Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Ame

Panckoucke (1p. 20-21).
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AME, (subst. fém.) Ce terme de la langue générale est employé dans le langage de l’art au figuré, & d’une maniere qui lui est particuliere, lorsqu’on dit : « Ce Peintre a donné bien de l’ame à ses figures. » Cette façon de parler a une relation sensible avec la partie de l’expression.

Une figure qui a du mouvement ou de l’action peut bien autoriser à dire qu’elle a de l’ame ; mais on doit sentir que c’est principalement à celles qui montrent une grande expression sentimentale que cette maniere de parler est plus justement adaptée.

J’observerai aussi qu’on l’emploie principalement en parlant des figures dont l’expression dérive d’un sentiment louable, & non d’une passion odieuse, sans doute parce que l’ame a des droits plus avoués & plus intéressans, lorsqu’elle se manifeste par des affections qui honorent les êtres doués d’intelligence & de raison, que par celles qui appartiennent aux animaux comme aux hommes. On ne dira pas d’un homme colère, inhumain, barbare, qu’il a de l’ame, qu’il a beaucoup d’ame. Ces expressions se prennent donc en général favorablement. Pour en détourner le sens & le rendre défavorable, il faut y joindre des épithètes. Et lorsque l’on dit : « Quelle ame cet homme a montrée dans telle circonstance ! On a une idée de sensibilité, de genérosité & de vertu, relative à celui dont on parle. » Cet article ne doit pas être fort étendu, parce que le mot expression & les termes qui y ont rapport fournissent plus naturellement les explications que celui-ci pourroit amener. Les manieres d’employer le mot ame, qui sont adoptées à la peinture, se réduisent à peu près à celles-ci : « Cette figure a de l’ame, a bien de l’ame. Quelle ame cet Artiste donne à ses ouvrages ! Cette figure n’a point d’ame. »

Jeunes Artistes, si vous avez de l’ame, vos figures, vos têtes, vos ouvrages, tous ces enfans de votre talent en auront. Heureux avantages que vous aurez sur les peres ! Car on ne voit que trop souvent des hommes pleins d’ame produire des enfans qui n’en ont point.

Gardez-vous bien de ne pas donner de l’ame aux personnages que crée votre pinceau ; car si vos figures sont froides & insignifiantes, il est à craindre qu’on en tire des conséquences peu favorables pour vous. Mais si vous avez l’ame belle, noble, élevée, sensible, énergique, & si vous communiquez ces qualités aux productions de votre talent, elles diront à la postérité que vous les possédiez ; & si la nature vous donnoit de véritables enfans, stupides & peu favorisés, vos tableaux seront attribuer cette dissemblance au hasard.

Lorsqu’un homme est doué d’une ame vertueuse & distinguée, une maniere certaine & permise de se louer lui-même, c’est d’écrire, de composer, de peindre d’après les sentimens dont il est rempli. Lorsqu’ils sont bien vrais, il est difficile & rare que ses ouvrages ne deviennent pas son éloge.

Rappellez-vous l’idée morale, relative à l’Artiste, que donnent & que transmettent de siècle en siècle les tableaux de Raphaël, des Carrache, de Rubens, du Poussin, les poëmes de Corneille ; le Télémaque de Fénelon ; & aspirez à imprimer aussi à vos productions un caractere qui passera avantageusement pour vous dans l’ame de ceux qui les verront, & qui attachera le souvenir de vos vertus à celui de vos ouvrages.

Peut-être si les Artistes, ceux particulierement qui se consacrent à l’Histoire, étoient bien convaincus des vérités que je viens d’énoncer, peut-être feroient-ils, avant de poursuivre leur carriere, un examen intérieur qui souvent les embarrasseroit.

Mais vous vous dévouez, jeunes Artistes, ou l’on vous dévoue au talent bien avant que vous connoissiez les difficultés & les conséquences de cet engagement. Au reste, rassurez-vous, car parmi ceux qui paroissent aujourd’hui mettre un grand intérêt à vos ouvrages, il en est peu qui s’occupent d’apprécier moralement le Peintre, d’après ses productions.

Pour prendre le parti le plus sage, si vous vous appercevez que vous n’êtes pas doué de cette vie morale qui exprime le terme d’ame dans les sens que je viens de lui donner, peignez des objets inanimés, des animaux morts, des meubles, des tapis, des vases, des perspectives. Quant aux animaux vivans, aux fleurs, aux arbres, aux paysages, songez que si ces objets n’exigent pas une communication marquée de votre ame, ils exigent au moins des émanations de votre esprit. On peut avancer même, à l’égard des animaux, qu’ils exigent plus ; car ces êtres aiment, haïssent : ils sont attachés, reconnoissans, & si vous voulez les peindre tels qu’Esope, Phèdre, La Fontaine, & l’illustre émule qui de nos jours l’approche de plus près[1] nous les offrent, vous serez obligés de leur donner du sentiment avec l’esprit le plus fin.

Je ne veux pas oublier de vous dire encore qu’on n’a point de l’ame en peinture & dans les autres arts, en se commandant d’en avoir. A cet égard, les efforts des artistes ne produisent ordinairement qu’une chaleur de tête souvent stérile.

L’animation des objets pittoresques, (si l’on doit employer cette manière de s’exprimer) s’opère par un souffle du génie, & la toile qui le reçoit n’est jamais stérile.

  1. * M. le D. de N.