Alphonse Lemerre, éditeur (p. 119-120).

GUIGNOL


À la petite Cécile.


Oh ! le joli public ! Nounous en clairs rubans,
Fillettes et babys, bien graves sur les bancs,
Dont le cerveau naïf et surpris cherche, rêve,
Quand le petit rideau du théâtre se lève
Sur un décor peint en image d’Épinal.
Un méchant violon italien, banal,
Fait inconsciemment une horrible musique.
La pièce est un effet de lanterne magique
Dans sa succession de tableaux imprévus.

— Le commissaire ému des coups qu’il a reçus
Du garnement Bibi ; deux comiques gendarmes
Accourent et Bibi les tue avec leurs armes. —
Les gentils spectateurs sont tous de son avis
Et l’acclament gaiement, transportés et ravis.
— Il a mis en civet le chat de la portière
Et rempli de mauvais poivre sa tabatière. —
La tête de Bibi mal taillée au couteau,
Par son expression indécise, tantôt
Semble éclater de rire ou crever de tristesse.
En le regardant les poupards clignent des yeux
Comme si le soleil remuait devant eux.
Il n’agit pas avec grâce ni politesse,
Mais il parle crûment, d’un air si bon garçon,
Qu’on oublie un instant son rude sans-façon.
— Or à la fin Bibi se repent et pleurniche ;
Il ne fera jamais plus une seule niche
Au commissaire, à la portière ; il ne tûra
Ni gendarmes, ni chats, ni chiens et cœtera…
Et sera pour son père un bâton de vieillesse. —
C’est la moralité touchante de la pièce.