Dumas, Histoire de mes bêtes/Chapitre 26

Histoire de mes bêtes
Calmann-Lévy (p. 161-166).

XXVI
INFÂME CONDUITE DE POTICH, DU DERNIER DES LAIDMANOIR, DE MADEMOISELLE DESGARCINS ET DE MYSOUFF II

Pardon de la digression, mais nous arrivons enlin à Mysouff II.

Un matin que, après avoir travaillé jusqu’à trois heures, j’étais encore dans mon lit à huit, j’entendis ma poule s’ouvrir doucement.

J’ai déjà dit que, si doucement que s’ouvre ma porte et si profondément que je dorme, je me réveille immanquablement à la seconde même où ma porte s’ouvre.

J’ouvris donc les yeux avant même que la porte fût ouverte, et, comme il faisait grand jour, à travers l’entre-bâillement de la porte, je reconnus la tête de Michel.

Michel était visiblement bouleversé.

— Eh bien, monsieur, dit-il, en voilà un malheur !

— Qu’y a-t-il donc, Michel ?

— Il y a que ces canailles de singes, je ne sais pas comment ils s’y sont pris, mais ils ont détortillé une maille, puis deux. puis trois, enfin ils ont fait un trou assez grand pour sortir et ils se sont sauvés.

— Eh bien, mais, Michel, le cas était prévu. Il n’y a qu’à prendre trois bouteilles et acheter du blé de Turquie.

— Ah ! oui, fit Michel, monsieur rit, mais il ne rira pas tout à l’heure.

— Mais, mon Dieu, Michel, qu’est-il donc arrivé ?

— Il est arrivé, monsieur, qu’ils ont ouvert la volière…

— Et que les oiseaux sont envolés ? Tant pis pour nous. Michel, mais tant mieux pour eux.

— Il y a, monsieur, que vos six paires de colombes, vos quatorze cailles, et tous vos petits oiseaux, bengalis, sous-coupés, calfats, damiers, becs-de-corail, cardinaux et veuves, tout est mangé.

— Oh ! Michel, les singes ne peuvent pas avoir mangé les oiseaux.

— Non ; mais ils ont été chercher un monsieur qui les a mangés, lui : — M. Mysouff.

— Ah ! diable ! il faut voir cela.

— Oui, c’est joli a voir, allez, un vrai champ de bataille !

Je sautai à bas de mon lit, je passai mon pantalon à pieds, et m’apprêtai à sortir.

— Attendez, dit Michel, et voyons un peu où ils sont, les brigands.

Je m’approchai de la fenêtre qui donnait sur le jardin et je regardai.

Potich se balançait gracieusement, suspendu par la queue aux branches d’un érable.

Mademoiselle Desgarcins était encore dans la volière, et bondissait joyeusement de l’est à l’ouest et du sud au septentrion.

Quant au dernier des Laidmanoir, il faisait de la gymnastique sur la porte de la serre.

— Eh bien. Michel, il s’agit de rattraper tout cela. Je me charge du dernier des Laidmanoir, chargez-vous de mademoiselle Desgarcins. Quant au petit Potich, quand il n’y aura plus que lui, il viendra tout seul.

— Oh ! que monsieur ne s’y fie pas : c’est un hypocrite. Il est raccommodé avec l’autre.

— Comment ! avec l’amant de mademoiselle Desgarcins ?

— Oui. oui, oui !

— Oh ! voilà qui m’attriste pour la race simiane ; je croyais que ces choses-là ne se faisaient que chez les hommes.

— Il ne faut pas regarder ces gaillards-là comme des singes, dit Michel, ils ont fréquenté la société.

— Des Auvergnats. Michel.

— Mais monsieur n’a donc pas lu un procès en adultère qu’il y a eu dernièrement entre un Auvergnat et une Auvergnate ?

— Non.

— Eh bien, monsieur, exactement dans la même situation. Le mari a dissimulé, il a fait semblant de partir pour l’Auvergne ; la même nuit, il est revenu, et, ma foi, pincée l’Auvergnate !

— Que voulez-vous. Michel ! et quand on pense que ce sont nos pièces et nos romans, à Hugo et à moi, qui sont cause de tout cela. Enfin, il adviendra ce qu’il pourra de nos singes, mais il faut d’abord les rattraper.

— Monsieur est dans le vrai.

— Allons donc, Michel.

Et nous allâmes.

Il y avait certaines précautions à prendre pour arriver jusqu’aux délinquants.

Ces précautions nous les primes, Michel et moi, en vrais chasseurs ; et, quand l’innocent Potich, qui paraissait placé en sentinelle par ses deux complices, donna le signal, il était trop tard. J’étais maître de la porte de la serre et Michel était maître de celle de la volière.

J’entrai dans la serre et je refermai la porte derrière moi.

Voyant la porte fermée, le dernier des Laidmanoir n’essaya pas même de fuir, mais se prépara à la défense.

Il s’accula dans un angle pour avoir ses flancs et ses derrières en sûreté et commença par agiter ses mâchoires d’une façon menaçante.

Je me croyais assez versé dans les trois grands arts de l’escrime, de la boxe et de la savate pour qu’un duel avec un singe capucin ne m’effrayât pas beaucoup.

Je marchai donc droit au dernier des Laidmanoir, qui, au fur et à mesure que je m’approchais, redoublait de démonstrations hostiles.

Potich était accouru du fond du jardin et se dandinait pour voir, à travers les vitres de la serre, ce qui allait se passer entre moi et le dernier des Laidmanoir, encourageant celui-ci par de petites modulations de gosier tout à fait particulières : tandis qu’à moi, son maître, il me faisait d’horribles grimaces et me crachait, autant que la chose lui était possible, au visage à travers les vitres.

Dans ce moment, la guenon poussa des cris féroces. Michel était la cause de ces cris : il venait de mettre la main dessus.

Ces cris exaspérèrent le dernier des Laidmanoir.

Il se ramassa sur lui-même et se détendit comme une arbalète.

Par un mouvement instinctif, je parai quarte.

Ma main rencontra le corps du singe en pleines côtes et l’envoya dessiner sa silhouette contre la muraille.

Le coup était si violent, que le dernier des Laidmanoir resta un instant pâmé.

Je profitai de cet instant pour l’empoigner par la peau du cou.

Le faciès, rouge et enflammé cinq minutes auparavant comme celui d’un membre du Caveau moderne, était devenu pâle comme le masque de Debureau.

— Tenez-vous mademoiselle Desgarcins ? demandai-je à Michel.

— Tenez-vous le dernier des Laidmanoir ? me demanda Michel à son tour.

— Oui.

— Oui.

— Bravo, alors !

Et nous sortîmes, tenant chacun notre prisonnier à la main, tandis que Potich s’enfuyait au plus haut du seul arbre qu’il y eût dans le jardin, en jetant des cris qui ne pouvaient se comparer qu’aux lamentations d’Électre.