Alphonse Lemerre, éditeur (p. 115-118).

AU CIRQUE


À Mlle C. Vilmin.


Dans l’arène, au milieu, le beau Monsieur Loyal
Claque sa chambrière et donne le signal.
Alors, tout frémissant et secouant la tête,
Agitant la crinière en hennissant très fort,
Arrive le cheval qui, brusquement s’arrête
Devant lui, comme mû par un brusque ressort,
Et fait à volonté le vivant ou le mort.

Ensuite, en jupe courte, enfonçant dans le sable,
L’écuyère sautille et d’un sourire aimable
Adresse aux spectateurs vingt baisers des deux bras.


On l’asseoit vivement sur la bête qui rue.
Gracieuse, nerveuse et sans grand embarras,
Elle l’agace avec ses petits cris : « Hop ! hue !
« Allons ! All right ! » qui font rire de haut en bas
Le public amoureux de la gentille fille.

L’orchestre joue un air entraînant de quadrille,
Le cheval emballé va circulairement
En ce plein océan de têtes allumées.

Puis un bout de repos ; des clowns viennent gaîment
En grotesques maillots, en robes imprimées
De lunes, de soleils et d’étoiles, fardés
D’une farine épaisse et de rictus énormes,
Avec des cheveux verts et des yeux tout bridés,
Laissant croire parfois qu’ils ne sont pas des hommes.

Le plus drôle d’entre eux, d’une amoureuse voix,
Surprend à l’écuyère un baiser sur les doigts.
Elle est habituée à son discours frivole
Et le repousse, mais le bon clown se console
En culbutant des gens, en prenant des airs sots.

L’orchestre a redoublé de vigueur, et le brave
Monsieur Loyal, toujours luisant et toujours grave,
Commande aux employés de tenir les cerceaux.


Sur la selle carrée et large de la bête,
L’écuyère, debout, peut sauter et danser.
Vite un coup de galop furieux, et la tête
La première, affolée, elle va traverser
Ces ronds de papier peint comme on crève un nuage.

Elle en sort les cheveux révoltés, le visage
Rayonnant, ses jupons un peu désempesés
Semblent une tulipe aux pétales brisés.

Ces femmes, ces chevaux, ces clowns : une féerie

Ayant des odeurs d’écurie.