable que les Italiens, qui ont appris des Grec l’art de peindre à fresque & en mosaïque, ont reçu des François l’art de peindre en miniature.

Aussi voit-on nos plus vieux manuscrits enrichis de miniatures qui, par l’éclat de leurs couleurs, effacent ce qui a été fait dans le même genre depuis le quinzième siècle. Ces ouvrages sont ordinairement relevés de dorure. Le dessin en est gothique, ainsi que les ajustemens ; on voit que les auteurs de ces peintures ne savoient ni dessiner le nud, ni jetter artistement des draperies ; mais on y trouve des têtes qui ont un commencement de caractère & de vérité, & l’on peut croire que, du moins pour cette partie, ces artistes, ou si l’on veut ces ouvriers, consultoient quelquefois la nature. Félibien témoigne avoir vu un manuscrit françois, en vélin, que le caractère d’écriture & le style devoient faire rapporter au douzième siècle, & qui étoit orné d’un grand nombre de figures à la plume dont le dessin n’étoit pas inférieur à celui des peintres de l’Italie au temps de Cimabué.

Les curieux trouveront amplement, à la Bibliothèque du Roi, de quoi confirmer le jugement de Félibien ; ils verront que nos anciens miniaturistes ne peuvent être surpassés quant à la finesse du pinceau, qualité qui n’est pas méprisable dans ce genre.

Comme leur emploi étoit d’orner les livres, l’université les prit sous sa protection, & les mit au nombre de ses suppôts, faveur qui n’étoit pas alors à dédaigner, par tous les privilèges qui l’accompagnoient.

La comparaison de nos vieux manuscrits, avec ceux que les autres nations chargeoient, dans le même temps, d’ornemens semblables, dépose en faveur de notre supériorité, & nous assure une gloire, dont en effet l’objet n’est pas considérable, mais qui vaut bien celle de plusieurs artistes Italiens des mêmes siècles, que l’Italien Vasari n’a pas cru indignes de ses éloges.

En suivant les différens âges de nos miniaturistes, on les voit faire des progrès à mesure


que les ténèbres de l’ignorance se dissipent, & ces progrès deviennent plus sensibles sous le règne de Charles V, qui protégeoit les lettres & les arts encore au berceau. Le duc de Berry, frère de ce prince, les favorisoit, & recherchoit les manuscrits qu’ils ornèrent de leurs travaux. Ils ne paroissent pas même avoir déchu sous le règne malheureux de Charles VI. On peut voir, à la bibliothèque du Roi, le manuscrit de Salmon qui fut vraisemblablement présenté par l’auteur à ce monarque infortuné. Il est orné de miniatures très-soignées. Les têtes du Roi, du duc de Bourgogne, &c. paroissent être des portraits, & ce sont les seuls qui nous restent de ces princes. Ce manuscrit a appartenu à M. le duc de la Valière.

On peint en miniature sur ivoire & sur vélin. Dans l’un & l’autre genre le travail doit être savamment épargné, & l’artiste doit laisser travailler le vélin où l’ivoire qui lui sert de fond. Comme ce genre tend par lui-même à une certaine froideur, il faut bien se garder de le finir d’une manière léchée ; des touches vives, justes & spirituelles doivent reveiller & animer les travaux. Ce genre est susceptible de tout ce qu’on appelle esprit dans l’art de dessiner & de peindre, ou plutôt il ne peut vivre que par l’esprit. Voyez ce mot. Nous parlerons des procedés particuliers à la miniature, dans le dictionaire de la pratique des arts. (Article de M. Levesque.)].

MINUTIEUX, (adj.). Se dit d’un artiste qui entre dans les plus petits détails de la nature. Quoique cette expression se prenne presque toujours en mauvaise part, il y a cependant des esprits qui sont partisans de l’excès des détails, & qui regardent le minutieux comme le degré de vérité le plus exquis. Il faut convenir qu’il y a des genres qui admettent les minuties, d’autres où elles ne sont pas supportables.

Sous quelqu’acception que l’on prenne le mot minutieux, il ne peut se rapporter qu’à l’exécution ; fort différent en cela de l’adjectif mesquin, qui n’est guère applicable qu’au style. Aussi voit on des statues & des tableaux dont le caractère de dessin est mesquin, & qui, loin d’être minutieux, n’ont pas même le degré de détails nécessaires aux vérités les plus communes. D’un autre côté, il est rare qu’un artiste minutieux air une manière grande & large ; mais il peut n’être pas mesquin, défaut, qui suppose une petitesse de formes, une sécheresse de goût, qui peut fort bien se manifester sans aucuns détails.

Mais sans s’appésantir sur la différence de ces deux expressions, différence qu’on aura déjà suffisamment sentie ; revenons au minutieux, & examinons d’abord, s’il doit être jamais

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MIN jamais considéré comme un mérite ; pour marcher surement dans cette discussion, il faut se représenter le minutieux dans le degré le plus éminent.

On a vu à Paris, en 1766, deux bustes de Denner, peintre Hollandois, qui portoient la datte de 1740. L’un étoit un portrait de femme assez noble, & peu jeune ; l’autre d’un homme dont la barbe longue d’une couple de lignes, ajoutoit encore à la trivialité de son caractère. Tous les détails de la peau, ses plis, ses pores mêmes, les cheveux, les prunelles, les poils étoient rendus par un fini qui avoit besoin de l’examen à la loupe, comme on le fait pour les mêmes petites parties dans le naturel. Ce qu’il y avoit d’admirable dans ces ouvrages, c’est qu’ils étoient en même temps assez solides de masses pour devoir être trouvés beaux, dans un éloignement ordinaire. Alors, les détails disparoissoient comme dans la nature, & on jouissoit de l’effet d’un bon ensemble. C’est assurément un grand & rare talent, que de savoir ainsi copier parfaitement son modèle, jusqu’aux plus petites parties qui le composent ; mais en réfléchissant sur les grands principes de l’art de peindre, nous sommes portés à croire que cette grande recherche lui est non-seulement inutile, mais qu’elle est même contraire à ses premières lois.

En effet, que nous apprennent les premières règles de la perspective ? Elles nous disent qu’un tableau est la copie d’un objet qui doit être regardé d’une assez grande distance pour que sa totalité soit embrassée d’un seul coup d’œil. Cet objet, comme l’ont proposé tous les maîtres en cette science, est censé vû à travers un chassis représenté par les bords du tableau, ou par l’arasement de sa bordure. Or, du point de distance obligé selon toutes les règles de l’optique, à l’objet proposé pour modèle, il est impossible d’appercevoir les détails subtils de la nature ; donc c’est un défaut que de les exprimer ; donc c’en est un que d’être minutieux.

Si cependant un artiste enthousiaste de ce genre de beauté, & rejettant le principe fondamental que nous venons de poser, se livroit au charme de cet excès de rendu, le considérant comme le plus haut degré de perfection, il faudroit au moins qu’il s’approchât infiniment de l’objet pour y voir ces détails, en supposant qu’il pût le faire sans loupe. Mais alors on sent qu’il courroit le risque de ne pas conserver l’ensemble dans son ouvrage : car en approchant si fort son œil de l’objet naturel, chaque point principal de son observation seroit autant de point de vue, & alors dans la même tête, placée à la hauteur de son œil, il pourroit voir l’orbite en-dessous, & la


lèvre inférieure, ainsi que le menton, en dessus.

On nous objectera que Denner a su conserver son ensemble perspectif avec tous ces détails : mais qui se flattera d’un talent si remarquable & si distngué, sans lequel il n’eût fait que des ouvrages ridicules ; qui pourra n’être pas effrayé des combinaisons laborieuses que cette réunion deminuties & de l’ensemble lui a coutées ; enfin qui possèdera la miraculeuse perspicacité de son organe ?

Au surplus, en convenant de tout son talent, qu’en peut-il provenir de si distingué ? Rien autre chose, sinon, qu’il étoit le résultat d’une grande patience, d’un esprit minutieux. Encore ce résultat, mérite de la difficulté vaincue, est-il perdu dès que l’on considère l’ouvrage à une distance égale à celle que les objets de la nature même doivent être considérés par le commun des organes. c’est-à-dire, au moins, à trois ou quatre pieds de l’œil pour un petit buste.

Il nous reste à examiner à quel genre une exécution minutieuse peut être convenable. Nous pensons qu’elle doit être l’apanage des peintres de fleurs ; & d’autres petits objets délicats qu’on se plaît tant à considérer de très-près dans le naturel. C’est même à cette exécution que les peintres de ces genres agréables doivent leur principal mérite, puisque leur travail n’est pas susceptible de celui qui dépend des hautes connoissances, de l’imagination, ou des sentimens de l’ame. Ainsi les minutieuses beautés des Van-Huysum, des Vezendael & des Mignon, méritent notre estime, par le plaisir que peut procurer une fidèle & précieuse imitation des miracles de la nature.

Pour le portrait, nous pensons que la recherche des détails minutieux en ôte presque toujours l’esprit général & la grandeur, & rend le peintre qui s’y livre incapable d’acquerir les belles & nobles qualités dont Lefevre, Champagne, de Troi père, Velasquès, Van-Dick & le Titien nous ont donné de si grands exemples.

Mais si l’on tolère l’exécution minutieuse des broderies & des dentelles dans les tableaux ordinairement peu attachans par l’impression ; si même elle devient un mérite essentiel dans les genres dont le seul pouvoir est de charmer les yeux, elle est absolument intolérable dans la sculpture, & dans le grand genre, où sont déplacés tous les détails qui peuvent distraire du vrai but de l’histoire & de la poësie, qui est d’instruire & de toucher ; où, non-seulement les minuties des objets naturels ne sont pas admissibles, mais où ils ne faut que dégrader l’art ; où loin de tendre enfin à piquer l’intérêt par la peinture détaillée des corps divers, on ne doit exclusivement employer l’art qu’à les M O D faire agir & exprimer par l’excellence du choix des agrémens & des formes. (Article de M. ROBIN.)

MIROIR, (subst. masc.) Quand tu voudras voir, dit Léonard de Vinci, si ta peinture est conforme aux objects, que tu fais d’après nature, prends un miroir, fais y mirer l’objet, & compare cet objet avec ce que tu as peint. Le miroir est plat, & il te montre les objets relevés ; la peinture fait la même chose. La peinture n’a qu’une seule surface ; il en est de même du miroir. Le miroir & la peinture montrent la représentation entourée d’ombre & de lumière, & la font également paroître éloignée de la surface.

Comme il est aisé de se tromper soi-même, dit Félibien, en regardant toujours d’une manière ce que l’on veut imiter, & qu’en demeurant long-temps sur son ouvrage, on n’en reconnoît plus les défauts, il est bon de consulter quelquefois le miroir : car en examinant toutes les figures en particulier, on en découvre plus aisément les défauts, le miroir étant un ami fidèle qui ne flatte point, & qui a l’industrie de retourner l’ouvrage d’une autre manière ; comme pour en supposer un autre dont on peut juger sans prévention.

De Piles conseille aux peintres l’usage du miroir convexe, qui enchérit sur la nature pour l’unité d’objet dans la vision. Tous les objets qui s’y voyent font un coup-d’œil & un tout ensemble plus agréable que ne seroient les mêmes objets dans un miroir ordinaire, & que la nature même. Il faut supposer le miroir convexe d’une mesure raisonnable, & non de ceux qui pour être parties d’une trop petite circonférence, corrompent trop la forme des objets. Ces sortes de miroirs pourroient être utilement consultés pour les objets particuliers, comme pour le ganéral du tout ensemble.

MODE, (subst. fem.). Les modes, dans les vêtemens, sont quelquefois si bisarres, & si éloignées de la véritable destination des habits, qu’elles cachent & déguisent la nature. Il y en a même qui la gênent & la contrarient au point de la pervertir ; & quand elles ont long-temps triomphé, elles empêchent de la reconnoître, parce qu’on prend alors pour la nature les changemens qu’elles y ont causés. Qui, par exemple, dans nos villes où tous les individus ont été maniérés par l’art, n’est pas persuadé que la nature veut qu’on porte la tête fort droite, & les pieds en dehors. Cependant la structure & la connexion des os prouvent que telle n’est pas la


position naturelle des pieds, & dans un sujet bien conformé, on reconnoît par la disposition des vertèbres que la tête doit être légèrement inclinée. L’action d’avancer la poitrine gêne la respiration ; la nature ne veut donc pas qu’elle soit avancée. Pour tenir les genoux tendus, il faut faire un certain effort, & cet effort prouve que cette tension est un mouvement peu naturel.

Si l’on a le coude appuyé sans que la main soit soutenue, cette main inactive tombe par son propre poids, & le poignet s’arrondit : mais il y eut un temps où les maîtres de danse prononçoient qu’un poignet rond étoit une difformité ; on les croyoit, &, contre le vœu de la nature, les poignets cessoient de s’arrondir.

La situation la plus commode de chacune des parties dans les différentes positions du corps, est toujours aussi la situation la plus naturelle, & par conséquent la plus véritablement gracieuse, parce que la vraie grace est toujours unie à la nature.

On a jugé à propos, depuis environ quarante ans, de porter des souliers pointus : il a fallu que le pied se formât dans ces moules qui le blessent ; ainsi les pieds des gens bien chaussés ne sont plus les pieds de la nature. Il faut que les artistes cherchent, pour cette partie, des modèles dans les individus des dernières classes de la société, qui n’ont jamais porté que de larges chaussures. Pour ne pas imiter des pieds déformés par les souliers à la mode, ils sont obligés d’étudier des pieds déformés par les fatigues, & par conséquent, ils ne trouvent nulle part la nature dans sa beauté.

La nature, en destinant les femmes à être mères, leur a donné un vaste bassin, capable de contenir le fruit qu’elles doivent porter. Cet élargissement des hanches fait que, par opposition, la taille paroît plus fine ; conformation qui a la beauté convenable à son usage, mais en effet moins belle par elle-même que celle des hommes qui est plus coulante. Cependant les femmes ont outré ce défaut, si l’on peut appeller défaut, ce qui répond au vœu de la nature. A force de se comprimer dans des corps de baleine, elles ont obligé leur taille à contracter un étranglement difforme, &, comme si cet étranglement n’étoit pas encore assez défectueux, elles ont ajouté à la largeur de leurs hanches par la parure qu’elles nomment panier, bouffant, &c. Par ces deux moyens réunis, elles sont parvenues à se donner une difformité durable, & à y joindre une difformité postiche.

Ce n’est pas, comme l’observe M. Reynolds, un travail peu difficile au peintre, de distinguer la conformation donnée par la nature, de ?2o M O D la conformation artificielle. Une longue habitude a donné aux effets de l’art, l’apparence de la nature, &, pour reconnoître celle-ci, l’artiste est obligé de recourir aux statues antiques, faites dans un temps où les modes n’avoient pas encore altéré le naturel.

« Qu’il soit permis, si l’on veut, dit M. Reynolds, aux arts méchaniques & de luxe de sacrifier à la mode ; mais elle ne doit jamais influer sur l’art. Il faut que le peintre se garde bien de prendre les avortons qu’elle produit pour les vrais nourrissons de la nature ; il est nécessaire aussi qu’il renonce à tout préjugé en faveur de son siècle & de son pays, & qu’il méprise les costumes momentanés & locaux pour ne s’arrêter qu’à ces usages généraux qui sont les mêmes dans tous les lieux & dans tous les temps. Il consacre ses ouvrages à tous les peuples & à tous les siècles ; il en appelle à la postérité pour les juger, & dit avec Zeuxis : Je peins pour l’éternité. « « Le peu de soin qu’on apporte à distinguer les usages modernes des habitudes naturelles du corps, conduit à ce style ridicule, adopté par quelques peintres, qui ont donné aux héros de la Grèce les airs & les graces maniérées de la Cour de Louis XIV : absurdité aussi grande, pour ainsi dire, que s’ils les avoient habillés à la mode de cette Cour. »

(Article extrait en grande partie de M. REYNOLDS.)

MODÈLE, (subst. masc.) terme de peinture. C’est le nom que l’on donne à un homme ou une femme que l’on pose nud pour servir d’objet d’étude. Le dessin que l’on fait d’après ce modèle se nomme académie.

Ce qui a été dit dans plusieurs articles de ce dictionnaire sur la méthode de choisir en divers sujets les différentes beautés qui leur sont propres, pour en composer une beauté parfaite, de corriger la nature vivante d’après les idées du beau, que l’antique nous à transmises, ne doit pas être observé par l’élève qui étudie d’après le modéle. Il faut bien distinguer les opérations de l’artiste qui crée, de celles de l’artiste qui étudie.

L’objet de l’étude, d’après le modèle, est de rendre l’œil juste, d’habituer la main à bien saisir & bien rendre ce que l’œil a bien vu, de faire connoître les différentes formes, les divers mouvemens de la nature vivante. La plus grande précision peut seule donner à cette étude toute son utilité. Autant dans les tableaux, & sur-tout dans ceux dont les sujets sont héroïques, il faut rechercher le beau idéal, ce beau qui ne se trouve jamais réuni dans un seul individu, autant dans les études, il faut s’astreindre à la simple imitation de l’objet qu’on étudie. Mais l’étude faite, il est très-


utile d’en conférer les parties à celles des plus belles figures antiques qui y répondent.

Des maîtres ont proposé de rendre quelquefois cette comparaison plus facile encore, en posant le modèle dans la même attitude que quelques-unes des statues de l’antiquité ; ainsi les élèves pourroient comparer toutes les parties du modèle vivant, avec ces mêmes parties conformes au plus beau choix fait par les grands artistes de la Grèce.

On s’est plaint justement de ce que, dans de grandes écoles, on n’avoit qu’un seul modèle, ou deux tout ou plus. C’est ne donner aux étudians que l’idée d’une seule nature, c’est leur en cacher les innombrables variétés, c’est les accoutumer à la manière, même en les faisant travailler d’après nature. Car représenter toujours une même nature, c’est aussi bien être maniéré, quoiqu’on l’imite d’après un modèle vivant, que si on la créoit d’après la pratique qu’on se seroit faite. On n’est porté que trop naturellement à se faire une certaine idée de formes qu’on ramène fréquemment avec une sorte de prédilection, sans fortifier encore ce penchant par le vice des études.

Le mal s’accroît, parce que les élèves & même les maîtres, quand ils font en particulier des études pour des tableaux prennent ordinairement le modèle de l’académie, soit par l’estime que l’habitude leur donne de ses formes, soit parce qu’il est plus habile à tenir une pose qu’un modèle moins exercé. Le tableau eût-il douze, vingt figures, elles sont souvent toutes étudiées d’après ce modele, comme si l’artiste craignoit de répandre trop de variété dans ses ouvrages. Cependant il cherche cette variété, & pour y parvenir, il travaille d’idée d’après nature, chargeant les formes dumodèle s’il fait un Hercule, & les adoucissant s’il fait un Apollon.

Un modèle, nommé Deschamps, a posé pendant plus de quarante ans à l’académie de Paris. Pendant cette longue période de temps, presque toutes les figures des tableaux de l’école françoise ont été étudiées d’après Deschamps : tantôt Deschamps étoit Mercure toujours jeune, tantôt il étoit le terrible Mars, tantôt Neptune, Pluton, Jupiter. Ceux qui avoient quelqu’habitude de l’école reconnoissoient l’eternel Deschamps dans les différens ouvrages des peintres & des statuaires, & admiroient les nombreuses métamorphoses qu’on lui faisoit subir. Il n’y avoit pas jusqu’à sa tête qui ne se fit quelquefois reconnoître, & l’on étoit étonné de voir sa face un peu bachique, devenue celle d’un héros ou d’un dieu. Il est vrai que ce modèle étoit beau ; mais Zeuxis rassembloit les beautés de toute une ville, pour en former une seule beauté, & les artistes françois, au contraire, prenoient M O D

prenoient une seule beauté pour en faire toutes les beautés différentes. (Article de M. Levesque.)).

MODÈLE. (Terme de sculpture). Comme il est aisé de perdre un bloc de marbre, si l’on en ôte plus qu’il ne faut pour produire l’ouvrage qu’on se propose ; comme d’ailleurs le marbre ne se manie pas aisément ; ainsi q u’une substance molle qu’on pétrit à volonté ; comme il est très difficile d’y faire certaines corrections, & que d’autres sont même absolument impossibles ; l’artiste commence par produire son idée en argille : c’est ce qu on appèlle un modèle. Le travail en marbre n’est qu’une copie faite, ou du moins terminée de la main du maître, & à laquelle il ajoute souvent des beautés qui ne se trouvoient pas sur son original.

Il est possible à la rigueur de faire sans modèle) au moins une mauvaise figure de pierre : c’est vraisemblablement ainsi qu’ont travaillé les premiers inventeurs de l’art, & cette méthode hasardée fut aussi probablement celle dos sculpteurs gothiques. Il suffisoit pour eux que la pierre taillée eût grossièrement la figure humaine. Mais comme on ne peur jetter un ouvrage en bronze sans que le métal soit soutenu d’un noyau, & enveloppé d’un moule, & que le moule doit se prendre sur un modèle, on a été obligé de faire un modèle dès la première fois qu’on a exécuté un ouvrage en bronze.

Quand Pline rapporte l’invention des modèles à Dibutade de Sicyone, ou aux Samiens Rhécus & Théodore, il faut donc entendre seulement que ce fut Dibutade qui fit cette découverte à Sicyone, qu’elle avoit été faite auparavant à Samos, par Théodore & Rhécus, & que long-temps encore auparavant, elle avoit été faite en Egypte, puisque les Egyptiens avoient fait des ouvrages en bronze avant que les arts fnt connus dans la Grèce. Il en est ainsi d’un grand nombre d’inventions qui sont nées en des temps différens, dans les différentes contrées.

On lit dans l’ancienne Encyclopédie, que les sculpteurs nomment modèles des figures de terre &c. qu’ils ébauchent pour leur servir de dessin. Cette manière de s’énoncer n’est pas exacte & doit tromper les lecteurs qui ne connoissent point les arts. Il est bien vrai que les sculpteurs sont d’abord un ou plusieurs modèles qui ne sont que des ébauches, des premières pensées, comme les peintres ont coutume de faire tine première esquisse : mais le modèle d’après lequel doit être travaillé le marbre, ou sur lequel doit être fait le moule, est à peu près aussi terminé que le sera dans la suite le marbre ou le bronze. On sent que


cela doit être ainsi, puisque c’est sur le modèle que se prendront les mesures qui seront reportées sur le marbre, & que c’est aussi sur le modèle que se prendra le moule dans lequel sera fondu le bronze. On sait que les statuaires évitent, autant qu’il leur est possible, que le bronze ait besoin d’un travail fait après coup, d’autant plus qu’au moins chez les modernes, ce travail est confié à des mains étrangères.

On lit dans le même ouvrage, que les anciens faisoient leurs modèles en cire, & que les modernes y ont substitué l’argille : & quelques lignes plus bas on y trouve la preuve qu’ils ont employé l’argille, ainsi que les modernes, & même, ce qui est moins certain, que leurs premiers modèles ont été d’argille. Ce qu’il y a de vrai, c’est que dans l’antiquité, comme à présent, on a fait des modèles de cire, qu’on en a fait de terre, & que dans tous les temps on a dû préférer la dernière substance, au moins pour les grands modèles. Il est même vraisemblabe qu’elle a toujours été généralement préférée, parce qu’elle se manie plus aisément.

Autre erreur du même ouvrage. On y lit que l’argille, en se séchant, souffre une diminution inégale dans toutes ses parties, que les petites parties de la figure se séchant plus vîte que les grandes, le corps, comme la plus forte de toutes, se seche le dernier, & perd en même temps moins de sa masse, que les premieres.

A cette objection d’un amateur, nous opposerons la réponse d’un artiste éclairé par une longue expérience, M. Falconet. « Cela seroit, dit cet habile statuaire, contre les lois les plus simples & les plus connues de la physique ; & voici ce que ces lois & l’expérience démontrent journellement aux sculpteurs qui font des modèles d’argille. »

« Ces modèles étant faits d’une même matière, & cette matière étant également humide, la sécheresse produit une retraite égale & proportionnée aux différentes parties. Le col d’une figure, par exemple, qui auroit trois pouces de grosseur, se réduiroit, en séchant. à deux pouces neuf lignes, tandis que le corps, qui auroit sept pouces & demi de large, n’auroit plus que six pouces dix lignes, la retraite supposée à un douzième : cette règle est constante, quelque forme que le sculpteur donne à son modèle. «  « Mais il est un inconvénient dont on ne parle pas, qui est cependant essentiel, & que la seule réflexion, sans l’expérience, auroit dû suggérer : c’est la réduction inégale de la hauteur du modèle, comparée à celle de sa largeur. Tour coups humide, dont les parties ne sont pas contenues sur leur hauteur par des membranes solides,

Y t’y

Ï2* M O D comme le bois, pose & s’affaisse sur lui-même. Ainsi, une figure d’argille, en proportion de sa hauteur & du poids de la terre, est sujette à cet inconvénient dont il falloit parler, puisqu’il engage le sculpteur à des précautions particulières : celles, par exemple, de commencer sa figure plus longue qu’il ne faut, ou d’en tenir la plinthe assez épaisse pour y retrouver la longueur nécessaire, quand il s’apperçoit que sa figure est devenue trop courte. »

Après avoir établi faussement la diminution du modèle, on donne un faux moyen d’y remédier. Ce moyen est de faire un modele d’argille, de l’imprimer dans du plâtre & de jetter ensuite de la cire fondue dans le mouie. Mais on ne peut pas imprimer une modèle tout humide ; il aura donc éprouvé une diminution avant d’être moulé : la cire en se refroidissant en éprouve une elle-même ; c’est donc remedier par d’eux défauts à un prétendu défaut. On fait d’ailleurs que les cires en sortant du moule, ont besoin d’être réparées ; elles ne sont donc pas, comme le modèle, le travail vierge de l’artiste. On continuera donc de ne recourir au procédé conseillé par M. de Jaucourt, auteur de l’article modèle, dans l’ancienne Encyclopédie, que lorsque ce procédé sera nécessaire, comme pour les fontes en bronze. D’ailleurs les artistes continueront de faire du premier coup leurs modèles en cire ou en argille, comme ils le trouveront plus convenable.

M. de Jeaucourt soupçonne que les anciens différoient des modernes dans la manière de travailler le marbre d’après leurs modèles ; il en donne pour preuve qu’on ne s’apperçoit pas, même dans les antiques d’un rang inférieur, que le ciseau y ait enlevé en quelqu’ endroit plus qu’il ne falloit.

S’il y a des antiques d’un rang inférieur, c’est qu’elles pechent par la proportion ou par la beauté des formes : on n’a donc pas enlevé précisément par tout ce qu’il falloit de marbre pour produire ces formes & ces proportions. La plus belle statue possible est dans le bloc de marbre qui entre dans l’attellier du sculpteur : s’il ne sait pas en tirer cette statue, c’est qu’il n’a pas l’habileté d’enlever avec précision ce qu’il faut du marbre qui la cache ; c’est qu’il ôte trop ou trop peu de marbre. Si M. de Jeaucourt accorde que des artistes modernes ont fait de belles statues, ils n’ont donc pas enlevé plus de marbre qu’il ne falloit ; & si l’on voit des statues médiocres, il ne faut pas supposer que l’artiste ait, par maladresse, enlevé trop de marbre ; mais qu’il n’avoit dans la pensée qu’un modèle médiocre, duquel a résulte un médiocre modèle en ar-


gille, d’après lequel il a fait une médiocre statue.

Il se peut que les anciens différassent en quelque chose des modernes dans la manière de travailler le marbre d’après le modèle ; mais cette différence devoit être peu importante, & sans doute le résultat étoit le même. Les modernes eux-mêmes ont, à cet égard, changé plusieurs fois de procédé. Voici comme M. Falconet décrit en abregé celui qui est maintenant en usage.

« On place deux chassis pareils, marqués de divisions semblables, l’un au-dessus du marbre, l’autre, au-dessus du modèle, on y pose un fil avec un plomb attaché au bout, sur chaque face du chassis ; ces fils tombant jusqu’au bas de la figure, parcourent le chassis à volonté ; on présente horizontalement une fiche de bois dont la pointe touche le modèle aux endroits où l’on veut prendre une mesure, pour la rapporter sur le marbre, & la section de la fiche avec le fil étant marquée, donne la mesure dont on a besoin. »

M. de Jeaucourt croyoit que ces mesures devoient rendre l’artiste timide ; il supposoit que les anciens avoient eu plus de hardiesse, & que, par conséquent, ils avoient eu aussi un autre procédé. Comme Michel-Ange a coupé le marbre avec une hardiosse qui tenoit de l’audace & de la témérité ; il veut que ce grand statuaire eût trouvé une route particulière & nouvelle, & il regrette qu’il n’ait pas daigné la communiquer aux artistes. Mais on sait qu’elle étoit la route que suivoient les sculpteurs du temps de Michel-Ange, & c’est insulter à sa mémoire que de le regarder comme un charlatan à secrets.

Le procédé des mesures a toujours été nécessaire, parce que la coupe du marbre a, de tous les temps, exigé de grandes précautions, & parce que, de tous les temps, l’artiste après avoir fait son modèle, a chargé un ouvrier subalterne de dégrossir le marbre, & de l’approcher plus ou moins de la forme de ce modèle. Il perdroit un temps inutile & précieux, s’il se chargeoit lui-même de ce premier travail ; mais il risqueroit aussi de perdre son marbre, s’il ne donnoit pas à l’ouvrier un moyen sûr de suivre des mesures précises. « La voie méchanique des mesures, dit M. Falconet, n’est principalement que pour l’ouvrier qui ébauche la figure ; l’artiste qui la prend de ses mains, pour la faire & la finir lui-même, voit les beautés du modèle qu’il a fait, en ajoute ordinairement sur le marbre, & n’a de méthode alors que ses propres observations, son goût, son génie, & la nature. Ainsi Michel-Ange dont la méthode est invoquée, on ne sait trop pourquoi, M O D pourquoi, auroit dû plutôt nous laisser sa chaleur, sa pratique, sa hardiesse étonnante à travailler le marbre ; que cette route particulière & nouvelle qul l’on prétend qu’il fraya, & qui cependant n’a pas empêché ce grand sculpteur d’estropier savamment plus d’une figure de marbre. »

Ce que M. Falconet avance ici est prouvé par quelques ouvrages que Michel-Ange a laissé imparfaits, & qu’il n’auroit pu terminer, parce que dans l’impétuosité de son travail, il avoit trop entamé le bloc.

Mais quand il seroit vrai qu’aucun statuaire moderne n’eût la hardiesse & la liberté des artistes de l’ancienne Grèce, & de Michel-Ange, il ne faudroit pas attribuer leur timidité au procédé qu’ils suivent en travaillant le marbre d’après le modèle, puisque rien ne leur défend, quand ils ont reçu leur bloc dégrossi par la main d’un ouvrier, de travailler avec une liberté de maîtres.

Il faut avouer que nous avons eu des artistes très-habiles à faire de beaux modèles, qui ont dû à cette habileté une grande réputation, & qui avoient très-peu d’habitude de travailler le marbre. Après avoir fait dégrossir le bloc par un ouvrier subalterne, ils étoient obligés d’avoir recours, pour avancer le travail, & l’approcher autant qu’il étoit possible du modèle, d’employer des artistes fort habiles, non pas peut-être dans l’art de créer, mais dans celui de copier très-exactement en marbre. Eux-mêmes recevant enfin l’ouvrage à très-peu près terminé, ne faisoient qu’y donner timidement quelques petits coups d’outils ; ils le frottorent & le caressoient plutôt qu’ils ne le travailloient.

Mais on ne sauroit dire en général que leur procedé fût celui des modernes. Je ne me rappelle plus quel sculpteur appelloit ces artistes trop peu ouvriers, des potiers de terre. Ils se vengoient en traitant de marbriers les artistes savans à travailler le marbre, mais moins heureux à composer de belles statues. Malgré ces reproches mutuels, il est aisé de sentir qu’il doit résulter pour l’art un grand avantage de la réunion des deux talens. L’ouvrage joint alors, à la beauté des formes & des proportions, une hardiesse de touche, un feu d’exécution qu’il ne peut recevoir que de la main du maître. C’est là peut-être ce que vouloit dire M. de Jaucourt, & ce qu’il n’a pas dit.

Mais si ces deux qualités ne peuvent être constamment réunies, il faut avouer que l’artiste qui fait faire de très-beaux modèles, trouvera toujours des ouvriers capables de les rendre en marbre peut-être avec un peu de froideur d’exécution, mais avec la précision la plus exacte, & qu’il est bien préférable au sculpteur qui sait très-bien tailler le marbre, mais qui ne sait modèler que des ouvrages médiocres. On sait que le Bernin & notre Bouchardon faisoient considérablement avancer le marbre d’après leurs modèles. C’étoit peut-être moins l’habileté du métier qui leur manquoit, que la patience de faire une seconde fois, sur une matière résistante, ce qu’ils avoient déjà fait si bien avec une substance plus docile. Nous ne prétendons par les louer ici d’avoir négligé la manœuvre de leur art ; mais nous n’oserions non plus les condamner. Pendan, que d’habiles ouvriers traduisoient en marbre les beaux modèles de Bouchardon, il en composoit de nouveaux, ou il consacroit ses laborieux loisirs à faire ces dessins si savans & si purs, que les amateurs recherchent avec tant d’avidité.

Quoique souvent, comme on l’a dit, un savant maître ajoute sur le marbre des perfections nouvelles à son ouvrage, cependant les beautés d’une excellente statue en marbre, & celles d’une excellente modèle peuvent se balancer, parce qu’elles ne sont pas toutes du même genre. Celles qui tiennent aux formes & aux proportions sont les mêmes ; celles qui tiennent à l’exécution sont différentes. Le modèle étant fait d’une matière flexible, ses beautés respirent la facilité, le goût & même le ragoût : on aime à sentir & à suivre les traces variées du doigt qui s’est promené sur tout l’ouvrage ; on aime à reconnoître ces coups d’ébauchoir, tantot badins, qui donnent ici le feu & la vivacité à un œil, l’esprit à une bouche, le sentiment à une narine, là une aimable légèreté à une linge flottant, à une boucle do cheveux. Le travail du marbre est plus difficile, & par conséquent : plus austère ; il est moins susceptible d’esprit, mais il est capable de fierté ; il se refuse au badinage de la main, mais l’empreinte du sentiment y est plus profonde ; on reconnoît en général qu’il a coué davantage, mais on jout de l’habileté de l’artiste par-tout où l’on ne peut s’appercevoir qu’il lui ait couté. Souvent la statue étonne plus, & le modèle se fait plus aimer : souvent aussi l’œil avide, & incertain se porte de l’un à l’autre, & n’ose dicter à l’esprit aucun jugement. Il faut avouer cependant qu’en général, sans parler de ce qui tient à l’art, l’éclat doux & tranquille du marbre lui obtient la préférence. (Article de M. Levesque.)

MODELER (Verbe act.) faire un modèle. Le fait on en terre ? on se sert d’une argille bien lavée, bien nétoyée, bien pétrie. Fn l’employant, on la pétit encore une fois dans les mains, on donne aux différens : morceaux qu’on en prend la forme grossière de qu’ils doivent représenter, & on acheve de perfectionner cette forme avec les doigts, surtout avec le pouce,

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MOE & avec un instrument qu’on nomme ébauchoir

Les fait-on en cire ? le procédé est le même, quoique plus difficile, parce que la cire est moins maniable. On prépare la cire en y mélant, par chaque livre une demi-livre d’arcançon ou colophone, & quelquefois de la térébentin, & en faisant fondre le tout avec de l’huile d’olive. On mêle plus ou moins d’huile, suivant qu’on veut rendre la cire plus ou moins maniable. Pour rendre plus agréable la couleur de ce mêlange, on y fait entrer un peu de brun-rouge ou de vermillon.

On fait aussi, avec de la cire blanche, de fort petits bas-reliefs, en manière de camées, sur des fonds d’ardoise, d’ébene &c. On a traité le portrait dans cette manière qui est, par rapport aux grands modèles, ce que les dessins de Labelle ou de le Clerc sont par rapport aux cartons de Raphaël ou de Jules-Romain. En général, dans tous les arts qui tiennent au dessin, les ouvrages en petit composent un genre inférieur ; mais, quand on y réussit, il n’est pas méprisable.

Les modèles des figures collossales destinées à être fondues en bronze, se font de plâtre.

Nous avons dit ailleurs combien il est utile aux peintres de savoir modeler, & nous avons appuyé cette opinion de la pratique de plusieurs grands maîtres. Un modèle vivant ne peut se poser volant en l’air ou assis sur des nuages ; mais on peut placer une figure qu’on a modelée dans toutes les positions dont on a besoin, la retourner, la changer de place, & étudier celle où elle se compose le mieux. On peut modeler toutes les figures qui doivent entrer dans la composition & même quelques-uns des principaux accessoires, & en changer la disposition & l’ordonnance jusqu’à ce qu’on soit satisfait. Comme les sculpteurs préfèrent ordinairement la terre, les peintres devront souvent préfèrer la cire pour modeler leurs petites figures, parce qu’ils resteront maîtres de changer à leur gré les mouvemens de quelques parties en les pétrissant de nouveau, au lieu que la terre ne peut plus se manier, quand une fois elle est sèche.

MŒLLEUX (adj.) Cette épithete énergique fait l’éloge du talent auquel on l’applique. C’est par ce mot que nous avons traduit en francois, le morbidv des Italiens ; car, on sait que chez eux l’art avoit son langage, avant que nous le connussions.

Qui dit moëlleux, dit doux & agréable quelque soit l’objet auquel on l’attribue Ainsi, en peinture, en sculpture, & en gravure, le moëlleux est n moyen qui contribue à exprimer le gracieux, & même la beauté.

Cette qualité n’est guere applicable qu’aux opérations de la main, & jamais à ce qui tient à l’invention, ni à tout ce qui dépend de l’esprit. Ainsi on ne dira pas d’une composition, d’une attitude, ni d’une expression, quelles sont moëlleuses ; mais on dit : ce tableau st d’un pinceau moëlleux ; ce sculpteur à une manière moëlleuse ; dans cette estampe les chairs sont moëlleuses, &c.

Entreprendre de rendre par la parole, tout ce qui s’entend dans les arts, par moëlleux, seroit un grand travail, & en même temps un travail inutile. L’examen d’un ouvrage sec, net, ou éxécuté avec fermeté, à côté d’un autre qui sera rendu d’une manière moëlleuse, en apprendra plus en un clin d’œil, qu’un volume d’écriture.

Bornons-nous donc a faire sentir de notre mieux ce que c’est qu’un ouvrage moëlleux, en lui opposant ce qui ne l’est absolument pas, afin de montrer avec un peu de précision quelles sont nos idées sur ce point de pratique.

Le pinceau excessivement fondu & vaporeux est l’excès du moëlleux ; ainsi Grimou, ni le Cavalier Liberi n’ont pas possedé ce mérite. L’éxécution molle & indécise est le défaut de ceux- qui, cherchant le moëlleux, n’ont pas assez de savoir pour conserver la justesse, ou aumoins la décisionnécessaire à l’expression des formes.

Ce qu’on nomme en peinture le fondu, n’est pas toujours le moëlleux. Le Guide, & Annibal Carrache, ont bien fondu leurs couleurs ; Louis Carrache, le Parmesan & sur-tout le Correge, ont été moëlleux.

En sculpture, le Flamand, le Bernin, & le Puget ont éxécuté moëlleusement. Nous ne connoissons pas d’ouvrages antiques dans lesquels on rencontre cet agrément ; on peut en donner la raison. Le moëlleux est un mérite qui tient à la manière de faire ; le savoir profond s’occupe moins de la façon dont il exécute, que d’exprimer fortement ce qu’il voit, ce qu’il sent ; on ne peut donc guere trouver le moëlleux, tout aimable qu’il est, dans les ouvrages antiques. Ces premiers maîtres de l’art ont bien su faire tout jusqu’a la grace, sans s’occuper des charmes de l’exécution : au lieu que la trop grande recherche, & l’estime excessive de la manière agréable tendent à l’éloignement du sublime, & même à la chûte de l’art.

George Mantouan, & Marc-Antoine n’ont pas fait des estampes mœlleuses comme Pontius, les Nanteuils, les Massons, & beaucoup d’autres ; mais ils ont su par leurs connoissances dans les formes rendre les traits sublimes de Raphael, & même de Michel-Ange.

Quoi ! s’écriera-t’on, ce moëlleux si vanté, si séduisant seroit incompatible avec le grand style ? vaine exclamation que ne fera pas celui qui sait en quoi consiste le sublime. (Article de M. Robin.) M O E

avant lui Aristote, & avant eux la raison avoit portée pour les Poëtes, doit être observée par les peintres : servandi sunt tibi mores,(il faut observer les mœurs.)

Il est permis de se tromper, & même de prendre quelques licences sur certains détails du costume. Ce seroit une sévèrité pédantesque de faire à un artiste de durs reproches, parce que, dans un tableau représentant quelque sujet de l’antiquité, il auroit peint une forme d’habit, de casque, de quelqu’ustensile dont on ne trouveroit pas le modèle sur les bas-reliefs ou les médailles : mais le peintre & le statuaire doivent connaître les mœurs & les usages du temps, du pays où s’est passée l’action qu’ils représentent. Une femme de l’Ionie aura des graces voluptueuses ; une femme de Sparte, l’audace d’un courage viril. II faut qu’on reconnoisse qu’elle seroit capable de dire à son fils partant pour le combat reviens avec ce bouclier, ou sur ce bouclier : parce que c’étoit une infamie de perdre cette arme, & parce que c’étoit sur leur bouclier qu’on rapportait les morts.

Les hommes même médiocrement instruits savent à peu près dans quels temps, & chez quels peuples ont brillé les richesses, le faste, les arts de luxe. Le peintre ne peut donc les tromper, & ne fait que dévoiler son ignorance, quand il suppose le luxe & la richesse dans un siécle ou chez un peuple pauvre. C’est une faute souvent d’autant moins pardonnable qu’elle est commise volontairement : les peintres croyent enrichir leurs tableaux en y prodiguant l’or, la soie, les ornemens d’un luxe recherché, comme si la richesse de l’art étoit la même que celle des nations corrompues. Ils ressemblent à ce peintre contemporain d’Apelles, qui faisoit Hélène riche, ne pouvant la faire belle. Ils couvriront d’or un général lacédémonie, dans les temps où les métaux précieux étoient éxilés de Lacédémone. Ils donneront une épée d’or, un casque d’or à Jason, à Thésée, tandis que même les rois qui assisterent au siége de Troye n’avoient que des épées enrichies de cloux d’argent, & qu’une queue de cheval faisoit l’ornement de leur casque : ils décoreront de colonnes corinthiennes la maison du souverain de la pauvre Itaque, quoique Callimaque, inventeur du chapiteau corinthien, n’ait fleuri que dans la soixante & quatrième olympiade environ 525 ans avant notre ére. Ils feront entrer la soie dans les habits des austères patriciens de l’ancienne Rome, tandis que les Romains, long-temps pauvres, ne purent connoître la soie qu’après avoir fait des conquêtes dans l’Orient. Les mœurs sont la grande partie du costume ; celle que jamais il n’est permis de négliger.

C’est encore aux mœurs que se rapporte l’expression, parce qu’il est essentiellement dans les


mœurs, que les traits & les mouvemens des hommes, s’accordent avec les actions dont ils sont occupés, avec les affections qu’ils éprouvent. Il est également dans les mœurs que l’habit, le maintien répondent à l’usage, au sèxe, à la dignité, aux fonctions des personnes, & quelquefois même aux circonstances où elles se trouvent.

Si l’artiste doit observer les mœurs, il ne doit pas moins respecter les bonnes-mœurs. Manquer au premier précepte, c’est ne montrer que de la négligence ou de l’ignorance ; enfreindre le second, c’est manifester un cœur corrompu, une âme inférieure à la dignité de l’art. On répondra que cependant des artistes respectés, Michel-Ange, Jules-Romain, ont souillé leurs pinceaux pour des peintures obcènes, & nous serons obligés d’en faire le triste aveu : mais la sagesse pittoresque de Raphaël, du Poussin, de Rubens est toujours restée sans reproche. Dailleurs, il ne faut pas confondre l’égarement passager de quelques hommes célèbres, avec le choix de quelques artistes avilis, qui semblent avoir eu pour objet principal de leur art, le dessein de corrompre les mœurs ou d’en consacrer la corruption. On ne peut heureusement faire aujourd’hui ce reproche qu’à quelques ouvriers dans un des genres subalternes de la peinture, qui trouvent d’autres ouvriers en gravure toujours prêts à multiplier leurs méprisables productions. (Article de M. Levesque.)

MOL & MOLLESSE . Un tableau mol, un dessin mol, une toucke molle sont des expressions par lesquelles on désaprouve.

La mollesse des chairs ; une certaine mollesse dans le pinceau, dans les contours sont des expressions par lesquelles on loue.

Comment rendre raison de ces différens sens ? ce qu’on peut remarquer, c’est que mol qui désigne un défaut s’applique à des objets généraux, & mollesse à des objets particuliers : un tableau mol, c’est à dire, dont l’exécution est molle, suppose dans celui qui l’a fait, un génie nonchalant, un talent privé de ressort & de vigueur. Il en est de même d’un dessin. Quant à la touche, comme elle est le signe de l’expression, de l’énergie & de l’esprit, la mollesse ne doit & ne peut lui convenir.

Venons à l’idée de la mollesse appliquée à des objets particuliers de la peinture.

La mollesse des chairs, exprime une qualité particulière, une douce fléxibilité qui caractérise la chair des enfans & des femmes.

Une certaine mollesse dans le pinceau revient au molle atque facetum qu’Horace considère comme une perfection, & dans ce point, la manière de peindre a quelque ressemblance avec la manière d’écrire.

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M O N Enfin la mollesse des contours se rapporte à cet ondoyant que l’on souhaite dans le trait des figures des jeunes-hommes & des jeunes filles. Une certaine souplesse dans le crayon, dans la main, dans le pinceau, produit en effet ces courbes si douces qui ont la mollesse des flots d une mer qui cesse d’être agitée.

Les tours des langues qui semblent offrir des singularités & quelquefois des contradictions & qu’on croit des effets du caprice des hommes, sont souvent, quand on se donne la peine de les bien observer, des effets justes d’un instinct qui, pour ainsi dire, raisonne sans que nous nous en appercevions. Nous voulons quelquefois les corriger, ou nous les condamnons, & nous faisons comme les mauvais maîtres à danser qui, en prétendant donner de la perfection aux mouvemens naturels, leur donnent de la roideur, tandis que l’instinct, en se prêtant à la pondération & aux loix de l’équilibre, les rendoit souples & agréables par cette mollesse qui n’est point un défaut.

Artistes, si vous peignez des enfans, de jeunes femmes, des Amours, des Génies, des Nymphes, observez cette mollesse qui caractérise, par le trait & par le pinceau, le tissu fin de leur peau, la souplesse de leurs mouvemens, enfin cette fléxibilité des muscles & des articulations, perfection de leur foiblesse.

Mais en laissant aller avec orle sorte d’abandon votre pinceau & votre touche pour mieux rendre ces caractères, ne vous en faites pas tellement une habitude, que vous ne puissiez la vaincre quand il vous faudra peindre Hercule, Mars & des figures vigoureuses, qui demandent que votre esprit & votre main participent de l’énergie que vous devez leur donner.

Ce n’est pas de la dureté & de la sécheresse qu’on appelle force en peinture ; ce n’est pas de l’indécision & en quelque sorte de l’inertie qu’on appelle mollesse. J’aurois peine à décider quelle est la plus grande de ces deux imperfections ; mais la sécheresse & la dureté même sont des défauts, dont il est possible qu’on se corrige, tandis, que la mollesse, qui conduit à n’avoir aucun caractère, est peut-étre sans ressource. (Article de M. Watelet.)

MONOCHROME . Quoique ce mot soit inconnu dans les atteliers des peintres, & qu’il ne soit employé que par les savans, il doit cependant trouver place dans le dictionnaire des arts. Il est composé de deux mots grecs, monos, seul & chrôma ; couleur. Il désigne donc une peinture d’une seule couleur, telle qu’elle fut dans l’origine de l’art.

La peinture égratignée dont Polidore décoroit les édifices de Rome, les camaïeux, les grisailles, les dessins arrêtés quant à la partie du


clair-obscur, les estampes enfin, sont des peintures monochromes.

Comme la peinture monochrome renonce aucharme des couleurs, elle est obligée de racheter ce défaut par toutes les autres beautés de l’art ; surtout par celles des formes & de l’expression. Son austérité, que l’on peut comparer à celle de la sculpture, semble lui interdire tous les agrémens subalternes que la peinture relève peur le prestige du coloris, & lui faire un devoir de tout ce que l’art a de grand, de noble, d’imposant. En renonçant à l’espérance de charmer les yeux par la magie des teintes, elle contracte l’obligation de parler à lame & de satisfaire l’esprit. C’est ainsi que Polidore, célèbre disciple de Raphaël, renonçant à soutenir son art par la variété des couleurs, mérita cependant de tenir un rang illustre entre les plus grands peintres. Mais quand on ne traita que petitement de petits sujets dans les tableaux qu’on nomme camaïeux, ce genre très subalterne fut à peine compté entre les différentes manières de peindre ; c’est ainsi qu’on dédaigne de compter entre les productions de la statuaire, ces terres-cuites que font des artisans en sculpture pour la décoration des jardins. En général, quand dans les arts, on se dispense de vaincre certaines difficultés, on se soumet dès lors à la loi de commander à l’estime des hommes par des beautés qui l’emportent sur celles que promettent ces difficultés vaincues. (L.)

MONOTONE (adj.). Ce mot a, dans la langue de l’art, le même sens & le même emploi que dans la langue ordinaire, & signifie qui n a qu’un seul ton : mais les artistes disent encore plus volontiers, en parlant d’un tableau, qu’il est égal de ton, de couleur, qu’il est fade, qu’il est gris ; qu’il fait le camaïeu &c. On exprime aussi la monotonie en désignant la couleur qui domine dans un tableau, & l’on dit qu’il donne dans le roux, dans le jaune, dans le violâtre, dans le noir, dans la farine, &c.

La monotonie est un grand défaut, sans doute. Le trop grand éclat des couleurs, l’excessive variété des teintes, le luisant exagéré de certaines parties, en est un autre, surtout dans le genre de l’histoire qui doit laisser du repos au sens de la vue, pour que l’esprit ait le loisir de se fixer aux grandes parties de l’art, celles qui parlent à l’ame.

On dit quelquefois d’un petit tableau que c’est une perle, & c’est une éloge : mais ce n’en seroit pas un pour la représentation d’un sujet grave & majestueux, parce qu’elle doit plutôt en imposer qu’eblouir, commander l’attention & le respect que charmer les yeux. (L.)

MORBIDESSE. (subst. fem.) Ce mot vient de l’italien morbidezza, & nos artistes l’ont adopté. Les Italiens appellent morbido ce qui est délicat, souple, doux au toucher. On appelle morbidesse dans les arts, ce qui semble, dans l’imitation de la nature, avoir cette délicatesse, cette mollesse aimable qu’offre la nature elle-même. La morbidesse se trouve surtout dans le sentiment des chairs, lorsqu’elles ont à l’œil, dans un tableau, toute la souplesse, toute la douceur qu’elles auroient au toucher dans un beau modèle vivant. Le Correge a donné le premier des exemples d’unemorbidesse que ses successeurs ont difficilement imitées. Elle contribue beaucoup à l’agrément, à la grace, à la vérité des figures de femmes & d’enfans. Le défaut contraire au mérite de la morbidesse c’est celui de ces peintres lechés qui donnent à tous les objets une surface lisse & luisante. Ils ne pensent pas que cet éclat ne peut être produit que par des corps durs & polis sur Jesquels les rayons rejaillissent. Le Puget & d’autres habiles sculpteurs ont prouvé que, sous une main savante, les matières les plus dures, telles que le marbre, ne se refusent pas à lamorbidesse. (L.)

MOSAIQUE. (subst. fem.) Sorte de peinture qui opère avec des pierres colorées, naturelles ou artificielles. Le tableau a toute l’épaisseur qu’on juge à propos de donner à la longueur des pierres que l’on employe, & dans toute cette épaisseur, il est parfaitement le même, au lieu que les tableaux faits par les autres manières de peindre, n’ont qu’une surface, & sont détruits dès que cette surface est altérée. Toute la partie supérieure d’une mosaïque peut être éraillée, gâtée, méconnoissable pour faire revenir le tableau effacé, il suffit de lui rendre le poli ; & cette opération, que des accidens rares peuvent seuls rendre nécessaire, peut se recommencer tant que l’ouvrage conserve encore quelque reste d’épaisseur. On pouroit donc appeller cette peinture éternelle s’il y avoit quelque chose d’éternel sur la terre. On en donnera les procédés dans le dictionnaire de pratique.

On sent l’avantage qu’auroient les hommes pour exercer leur perfectibilité dans toute son étendue, si les arts qu’ils inventent & qu’ils approchent de la perfection, pouvoient être exercés par des moyens durables. La perfection est le fruit du temps : elle se compose de l’intelligence, des découvertes, des succès des générations qui se succèdent. Si cette succession est interrompue, si une génération perd le souvenir des découvertes & de l’industrie des générations qui l’ont précédée, cette industrie, ces découvertes font comme si elles n’avoient jamais existé, & pour revivre, il faut qu’elles


soient inventées de nouveau ; il faut repasser par tous les mêmes dégrés de première maladresse, de premiers tâtonnemens, de perfectionnemens lents & successifs, avant de les rétablir au même état où elles avoient été dans des temps qui n’ont laissé aucune trace. Si les beaux ouvrages de la peinture, de la musique grecque s’étoient conservés, comme une partie de ceux de la sculpture & de l’architecture, les nations modernes, en sortant de la barbarie, auroient trouvé de beaux modèles à suivre ; elles seroient parties du point où les auroient placées ces modèles, & dans les siècles éclairés qui se sont suivis, elles n’auroient eu qu’a ajouter à ces arts, qu’elles furent obligées de créer, des perfections nouvelles.

C’est le service qu’auroit rendu la mosaïque à l’art de la peinture, si elle avoit été portée par les anciens au dégré de perfection à laquelle elle a été élevée dans la Rome moderne, & si on l’avoit appliquée au même objet. Nous aurions pu trouver dans le sein de la terre, & sous de vieux décombres, d’exactes imitations des tableaux d’Apelle, de Zeuxis, d’Euphranor : un poli nouveau leur auroit rendu leur première jeunesse, & les productions pittoresques du règne d’Aléxandre se reproduiroient à nos yeux précisément dans le même état, où les contemporains de ce prince la virent sortir des atteliers des artistes.

Des tableaux, ouvrages des peintres les plus célèbres, ont été imités à Rome avec des pâtes d’émail coloré, taillées en petits morceaux joints les uns aux autres par un mastic d’une extrême dureté. Ces peintures dont les teintes ne changent point, que l’humidité ne peut pénétrer, que l’air ni le soleil ne peuvent altérer, qui échappent à toutes les causes ordinaires de destruction, qui ne seroient même décomposées qu’avec effort, par des barbares armés d’un fer destructeur, conserveront, pendant un nombre de siècles qu’on ne peut évaluer, un témoignage sensible de l’état de l’art au tems où furent faits les originaux de ces précieuses imitations.

Les anciens ont inventé la mosaïque ; mais ils ont négligé de la porter à la perfection, &, ce qui est encore plus déplorable, de l’appliquer à des usages assez importans. Il ne paroit pas qu’on l’ait jamais employée à copier les ouvrages des grands peintres, dont les noms & la réputation sont seuls parvenus jusqu’à nous. La plus grande utilité que nous ayons retirée de ce qui nous reste de la mosaïque antique, a été d’en connoître les procédés, & de pouvoir la consacrer à un meilleur emploi.

Mais qui, en apprenant que nous nous sommes mis sur la voie des avantages d’une si belle invention, ne croira pas qu’on doit trouver cette branche de la peinture soigneùsement cultivée partout où les arts fleurissent ? & cependant, cependant, quoiqu’en différentes parties de l’europe, il se soit élevée de brillantes écoles de peinture, Rome seule cultive la mosaïque & la consacre à son plus bel usage. Le desir d’embellir le plus superbe des édifices où les chrétiens exercent leur culte, a fait concevoir & exécutér le projet d’y rendre les peintures autant & même plus duables que le solide monument qui les renferme. Mais, il en faut convenir, les Romains ont eu moins en vue les intérêts de l’art en lui-même, que ceux de l’édifice qu’ils se plaisoient à décorer, & l’ami des arts voit avec douler que le seul moyen de réparer le défaut trop sensible de la peinture, sa courte durée, est connu depuis long-temps, & est partout négligé.

Plus l’art de la peinture s’éloignera de la perfection qu’il atteignit dans des siècles fameux par la réunion des plus grands artistes, & plus on reconnoîtra douloureusement les funestres impressions du temps. Nous touchons à ces momens déplorables : les beaux tableaux de l’Italie s’altèrent ; il est des villes où cette dégradation est presque parvenue à son comble. Venise voit se dérober sous une obscurité profonde les chef-d’œuvres des Titiens, des Veroneses, des Tintorets, des Bassans : Bologne voit, d’année en année, disparoître le bel accord des tableaux des Carraches ; encore un ou deux siécles ; la correction ; la fierté, la profondeur de cette aimable & savante école ne seront plus appréciables que par des récits toujours vagues, des descriptions souvent inexactes, des souvenirs à demi-effacés, des copies imparfaites, des estampes qui présentant l’imitation de quelques parties, sans pouvoir supléer à celles qu’il ne leur est point accordé de reproduire.

Quels moyens pouront donc soutenir les arts dans leurs révolutions, ou les faire promtement renaître, s’ils venoient à périr, victimes encore une fois de la barbarie ? les sciences, les lettres se perpétueroient, parce que leurs productions multipliées par l’art de l’imprimerie, sont répandues dans presque toutes les parties de la terre, & que la barbarie ne pourroit les frapper toutes à la fois. Mais qui sauveroit, qui reproduiroit la peinture. La mosaïque seule peut rendre à cet art le même service, que les connoissances humaines doivent à l’imprimerie, & lui assurer la même durée, la même perpétuité.

Il ne faut pas se dissimuler cependant que les plus parfaites peintures modernes en mosaique ne sont que des copies. Mais les dessins & les estampes par lesquels on se propose de multiplier & de conserver les chefs-d’œuvres de l’art ne sont aussi que des copies, avec la différence que celles de la mosaïque offrent le sistême du coloris, joint au sistême de la composition que conservent les estampes, & au caractère


général du dessin qu’elles ne conservent pas aussi religieusement.

Dailleurs si l’on envisageoit une fois la mosaïque sous cet utile point du vue, les artistes jaloux de leur réputation dirigeroient eux-même avec soin les parties les plus essentielles des ouvrages qu’on fait en ce genre d’après leurs tableaux ; peut-être feroient-ils encore plus, & y mettroient-ils eux-même la main, sur-tout pour assurer la justesse du trait & de l’expression. C’est ainsi qu’ils ne dédaignent pas de corriger les copies dessinées ou peintes que l’on fait d’après eux, de conduire les graveurs qui travaillent d’après leur tableaux, & de faire sur les épreuves que les artistes font tirer de leurs planches ébauchées, des retouches qui les guident dans la suite de leurs traveaux.

D’habiles peintres vivans pouroient rendre ce bon office à la mémoire des grands maîtres qui ne sont plus, & dont les tableaux déjà dégradés menacent d’une prochaine & entière ruine. Mais il est temps d’apporter ce remède, déjà tardif, à l’entière destruction de tant de chefs-d’œuvre. Mais le zèle de quelques particuliers seroient impuissant à l’administrer ; il faut l’attendre de quelque prince ami des arts, ou de quelque ministre curieux d’éterniser la gloire qu’ils procurent aux nations qui les ont vu fleurir dans leur sein. Ce projet étoit digne de Colbert, & l’on peut croire qu’il l’auroit adopté s’il en avoit connu l’importance.

Le cabinet du roi de France renferme des chefs-d’œuvre nombreux des plus grands maîtres de l’Italie : les palais, les temples conservent les plus beaux tableaux des plus célèbres maîtres français : tant de trésors sont-ils condamnés à périr bientôt, lorsqu’on posséde le moyen de leur procurer une durée inaltérable, & de faire connoître leurs talens & leur génie à la postérité la plus reculée ?

Il faudroit qu’une fabrique, ou peut-être même une académie fût consacrée à cet objet. Pourquoi tant de jeunes gens qu’eux-mêmes, ou leur parens, destinent à la peinture, mais que la nature plus puissante destine à n’y avoir jamais que des succès médiocres, ne se consacreroient-ils pas à immortaliser les chefs-d’œuvre des grands maîtres quand ils auroient enfin reconnu qu’eux-mêmes ne sont pas nés pour en produire ? pourquoi ne chercheroient-ils pas à immortaliser leurs noms en les plaçant à côté des artistes immortels. Pourquoi dédaigneroient-ils la gloire d’apprendre à la postérité que leurs talens lui ont conservé les talens des Raphaëls, des Titiens, des Poussins, des le Sueurs ? on voit tous les jours des élèves qui s’étoient destinés d’abord à la peinture, se consacrer en suite à répandre par la gravure la gloire des grands maîtres ; pourquoi n’en verroit-on pas se consacrer de même à la mosaique ?

Nous avons des manufactures dont l’objet est de reproduire en tapisseries les travaux des habiles peintres : mais les couleurs des tapisseries s’altèrent promptement ; les tapisseries elles-mêmes seront peut-être détruites par les vers, avant que le temps ait anéanti les tableaux qui leur ont servi de modèles : on consacre de grandes sommes à des réproductions si fragiles ; & l’on refuseroit des dépensés à peu près semblables à des réproductions qui doivent émousser la faulx du temps !

Voyez à Rome des tableaux du Dominiquin, du Ciro Feri, &c., décolorés, noircis, méconnoissables même pour les maîtres qui les ont faits : & voyez briller du plus bel éclat, dans la basilique de Saint-Pierre, les imitations en mosaïque de ces mêmes tableaux ; reconnoissez toute l’importance de cet art conservateur, & consiez-lui le soin d’assurer pour toujours à la patrie le lustre qu’elle a reçu de la culture des arts. (Article de M. Watelet.)

Recherches historiques sur la peinture appellée
Mosaïque.

Pline dit que les pavés peints & travaillés avec art sont venus des Grecs : qu’entr’autres celui de Pergame, qui étoit un bâtiment appellé asarotos, travaillé par Sosus, étoit le plus curieux. Ce mot d’asarotos veut dire qui n’a pas été balayé, & on lui donnoit ce nom, parcequ’on voyoit si industrieusement représentées sur ce pavé les miettes & les saletés qui tombent de la table, qu’il sembloit que ces objets sussent réels, & que les valets n’avoient pas eu le soin de bien balayer les chambres. Ce pavé étoit fait de petits coquillages, peints de diverses couleurs. L’on y admiroit une colombe qui buvoit, dont la tête portoit ombre sur l’eau.

Ensuite parurent les mosaïques que les Grecs nommoient lithostrota. Elles commencèrent à Rome sous Sylla qui en fit faire un pavé à Préneste, dans le temple de la fortune, environ 170 ans avant notre ére. Le mot lithostroton, signifie seulement, dans la force du grec, un pavé de pierres : mais on entendoit par là, ces pavés faits de petites pierres jointes & comme enchassées dans le ciment, représentant différentes figures par la variété de leurs couleurs & par leur arrangement. Quelque temps après on ne se contenta pas d’en faire pour des cours & pour des salles basses, mais on s’en servit dans les chambres ; & comme s’il eût été mal séant de fouler aux pieds des ouvrages si délicats, on en lambrissa les murailles des palais & des temples. Il semble même que Pline veuille dire, qu’on ne s’en servoit plus pour les pavés. Pulsa deinde ex humo pavimenta in cameras transiere é vitro.


Neant-moins le grand nombre qu’on en trouve aux pavés faits dans les siécles postérieurs, me persuade qu’ils n’en ont pas absolumen été bannis, mais que cette sorte de peinture fût employée plus ordinairement à d’autres ornemens ; comme entr’autres aux bâtiment appellés musea, qui représentoient des grottes naturelles. On donnoit à ces sortes de pavés le nom de musea, musia, & musiva, parcequ’on attribuoit aux muses les ouvrages ingénieux, & qu’on y représentoit les muses & les sciences. Nous avons même à Lyon l’église ancienne de saint-Irenée qui étoit toute pavée d’une mosaïque, où l’on voit encore dépeintes, la rhétorique, la logique, & la prudence.

Il se peut que les édifices publics destinés pour les assemblées des gens de lettres, appellés musea, fussent embellis de ces ouvrages, & il y avoit de ces musées en plusieurs endroits. Il y avoir dans Athenes une colline célèbre de ce nom, où fut enterré le poëte Musée, & à Trœzene, dans le Péloponese, un temple dédié aux muses appellé pour cela musée : il étoit destiné aux gens de lettres ; & Pitteus y avoit enseigné la rhétorique. Il avoit composé sur cet art un livre que Pausanias dit avoir lu ...

Le terme de mosaïque est venu du mot latin musivum, &, suivant cette étymologie, il faudroit prononcer musaïque ; c’est à tort que quelques uns l’ont fait dériver de Moïse ou des Juifs. Saumaise, dans ses commentaires sur les six auteurs de l’histoire d’Auguste, ne veut pas que le mot mosaïque soit pour les pavés, mais seulement pour les voutes, les lambris & les culs de lampes qu’on nommoit absides & qui en étoient très souvent ornés ; quoiqu’il avoüe qu’il se fit aussi, des pavés de mosaïque, c’est-à-dire petites pierres dont on représentoit différentes figures. Il fait voir que les Latins l’appeloient tessellata opera & les Grecs psêphologita & chondrobolia du mot chondros qui signifie une petite pierre. Toutefois comme l’usage nous autorise à donner le nom de mosaïque aux pavés, aussi bien qu’aux lambris des ouvrages en mosaïque, nous nous en servirons sans scrupule.

Perrault, dans son docte commentaire sur Vitruve, distingue trés-bien les pavés de pièces rapportées que Vitruve appelle pavimenta sectilia d’avec la mosaïque ; car il est certain, dit-il, que les pièces dont la mosaïque étoit faite, devoient être cubiques, ou approchantes de la figure cubique, afin qu’elles se joignissent parfaitement l’une contre l’autre, comme les points de la tapisserie à l’aiguille, & qu’elles pussent imiter toutes les figures & les nuances de la peinture, chaque petite pierre n’ayant qu’une couleur.

Mais cela ne convient pas à l’ouvrage de pièces rapportées, pour lequel on choisit des pierres qui aient naturellement les nuances & les couleurs dont on a besoin, ensorte qu’une même pierre a tout ensemble & l’ombre & le jour, ce qui fait qu’on les taille de différentes figures suivant le dessin qu’on veut exécuter ; c’est en cela que consiste l’essence du pavimentum sectile. C’est de cette manière qu’est fait un très-beau pavé de pièces rapportées de marbre dans le dôme de Sienne ; & c’est de la même façon : qu’on fait présentement à Paris, aux Gobelins, des tables de pièces rapportées de marbre, de lapis lazzuli, de jaspe & de plusieurs autres pierres précieuses.

Suetone, dans la vie de Jules-César, parle de ces deux sortes de pavés, que Jules-César faisoit porter avec lui à l’armée, pour les faire promptement accommoder dans sa tente. In expeditionibus tessellata & sectilia circumtulisse. Sur quoi on peut consulter le commentaire de Casaubon, qui fait plusieurs remarques curieuses sur ces pavés, & sur leurs noms grecs & latins. Il en fait une entr’autres sur le mot lithostroton, qui est le lieu ou fut mené Jesus-Christ pour être jugé par Pilate. Ce mot signifioit un pavé de pierres taillées ou rapportées, tel qu’étoit la salle du tribunal que les Juifs appelloient en leur langue gabbata.

On trouve de ces pavés de marquetterie presque dans toutes les villes anciennes, & particulièrement dans celles qui ont été des colonies romaines. Mais on prend rarement le soin de les conserver dans leur entier.

En 1677 dans Avanches qui est une des plus anciennes villes des Suisses, on en trouva un, où il y avoit plusieurs figures d’oiseaux & des compartimens, avec ces lettres écrites dans le milieu :

Pompeiano et avito
Coss. kal. ian

Ce qui marquoit que ce lieu, où apparemment il y avoit eu quelque temple, avoit été dédié un premier jour de janvier, sous le consulat de Pompeianus & d’Avitus qui entrerent en charge l’année de notre ére 210 & de la fondation de Rome, 961 selon les fastes du capitole. Mais ce pavé a été tout gâté, &, sans le soin de quelques curieux, on en auroit même perdu le souvenir.

Berger, dans son histoire des grands chemins, décrit un pavé de mosaïque qui est dans l’église du monastère de Saint-Remi de Reims, où se trouve la Sainte-Ampoule &c.

Jean Poldo Dalbenas, dans ses antiquités de Nismes, fait mention du pavé de mosaique qui se voyoit de son temps dans l’église cathédrale de Nismes, & qui representoit des figures d’arbres, d’oiseaux & d’autres animaux, de-même qu’un autre qu’on avoit transporté de Saint-Gilles proche de Nismes à Fontainebleau ; ce qui l’oblige à parler assez au long de ces sortes de pavés. Il dit qu’on les appelle en France mosaïque, ou mosaïque, se servant indifféremment de ces deux mots selon l’usage de son temps. Il remarque, que dans le code livre X. titre de excusat. artif. Les empereurs Theodose & Valentinien dispensoient des charges publiques les ouvriers de mosaïque, musivarios : que Ciceron, dans son Brutus, parlant du style de Marcus Calidius, dit que ses expressions étoient composées & rangées comme les petits quarrés de l’ouvrage vermiculé.

Les mosaïques devinrent si communes à Rome, que les Papes en firent faire dans une grande partie des églises, comme nous l’apprend le bibliothécaire Anastase : il dit que Léon IV. en fit faire dans l’église de Saint-Pierre, Sergius II. dans celle de Saint-Martin, Grégoire IV. dans celle de Latran ; & que ces mosaïques étoient dorées en quelques endroits, comme on en voit encore en Italie : c’est ce qui fait une des beautés de l’église de Saint-Marc à Venise.

Spartien, dans la vie de Pessennius Niger, dit que cet empereur, n’étant encore que particulier, étoit si particulièrement aimé de Commode qu’il étoit peint dans les jardins commodiens entre les amis de Commode, dans une voute de mosaïque, portant en procession les mystères d’Iris : in porticu curva pictum de musivo.

Voici une inscription que le cardinal de Medicis a fait apporter de la côre d’Afrique proche Tunis, à Florence, & qui parle d’une mosaïque dont une voute étoit embellie.

……Ata pecunia perfecit.
et dedicavit et ob dedicationem.
pugilum cfrtamina edidit.
et décurionibus
sportulas et populo gymnasium epulum dedit.
et hoc amplius pro sua liberitate cameram
super posuit et opere museo exornavit.
…cum…aréis.. felice et rufino
…ded…ob. quam dedicat.
epul. dec. et populo frum. ded.
coss. kal. ian

Cette inscription fait mention de quelque bâtiment pour la dédicace duquel on avoit donné des combats de lutteurs, des présens aux decurions, & un festin au peuple : & à cet édifice on avoit ajoûté une voute ornée de mosaïque sous le consulat de Félix & Rufinus.

Il y a apparence que ces mosaïques étoient communes à Lyon ; car on marque que dans l’église d’Enay tout le pavé près de l’autel étoit en mosaïque. Le pape Pascal II. qui rebâtit cette église, y est représenté avec ce vers :


Hanc œdem sacram Pascalis Papa dicavit. avec quatre autres vers sur la révérence qu’on doit avoit en approchant de l’autel. Toute l’église de Saint-Irenée en étoit aussi pavée, & l’ouvrage même en est assez grossier & ne peut gueres être plus ancien que celui d’Enay ; c’est-à-dire, environ du dixième sciécle. On en a trouvé encore ailleurs des fragmens, particulièrement du côté de Fourvière qui a été l’endroit de la ville le plus habité.

Celle dont je vais parler fut trouvée en l’année 1676. dans la vigne de Mr. Cassaire à Lyon.

Le pavé qui est resté entier long d’environ 20 pieds & large de 10, est tout orné de cette mosaïque à carreaux & compartimens différens & fort ingénieux : dans le milieu est un quarré d’environ trois pieds de haut & quatre de large, où est représenté un grouppe de quatre figures.

Il est facile de voir par les pièces qu’on a rompües de ce pavé, qu’on faisoit une couche épaisse de deux travers de doigts ou environ, avec un stuc fait de chaux & de poudre de marbre dans lequel on enchassoit & rangeoit de petites pierres, ou de petits marbres, taillés en quarrés longs ; environ la moitié de leur longueur étoit enchassée dans le ciment, comme les dents dans la machoire. Pour y représenter les figures qu’on vouloit, ceux qui y travailloient devoient entendre parfaitement le dessin & choisir des pierres de différentes couleurs, comme blanc, rouge, noir, & grisâtre, pour faire les couleurs, & les ombres selon leur disposition.

Ces couleurs étant naturelles, le temps ne pouvoit les effacer : en effet, celles que l’on trouve à présent n’ont rien perdu de leur couleur, ni de leur vivacité.

Felibien dans son livre intitulé principes d’architecture, sculpture, & peinture, parle de la pratique de cette façon de peindre.

Il est a remarquer que des satyres étoient souvent représentés dans les mosaïques payennes ; ce qu’on peut inférer de ces vers de Nilus, epigramm. liv. 4.

Πῶς ἐκ λίθου ἄλλοθεν ἄλλης
Συμφερτὸς γενόμην ἐξαπίνης σάτυρος

C’est-à-dire, comment est-il possible que de plusieurs pierres jointes ensemble je sois devenu si promptement un satyre ? Il faut que ce pavé ait été fait du temps que les Romains étoient maîtres de cette ville, & qu’ils étoient encore Payens, puisque leurs Dieux y sont représentes. La belle manière & la beauté du dessin me font croire qu’i1 a été fait dans le premier ou second siècle salon de notre ére, & ce pouvoit être un salon de quelque maison d’une personne de qualité, plutôt que d’un temple dédié à ces divinités ; car il semble que dans un de leurs temples on n’auroit pas représenté sur le pavé, des Dieux qui auroient pû être foulés aux pieds par ceux qui seroient venus pour les adorer : on les auroit plutôt placés dans le chœur ou sur les autels, pour y être exposés aux yeux de tous ceux qui les visiteroient.

Voici quelques inscriptions dans les quelles il est fait mention de pavés vraisemblablement de mosaïque.

à Rome.
silvano et mercurio sacrum
ti. claudius epictetus
et claudia herois
ex voto. l. m.
ar. et paviment. s. p. rest.

C’est une inscription consacrée à Silvain & à Mercure par Tiberius Claudius Epictetus & par Claudia Herois qui avoient remis sur pied a leurs dépens un autel avec un pavé, pout s’aquitter d’un vœu qu’ils avoient fait.

Il y a apparence que le pavé dont il est parlé dans cette inscription étoit un pavé de mosaïque, ou de pièces rapportées ; car autrement on n’auroit pas fait mention d’un simple pavé dont les frais n’eussent pas mérité qu’on en eût parlé. C’est dans ce sens que Cicéron dit simplement que le portique de sa maison étoit pavé.

Gualtherus, dans ses inscriptions de la Sicile, en rapporte une qui se lit sur un pavé de mosaïque d’une église de Syracuse, où il est dit qu’un certain Cneus Octavius avoit refait le pavé, & tout le temple dédié autrefois à Vénus.

En voici une qui est à Florence & qui y a été apportée d’Afrique, il y est fait mention d’un ouvrage appellé opus albarium.

…..stae sacrum
Aurelii maximi medici et l. avrelii veri
aug. armeniaci parth.
templum cum arcu et porticibus et ostieis
et opere albari a fund.

On peut probablement suppléer la première ligne, où il manque quelques caractères, Junoni Augustœ sacrum ou Dianœ ou Veneri Augustœ sacrum mais ce qu’on en peut dire de certain, c’est que cette inscription étoit pour quelque temple bâti du temps & apparemmént del’ordre des empereurs Marc Aurelle & Lucius Verus qui portoient les titres de très-grands, de Mediques, d’Armeniaques & de Parthiques ce temple ayant été érigé depuis les fondemens avec une arcade, des portiques, & des portes, le tout blanchi & enduit de chaux : car c’est ce qui signifie dans Vitruve & dans Pline opus albarium ou albare, comme il est ici nommé.

L’inscription suivante a été trouvée à Langres.

opus quadratarium
augurius catullinus
ursar. d. s. p. d.

Opus quadratarium, dans une signification étendue, ne signifie qu’un ouvrage de pierres quarrées, comme dans Sidonius Apollinaris & dans d’autres auteurs. Quadratarii ne se prend ordinairement que pour des tailleurs de pierre, qui la taillent & la polissent : mais il s’emploie quelquefois pour des ouvrages de mosaïque, comme apparemment dans cette inscription & dans ce passage de Leo Ostiensis livre 3. ch. 29.

Artifices destinat peritos in arte musaria & quadraturâ, ex quibus videlicet, alii absidem, arcum atque vestibulum majoris basilica musivo comerent : alii vero totius ecclesiœ pavimentum diversorum lapidum varietate consternerent : où l’on voit que cet auteur appelle ars musaria, l’art de lamosaïque pour les murailles & les voutes, & quadratura celle que l’on employoit aux pavés. (Article extrait des recherches curieuses d’antiquités de SPON. diss.2.)

MOULE, (sub. masc.) Terme de sculpture. On appelle généralement de ce nom tout instrument qui sert à donner la forme à quelqu’ouvrage. Le moule, en sculpture, sert à répèter & à multiplier en cire, en plâtre, en bronze, une statue ou un modèle.

Pour répèter en cire ou en plâtre un modèle ou une statue, on n’a besoin que d’un seul moule, & on le fait de plâtre.

Pour fondre en bronze un ouvrage de sculpture, on a besoin de deux moules.

Le premier est de plâtre. On le fait de plusieurs assises, suivant la hauteur de l’ouvrage. On observe que les jointures se rencontrent aux endroits où il y a moins de détails, pour qu’il soit ensuite plus aisé de réparer les balevres ; c’est ainsi qu’on appelle les coutures qui se trouvent aux différens joints du moule. Il sert à mouler l’ouvrage en cire.

Le second moule est celui de potée, qui est compose de terre, de fiente de cheval, de creuset blanc & de terre rouge. Il s’applique sur la cire quand elle est bien réparée. C’est dans ce moule, qu’après la fusion des cires, on fait couler le bronze. Voyez l’article FONTE.

MOULER, (verb. act.) On se sert, pour mouler, du meilleur plâtre. A Paris, on préfère celui des carrières de Montmartre. On


le prend tel qu’il sort du fourneau, on le bar, on le passe au tamis de soie, & on le délaye plus ou moins dans l’eau, suivant la fluidité qu’on veut lui donner.

Mais, avant que de l’employer, il faut avoit dispose le modèle ou la figure à recevoir le moule. Si ce n’est qu’une médaille ou un ornement de bas-relief, on se contente d’en imbiber d’huile toutes les parties, au moyen d’un pinceau ; puis on jette dessus le plâtre, qui en prend exactement l’empreinte & qui forme ce qu’on appelle un moule.

Mais si c’est une figure de ronde-bosse qu’on veuille mouler, il faut prendre d’autres précautions. On revêt la figure de plusieurs pièces, en commençant par le bas. Ce revêtement se fait par assises, dont la première sera, par exemple, depuis les pieds jusqu’aux genoux. Mais cela dépend de la grandeur du modèle ; car quand les pièces sont trop grandes, le plâtre se tourmente. Ainsi, dans une grande figure ; depuis les pieds jusqu’aux genoux, il y aura plusieurs assises. Au-dessus de la première, on en établit une seconde, dont les pièces sont toujours proportionnées à la grandeur de la figure, & on continue ainsi jusqu’aux épaules, sur lesquelles on fait la dernière assise qui comprend la tête.

Il faut remarquer que si c’est un ouvrage composé de grandes parties dans lesquelles il y ait peu de détails, & dont les pièces qui forment le moule, étant assez grandes, puissent se dépareiller aisément, elles n’ont pas besoin des revêtemens ou enveloppes, qu’on nomme chappes. Mais s’il s’agit de figures drapées, ou d’ouvrages chargés d’ornemens qui offrent beaucoup de détails, & qui, pour être dépouillés avec facilité, forcent à multiplier les petites pièces, il faut alors faire de grandes chappes ; c’est à-dire, revêtir toutes ces petites pièces avec d’autre plâtre par grands morceaux, & huiler tant les grandes que les petites pièces, par dessus, & dans les joints, afin qu’elles ne s’attachent pas les unes aux autres.

On dispose les grandes pièces ou chappes, de façon que chacune d’elles en renferme plusieurs petites, auxquelles on attache de petits anneaux de fer pour servir à les dépouiller plus facilement, & à les faire tenir dans les chappes, par le moyen de petites cordes ou ficelles qu’on attache aux anneaux, & qu’on passe dans les chappes. On marque aussi les grandes & les petites pièces par des chistres, par des lettres & avec des entailles, pour les reconnoître & ne se pas tromper ou perdre du temps quand il faudra les rassembler.

Quand le creux ou moule de plâtre est fait, on le laisse reposer jusqu’à ce qu’il soit sec, & quand on veut s’en servir, on en imbibe d’huile toutes les parties. On les rassemble les unes & les autres, chacune en sa place, puis on couvre le moule de sa chappe, s’il en a une. Alors on y jette le plâtre, d’une consistance assez humide pour qu’il puisse s’introduire dans les parties les plus délicates du moule ; ce à quoi on peut aider en balancant un peu le moule, lorsque la proportion le permet. Quand on y a jette à discrétion une certaine quantité de plâtre, on achève de le remplir. Il faut attendre, pour ôter la chappe, ou le moule, que le plâtre soit sec ; alors on enleve toutes les parties l’une après l’autre, & l’on découvre la figure moulée. (Article de l’ancienne Encyclopédie.

MOULEUR, (subst. masc.) Ouvrier Qui moule des Ouvrages de sculpture.

MOUVEMENT (subst. masc.) Lorsque les poëtes ont parlé de l’art, il nous ont toujours représenté ses chefs-d’œuvre pleins de vie & de mouvement. Telle est dans l’iliade la cizelure du bouclier d’Achile. Ce sont partout des tableaux animés… ([1]) Toutes ces figures, dit ce poëte des peintres en décrivant une bataille, se mêlent & combattent comme si c’etoient des hommes vivans, & on leur voit entrainer leurs ennemis morts pour se parer de leurs dépouilles. Plus loin il peint une récolte de bleds : des moissonneurs y mettent la faucille, les poignées d’épis. tombent le long des sillons ; trois hommes sont occupés à les attacher en gerbes & à les lier, & de jeunes enfans les suivent pour leur en porter continuellement des brassèes. C’est ainsi que tout paroît en action dans le magnifique ouvrage de Vulcain.

Virgile, imitateur d’Homere, nous décrit-il les bas-reliefs du bouclier d’Énée ; tout est aussi en mouvement : en parlant des flottes d’Auguste & d’Antoine.

Alta petunt : pelago credas innare revulsas Cycladas, aut montes concurrere, montibus altos. Virgil. ; Æn. L. 8.

Enfin Voltaire, cet esprit adroit, qui a su si bien intéresser en puisant sa Henriade dans ces deux sources antiques, dit en parlant du siècle de Louis XIV.

La toile est animée, & le marbre y respire.

Le mouvement est donc un attribut essentiel à tous les ouvrages de l’art. On l’obtient, sans qu’il ; soit nécessaire que le sujet soit vif & animé. Ainsi la sculpture, par une disposition générale qui soit juste & expressive, par le jeu des plans soit dans l’ensemble soit dans les détails, enfin par les effets que la lumière


peut produire sur l’ouvrage, donne la vie & le mouvement même à une figure dont l’attitude est celle de la tranquillité. En peinture, les effets du clair-obscur, la variété & l’étendue des plans, la diversité des couleurs, les ressources innombrables de la perspective, sont autant de moyens de répandre le mouvement sur une ou plusieurs figures tranquilles comme dans les sujets où elles sont en fort grand nombre & très animées. Ainsi tout est en mouvement dans la tableau appellé le testament d’Eudamidas du Poussin, comme dans ceux où les actions sont les plus vives. Des artistes comme Claude Lorrain, comme Salvator Rosa, donnent du mouvement au calme comme à la tempête. Un simple buste du Titien est plein de vie ; une tête de Van-Dick ou de Rembrandt saille & vient au spectateur : parce qu’à la just esse des formes, ces peintres ont réuni le choix & le piquant des lumières & des ombres, & que la vérité du trait, la propriété du mouvement, & la vigueur du coloris font respirer les copies de la nature faites par le Titien.

La souplesse & la variété des tailles sont les moyens par lesquels les maîtres du burin animent leurs estampes. Et c’est par le vif sentiment des formes & la vigueur des masses que Callot, Visscher, Van-Dick & autres ont donné la vie & le mouvement à tout ce qui est sorti de leurs pointes.

Telle est l’idée qu’on doit avoit du mouvement dans les beaux-arts ; telles sont les pratiques, générales qu’ils emploient pour produire un effet dont le but est d’attirer & de fixer le spectateur. Entrons dans quelques détails sur cette matière.

Le plus grand & le plus sûr moyen de donner de la vie à un ouvrage, c’est d’en disposer tous les objets avec justesse. C’est pourquoi dans un sujet pathétique, tel que le sacrifice d’Iphigénie ; si, à l’aspect de Diane protectrice, on présentoit les acteurs principaux dans les plus violensmouvemens de surprise ; si les prêtres étoient eux-mêmes dans l’action la plus vive ; si les jeunes ministres des autels étoient renversés avec les instrumens du sacrifice ; (& c’est ainsi que l’a fait Gerard Layresse ;) si dans une scène de martyre on montroit comme l’a fait Brebiette, les bourreaux jettés à terre, & tous les assistans culbutés à la vue de l’Ange porteur de la couronne céleste : alors cette fureur de donner du mouvement, bien loin d’intéresser le spectateur le rendroit de glace ou même l’indisposeroit contre l’ouvrage. Tout ce qui passe la ligne du vrai, est un contre-sens ; il n’est personne qui lui puisse accorder une véritable estime.

Non seulement les sujets simples ou pathétiques veulent être exprimés par des actions ménagées ; mais il y a encore une mesure à garder dans les sujets les plus véhémens : enfin il y a m

M O U une gradation à observer, sans laquelle ce qu’on nomme mouvement est sans effet.

Le martyre de S. André par le Dominiquin est un bel exemple de cette gradation toujours mise en pratique par les grands-maîtres. On y voit placé dans les entrecollonemens, le peuple, spectateur assez paisible ; les grouppes repoussés par les gardes ont plus de mouvement ; l’attitude froidement cruelle du juge, l’état violent du Saint supplicié, ensuite tous les efforts, les jouissances mêmes de la barbarie manifestés dans les attitudes des bourreaux, sont autant de degrés par lesquels le grand homme est parvenu à produire le mouvement le plus intéressant. Dans la bataille de Constantin par Raphaël, l’attitude noble, fiere, & grave du héros, le spectacle simple & touchant de ce pere occupé a soulever le corps de son fils, hélas ! déjà mort, l’attitude de Maxence dont le désespoir & la rage sont plus exprimés par les traits du visage & quelques parties de détails que par le mouvement général de la figure de ce malheureux roi, sont autant de repos qui, en convenant aux personnages divers, mettent en valeur les grouppes animés par la fureur & l’acharnement du combat. Notre illustre Poussin a donné un exemple piquant de la gradation dumouvement dans ce paysage si connu où il peint un homme enveloppé d’un énorme serpent. Ce spectacle inspire l’horreur dans divers degrés, aux diverses figures du tableau ; chacune en recoit une portion suivant sa distance du lieu de la scène effrayante, & quoiqu’assez éloignées entr’elles, elles se communiquent l’effroi comme par écho. L’opposition qui existe entre les mouvemens de tous les êtres animés de la scêne, & la sévérité du site unie à la simplicité de ses masses, ajoute encore au puissant intérêt de cet admirable ouvrage, & à l’effet de la gradation dans les mouvemens.

Ce principe, observe dans une figure seule, lui communique le même degré de vie que l’art sait répandre dans les scênes les plus compliquées : il donne le mouvement à la figure la plus tranquille & la plus enveloppée, comme à celle dont tous les muscles, seroient apparens, & dans la plus vive action.

On voit des statues entourées de draperies volantes ; & parce que les mouvement sont sans but & sans repos, ces figures paroissent bien ce qu’el les sont, je veux dire, de marbre. Mais au contraire, la figure assise appellée. Agrippine, celle qu’on nomme la vestale, dont nous avons aux Tuileries une si belle copie par le Gros, sont toutes deux oublier la matière dont elles sont faites, & en les regardant, on est tenté de chercher à pénétrer les idées qui les occupent. La simplicité des vêtemens, la marche aisée & naturelle des plis, leurs détails, toujours proportionnés aux diverses formes qu’ils couvrent & caractérisant avec sentiment la nature de l’étoffe,


sont les moyens d’offtir le mouvement dans une figure en action, & d’en montrer la possibilité dans la figure la plus tranquille.

Dans l’intention de donner du mouvement à ses tableaux, qu’on n’écoute pas surtout les systêmes perfides, dont les termes sont : contrastes, oppositions, chaleur, &c, &c, &c : il n’y a point de méthode unique, point de choix défini pour rendre la nature. Si l’on veut intéresser par lemouvement, la pensée des actions de chaque figure doit amener celle de leurs attitudes. C’est ainsi que les artistes antiques ont également excellé dans tous les mouvemens, depuis celui qu’ils ont donné à la figure du gladiateur, jusqu’à celles de la Cléopâtre, de l’Hermaphrodite, & du Senèque, dont les deux jambes sont rapprochées & dans un bassin ; j’oserois même dire jusqu’à celle du terme égyptien.

Les artistes décèlent ordinairement le genre de leurs talens, par l’espèce de mouvement particulier que chacun d’eux donne à ses figures. C’est par cet endroit qu’ils se peignent & se caractérisent le plus particuliérement dans leurs ouvrages, du côté du dessin. Ainsi le sublime Michel-Ange s’est élevé, pour ainsi dire, au-dessus des génies humains, par la manière fière & terrible avec laquelle il a fait mouvoir ses savantes figures : C’est par cette simplicité naïve, cette précision des mouvemens les plus doux, & en même tems les plus vrais, que l’Albane seul a mérité le nom de peintre des grâces. Enfin, c’est par la justesse des mouvemens que le divin Raphaël a su caractériser toutes les actions de l’homme : par le choix exquis de ses attitudes, il a exprimé avec une étonnante vérité les passions depuis les plus véhémentes jusqu’aux plus tranquilles. La facilité merveilleuse avec laquelle il a su, dans cette partie, soumettre l’art à toutes les nuances de la nature, ne lui sera sans doute jamais rencontrer d’égal.

Si l’on entend par mouvement, l’art de donner à la figure humaine l’attitude nécessaire pour qu’elle ne tombe pas, & que le centre de gravité soit placé de manière que la figure puisse se soutenir aisément ; alors le sens du mot mouvement est autre que celui que nous avons traité dans cet article, & l’on doit en trouver l’explication au mot pondération, qui est l’expression technique. Les régles de la pondération sont immuables & géométriques ; celles du mouvement, au contraire, se puisent dans le bon goût, le génie, & surtout le jugement de l’artiste. Léon-Baptiste Alberti,Léonard de Vinci, ont savamment traité des loix de l’équilibre par rapport aux mouvemens du corps humain ; c’est surtout dans leurs ouvrages qu’on trouvera tout ce qu’il faut apprendre sur cette partie élémentaire du dessin. (Article de M. ROBIN.)

MOUVEMENS, résultans de la situation de l’esprit.

Je n’examinerai point en particulier tous les mouvemens que l’esprit fait faire au corps ; c’est au peintre à étudier avec grand soin les tempéramens, & les diverses inclinations des hommes, afin que sachant les effets qu’elles produisent, il ait moins de peine à les comprendre sur le naturel. Il faut qu’il connoisse d’avance comme l’air des visages change selon la diversité des pensées qui occupent l’esprit, les passions qui l’agitent, la qualité des humeurs qui dominent, les accidens auxquels les hommes sont sujets, soit dans le travail, soit dans le repos, foit dans la santé, soit dans la maladie. Il doit considérer les principaux endroits où ces mouvemens paroissent le plus sur le visage.

C’est cette science qui donne la vie aux ouvrages de l’art. Raphaël l’a possédée si parfaitement, que l’on voit sur le visage de toutes ses figures ce qu’elles semblent avoir dans l’esprit.

Pour les mouvemens du corps, engendrés par les fortes passions de l’ame, le peintre ne sauroit jamais les mieux apprendre qu’en considérant le naturel. Si par hasard il se rencontre dans un lieu où des gens se battent, c’est là qu’il peut voir tous les effets de la colère, & qu’il peut examiner de quelle sorte un homme en cet état a le visage composé, & toutes les parties de son corps disposées, selon l’agitation de son esprit. Il remarquera les action différentes de ceux qui sont présens, qui les regardent, ou qui tâchent de les séparer. Il verra la différence qu’il y a entre les mouvemens des jeunes hommes & ceux des gens agés ; il pourra voir des femmes affligées, des enfans épouvantés, des gens qui, passant leur chemin, s’arrêtent, différemment affectés du spectacle dont ils sont témoins.

Si l’on veut imiter les maîtres de l’art, les Raphaëls, les Jules-Romains, les Polidores, & ceux de leur école, non-seulement on évitera tous les mouvemens forcés qui fatiguent les yeux, mais on prendra ceux qui sont les plus naturels. Pour y parvenir, on les étudiera dans toutes sortes de personnes, en considérant de quelle manière elles font leurs actions différemment les unes des autres, soit qu’elles agissent ou qu’elles souffrent. En effet, il est certain que la colère paroît autrement exprimée sur le visage d’un homme distingué que sur celui d’un paysan ; qu’une reine s’afflige d’une autre manière qu’une villageoise ; & que, dans tous les mouvemens du corps, aussi bien que dans ceux de l’esprit, il doit y avoir de la différence suivant les personnes que l’on peint.


Le Poussin a peint l’épouse de Germanicus d’une manière convenable à la grandeur & à la générosité d’une princesse qui voit mourir son époux. S’il eût représenté une paysanne touchée d’une semblable douleur, il l’auroit peinte plus désespérée, parce que le simple peuple qui ne prévoit jamais les maux, s’abandonne au désespoir quand ils arrivent ; mais la douleur des personnes d’une haute condition & d’un esprit élevé, est toujours accompagnée de bienséance, & ne montre point d’emportement.

Le peintre qui aura remarqué la différence qui se rencontre dans les mouvemens des hommes, selon leur qualité, considèrera celle qui se trouve dans les différens âges. Il observera de quelle manière les enfans expriment, par leurs petites actions, les passions de leurs ames, comme ils s’abandonnent à la joie dans leurs jeux & dans leurs divertissemens. Le Titien a peint dans un tableau plusieurs Amours, & l’on peut remarquer comme il a exprimé la promptitude de leurs mouvemens & la légèreté de leurs gestes. Il faut encore prendre garde qu’ils sont ordinairement timides en présence des personnes âgées, faciles à pleurer pour les moindres déplaisirs, & dès qu’ils souffrent quelque douleur.

Les jeunes filles doivent être modestes & gracieuses ; toutes leurs actions plutôt tranquilles qu’agitées.

Quant aux jeunes hommes, il faut les réprésenter avec des mouvemens plus vifs, qui marquent la promptitude de l’esprit, la liberté & la force du corps. Dans les hommes faits, les mouvemens doivent être plus fermes & plus poses, les attitudes douces, l’action des bras & des jambes marquant de la force & de la facilité. Léonard de Vinci observe que les vieilles femmes doivent paroître audacieuses & promptes ; qu’il doit y avoir dans leur action quelque chose d’extraordinairement anime ; mais que ces expressions doivent être sur leurs visages, & dans leurs bras & leurs mains, plutôt que dans leurs jambes. Les vieillards au contraire seront peints avec des mouvemens lents & tardifs. Il faut qu’il paroisse dans leurs membres une foiblesse & une lassitude, ensorte que non-seulement ils soient ordinairement posés sur leurs deux pieds ; mais encore appuyés sur quelque chose qui le soutienne.

Ce n’est pas seulement dans les hommes & dans les femmes qu’un peintre doit observer les actions & les mouvemens ; il faut qu’il étudie encore ceux des animaux, pour les réprésenter conformément à leurs espèces. Et comme la partie la plus élevée de ceux qui ont quatre pieds, reçoit beaucoup de changement lorsqu’ils marchent, à cause de l’ agitation des quatre jambes, il doit prendre garde fî<f

MOU que ce changement est d’autant plus considérable que l’animal est plus grand.

Il doit considérer encore le mouvement des choses inanimées, comme des arbres dont les branches, étant agitées par le vent, font divers tours, & se ployent en plusieurs manieres, selon qu’elles sont poussées tantôt d’un côté, & tantôt d’un autre, quelquefois se renversant en arrière contre le tronc, & d’autres fois se jettant en-dehors, & se baissant vers la terre. Les plis des draperies ont presque les mêmes agitations ; car comme il sort diverses branches d’un arbre, de même il sort d’un vêtement plusieurs plis qui se répandent & se jettent en différentes manières, selon que le vent, ou le mouvement du corps les agite.

Je ne puis m’empêcher de répéter encore que tous ces divers mouvemens doivent être représentés doux, modérés & agréables, aussi bien que ceux des figures, ensorte qu’ils se fassent moins admirer par le travail & le soin qu’on aura pris à les bien finir, que par la grace & la facilité qui doit y paroître. Et comme les habits sont ordinairement pesans & tendent vers la terre, il faut, quand on veut faire jouer les plis, qu’il y ait dans la personne qui les porte un mouvement plus fort, ou bien un vent qui les agite & les soulève : mais il faut que ce vent souffle également sur toutes les autres figures du tableau, quand elles sont dans un lieu propre à le recevoir. (Article extrait de FELIBIEN).

MOYENS, (subst. masc.) Faire qu’un seul plan représente un grand nombre de plans multipliés, qu’un petit nombre de couleurs expriment toutes les couleurs de la nature, que ce qui est plat semble s’arrondir, qu’une substance dure offre la mollesse des chairs, le moëlleux des étoffes, la liquidité des eaux, la fluidité de l’air, &c. c’est produire de grands effets par des moyens disproportionnés ; &c’est cette disproportion des moyens & de leur produit qui contribue beaucoup aux plaisirs des spectateurs.

Il ne suffit donc pas que la nature soit parfaitement imitée, il faut encore que cette imitation, pour nous plaire, soit produite par des moyens dont on n’auroit point attendu de si grands effets. Les ouvrages en cire offrent assurément une imitation plus exacte de la nature que ne peut le faire la peinture ; cependant ils plaisent beaucoup moins. De la sculpture peinte fait un illusion plus parfaite que celle qui conserve la couleur de la pierre, & cependant elle cause une impression moins agréable. Ces exemples prouvent que ce n’est point parce qu’une imitation produit une illusion plus complette, & approche davantage de la vérité qu’elle a droit de nous plaire, mais parce que ses effets sont produits par des


moyens dont on ne devoit pas attendre de si beaux résultats. Si les moyenssont grossiers, peu industrieux, ou même seulement trop faciles, leur produit ne nous cause aucune surprise : pour nous plaire, il faut nous étonner. (Article de M. Levesque.)

MUSIQUE (subst. fem.). Il semble que ce mot soit étranger aux arts qui dépendent du du dessin, & qu’il n’y ait rien de commun entre un art qui procède par des sons, & un autre qui ne connoît que des formes & des couleurs. Cependant la musique & la peinture ne manquent pas de rapport techniques ; tels sont ceux des progressions des tons musicaux & des tons de couleurs ; tels encore ceux de l’harmonie musicale, & de l’harmonie pittoresque.

Mais il est entre ces arts un autre rapport qui est le sujet de cet article ; c’est celui des sentimens de joie, de tristesse, de fierté, d’abattement qu’inspirent également la musique par la voie de l’ouie, & la peinture, par celles des yeux. Comme il est nécessaire que l’artiste soit pénétré lui-même des sentimens qu’il veut exprimer, ces deux arts, ainsi que la poësie, peuvent se prêter des secours mutuels. Des vers d’Homere ont inspiré Phidias ; des tableaux, des statues ont inspiré des poëtes ; la musique peut de même inspirer le peintre ; & la peinture, le musicien. Qui doute qu’un musicien sensible aux effets de la peinture, ne puisse exalter son génie musical, en regardant un tableau dont l’effet soit analogue à ce qu’il veut exprimer en musique ? Le peintre se pénétrera de même, en écoutant, en exécutant de la musique, des sentimens qu’il veut exprimer sur la toile, & le statuaire de ceux dont il veut animer le marbre. Comme les facultés intellectuelles sont soumises dans l’homme à l’état de la machine animale, l’artiste qui ne voudra rien négliger de ce qui peut le conduire au succès, employera les moyens qu’il connoît les plus capables de monter ses fibres au ton où elles doivent être suivant les sujets qu’il se proposera de traiter. On sait que pour y parvenir, Gérard Lairesse & d’autres peintres jouoient toujours de quelqu’instrument avant de prendre la palette.

Mengs méditoit depuis deux mois le sujet du dernier de ses tableaux, l’Annonciation destinée pour le roi d’Espagne, & que la mort ne lui a pas laissé le temps de terminer. M. le chevalier Azara, son ami, entra chez lui un matin, sans être attendu, & le trouva occupé à chanter. Cette apparence de gaité le surprit de la part d’un homme naturellement sérieux, & qui, depuis la mort de son épouse, passoit sa vie dans la douleur ; mais Mengs lui apprit

M Y O qu’il répétoit une sonate de Corelli, parce qu’il vouloit faire son tableau dans le style de ce célèbre musicien. Comment le style d’un tableau peut-il être celui d’une sonate ou d’une symphonie ? c’est ce que sentoit l’âme de Mengs ; c’est ce que comprendront les personnes sensibles aux effets des deux arts, & ce qu’on expliqueroit vainement aux autres. (Article de M. Levesque.)

Myologie (subst. fem.) En sciences des muscles. M. Watelet à renfermé, Dans l’article FIGURE, Ce Qui Est Le Nécessaire en plus aux artistes d’en savoir.

MYSTÈRE (subst. masc.) Ce mot employé dans le sens de secret est un moyen rarement pardonnable dans les arts. On a cependant excusé Van-Eyck d’avoir usé secrètement de la découverte qu’il fit de la peinture à l’huile, parce qu’elle lui procura de grands avantages. Les premiers inventeurs de la gravure firent, par les mêmes motifs, mystère de leur manière d’opérer ; enfin ceux qui ont trouvé le secrèt d’enlever les peintures à l’huile faites sur le mur ou sur le bois, pour les transporter sur une toile neuve, tels que Picaut & Hacquin, ne peuvent être blâmés d’unmystère qui donne de la valeur à leurs recherches. Mais le mystère est coupable, & en même temps ridicule & bas, de la part d’un artiste, soit qu’il ait découvert quelques principes relatifs à l’art, soit qu’il ait trouvé des nouveautés dans les moyens pratiques. Aussi pensons-nous qu’il seroit impossible de voir un homme pénétré de connoissances un peu étendues sur l’art, faire mystère d’une petite découverte de couleurs, de vernis, ou ce qui seroit pis encore, d’une méthode utile à l’avancement des jeunes artistes & même à la perfection des autres. Ce seroit s’avouer bien inférieur que de faire ainsi dépendre ses succès d’une ressource si misérable. S’il existoit des hommes capables de pareilles puérilités, assurément ne ce seroit pas des hommes d’un mérite distingué.

Le mystère considéré comme qualité d’un ouvrage de l’art, n’est guere applicable qu’à la disposition des sujets & aux effets de la lumière. Une composition dans laquelle il entre du mystère pittoresque est ordinairement employée à la représentation d’une scêne douce & paisible. Ainsi on trouve du mystère dans le tableau de le Brun, ([2]) où l’enfant Jesus, avec Joseph & Marie, prie Dieu avant son repas ; on en trouve dans la lecture de la lettre, vie de S. Bruno par le Sueur ; enfin dans


le tableau d’Annibal Carrache de la collection du Palais-Royal, appellé le raboteux, où l’enfant Jesus tire le cordeau avec S. Joseph, tandis que la Vierge travaille de l’éguille. Le grouppe antique qu’on a nommé Papirius & sa mère, jusqu’à ce que Winckelmann ait établi des doutes fondés sur cette dénomination, est une composition d’autant plus mystérieuse qu’il entre aussi du secret dans le sujet.

Nous remarquerons que l’on n’applique presque jamais l’attribut de mystériiuxà une composition d’une seule figure, quelque rapport qu’ait son action avec l’idée que fait naître cette expression de l’art. Il n’y a guere de mystére sans une correspondance d’actions ou de passions douces ou silentieuses.

Une scène, quoique nombreuse en figures, inspire nécessairement le sentiment du mystère quand l’action représentée est mystèrieuse de sa nature ; il est peu d’ames sensibles sur qui la composition poëtique de Sebastien Bourdon qui représenta les Prophêtes se cachant & se recommandant un silence mutuel pour éviter la fureur cruelle de Jezabel, ne produise l’impression du mystère. Mais il n’est guere de tableau qui rapelle plus fortement cet effet pittoresque que le mourant Eudamidas du Poussin.

Le mystère de composition ne peut se rencontrer que dans le style noble & simple. Aussi nous ne croyons pas qu’on puisse citer beaucoup de compositions mystèrieuses dans les œuvres riches & fastueuses des Paul Veroneses, des Layresses, des Rubens, ni même dans celles des peintres dont le style est nerveux, fier & ardent comme sont Ribera, Jules, Michel Ange, tandis que Raphael, Sacchi, Poussin, le Sueur en offrent de nombreux exemples.

L’effet de la lumière & des ombres bien entendu, distribué d’une manière douce & harmonieuse, dans un coin ou dans l’ensemble d’un tableau, y répand du mystère. Soit que l’action soit vive ou paisible, soit qu’elle soit simple ou compliquée, on peut y introduire un effet mystèrieux. Ainsi, il y a du mystère dans la nuit du Corrège, dans la mort du S. Bruno par le Sueur, dans l’estampe du Bourgue-mestre de Rimbrand, & dans beaucoup d’autres ouvrages de cet artiste ingénieux.

Une lumière unique & rare, soit naturelle, soit artificielle comme celle d’une lampe ou d’un flambeau, est capable de donner seule ce qu’on nomme du mystère dans l’effet d’un ouvrage de peinture.

Dans une scênc d’ailleurs fort éclairée, il y a des coins susceptibles d’un effet mystèrieux. C’est ainsi, que Rubens l’a fait sentir dans le coin du tableau du couronnement de Marie de Médicis où Henri quatre se trouve dans une tribune, simple spectateur de cette cérémonie

S 3*

M Y T somptueuse. C’est ainsi que Jouvenet, dans le Grouppe du Lazare ressuscité, a introduit un effet mystèrieux, par la lumière partielle d’un flambeau, quoique la plus vive lumière du jour soit répandue largement sur le reste de sa composition.

L’art de graver nous transmet le mystère qui se trouve dans les tableaux ; il nous le fait sentir par la justesse des tons réunis à l’accord des travaux. Le coin de la pendule dans le portrait du cardinal Dubois, par Drevet, est cité pour exprimer cette agréable magie.

Les sculpteurs qu’on distingue dans la partie du goût, ont produit des effets mystèrieux par une certaine disposition de leurs figures sous des lumières ménagées avec intelligence & parsimonie. Le Bernini est le premier, peut-être, qui l’ait fait servir à l’intérêt de ses productions. Plus correct, plus rendu, il eût pu dedaigner & même redouter un artifice qui prive d’une partie de la lumière le morceau de sculpture qu’on veut rendre mystèrieux. Son grouppe de Sainte-Thérése aux Carmes, près les Thermes de Diocletien à Rome, est le chef-d’œuvre de ce genre de beautés. On n’en jouiroit qu’à regret, si aux graces séduisantes & voluptueuses de la composition, le sculpteur eût réuni la correction des ensembles, la justesse & la pureté des détails dont il ne faut rien perdre dans la bonne sculpture. (Article de M. ROBIN.)

MYTHOLOGIE . (subst. fem.) Elle comprend la théologie publique des anciens, & l’histoire des siècles dans les temps où l’écriture n’étoit pas encore inventées. Le récit des faits s’altéroit & se méloit de mensonges en passant de bouche en bouche, de génération en génération. Les poëtes s’emparèrent de ces récits corrompus, les arrangèrent à leur gré, en chargèrent quelquefois le fond, & sur-tout ne consultèrent que leur imagination dans le développement des détails. C’est ce qu’on nomme l’histoire des temps héroïques : elle offre des vérités, mais qu’il est difficile de démêler à travers les fables dont elles sont enveloppées.

Soit que l’on considére la mythologie comme le systême théologique des anciens, ou comme l’histoire de ces hommes fameux qu’on désigne par le nom de héros, elle ouvrira toujours aux artistes un champ vaste & fécond, parce qu’elle est sur-tout favorable à ce qu’on nomme l’idéal des arts. Les hommes de l’histoire ne sont que des hommes ; ceux des siécles héroïques sont des enfans des Dieux, & doivent participer de la nature divine : c’est sur tout en les représentant, que les artistes s’éléveront jusqu’au sublime de la beauté idéale.

Ce n’est point dans le dictionnaire des arts, c’est dans les écrits des anciens poëtes, & sur-


tout dans Homère, qu’ils doivent étudier la mythologie. Ovide leur apprendra des événemens mythologiques ; mais il n’enflammera pas leur génie, il ne les introduira pas dans l’assemblée auguste des enfans des Dieux, dans le conseil des Dieux eux-mêmes ; il ne leur inspirera pas la figure imposante da Jupiter olympien. Poëte gracieux, il ne fera que des artistes gracieux, & l’on sait que le gracieux n’est pas encore la grace, qui elle-même n’est pas la beauté.

Nous ne consacrerons pas cet article aux détails de la mythologie, & nous conseillerons même aux artistes de ne lire les abrégés qu’on en a faits, que pour se rappeller la mémoire de lectures en partie effacées. Ils seroient refroidis par les abbréviateurs : poëtes eux-mêmes, qu’ils s’échauffent par le feu des poëtes.

Mais nous croyons qu’il ne leur sera pas inutile da trouver ici des observations sur la manière de représenter les principaux personnages, mythologiques. Le plus grand nombre de ces observations nous sont fournies par Winckelmann, & elles lui ont été inspirées à lui-même par l’étude des antiques. Nous nous écarterons cependant quelquefois de ses opinions, nous en donnerons qui nous appartiennent, nous en emprunterons à d’autres savans, & la forme de cet ouvrage ne nous permettra pas toujours d’en avertir.

Winckelmann, homme savant & homme de génie, honorera toujours l’Allemagne sa patrie. Il aimoit les arts, il en étudioit les ouvrages, sur tout ceux qui nous restent de l’antiquité ; mais il ne les avoit pas cultivés : c’est dire assez qu’il a fait de ces fautes qui doivent échapper aux gens de lettres, lorsqu’ils parlent des arts sans les avoir pratiqués. Ces erreurs que les artistes apperçoivent aisément, ne peuvent avoir pour eux aucun danger : mais comme c’est une foiblesse naturelle aux hommes de se plaire. à découvrir les fautes d’autrui, & de se relever eux-mêmes à leur propres yeux en méprisant ceux qui les ont commises, il est arrivé que les professeurs de l’art ont cherché à dégrader le mérite de Winckelmann. Il auroient dû considérer qu’en lui ôtant ses erreurs, occasionnées par le défaut de quelques connoissances qu’il n’avoit pû acquérir, & quelquefois par l’exaltation de son esprit, il lui reste des richesses solides & qui lui appartiennent en propre. Les artistes profiteront toujours beaucoup de la lecture d’un écrivain qui avoit un amour ardent pour le beau, & qui, dans toutes les pages de ses écrits, cherche toujours à l’inspirer. Il leur seroit très utile, quand même il ne feroit que réchauffer en eux cet amour que jamais ils ne doivent laisser éteindre qu’ils doivent entretenir & ranimer sans cesse. C’est pour eux le feu sacré des Vestales. M Y T Vestales. Aucun écrivain n’a mieux parlé du beau dans l’art que Winckelmann ; c’est une justice que lui a rendu M. Falconet, qu’on n’accusera pas d’être son flatteur.

Winckelmann a observé, que, dans la représentation des divinités, les artistes de la Grèce, ont toujours eu soin d’exprimer la beauté & de l’associer à la jeunesse. Ils ne se sont pas même permis de donner le caractère de laideur aux divinités les plus terribles, les plus funestes.

Nous placerons ici, dans l’ordre alphabéthique, les personnages mythologiques dont nous aurons à parler, afin qu’il soit plus facile de les trouver.

AMAZONES . On peut rapporter à l’histoire héroïque, & par conséquent à la mythologie, ces femmes célèbres par leur valeur guerriere, & dont la défaite illustra le courage d’Hercule & de Thésée. Elles sont toujours coëffées de la manière que les Grecs nomment corymbos, & qui étoit celle des vierges ; c’est à dire que leurs cheveux sont relevés par derrière & noués avec ceux du sommet. Les artistes leur donnoient encore un autre caractère apparent & plus assuré de la jeunesse ; la gorge virginale dont le mamelon n’est pas développé. Ils observoient le même caractère dans la représentation des Déesses ; dans les unes, parce qu’elles étoient censées toujours vierges : dans les autres, parce qu’elles jouissoient d’une virginité toujours renaissante après avoir été perdue. Elles ne conservoient des plaisirs de l’amour aucune dégradation physique.

Les Amazones, consacrées comme les hommes, aux exercices guerriers, étoient aussi les seules qui, comme les hommes, portassent la ceinture attachée sur les reins, & non pas immédiatement au dessous des mamelles. Je crois me rappeller, que, dans un feint bas-relief de Polydore, les Sabines ont aussi la ceinture au dessus des reins. Peut-être ce savant artiste, scrupuleux observateur du costume, a-t-il voulu exprimer le désordre de ces vierges qui se débattoient dans les bras de leurs ravisseurs.

APOLLON . Sophocle, dans la tragédie d’Œdipe Roi, l’appelle souverain des Dieux, & nous avons dit ailleurs que des philosophes l’ont regardé comme l’ame du monde, parce que la chaleur du soleil semble animer & vivifier tout ce qui existe. Les Grecs l’appelloient iêïos, le guérisseur, parce que sa douce chaleur rétablit la santé ; Pœan, celui qui frappe, parce que la chaleur excessive de ses rayons frappe les animaux de peste & de maladies meurtrières ; Pythios, parce que cette même chaleur excite la fermentation & la putréfaction. Macrobe nous apprend qu’on le représentoit tenant les


graces dans la main droite, & son arc de la gauche, pour témoigner qu’il accorde encore plus volontiers aux hommes les bienfaits, qu’il ne les frappe de les traits meurtriers, c’est-à-dire, de ses rayons malfaisans.

Ce Dieu toujours puissant, toujours agissant, devoit jouïr d’une jeunesse éternelle, d’une éternelle vélocité ; & la figure de ce Dieu, le plus beau des Dieux, ne pouvoit manquer d’être le chef-d’œuvre de l’art, dans un pays où les artistes avoient pour objet la représentation de la beauté. Si toutes les statues antiques de ce Dieu ne portent pas l’empreinte de la beauté la plus sublime, c’est que par tout il s’est trouvé des hommes audacieux qui ont entrepris au de là de leurs forces, & que tous ceux qui ont ôsé faire des figures d’Apollon, n’étoient pas dignes de le représenter. Le caractère des belles figures d’Apollon, réunit la force de la virilité aux formes aimables de la jeunesse ; ses formes ont cette sorte d’unité que donne la grandeur coulante des contours, toujours variés, toujours simples & jamais interrompus, telles qu’elles se montrent dans l’usage où la force est unie à la légereté ; telles qu’elles ne sont plus dans l’âge où la force est due plutôt au poids qu’à l’adresse & à la vivacité. Elles montrent enfin un adolescent capable d’exécuter de grandes choses, & de les exécuter d’autant plus sûrement, qu’elles peuvent être faites avant d’être prévues.

L’Apollon du Belvedere semble planer sans toucher la terre. Cette vîtesse de la marche, semblable, en quelque sorte, à la légéreté du vol, les Grecs en faisoient un des caractères de la nature intellectuelle & divine. Homère compare la vîtesse de Junon à l’imagination d’un homme qui, dans un seul instant, parcourt en esprit tous les pays lointains qu’il a vus. Il communique cette vitesse à ceux de ses héros qu’il veut le plus élever au-dessus de l’espèce humaine ordinaire ; ainsi le fils de Thétis est Achille aux pieds légers. Les Grecs mettoient tant de prix à la légéreté des pieds, qu’ils désignoient métaphoriquement par elle des qualités qui n’y avoient aucun rapport. C’est ce dont Eschyle nous offre un exemple dans sa tragédie du Sept devant Thèbes : pour peindre le regard vif & perçant de Lastenes, il lui donne un regard aux pieds légers.

La tête de l’Apollon du Belvedere est moins menaçante, qu’imposante & majestueuse : la colère, qui dégrade les traits de l’homme, laisse régner la sérénité sur le front du Dieu ; elle ne fait qu’ajouter à la beauté de ses traits le caractère imposant de la majesté. Il va frapper ou le serpent Pyton, ou les enfans mâles de l’orgueilleuse Niobé : mais c’est un Dieu qui punit, & non un homme qui se venge. Sûr de sa victoire, il la méprise. L’indignation a son

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M Y T siége dans le nez & s’exprime par le gonflement des narines : le dédain est manifeste par l’élevation de la levre inférieure.

Lucien, dans son Anacharsis, nous décrit une statue d’Apollon Lycien. Le Dieu est penché en arriere, tenant de la main gauche son arc, & ayant la droite posée sur sa tête pour montrer qu’il se repose de ses fatigues.

L’Apollon Musagete ou conducteur des Muses, tableau conservé dans le cabinet d’Herculanum, est dans la même position : mais il n’a point d’arc : les armes ne conviennent pas au Dieu protecteur des arts paisibles : il tient dans sa main gauche une lyre à onze cordes ; sa tête est couronnée de laurier, une branche de laurier est à sa droite. Comme il n’est ni chasseur ni guerrier, il est couvert d’une simple draperie dont un bout lui pend sur l’épaule droite & tombe jusques sur les muscles pectoraux. Elle passe sur l’épaule gauche sans la couvrir entièrement, tombe le long du dos, vient envelopper les cuisses & se termine au dessus de la sandale. Le Dieu est enfin sur un trône dont le siége est fort bas, & dont le dossier s’éleve jusqu’aux épaules de la figure. Elle est élégante, svelte, la tête paroît reunir la douceur à la majesté : je dis qu’elle paroît, car il faudroit avoir vu le tableau original pour oser porter un jugement certain sur sa beauté.

« Le vêtement d’Apollon est d’or, dit Callimaque ainsi que son agrafe, sa lyre, ses flêches, son carquois ; la chaussure même est d’or : l’or convient à la richesse de ce Dieu. »

Cette idée du poëte n’est pas à négliger par le peintre. L’or peut être prodigué dans la représentation de ce Dieu, sur tout quand il est le symbole du soleil, parce que la couleur éclatante du plus précieux des métaux a beaucoup de ressemblance avec celle de l’astre du jour. Aussi les maîtres de l’art hermétique ontils désigné l’or par le nom du soleil.

Mais quand Apollon est le conducteur des Muses, & le dieu de la poésie, moins de richesse convient à sa parure : il suffit que sa lyre soit d’or. On vient de voir qu’il n’a qu’une simple draperie verte dans le tableau antique d’Apollon Musagete. L’artiste a peut-être préféré cette couleur, parce qu’elle est celle du laurier.

Moins d’opulence doit se remarquer dans le vêtement d’Apollon pasteur. L’expression de ce dieu ne doit pas être celle de l’Apollon vengeur qui se voit au Belvedere : son caractère est la bienfaisance & la bonté. Telle est la tête de l’Apollon de la Villa-Ludovisi, la plus belle, dit Winckelmann, après celle du Belvedere, quoique d’ailleurs la figure soit assez peu remarquée. Contre la pierre sur laquelle il est assis, est une houlette recourbée. On remarque, dans quatre têtes d’Apollon, que


les cheveux sont relevés & attachés avec ceux du sommet, sans laisser paroître la bandelette qui les retient : c’étoit la coëffure des adolescens, & celle, à ce que suppose Winckelmann, que les Grecs appelloient Crôbylos, & qu’il croit répondre au Corymbos des jeunes filles qui désignoit des cheveux attachés sur le sommet de la tête. Il ajoute que les écrivains ne donnent du Crôbylos qu’une notion confuse ; il avoit négligé sans doute de consulter Suidas : il y auroit : trouvé celle qu’il donne lui-même ; il y auroit lu que le Crobylos étoit pour les hommes, ce que le Corymbos étoit pour les femmes. Au reste, les artistes ne doivent pas négliger la remarque qu’il fait, que toutes les têtes de Diane, & toutes celles des vierges sont coëffées à la manière nommée Corymbos.

Dans quelques statues d’Apollon, ce dieu a beaucoup de ressemblance avec Bacchus. Tel est l’Apollon du Capitule, nonchalamment appuyé contre un arbre, & ayant un cygne à ses pieds. Telles sont encore trois autres figures de la Villa-Médicis.

Apollon & Bacchus, seuls de toutes les divinités, portent des cheveux qui descendent le long des épaules, & ce caractère les fait reconnoître dans des statues mutilées : on le retrouve dans le tableau de l’Apollon Musagete ; enfin l’Apollon pasteur doit seul avoir les cheveux relevés.

BACCHUS, toujours beau, toujours jeune, comme le dit Ovide :

Tibi enim inconsumpta juventa est ;
Tu puer ætrnus, tu formosissimus alto
Conspiceris cœlo.

Il tenoit de la nature des deux sexes, comme le dit Orphée dans l’hymne à Bacchus ; c’est encore Bacchus qu’il célèbre dans l’hymne à Misé, où il l’appelle mâle & femelle, Iacchus à double nature. Euripide lui donne des traits de femme. C’est donc avec raison que Winckelmann dit que sa jeunesse idéale est composée des traits qui conviennent aux deux sexes & semble avoir été empruntée de la nature des Eunuques ; il auroit peut-être mieux dit qu’elle étoit empruntée de l’idée que les anciens se formoient des Hermaphrodites.

« Dans les plus belles figures de l’antiquité, vous voyez toujours, dit-il, ce dieu avec des membres délicats & arrondis ; & des hanches saillantes & charnues, comme celles des femmes, parce que Bacchus, suivant la fable, a été élevé en fille. Pline fait mention de la statue d’un satyre qui tenoit une figure de Bacchus vêtue en Vénus, & Séneque nous le décrit comme une vierge M

Y T

M Y T travestie. Les formes de ses membres sont si délicates & si coulantes, qu’on les diroit produites par un souffle léger ; ses genoux, comme ceux des jeunes eunuques, n’ont presqu’aucune indication d’os ni de muscles. L’image de cette divinité est celle d’un beau jeune homme qui entre dans le printemps de la vie & de l’adolescence, & sent germer le mouvement de la volupté. »

Les anciens ont rendu la douce allégresse de ce Dieu dans toutes les représentations qu’ils en ont faites, même lorsqu’ils nous l’ont offert comme vainqueur de l’Inde. Telle est la figure armée de ce dieu, sur un autel, dans la Villa-Albani.

Bacchus est quelquefois drapé. Une autre figure de ce dieu, conservée à la Villa-Albani, est couverte d’un manteau qui descend jusqu’aux parties naturelles. La partie de cette large draperie, qui, si elle étoit abandonnée à elle-même, descendroit jusqu’à terre, est jettée autour d’une branche d’arbre contre laquelle la figure est appuyée. L’arbre est entortillé de lierre & d’un serpent.

Anacréon commande à un poëte de faire le portrait de Bathylle sur son simple récit, & dans l’énumération des beautés de ce jeune homme, il compte un ventre semblable à celui de Bacchus. Winckelmann croit retrouver, dans le Bacchus de la Villa-Albani, l’idée d’Anacréon.

Les figures de Bacchus conquérant sont toujours drapées jusqu’aux pieds : telles on les voit en bas-relief sur des vases de marbre, sur des terres cuites, sur des pierres gravées.

Ce dieu est quelquefois représenté sous la forme de l’âge viril ; mais, comme il doit être toujours jeune, ses traits conservent la délicatesse, la douceur, la gaîté de la jeunesse, & sa virilité n’est indiquée que par la barbe. C’est ainsi que doit être représenté Bacchus conquérant, parce qu’il laissa croître sa barbe pendant son expédition de l’Inde.

Les têtes de Bacchus conquérant sont couronnées de lierre. Telle est la belle tête qu’on a prise pour celle de Mithridate, quoiqu’il ne soit pas aisé de concevoir comment la couronne de lierre pourroit convenir au roi de Pont. On a ici des plâtres moulés sur cette tête, & madame le Comte en possède un beau marbre antique dans sa maison de Champ-de-coq. On remarque à travers ses traits majestueux, qui font reconnoître le fils de Jupiter, l’aimable empreinte d’une douce gaîté. Quelquefois Bacchus victorieux est couronné de laurier.

Bacchus voyageant pour répandre ses bienfaits sur la terre, est couvert d’une peau de léopard, & monté sur un char tiré par des tygres ; sa couronne est de lierre ; des guir-


landes de lierre lui servent de rênes, & c’est de lierre qu’est entourée la lance qui lui tient lieu de sceptre, & qu’un appelle thyrse.

CENTAURES . Winckelmann prétend que les cheveux des centaures sont relevés au dessus du front & forment différens étages, à-peu-près comme ceux de Jupiter. Il suppose que les artistes ont voulu indiquer, par ce caractère, l’origine des centaures, nés du commerce d’Ixion avec la nuée que Jupiter avoit substituée à Junon ; ce qui leur donnoit avec Jupiter une certaine affinité. Cette idée est tirée d’un peu loin ; une nuée, pour avoir été envoyée par Jupiter, n’étoit pas de la famille de ce Dieu. Notre savant auroit mieux fait, pour appuyer son opinion, d’adopter une autre origine que la fable donne à Chiron le père des centaures : elle le fait naître du commerce de Phyllire avec Saturne métamorphosé en cheval : il étoit parconséquent frère de Jupiter, & pouvoit avoir avec lui quelques traits de ressemblance. Mais Winckelmann est obligé d’avouer lui-même que le caractère qu’il attribue aux cheveux des centaures n’a point été constamment observé, puisqu’on ne le trouve pas sur le centaure Chiron du cabinet d’Herculanum. Une courte description de ce tableau ne sera pas tout-à-fait inutile.

Il représente ce précepteur d’Achille donnant à son jeune élève une leçon de lyre. Ses cheveux au lieu d’être relevés comme ceux de Jupiter, sont rabattus sur le front sans le couvrir. Sa tête est ceinte d’une couronne de feuilles oblongues : elles appartiennent peut-être à la plante nommée chironion, que les anciens mettoient au nombre des panaces : Pline dit que ses feuilles ressemblent à celle du lapathum ; c’est la patience des Jardins, dont les feuilles sont longues en effet.

La figure du Chiron est belle quant à la partie humaine, & la tête est d’une très bonne expression. La partie du cheval, qui est accroupie, est moins bien traitée & d’une étude moins vraie, au moins autant qu’on en peut juger par la gravure. Un habile artiste porte le même jugement sur le centaure de la Villa-Borghese. Cela pourroit confirmer que les artistes antiques avoient bien mieux étudié l’homme que les chevaux : mais il suffiroit de produire quelques exemples contraires à ce jugement pour le renverser. Il ne nous est resté qu’un bien petit nombre d’ouvrages antiques en proportion de ceux qui ont été détruits, & s’il ne passoit qu’un aussi petit nombre d’ouvrages modernes à la postérité, elle pourroit juger que, depuis la renaissance des arts, on n’a pas su faire de chevaux : on en a fait de très beaux sans doute ; mais comme on en a fait 542

M Y T un bien plus grand nombre de mauvais en peinture & en sculpture, il est probable qu’il en resteroit aussi un plus grand nombre de ces derniers. Ce que nous disons ici avec réflexion, peut resteindre ce que nous avons établi trop généralement & même trop légèrement à ce sujet dans l’article équestre ; mais ne doit pas détruire ce qu’on y lit sur le cheval de Marc-Aurele. Revenons au tableau d’Herculanum.

Les oreilles du centaure s’aggrandissent & s’alongent par le haut, en sorte qu’elles ne sont tout-à-fait ni des oreilles d’homme, ni des oreilles de cheval, mais qu’elles semblent tendre à la forme des dernières. Son dos est couvert d’une peau bien jettée, & qui vient se nouer sur la poitrine avec beaucoup de goût. La grande proportion de ce tableau, & la beauté des deux figures qu’il représente, ont fait soupçonner que c’est une copie de quelque grouppe de sculpture. Ce soupçon est augmenté par une pierre gravée du musæum Florentinum qui est parfaitement conforme à ce tableau. On sait du moins qu’il étoit ordinaire de multiplier, par la gravure en pierres fines, les beaux ouvrages de sculpture.

Le cabinet d’Herculanum contient deux autres centaures qui n’ont point de barbe, & dont la figure ne s’accorde pas mieux que celle du Chiron avec l’opinion de Winckelmann.

J’ai vu à S. Pétersbourg les plâtres moulés sur les deux centaures du palais Furietti : M. Falconet en a fait une juste critique. Les auteurs ont porté la fausseté de l’étude, jusqu’à indiquer de grosses veines sur les sabots. Je doute qu’on puisse justifier les artistes en disant que, dans la partie chevaline de ces centaures, il ont cherché à faire un mêlange de la nature humaine avec celle du cheval.

CENTAURESSE . Zeuxis a peint une centauresse allaitant deux jumeaux. C’est Lucien qui nous fait connoître ce tableau. L’original n’existoit plus de son temps. Il avoit péri lorsque Sylla voulut l’envoyer à Rome par mer ; mais une belle copie s’en étoit conservée. Toute la partie de la jument étoit couchée sur l’herbe, les jambes postérieures étendues en arrière. La partie de la femme étoit mollement penchée & appuyée sur le coude. La centauresse allaitoit un de ses petits à la manière des femmes & l’autre à la manière des jumens. Elle représentoit par la partie inférieure une belle jument indomptée de Thessalie ; &, par sa partie supérieure une femme de la plus grande beauté ; mais les oreilles ressembloient à celles des satyres. La partie féminine s’unissoit à celle de jument par un passage doux & insensible.


Le cabinet d’Herculanum possède le tableau d’une centauresse ; elle porte une jeune bacchante, qu’elle affermit sur sa croupe en lui passant la main droite sous le bras. Ses oreilles sont pointues comme celles d’une jument ; mais assez petites pour ne pas rendre sa tête difforme. C’étoit vraisemblablement de semblables oreilles qu’avoit la centauresse de Zeuxis, & que Lucien comparoit à celles des satyres.

Le grouppe d’Herculanum est plein de grace dans son heureuse simplicité. Cependant les auteurs de la description de ce cabinet accordent la supériorité, au moins pour l’exécution, à un autre tableau qu’ils croyent de la même main ; & qui représente aussi une centauresse. D’une main elle tient une lyre, de l’autre elle joue de la cymbale avec un fort jeune adolescent. L’éloge qu’on donne à ce morceau peut être mérité : mais la gravure prouve qu’il céde à l’autre par la composition moins heureuse & moins vraie. On ne voit pas comment le jeune homme peut se tenir sans tomber sur la partie antérieure de la centauresse. On dit que la carnation blanche de la femme se détache avec douceur sur le poil blanc de la jument, ce qui suppose de l’intelligence de couleur.

CÉRÉS . Winckelmann observe que les villes de la grande Grèce & de la Sicile ont imprimé, sur les médailles, la plus haute beauté aux têtes de Cérès. Sur une médaille de la ville de Métaponte, conservée à Naples dans le cabinet du Duc Caraffa-Noïa, le voile de la déesse est jetté en arrière. Sa tête, couronnée d’épis & de feuilles, est ceinte d’un diadême élevé, tel que celui de Junon ; ses cheveux sont relevés par devant avec un agréable désorde, pour indiquer, sans doute, son affliction après l’enlévement de si fille. Notre antiquaire accuse l’abbé Banier de n’avoir avancé que d’après quelques figures modernes que Cérès avoit le sein fort gros, caractère que jamais les anciens n’ont donné aux déesses.

CIRCÈ . Homère dit seulement que c’étoit une déesse terrible, & ne la caractèrise que par la beauté de ses cheveux bouclés : mais l’auteur des Argonautiques, qui porte le nom d’Orphée, en fait le portrait suivant qui convient bien à la fille du Soleil. « Elle accourut, au navire, & tous à son aspect furent frappés de terreur. Ses cheveux s’élevoient sur sa tête semblables aux rayons du Soleil, & la beauté de son visage brilloit comme le feu. » Cette idée du poëte est pittoresque, sans doute : mais il n’est pas donné à tous les peintres de l’adopter. Le Corrége n’avoit pas lu le faux Orphée, quand il fit partir de la tête du Christ enfant la lumière qui éclairoit son tableau. M Y T Le même génie parloit à deux hommes que plus de vingt siècles séparoient.

CYCLOPES . « La terre enfanta les Cyclopes au cœur superbe : Brontes, Stéropès, & le puissant Argès, qui fournirent le tonnerre à Jupiter, & lui fabriquèrent le foudre. D’ailleurs, semblables aux Dieux, ils n’avoient qu’un seul œil au milieu du front. » C’est ainsi qu’Hésiode, dans sa théogonie, nous représente les Cyclopes. L’œil unique qu’il leur donne étoit leur seule difformité, puisque d’ailleurs ils ressembloient aux dieux. Il est vrai qu’Homère, Virgile, Théocrite nous offrent Polyphême sous des traits hideux, & que les deux premiers ajoutent à sa laideur affreuse, une taille gigantesque. Cela n’a rien de choquant dans un poëte : il parle seulement aux oreilles, & l’imagination ne se peint que d’une manière confuse toute l’horreur de l’objet ; mais le peintre parle aux yeux, il leur présente l’objet même, & doit les traiter avec plus de ménagement. C’est ce qu’a bien senti l’auteur d’un tableau du cabinet d’Herculanum. Cette peinture représente Polyphême assis sur un rocher, & tenant de sa main une lyre. Le sujet peut avoir été fourni par Théocrite ; mais le peintre, dans la représentation de cette figure, s’est judicieusement rapproché du récit d’Hérodote. Ce n’est point un géant. Comparé au petit amour qui, porté sur les flots par un Dauphin, lui apporte une lettre de Galathée, c’est un homme d’une haute taille, & de la proportion que l’on donne aux héros : sa stature qui n’est pas celle d’Apollon, & qui n’a point une sveltesse qui ne lui conviendroit pas, n’offre dans ses formes aucune pesanteur. Mais Hérodote ne donne qu’un œil aux Cyclopes, & l’artiste a reconnu que cette difformité nuiroit à son ouvrage ; il se l’est épargnée en donnant trois yeux à sa figure, deux placés à l’ordinaire, un troisième au milieu du front, & qui même, si la gravure est fidelle, est moins sensiblement exprimé que les deux autres. Il avoit pour lui des autorités : nous apprenons de Servius, que les uns donnoient un seul œil à Polyphême, d’autres deux, & d’autres trois. L’artiste devoit suivre la supposition qui lui étoit plus favorable : mais dans l’absence de toute autre autorité, il en avoit une respectable dans la loi de son art, qui lui imposoit de ne pas souiller son ouvrage par une difformité.

DIANE . Le poëte Callimaque rassemble sur cette Déesse plusieurs traits qui doivent être recueillis par les peintres. Elle obtint de Jupiter une virginité éternelle, un arc, des flèches, & l’habit, retroussé des chasseresses, qui ne descendoit que jusqu’aux genoux. Ses ar-


mes & sa ceinture étoient d’or, ainsi que son char tiré par des cerfs, qu’elle conduisoit avec des rênes d’or.

Malgré la fable de son commerce furtif avec Endymion, on doit, à l’exemple des anciens, indiquer sa virginité perpétuelle par un sein virginal. Plus que toutes les autres Déesses, elle aura la forme & l’air d’une vierge, sans en avoir la timidité. Elle est ordinairement représentée au milieu de sa course ; son regard vif & assuré porte au loin devant elle, & fixe la proie qu’elle veut atteindre. Sa coëffure est le corymbos, c’est-à-dire que ses cheveux relevés de tous côtés au-dessus de la tête, forment un nœud par derrière. Cet ajustement, qui est celui des vierges, est en même tems commode pour une chasseresse. Sa tête n’est pas ceinte du diadême surmonté d’un croissant ; elle ne porte enfin aucun des ornemens que lui ont donnés les modernes ; mais si les modernes ne sont pas autorisés par des ouvrages de l’art antique, ils le sont par des passages des anciens poëtes, & Winckelmann n’a pas droit de les condamner. La taille de Diane est plus svelte & plus légère que celle de Junon & de Pallas : on peut, à ce caractère, la reconnoître même dans ses figures mutilées. Le plus souvent elle ne porte qu’un vêtement relevé jusqu’aux genoux ; quelquefois cependant elle est vêtue d’une longue draperie, & a la mamelle droite découverte.

ESCULAPE . Ses cheveux se relèvent au-dessus de son front, d’une manière à-peu-près semblable à celle de Jupiter : on peut croire que les anciens ont voulu indiquer par ce caractère que Jupiter étoit son aïeul. Cette observation est de Winckelmann. Voyez ce que nous avons dit sur Esculape, à l’article ICONOLOGIE.

FAUNES, Voyez SATYRES.

FURIES . C’est sur la physionomie de ces divinités redoutables, que les artistes modernes cherchent à épuiser tous les caractères de la laideur : ils les représentent sous la forme de vieilles femmes d’une maigreur affreuse, dont les traits sont aussi horribles que le teint, & dont les mammelles livides & pendantes inspirent le dégoût. Telle n’étoit pas l’idée des anciens. Comme ils nommaient ces déesses Euménides, c’est-à-dire, bienfaisantes, pour ne point affliger l’imagination par le sens de l’ouïe, ils se gardoient bien de les représenter sous des traits hideux, pour ne pas attrister l’ame par le sens de la vue. Fidèles à leur. systême de n’offrir aux yeux que la beauté, & peut-être aussi craignant d’offenser ces divinités vengeresses, en leur prêtant des traits odieux, ils leur donnoient la forme de jeunes & belles H4

M Y T vierges. Quelquefois ils leur hérissoient la tête de serpens ; quelquefois ils leur épargnoient cette difformité ; mais toujours ils armoient de serpens & de torches ardentes les bras nuds de ces divinités vengeresses. C’est ainsi qu’on les voit sur des vases de terre cuite, & sur des bas-reliefs, poursuivant le coupable Oreste ; toujours belles, toujours vierges, terribles seulement aux criminels qu’elles sont chargées de punir.

Mais est-il vrai qu’elles aient été nommées les bienfaisantes, parce que les anciens eussent craint de les irriter par un nom moins doux ? N’ont-ils pas voulu plutôt signifier que la juste vengeance dont elles menaçoient le crime, étoit un bienfait pour l’humanité. Elles étoient, dans cette supposition, des divinités amies des mortels vertueux, & c’eût été un contre-sens ridicule aux artistes, d’en former des images odieuses.

GENIE . On voit à la Villa-Borghese, la statue d’un génie aîlé, de la grandeur d’un jeune homme bien fait « Je voudrois, dit Winckelmann, en parlant de cette figure, pouvoit décrire une beauté qui n’a guère de semblables entre les enfans des hommes ; si l’imagination remplie de la beauté individuelle, & toute absorbée dans la contemplation du souverain beau qui émane de Dieu, & qui retourne à Dieu, se représentoit dans le sommeil l’apparition d’un Ange dont la face seroit resplendissante de lumière, & dont la conformation paroîtroit un écoulement de la source de l’harmonie suprême, elle auroit le type de cette figure étonnante. On pourroit croire que l’art a enfanté cette beauté, avec l’agrément de Dieu, d’après la beauté des Anges : Flaminio Vacca croit que c’est un Apollon aîlé ; Montfaucon l’a fait graver d’après un dessin détestable. »

Cette face resplendissante de lumière est de trop, sans doute, dans la description d’une statue : j’ignore si d’ailleurs Winckelmann ne s’est pas livré ici à une illusion platonique, & si sa description n’est pas exagérée ; mais ce que je sais, ce que je sens, c’est que de telles descriptions, toujours un peu vagues, ne sont pas inutiles aux artistes dont l’ame a quel qu’ardeur. Elles peignent à leur esprit l’image d’une beauté suprême ; & cette idée qui n’a d’existence que dans leur pensée, devient pour eux une émule qu’ils s’efforcent de vaincre. Ainsi, quoique souvent l’antiquaire saxon se laisse séduire par son enthousiasme, je crois que, par cet enthousiame même, peu de lectures seront plus utiles aux artistes que celle de son ouvrage : c’est un feu capable d’allumer d’autres feux.

GRACES . Le seul monument où elles soient


vêtues, est un ouvrage étrusque de la Villa-Borghese : mais c’est ainsi que les Grecs les ont representées dans les temps les plus reculés, & ce fut ainsi que Socrate les représenta dans sa jeunesse. Les graces du Palais Ruspoli, sont les plus belles qui nous restent de l’antiquité ; leur beauté n’exprime pas précisément la gaieté, mais la douce satisfaction, le bonheur paisible qui convient à l’innocence de leur âge. Leurs têtes ne sont chargées d’aucun ornement ; leurs cheveux sont attachés d’une bandelette, & à deux d’entr’elles, ils sont rassemblés en nœud sur le cou.

HEBÉ, se distingue des autres Déesses par la forme de son vêtement qui est relevé à la manière des jeunes victimaires, & des jeunes garçons qui servent à table.

HERCULE . Des ouvrages antiques présentent Hercule dans la plus belle jeunesse, & même avec des traits qui sont presque douter de son sexe. La connoisseuse Glycère disoit, au rapport d’Athénée, que les jeunes gens sont beaux tout le temps qu’ils ressemblent à des femmes ; telle est la beauté du jeune Hercule, sur une cornaline gravée du Baron de Stosch.

Des nerfs & des muscles ressentis caractérisent Hercule dans l’âge viril, lorsqu’il déploya sa force contre les monstres & les brigands, Les belles têtes de ce héros offrent encore d’autres caractères expressifs ; c’est la grosseur du cou qui semble empruntée de la nature du taureau pour témoigner la force ; ce sont des cheveux courts, rabattus sur le front, qui ont peut-être rapport aux poils courts qui se trouvent entre les cornes du Taureau. Mais les veines & les muscles adoucis, conviennent à ce héros, purifié des parties grossières de son corps mortel, par le feu dont il fut consumé sur le mont Œta. L’Hercule Farnese est homme ; celui dont reste le fameux Torse est Dieu. L’imagination sublime des grands artistes les élevoit de la nature périssable, à la nature immatérielle ; elle créoit, continue Winckelmann, dont on a pu reconnoître le langage, des êtres exempts des besoins de l’humanité, & formoit des corps humains qui sembloient n’être que les en veloppes d’intelligences célestes.

HEROS . On peut voir ce que nous en avons dit à l’article Héros : ce qu’on va lire ici est extrait de Winckelmann.

Les anciens, dans la représentation des Héros, c’est-à-dire, des hommes à qui l’antiquité donnoit la plus haute dignité de notre nature, s’approchoient de la nature divine, mais sans y atteindre, & ne confondoient pas l’homme & le Dieu. Cette distinction étoit souvent très-délicate ; qu’on prête au Battus des médailles de Cyrene, un regard de volupté ; on en fait un Bacchus : qu’on lui donne un trait de grandeur divine, c’est un Apollon. Un regard de cette fierté qui appartient à l’homme, & non pas au Dieu, décele dans le Minos des médailles de Gnossus, un personnage royal : ôtez-lui cette expression, vous en ferez un Jupiter plein de clémence.

Les anciens imprimoient à leurs Héros des formes héroïques, en relevant certaines parties par des saillies au-dessus du naturel : ils animoient les muscles & leur donnoient une vivacité extraordinaire ; ils mettoient en jeu dans les actions véhémentes tous les ressorts de la nature. L’objet qu’ils se proposoient par ces procédés, étoit d’y introduire toutes les variétés possibles. C’est ce qui se voit dans le prétendu gladiateur d’Agasias d’Ephese, statue conservée à la Villa-Borghese. La physionomie de cette figure est faite d’après une personne dont on a voulu représenter la ressemblance : mais les muscles grenus des côtés, ont plus de saillie, de mouvement, d’élasticité que dans la nature.

On en a un exemple encore plus frappant dans les mêmes muscles du Laocoon, nature exaltée par l’idéal : mais cet idéal n’est pas encore celui de la divinité, comme nous pourrons le reconnoître, en comparant cette statue, par rapport à la même partie du corps, aux figures déifiées ou divines, telles que l’Hercule & l’Apollon du Belvédère. Dans le Laocoon, le mouvement de ces muscles est porté au-delà du vrai, jusqu’aux dernières bornes du possible ; amoncelés comme des vagues, ils correspondent l’un à l’autre pour exprimer la plus grande contention des formes au milieu de la douleur & de la résistance. Dans le torse de l’Hercule déïsié, ces mêmes muscles sont d’une forme idéale de la plus haute beauté : élevés d’une manière coulante, ils offrent un cadencement varié comme l’ondulation de la mer dans son calme. Dans l’Apollon, figure d’une beauté toute divine, les muscles sont de la plus grande délicatesse souffllés en ondes presqu’imperceptibles, ils sont plutôt sensibles au tact qu’à la vue.

Les artistes étoient autorisés par les poëtes à suivre, dans la configuration des jeunes héros, leur principal objet qui étoit la beauté ; à rendre même cette beauté si délicate, que le spectateur put rester indécis sur le sexe de la figure. A quelle beauté ne leur étoit-il pas permis d’élever un Achille qui, long-temps, étoit resté inconnu entre les filles du Roi Lycomède ? Ne pouvoit-ils pas donner les mêmes charmes à Thésée, qui, suivant le témoignage de Pausanias, parut à Trezene, vêtu d’une longue robe qui lui descendoit jusqu’aux pieds, & que son air efféminé exposa aux railleries des ouvriers qui travailloient au Temple d’Apol-


lon ? Ils feignoient de s’étonner de voir marcher seule dans la ville une jeune personne d’une beauté si accomplie.

L’auteur d’un tableau antique conservé au cabinet d’Herculanum, s’est bien éloigné de cette beauté féminine du jeune Thésée ; lorsque le représentant dans un de ses premiers exploits, la défaite du minotaure, il lui a donné une taille gigantesque. Le Poussin s’est également écarté de la beauté du jeune âge, en peignant le même héros. Thésée est représenté au moment où il lève la pierre, sous laquelle son père avoit caché son épée & l’un de ses souliers ; & où il trouva l’un & l’autre en présence d’Ethra, sa mere ; il n’avoit que seize ans quand il fit ainsi connoître sa force ; & le Poussin lui donne de la barbe, l’âge d’un homme fait, & un corps qui a perdu tous les arrondissemens de la jeunesse.

Pour faire d’un héros un Dieu, il s’agit bien plus de supprimer que d’ajouter. Cette opération consiste à retrancher graduellement les muscles trop angulaires & trop prononcés par la nature, jusqu’a ce que les formes soient portées à une telle finesse d’exécution, qu’il paroisse que l’esprit a seul opéré.

Nous ne chercherons point à contester cette règle que donne Winckelmann ; nous avouerons qu’elle est non-seulement ingénieuse, mais inspirée par un sentiment juste & profond. Nous ajouterons seulement qu’on emploieroit en vain cette règle pour faire un Dieu, si l’on n’avoit pas cette force, cette grandeur, cette sublimité d’imagination qui conçoit une nature céleste, qui la crée en quelque sorte, qui par le souffle du génie la porte sur la toile ou sur le marbre, & l’expose à la vénération des hommes étonnés.

HEURES, Voyez SAISONS.

UNON, indépendamment de son diadême élevé en crête, est reconnoissable à ses grands yeux & à sa bouche impérieuse. La plus belle statue de cette déesse est celle du palais Barberini, & la plus belle tête est à la Villa-Ludovisi : elle est de grandeur collossale.

JUPITER est toujours représenté avec un regard serein. Les têtes ressemblantes à celle de ce Dieu, mais que caractérise une expression de séverité, appartiennent à Pluton. Jupiter n’est pas seulement reconnoissable à la clémence qui règne dans sa physionomie ; mais à ses cheveux qui s’élèvent sur le front en formant différens étages, retombent en ondes serrées sur les côtes, & lui couvrent les oreilles. Plus longs que ceux des autres dieux, ils ne forment point de boucles, mais sont jettés d’une manière ondoyante, & ont quelque ressemblance
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M Y T avec la crinière du Lion. Ce jet des cheveux es tellement un caractère essentiel au maître des Dieux, qu’il se retrouve dans ses fils, & indique leur origine.

Ces traits sont observés en général avec autant de justesse que de sagacité : mais quant à la physionomie de clémence & de bonté qui, selon Winckelmann, devoit constamment être celle de Jupiter, nous demanderons si c’étoit celle du Jupiter fulminant, & celle de la statue de Phidias, où l’on reconnoissoit le Dieu qui ébranle l’Olympe d’un mouvement de ses sourcils. Ce Dieu sans doute étoit trop puissant pour éprouver la colère ; mais quelque sévérité ne se peignoit-elle pas sur son front majestueux ? ne troubloit-elle pas la sérénité de son regard, quand il punissoit les hommes, quand i1 frappoit de terreur les Dieux eux-mêmes ? Il nous reste trop peu de monumens des artistes antiques, pour que nous puissions prononcer sur la variété de leurs conceptions ; l’artiste moderne peut y suppléer avec sagesse & avec choix, par celles des anciens poëtes : Jupiter avoir-il l’expression de la douceur au moment où, suivant le récit d’Homère, on eût tant de peine à sauver Junon de ses mains ?

Au défaut de monumens antiques, c’est un beau problême à resoudre par les artistes modernes, que celui d’allier dans la physionomie de Jupiter, quand le sujet l’exige, ce que la majesté peut avoir de plus terrible, avec ce que la beauté peut avoir de plus parfait, & d’y faire sentir encore la clémence habituelle. Mais en général, on doit s’en tenir à l’idée que Winckelmann a puisée dans l’antique, parce que la bonté est l’attribute le plus convenable au plus puissant des Dieux.

MARS est ordinairement représenté comme un jeune héros sans barbe : mais sa jeunesse est plus mâle que celle d’Apollon. Il ne reste aucun monument de l’antiquité, où il exprime l’audace, où il inspire la terreur. Les deux plus belles figures de Mars sont une statue assise, avec l’Amour à ses pieds, dans le Palais Ludovisi, & une petite figure de ce Dieu sur une des bases de deux beaux candélabres de marbre qu’on voyoit au Palais Barberini. Le Dieu, dans ces deux antiques, est dans l’âge de l’adolescence & dans l’état de repos ; & c’est ainsi qu’il est figuré sur les médailles & les pierres gravées.

MÉDUSE . Les artistes modernes ne craignent pas d’exagérer la laideur dans les têtes des Gorgones. Mais les artistes de l’antiquité, persuadés avec Horace que l’ame est moins frappée des impressions qu’elle reçoit par les oreilles, que de celles qui leur sont transmises par les yeux, & craignant d’exciter dans les spectateurs des


sensations pénibles, n’imitèrent pas leurs poëtes dans la description que faisoient les dernièrs de ces divinités subalternes. C’est du moins ce qu’on peut juger par Méduse, la seule des Gorgones dont la tête nous ait été conservée ; ils lui donnèrent la plus grande beauté. Telle on la voit sur des pierres gravées ; telle & plus belle encore est celle que Persée tient en sa main dans une statue du Palais Lanti.

MERCURE est jeune, mais sa forme est moins délicate que celle d’Apollon. Il se distingue par des cheveux courts & frisés, & par une physionomie d’une singulière finesse. Ce dernier caractère, si, essentiel à ce Dieu, ne se trouve pas dans sa statue faite par un sculpteur françois (Pigale) & placée à Pozdam. Ce jugement est du Saxon Winckelmann ; mais il a été prévenu ou ratifié par celui des artistes & des connoisseurs de la France : Pigale étoit un statuaire d’un talent distingué ; mais il n’avoit pas la force de talent qui est nécessaire pour faire un Mercure, ni peut-être même des Dieux. Habile à rendre les vérités de la nature, il n’avoit pas reçu la faculté de l’élever jusqu’à la beauté idéale.

MORT . On ne peut nier que les anciens aient représenté des squelettes : quand ce fait ne seroit pas prouve par quelques monumens, il le seroit par un assez grand nombre de passages des écrivains de l’antiquité. Hérodote ne nous a pas laissé ignorer que les Egyptiens mettoient sur table la représentation d’un squelete pour engager les convives à goûter des plaisirs auxquels ils ne seroient que trop tôt enlevés. On retrouve le même usage chez les Grecs & les Romains : ceux qui n’avoient pas un squelete artificiel, le remplaçoient par une véritable tête de mort. Trimalcion, dans Pétrone, fait apporter sur la table un squelete d’argent, & s’écrie : « hélas ! hélas ! combien l’homme est peu de chose ! c’est ainsi que nous serons tous quand les destins nous auront enlevés. Livrons-nous donc au plaisir, tandis qu’il nous est encore permis de vivre. »


Heu ! heu ! nos miseros ! Quam totus homuncio nil est.
Sic crimus cuncti, postquam nos auferet orcus.
Ergo vivamus, dum licet esse, bene.


Mais ces squeletes, ni ceux qui peuvent se trouver sur quelques monumens funéraires, ces images de l’homme détruit, ne prouvent pas que les anciens en aient sait l’image du Dieu de la mort : nous avons vu qu’ils ne représentoient les Dieux que sous des traits agréables ; nous savons que leur philosophie, ou plutôt leur façon de penser générale, tendoit à s’affermir contre les terreurs de la mort. Nous savons aussi qu’ils avoient l’esprit juste, & la mort est un seul instant, qui, trop court, trop rapide pour être apperçu par celui qui le franchit, n’a rien de terrible en lui-même. C’étoit cet instant qu’ils nommoient thanatos : mais ce qui est terrible, c’est la destinée qui condamne à mourir & quelquefois même d’une manière affreuse ; C’est l’approche inévitable de la mort. Les Grecs la nommoient Ker, & les Latins Lethum. Les anciens l’ont aussi représentée, & Pausanias nous apprend qu’ils lui donnoient des dents & des ongles crochus.

Dans Homère, Apollon commande au sommeil & à la mort, deux freres jumeaux, d’enlever le corps de Sarpedon. Voilà donc deux frères qui, en qualité de jumeaux, doivent se ressembler : l’un est un sommeil passager, l’autre est un sommeil éternel ; c’est le seul trait qui les distingue.

L’idée du prince des poëtes a été adoptée par les artistes. C’est sous la forme de deux génies que le sommeil & la mort sont représentés sur un autel qui se trouve à Rome, dans le jardin du palais Albani. Une inscription, antique ainsi que le monument, ne permet : de former aucun doute sur l’intention de l’artiste.

Si le génie de la mort avoir tous les attributs, on le verroit avec une urne ou une fiole, une couronne, un papillon & un flambeau : mais on fait que les anciens se dispensoient le plus souvent d’entasser., comme le font les modernes, les attributs de leurs figures mythologiques ou allégoriques.

Sur un sarcophage publié par Bellori, le Dieu de la mort est représenté debout sous la figure d’un jeune homme. Il a des aîles ; ses jambes sont croisées pour marquer l’état de repos. Sa tête inclinée a l’expression de la tristesse. Il s’appuie sur le flambeau de la vie, éteint & renversé, qu’il pose sur l’estomac du mort. Il tient une couronne, parce qu’on couronnoit les morts, & un papillon qui étoit le symbole de l’ame au moment où elle abandonne le corps.

Sur une pierre gravée, il a aussi des aîles ; il tient d’une main une urne cinéraire, & de l’autre il secoue son flambeau pour l’éteindre : un papillon rampe sur la terre à côté de lui.

Ceux qui seront curieux de voir ce point d’antiquité plus approfondi, pourront consulter la dissertation de Lessing sur la manière de représenter la mort chez les anciens. Elle a été traduite par M. Jansen, dans son recueil de pièces intéressantes concernant les antiquitès, les arts &c.

La représentation de la mort sous la forme d’un squelete, est rebutante, & par cela même, indigne des anciens : elle est encore plus indigne d’eux, parce qu’elle offre une idée fausse ;


elle ne présente pas l’image de la mort, mais d’une suite éloignée de la mort.

H. Herder attribue la manière dont les modernes sont convenus de représenter la mort, à ces-peuples septentrionaux qui détruisirent l’empire Romain, & adoptèrent la nouvelle religion de Rome. Ces barbares, nés sous un climat dont la rudesse les rendoit incapables de toute idée gracieuse, préférèrent le hideux & le terrible à la grace & à la beauté. Ne pourroit-on pas accuser de même notre origine boréale de bien d’autres changemens que nous avons apportés à l’art des anciens, & que sais-je ? de quelque-uns peut-être dont nous nous applaudissons ?

NEPTUNE . Il n’existe à Rome qu’une statue antique de ce Dieu. Elle se trouve à la Villa-Medicis, & seroit peu différente de celles de Jupiter, si Neptune n’avoit pas la barbe crépue, & les cheveux jetés d’une manière toute différente au-dessus du front.

PALLAS . Sa chevelure, dit Winckelmann, est nouée fort bas derrière la tête. Son maintien est grave : elle a les yeux moins ouverts que Junon ; elle les tient baissés & la tête inclinée, comme si elle étoit ensevelie dans une profonde méditation. Cette expression de pudeur est convenable à une divinité qui, toujours exempte de foiblesse, n’a jamais été vaincue par l’amour. Elle n’a jamais la gorge découvert : la nudité de la mammelle droite est un attribut de Diane & de cette divinité seule.

On sent que le caractère de réflexion & de pudeur donné ici à Pallas, ne sauroit lui convenir dans toutes les circonstances où l’on peut la représenter. Doit-elle avoir, par exemple, les yeux baissés, la tête inclinée, dans le premier livre de l’Iliade ? Aussi notre antiquaire convient-il lui-même que, sur une médaille Grecque en argent de Vélia, ville de Laconie, elle a de grands yeux élevés, & qu’elle porte ses regards en avant : des aîles garnissent les deux côtés de son casque ; ses cheveux déscendent par étages en longues boucles pardessus la bandelette qui les noue. En général, on donne à Pallas des cheveux plus longs qu’aux autres déesses.

PAN . Winckelmann se flatte d’avoir découvert la véritable conformation de la tête de ce Dieu, sur une médaille du Roi Antigone : elle est couronnée de lierre ; la physionomie annonce de la gravité ; la barbe fournie ressemble dans son jet aux poils de chèvres. Une autre tête, à peu près aussi peu connue, de de la même divinité, est au capitole ; des oreilles pointues la caractérisent ; la barbe est moins hérissée que celle de la médaille, & ressemble à celle de quelques philosophes. On remarque un air de réflexion dans les yeux enfoncés qu’on peut comparer à ceux de la tête d Homère. Ce morceau est d’une grande exécution.

Ajoutons que ce Dieu doit avoir quelques traits de la nature sauvage ; mais qu’il doit avoir le plus grand caractère, puisqu’il est cette nature elle-même. « Il est, dit le faux Orphée, le ciel, la mer, la terre & le feu : toutes les parties de la nature sont les membres du Dieu P1an. »

La. médaille arcadienne du dieu Pan, où il est représenté assis sur le mont Olympe, l’offre sous les traits d’un beau jeune homme sans barbe. Ses cheveux séparés, au milieu du front sont jetés des doux côtés avec beaucoup de grace : sa tête est noble, sa taille ne manque point de sveltesse ; tous ses membres sont de forme humaine & d’une belle proportion. Rien en lui n’indique un dieu rustique que le bâton noueux & recourbé qu’il tient en main, & la flutte à sept tuyaux qui est à côté de lui ; ou plutôt le bâton indique sa puissance, & la flûte à sept tuyaux, symbole du l’harmonie des sept planètes, fait connoître son empire sur toute la nature.

Il ne faut pas confondre avec le Dieu Pan, le dieu Tout, les Pans ou Ægipans, divinités inférieures & champêtres. Ils ont le nez aquilain, la face large & grossière, de longues oreilles, des cornes, des pieds de chèvres. Ces Dieux étoient le symbole de la nature champêtre, & l’on a voulu désigner la faculté productive & générative de la campagne par la salacité du bouc dont ils partagent les formes. Les Pans furent, avec le temps, donnés pour cortège à Bacchus, comme l’avoient toujours été les satyres : mais il est vraisemblable que ce n’a été que dans des ouvrages Romains, ou faits par des artistes Grecs pour des Romains. Les jeunes Pans se nommoient des Pani ques.

Malgré ce que nous avons dit de la figure du dieu Pan, dans la médaille arcadienne, il saut avouer qu’Homère, ou l’auteur de l’hymne homérique adressée à ce Dieu, ‘lui donne des pieds de chevre & des cornes.

On peut donner à Pan moins de grandeur, quand on ne le considère que comme un Dieu agreste, fils de Pénélope, & amant des nymphes des Bois. Ce n’est plus alors qu’un Ægipan.

PARQUES . Elles sont du nombre des divinités auxquelles on se croit obligé de donner de la laideur : ce caractère, que cependant quelques modernes ont évité, est autorisé par d’anciens poëtes, mais non par les artistes de l’antiquité. On voit ces déesses assister à la mort de Méléagre : leur forme est virginale,


leurs têtes sont belles ; elles ont des aîles au dos, elles en ont aussi à la tête. L’une. d’elles est toujours dans l’action d’écrire sur un rouleau Pansanias nous apprend que Vénus a été nommée la plus ancienne des Parques, ce qui ne permet pas de leur donner un caractère de laideur. La manière de représenter Vénus, ressembloit à celle de représenter la déesse des vengeances, la terrible Némésis, puisque ce fût en Némésis qu’Agoracrite, élève de Phidias, changea la statue qu’il avoir faite de Vénus.

PLUTON ressemble, ainsi que Neptune, à son frère le maître des Dieux ; mais il s’en distingue par le caractère de la sévérité. On l’a pris souvent pour un Jupiter à qui l’on a cru devoir donner le surnom de terrible. C’est le même Dieu que Sérapis, & il est caractérisé par le modius ou boisseau sur la tête ; mais ce caractère n’a pas toujours été observé. Ses cheveux ne sont pas arrangés comme ceux de Jupiter : pour lui donner un air plus sombre, on le représente avec les cheveux rabattus sur le front : sur quelques têtes de Sérapis, la barbe est séparée en deux.

PROSERPINE . Sa tête, sur les médailles de Sicile & de la Grande-Grece, est de la plus grande beauté : sur une médaille du cabinet de M. Pellerin, elle est couronnée de longues feuilles qui sont probablement des feuilles de bled : mais des antiquaires les ont prises pour des feuilles de jonc, & en conséquence de cette erreur, ils ont regardé la tête de Proserpine comme une tête de la nymphe Aréthuse.

SAISON, ou les HEURES, suivant la dénomination des Grecs ; car c’étoit par le nom d’Heures qu’ils désignoient les parties de l’année, & non celles du jour. Ils appeloient aussi heures des portions de temps non périodiques & déterminées ; mais ce mot, en ce dernier sens, est étranger aux objets de l’art.

Les Heures ou Saisons sont compagnes des Graces ; elles en ont la beauté, & quelquefois la nudité. On avoit coutume de les représenter dansantes : elles furent d’abord au nombre de deux, parce que les Grecs ne reconnoissoient alors que deux saisons ; ils en distinguèrent ensuite trois. Leur vêtement est ordinairement court, comme celui des danseuses, & ne descend que jusqu’aux genoux : leurs têtes sont couronnées de feuilles dé palmier. C’est ainsi qu’on les voit sur une base triangulaire du Palais Albani. Enfin les Saisons furent portées au nombre de quatre, & on les voit en ce nombre sur une urne de la même vigne ; elles y sont représentées de différens différens âges, & couvertes de longues draperies : elles n’ont pas la couronne de palmier. L’Heure du printemps a la taille & les traits naïfs du jeune âge ; ses trois sœurs augmentent d’âge progressivement. Sur le bas-relief de la Villa-Borghese, les Heures dansent avec les Graces. Ces quatre derniers articles sont entièrement extraits de Winckelmann.

SATYRES . Sous ne croyons pas devoir leur donner le nom de faunes, parce que l’art antique appartient sur tout aux Grecs, & que le nom de faunes appartient uniquement à la langue latine. C’est faire dans le langage, une sorte de faute de costume, que de donner sans nécessité des noms latins à des idées & des productions Grecques.

Les meilleurs statues de Satyres offrent ces dieux inférieurs sous l’image d’une belle jeunesse bien proportionnée, mais distinguée de celle des héros par un profil moins noble, par un nez camus, par un air de simplicité & d’innocence, Jointe a une sorte de grace commune. On leur donnoit ordinairement des cheveux hérissés & un peu crêpus à la pointe, pour imiter les poils de chêvres. On trouve à Rome, continue Winckelmann, plus de trente statues de jeunes Satyres qui se ressemblent par la forme & l’attitude. Il conjecture avec beaucoup de vraisemblance que ces nombreuses imitations avoient pour original le fameux Satyre de Praxitele : qui étoit, avec son amour, celui de ses ouvrages que ce statuaire aimoit le plus. On sait par les restes de l’antiquité qui sont parvenus jusqu’à nous, que les artistes, plus modestes alors qu’ils ne le sont généralement aujourd’hui, se disputoient à l’envi la gloire de multiplier les chefs-d’œuvres des grands maîtres. Si l’on ne veut pas croire à cette modestie des artistes, on pourra supposer qu’un grand nombre d’amateurs, & peut-être de villes, cherchoient à se procurer, & payoient chèrement, les copies ou les imitations de ces chefs-d’œuvres,

Ceux qui ont établi que la nature des Satyres devoit avoir de la pesanteur, ne se sont pas rappellé le Faune nourricier de Bacchus, qui tient ce jeune dieu dans ses bras. Cette figure est bien plutôt svelte qu’épaisse & pesante. L’original est à la Villa-Borghese ; mais elle est bien connue en France par des copies ou des plâtres moulés, & elle est d’une fort belle étude. La beauté de ses jambes est célèbre. Si elles ne font pas idéales, la nature au moins n’en offre pas de plus belles, par rapport au caractère général de la figure. Le beau Satyre dormant au palais Barberini n’est point une figure idéale ; mais une parfaite image de la nature naïve & abandonnée à elle-même.

On ne trouve non plus rien de lourd, dit


Mengs, dans le Faune de Florence qui joue des crotales, si ce n’est la tête & les bras qui sont modernes. Nous avons à Rome, ajoute le même artiste, quantité de Faunes de la forme la plus élégante, qui pour cela ne sont pas des Apollino, mais qu’on pourroit comparer aux plus beaux Bacchus, excepté pour la physionomie & l’attitude.

Deux tableaux du cabinet d’Herculanum représentent, l’un un jeune Satyre qui renverse amoureusement une jeune Bacchante, l’autre un Satyre vieux & barbu qui tâche d’embrasser une Nymphe ou plutôt une belle hermaphrodite. ( * ) Ils ont entiérement la forme humaine & n’en différent que par une petite queue. Le premier est d’une nature un peu pesante ; l’autre aussi léger que le permet son âge, parôit avoir été svelete dans sa jeunesse.

Dans un autre tableau d’Herculanum, on voit l’Amour luttant avec un enfant qui a des cornes, des cuisses, des jambes & des pieds de chêvre. C’est un panisque, c’est à dire un jeune Pan ou. Ægipan. Par cette réunion de la nature humaine & animale, les anciens ont peut-être voulu figurer l’universalité du dieu Pan. Mais les Grecs n’ont jamais distingué les Satyres des hommes que par les oreilles pointues la petite queue & le nez camus. Xénophon nous apprend que Socrate, qui étoit camus, ressembloit à un Satyre. Le nez aquilin designe un Ægipan.

Quelques sculpteurs antiques ont donné aux Satyres une physionomie riante avec des poireaux pendans sous les mâchoires comme aux chêvres : on voit une belle tête de ce genre à la Villa-Albani.

SILENE . Le Silene, père nourricier de Bacchus, & en général les vieux satyres, que l’on nomme Silenes, n’ont pas, dans les compositions sérieuses, l’expression de la gaité. Ce sont de beaux corps dans toute la maturité de l’age : tel est celui dont nous venons de parler à l’article précédent, & que nous avons appellé Faune, pour nous conformer à la dénomination qu’on lui donne ordinairement en France. Dans quelques figures, dit Winckelmann, la physionomie de Silene, annonce un air de gaité ; il porte une barbe frisée : dans d’autres, l’instituteur de Bacchus paroit sous la forme d’un philosophe ; sa barbe vénérable lui descend en serpentant jusques sur la poitrine. C’est ainsi qu’il est représenté sur des bas-reliefs qui ont été souvent répétés, & que l’on connoît sous la fausse dénomination

(*) Les anciens donnoient souvent des Hermaphrodites ou Androgynes pour compagnes aux Satyres. dénomination de banquet de Trimalcion. Dans des compositions gaies & bacchiques, on voit sur plusieurs bas-reliefs le vieux Silene avec un corps d’une grosseur démesurée & chancellant sur un âne qui lui sert de monture. Dans le tableau d’Herculanum qui représente la lutte de l’Amour & d’un jeune Ægipan, il est d’une proportion pesante. On nommoit Silenes les Satyres avancés en âge.

TRITONS . On voit à la Villa-Albani deux têtes collossales de ces dieux marins inférieurs. Elles sont caractérisées par des espèces de nageoires qui forment les sourcils & par d’autres nageoires semblables qui passent au dessous du nez, sur les joues & sur le menton, & tlennent la place de la barbe. On les voit ainsi représentes sur plusieurs urnes funéraires. L’expression que leur ont prêtée les artistes semble indiquer le calme de la mer. Les épithetes qui ont été quelquefois données à ces dieux par les poëtes, n’ont pas servi de modèles aux sculpteurs.

VENUS, déesse de la beauté dont elle est le premier modèle. Ordinairement elle est nue, ainsi que les grâces & quelquefois les heures ou saîsons.

Vénus a toujours les yeux petits & la paupière inférieure tirée en haut, différente en cela de Junon dont la coupe de l’œil est grande & arrondie. Quels que soient les attributs de Vénus, elle a toujours des regards tendres & languissans, & des yeux pleins de douceur : mais les anciens ne lui ont jamais donné ces regards lascifs qui ne lui ont été prêtés que par quelques modernes. Elle peut être considérée comme la déesse de la volupté, & non comme celle de l’impudence.

Vénus plus généralement nue, étoit quelquefois drapée. Telle l’a représenté Praxitele ; Winckelmann conjecture que la Vénus drapée, belle statue qui a passé d’Italie en Angleterre, en est une copie. Ce que nous avons dit en parlant du satyre ouvrage du même statuaire, & de ses nombreuses imitations, peut donner assez de fondement à cette conjecture, si d’ailleurs elle est soutenue par la beauté & le style de l’ouvrage.

Sur quelques bas-reliefs antiques qui représentent l’enlévement de Proserpine, on voit aussi Vénus drapée & la têteceinte d’un diadême.

Quand cette déesse est entièrement drapée, elle a deux ceintures ; l’une, comme les femmes la portoient, au dessous du sein ; & l’autre au dessus des hanches : Winckelmann prétend que cette seconde ceinture étoit le ceste, espèce de talisman, qui contenoit tous les moyens de séduire & de plaire. M. Heyne n’admet pas cette conjecture.


Winckelmann refuse de reconnoître pour Vénus, une figure à qui l’on a donné ce nom, & qui se trouve dans un tableau antique du palais Barberini. Elle a des mammelons apparens, & c’est ce qui blesse le savant antiquaire, parce que Vénus est ordinairemen caractèrisée par un sein virginal. Mais le peintre antique a peut-être voulu figurer vénus nourricière, Alma Vénus, symbole de la nature. Parceque nous connoissons quelques idées des anciens artistes, nous n’avons pas le droit de prononcer que nous les connoissons toutes, & que jamais aucun d’eux ne s’est cru permis d’abandonner les idées les plus générales. Winckelmann avoit un penchant à généraliser qui lui a procuré des conjectures très ingénieuses, & qui a dû quelquefois l’égarer.

Les Vénus que l’on appelle de Médicis, par leur conformité avec celle qui porte ce nom par excellence, sont en très grand nombre : on les trouve sur des médailles antiques & peut-être en reste t-il aujourd’hui plus de cent statues de différentes proportions. On n’est pas cependant obligé de croire que toutes ayent eu originairement cette position. l’adresse ou plutôt la fraude des sculpteurs Italiens modernes est assez connue. On fait que d’un morceau de statue antique, ils lavent faire une statue entière qu’ils vendent chérement comme un chef-d’œuvre de l’antiquité, quoique ce ne soit qu’une production moderne souvent très-médiocre. Quelques parties de statues de femmes, trouvées dans des décombres, ont donc pu servir à faire un grand nombre de ces Vénus.

Mais on n’en peut pas dire autant des médailles ; & d’ailleurs il faudra toujours convenir qu’il nous reste de l’antiquité beaucoup de Vénus dans l’attitude de celle de Médicis : d’où il faut conclure que cette Vénus fut, plus que toutes les autres, révérée des anciens, soit que cette vénération, ait été religieuse, soit qu’elle ait eu pour objet la beauté de l’art qui brilloit dans le premier modèle, d’où il a résulaté tant de copies.

C’est cette Vénus qu’Ovide avoit sous les yeux, ou du moins dans la pensée, lorsqu’il dit : « quand elle se montre sans voile, elle retire à demi en arrière ses charmes inférieurs & les cache de sa main gauche. »


Ipsa Venus pubem, quoties velamina ponît, Protegitur, lœvâ semireducta manu.


Une médaille des Cnidiens, des pierres précieuses gravées à Cnide semblent prouver, ou dumoins rendre très probable, que le modèle de cette Vénus si estimée des anciens, si souvent répétée par leurs artistes, fut la fameuse Vénus de Cnide, ouvrage de Praxitele. En effet, la vénus que les Cnidiens affectérent de multiplier sur leurs médailles & sur les pierres gravées, gravées dut être celle qu’ils révéroient dans leur temple, celle qui recevoit leurs premiers hommages.

Il est vrai que la Vénus Cnidienne des médailles & des pierres gravées n’est pas exactement celle de Médicis : elle lui ressemble par la partie inférieure ; mais la partie supérieure est différente.

Mais il faut reconnoître que cette partie supérieure n’a pu être, dans la statue, telle qu’on la voit sur les pierres gravées & sur les médailles. Quoiqu’on ne puisse pénétrer la raison de ce changement, il est certain que Praxitele n’a pu composer ainsi le haut de sa statue. Un bras étendu, tenant une draperie légére au-dessus d’une cassolette, auroit produit dans la sculpture de ronde-bosse une maigreur & un défaut de solidité que le grand artiste auroit été loin de se permettre. Or puisque les pierres gravées & les médailles ne nous donnent pas une représentation fidèle de la partie supérieure de ce chef-d’œuvre si célèbre dans l’antiquité, nous pouvons croire que cette représentation nous a été à peu-près conservée dans la statue qu’on nomme de Médicis & dans celles qui ont la même attitude.

La Vénus de Médicis est-elle de la main de Praxitele, ou seulement une copie ; l’art a t-il fait des progrès depuis Praxitele jusqu’au temps où vivoit le copiste, & la copie est-elle plus belle que n’étoit l’original ; l’art au contraire avoit-il dégénéré, & la Vénus de Médicis, malgré toutes ses beautés, ne nous donne t-elle qu’une foible idée de la perfection que Praxitele avoit imprimé à sa statue de Cnide ? Toutes questions qu’il seroit téméraire de vouloir résoudre. La Vénus de Médicis est un des plus beaux ouvrages qui nous restent des anciens : y eût-il un temps où ils produisirent des ouvrages encore plus parfaits, c’est ce que nous ne pouvons savoir. Mais ce dont il faut être averti, c’est que toutes les parties de cette figure ne sont pas antiques : le bras droit a éte restauré depuis l’épaule, & le bras gauche depuis le coude ; les jambes ont été brisées, & sont composées aujourd’hui de parties antiques & modernes.

Il nous reste à parcourir d’après M. Heyne, différentes manières dont les anciens ont représenté Vénus. Ceux qui desireront de plus grands détails pourront lire son mémoire dans le Recueil de pièces intéressantes concernant les antiquités, les arts, &c. On peut aussi consulter le savant mémoire de M. Larcher, & celui de M. l’Abbé de la Chau.

Vénus anadyomene ou sortant des eaux, tableau d’Apelles. Elle essuyoit ses cheveux de ses deux mains. Ce n’étoit qu’une figure à micorps. Il se peut, comme le conjecture M. Heyne, qu’un bas-relief de Rome, qui se


trouve dans l’admiranda, soit, pour la figure de Vénus seulement, une copie du tableau d’Apelles, faite par un sculpteur sans talent. La déesse est assise sur une coquille portée par deux tritons ; un amour lui présente un miroir.

Sur une médaille de la colonie de Corinthe, frappée en l’honneur d’Agrippine, la déesse s’essuie les cheveux d’une seule main.

C’est une Vénus sortant du bain, & non une Vénus anadyomene, que celle qui se voit tantôt à demi drappée, tantôt entièrement couverte, essuyant ses cheveux d’une seule main, & tenant quelque fois un miroir.

Il faut distinguer plusieurs sortes de Vénus victorieuses.

1º. On entend quelquefois par Vénus Victrix, cette déesse victorieuse de Junon & de Pallas qui lui disputèrent le prix de la beauté. Vénus obtint la préférence : elle tient la pomme que lui donna Pâris.

2º D’autres fois, on entend par Vénus victrix cette déesse victorieuse de Mars. Elle a désarmé le dieu de la guerre, & s’est elle-même revêtue de ses armes ; on la voit alors coëffée du casque, tenant en main la lance, & portant quelquefois le bouclier.

3º. Vénus victrix indique encore cette déesse procurant la victoire aux Césars, & devenue victorieuse par leurs mains. Elle est debout entre des enseignes légionaires. Elle porte le pied sur la proue d’une galère, & tient une victoire et une branche de palmier ou d’olivier.

4º Enfin quand Vénus est considérée comme ayant mis fin à la guerre civile, en donnant la victoire à Jules-César, elle tient un caducée.

M. Heyne croit que le surnom de victrix n’a été donné à Vénus que par les Romains : ce qui n’empêche pas que les Grecs n’aient eu des Vénus armées. Les plus anciens monumens la représentent avec le casque & le bouclier. C’est cette Vénus qui recevoit le culte des Spartiates.

Winckelmann parle d’une Vénus qu’il appelle victorieuse & dont on voir une statue antique à Caserte, dans le palais des Rois de Naples. Elle porte un diadême, & son pied gauche est posé sur un casque. Si ce monument est romain, ou fait par des Grecs pour les Romains, ce pourroit être une Vénus génitrix.

Jules-César qui avoit l’orgueil de faire remonter son origine aux amours de Vénus & d’Anchise, regardoit cette déesse comme sa mère, & lui dédia un temple sous le nom de Venus génitrix. On voit la déesse, sous cette dénomination, armée de la lance & du bouclier. Les médailles de César représentent ordinairement Vénus génitrix vêtue d’une draperie trainante ou relevée, le sein gauche découvert & un diadême sur la téte. Quelquefois elle tient une lance d’une main & de l’autre une victoire. Cette variation dans les attributs permet de rapporter à la déesse mère de César la statue dont parle Winckelmann.

La dénomination de Vénus Uranie ou céleste est très ancienne : on la disoit fille de Jupiter & d’Harmonie. Elle indiqua d’abord la force productive de la nature, ou la nature elle-même. Le temple de cette déesse à Athenes étoit un des plus anciens de cette ville. A Cythere sa statue étoit armée. Les plus anciens monumens de cette déesse connus de M. Heyne, sont les médailles de Julie Sœmie, mère d’Héliogabale. Elle y est représentée drapée & armée de la lance : elle tient de la main droite un globe, quelquefois avec une étoile ou le soleil. Auprès d’elle est l’amour.


Winckelmann reconnoît pour des Venus-Uranies, des statues de femmes ceintes du diadême, & il ne les distingue de Junon que par la forme des yeux plus alongés & moins ouverts.

Les anciens ont connu une Vénus Callipyge, que les François désignent par le nom trivial. de Venus aux belles fesses ; ce qui est une traduction fidèlle, mais grossière, du mot Grec. Deux filles de Syracuse, toutes deux sœurs, ayant obtenu un riche établissement par le même genre de beauté qui a fait donner ce surnom à la déesse, lui érigèrent un temple. On connoit en France, par un assez grand nombre de moules & de copies, la Vénus Callipyge du Palais Farnese. C’est tout au plus une antique du second rang. La figure est ronde & pesante, le linge de la draperie manque de légèreté, & les plis en sont secs & parallèles. La tête est moderne. (Article de M. Levesque.)


  1. (1) Iliade, liv. 18, traduct. de Me. Dacier.
  2. Eglise St. Paul, à Paris.