Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Amour

Panckoucke (1p. 21-22).
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AMOUR, (subst. masc.) Peindre avec amour, une tête peinte avec amour. On joint aussi ce mot au mot dessiner, en disant : une figure, une tête dessinée avec amour.

Lorsque ce terme, si connu dans la langue générale, est employé dans le langage de la peinture, comme je viens de le présenter, il est senti de la plûpart des artistes ; mais il est difficile de l’expliquer à ceux qui ne le sont pas. Je vais cependant l’essayer.

Un sentiment, mêlé de desir & de satisfaction, relatifs à son art, échauffe-t-il l’ame de l’artiste qui dessine ou qui peint ? Il est dans la situation heureuse qu’on a voulu désigner dans le langage de la peinture par le mot amour. Il destine, il peint avec amour. L’effet de cette situation est de travailler avec un intérêt, une facilité & une grace qui semblent inspirés au peintre, & qui restent attachés à son ouvrage. On s’apperçoit, à l’aisance du crayon ou du pinceau, au caractère libre de la touche, à l’amabilité du coloris, que l’Artiste, entraîné par l’amour de son art, & inspiré voluptueusement par les beautés de la nature, n’a été arrêté par aucune difficulté du méchanisme, par aucune incertitude d’intention ; on sent que son ame jouissoit à la fois des charmes que lui présentoit son modèle, des moyens qu’il se sentoit avoir pour les saisir, & par avance, du succès de son entreprise. On ne peut disconvenir que ces différentes idées réunies n’ayent des rapports assez sensibles avec quelques-unes des voluptés de l’amour.

Telles sont quelquefois les sensations & les pensées dont on est si doucement affecté dans les jours de printemps, lorsqu’une certaine température, qui convient à notre constitution, s’accorde avec nos besoins & anime nos desirs ; inspire même aux gens de la campagne ces expressions naïves : que l’air est amoureux, que la terre est en amour.

Pour revenir à l’artiste, il dessine & peint donc avec amour, lorsqu’en travaillant il jouit & il imprime alors à ses ouvrages un caractère interressant & aimable, qui passe dans l’ame de ceux qui les observent ; effet merveilleux de cette correspondance que l’ame entretient sans cesse avec les organes du corps & avec les autres ames, au moyen des ouvrages artiels auxquels elle a présidé.

On doit sentir que peindre avec amour n’est pas précisément ce qu’on appelle peindre avec enthousiasme. Ce dernier sentiment plus exalté est un transport, l’autre une affection plus douce : l’un ressemble aux inspirations du trépied sacré, l’autre à celles que donne la pensée de s’approcher d’un objet qu’on aime. Aussi, l’on applique plus ordinairement le terme dont il s’agit dans cet article à des figures ou à des têtes de jeunes femmes, de jeunes hommes, d’enfans, & en général à des objets & à des expressions aimables qui ont rapport à la satisfaction, au plaisir, & à une sorte de volupté.

On pourroit désigner par les mêmes termes ces vers heureux, ces vers inspirés qui paroissent n’avoir coûté que le soin de les tracer. Chaulieul, La Fontaine, Voltaire, ont souvent écrit ou poëtisé (car on devroit, je crois, parler ainsi) avec amour, comme le Guide & le Corrège ont peint certaines figures ou certaines têtes. La prose de Fénelon semble s’être répandue, pour ainsi dire, sur son papier avec cette sensibilité si douce que le mot amour rappelle, & que quelque chose de bien semblable à l’amour, lui inspiroit peut-être sans qu’il le sût.

Il est des idées qu’on ne peut faire comprendre que par de simples indications. Ce sont des fleurs qu’on ne peut toucher long-temps sans les flétrir. De même le soin qu’on prendroit à analyser certains sentimens, altère l’idée qu’on s’efforce d’en donner. Souvent un mot remplit l’intention ; car il est un langage que les idiomes les plus riches ne peuvent traduire : c’est celui des ames sensible. Elles créent souvent des expressions ou employent des tours & des constructions qui expriment ce qu’on ne pourroit rendre par les moyens ordinaires. C’est ainsi que se forment & que s’établissent plusieurs mots & plusieurs acceptions qui ne conviennent qu’au sentiment & aux Arts libéraux. Le hasard semble les produire ; elles sont entendues & adoptées avec reconnoissance par ceux qui éprouvent des impressions semblables à celles qui les ont fait naître ; elles restent enfin consacrées dans la langue, & telle est vraisemblablement l’origine de la maniere de s’exprimer qui fait le sujet de cet article.

Je me permettrai de le terminer par quelques maximes qui regardent principalement les jeunes artistes.

Si vous peignez avec amour, on regardera vos ouvrages avec volupté. Oubliez donc qu’un tableau vous est commandé, & croyez, quand ce ne seroit qu’une illusion, que votre desir seul vous l’a fait entreprendre. Si vous dites, en prenant votre palette : « Il faut que je peigne, » vous ne peindrez pas avec amour. L’amant ne dit jamais : « il faut que j’aille voir ma maîtresse. » Le bel Art de la Peinture demanderoit une entiere indépendance ; elle ne peut exister dans nos sociétés. Il faut donc que le charme de la nature & le penchant irrésistible pour l’Art s’emparent tellement de l’ame du Peintre, qu’ils lui cachent ce qu’il y a d’asservissant dans son état. Il faut qu’il voie, par-dessus tout, les beautés des objets qu’il imite, qu’il sente habituellement le desir de les faire passer dans ses ouvrages ; qu’il se prête même à jouir par anticipation du plaisir d’atteindre il son but. Lorsque, rempli de ces dispositions, vous vous occupez, en vous couchant, de la satisfaction que vous aurez, dès qu’il fera jour, à reprendre vos pinceaux, vous peindrez avec amour. Si vous êtes au comble de la joie d’avoir trouvé un beau modèle, de voir naître un beau jour, de rencontrer un beau paysage ; si vous oubliez les heures, si vous vous affligez que le jour finisse, vous sentez assurément l’amour de votre art, vous êtes heureux, & croyez que vous le seriez souvent bien moins complettement, par cet amour que l’oisiveté rend tyraniquement impérieux ; car vos plaisirs plus durables, sont accompagnés de moins de troubles, sujets à moins de revers, & suivis de moins de regrets.

Il faut plaindre les Artistes qui regardent leurs occupations comme une tâche, comme un asservissement, & qui, lorsqu’ils cessent de peindre, disent en soupirant : « Ah ! je vais donc me reposer & ne rien faire. »