Texte établi par Inst. des Sourds Muets,  (p. 68-71).

ARTS ET COMMERCE.

Les Algonquins vivant dans le voisinage des demi-civilisés réalisent quelques progrès qui ne sont pas toujours des imitations. Par exemple, tandis que les plus grands chefs ne commandent qu’aux bonnes volontés, celui des Miamis, espèce de souverain, s’entoure de gardes et dicte des lois[1]. Par son autorité et son ingénieuse initiative, l’Outaouais Pontiac reste sans égal parmi les Indiens.

D’ordinaire ils imitent, mais dépassent quelquefois leurs modèles. Les Outaouais primitivement lâches et grossiers, deviennent, en imitant les Hurons, un nation intelligente et des plus redoutable.[2]

Les Mantouechs passent pour « les plus grands guerriers de toute l’Amérique Septentrionale »[3]. Les Kichésipirinis de l’île des Allumettes s’ingénient de prélever des droits de péage sur ceux qui passent par la rivière des Outaouais et réclament ainsi un privilège de peuple sédentaire, sans cesser d’être chasseurs vagabonds si ce n’est pendant la saison des voyages.

Les plus méridionaux apprennent, des Confédérés et des Hurons, à cultiver la terre et à fortifier leurs villages. Quant à leurs autres industries, les Algonquins les tiennent de leurs ancêtres. Ils savent tisser des sacs et des nattes avec de l’écorce, et des couvertes avec des lanières en peau de lièvre. Tous pratiquent la pictographie, savent extraire de la terre et de certaines plantes, des couleurs brillantes et solides, et possèdent le secret de fabriquer des terrines à l’épreuve du feu.

Le canot d’écorce de bouleau semble bien être de leur invention, puisqu’on ne le trouve guère en dehors des régions qu’ils habitent[4]. Ainsi en est-il peut-être du calumet de paix, en usage chez leurs tribus de l’ouest, et qui, selon les Pères Marquette et Lafitau, donnent à ceux qui le portent l’assurance qu’on ne violera pas avec eux le droit des gens.

Enfin l’Algonquin a plus de goût que l’Iroquois. Cela paraît déjà dans sa tente conique, en cuir ou en écorce, qu’il orne de dessins symboliques ; et dans sa nacelle de bouleau que Lafitau appelle le chef d’œuvre de l’art sauvage. Il sait en varier la forme selon les exigences locales : les Abénaquis la font plus plate pour voguer sur leurs petites rivières ; les Outaouais et les Sauteux, pour mieux fendre les vagues des Grands Lacs, la munissent de pinces fort élevées qu’ils ornent de peinturlures.

Le peuple de l’île des Allumettes est « le mieux couvert, le mieux matachié et le plus joliment paré de tous ». Ses femmes et ses filles, les plus fines brodeuses du pays, s’ajustent « comme des nymphes » et dansent « comme des comédiennes ».[5]

Le bon goût de la race algique se révèle jusque dans le choix des lieux dont elle a fait les centres de sa vie nationale et qui sont, entre autres, Le Bic, Saguenay, le Sault Ste-Marie, l’île Manitouline, Michillimakinac, le voisinage des Rochers-Peints, le lac Nipigon, le lac des Bois qu’ils habitent encore, en un mot, tous les sites les plus enchanteurs du Canada.

Bien avant l’arrivée des Français au Canada, les Algonquins témoignent de leur goût pour les échanges commerciaux.

Une belle nappe d’eau sommeille sur les hauteurs des Laurentides, au milieu des sables et des rochers : celle du lac Nékouba. Autour du plateau stérile dont elle occupe le centre, naissent les plus grands affluents nord du Saint-Laurent et quelques tributaires de la baie d’Hudson. Sur ses bords se tient encore, au temps de la découverte, le grand marché des Algonquins. À époques fixées, ils y montent de toutes les directions, pour faire leurs échanges.

Ceux du nord y arrivent avec des peaux de phoques, des dents de morses, des fourrures blanches et les longues cornes deux fois recourbées des buffles musqués. Ceux du Saint-Laurent et des Grands Lacs leur apportent en retour, du tabac, le maïs qu’ils obtiennent des Hurons, certaines plantes médecinales dont les plages glacées sont dépourvues, et tout particulièrement, ces jolis coquillages bleus, violets, blancs et roses, des mers du sud, que les Andastes recueillent et qu’ils excellent à tailler en polyèdres.

Toutes les tribus achètent de cette porcelaine, pour en faire des colliers, des registres et des gages de traités, pour en fabriquer des matachias, en orner des nâganes ou s’en servir en guise de monnaie.

Aussi, dès l’arrivée des Français, les Nipissings qui habitent l’Outaouais supérieur et les bords du lac qui porte leur nom, sont-ils les premiers à se faire commerçants. Avec les Français ils échangent leurs pelleteries pour du fer, du vermillon, des couteaux, des haches, des alênes, des chaudières et autres marchandises dont ils fournissent à leur tour les nations situées plus loin. Habiles à profiter de tout, ils prient même les tribus voisines de descendre avec eux chez les Français, pourvu toutefois qu’elles leur payent des droits de péage en passant sur leurs terres.[6] Ils se créent ainsi une source considérable et peu coûteuse de revenu, car bientôt, toutes les tribus voisines des Hurons se mettent à trafiquer[7], et l’Outaouais prend le nom de Mahamoucébé qui veut dire Rivière-du-Commerce.

  1. De la Potherie : « Hist. de l’Amer. Sep. », p. 110.
  2. De la Potherie : « Hist. de l’Amer. Sep. », t. II, p. 66.
  3. De la Potherie ; « Hist. de l’Amér. Sep. », t. II, 81.
  4. De la Potherie : « Hist. de l’Amer. Sep. », t. II, p. 50. Il attribue cette invention aux Nipissings.
  5. Sagarel : « Hist. du Can. », p. 814
  6. De la Potherie : t. II, c. VII.
  7. Sagard : « Hist. du Can. », p. 396.