Dumas, Histoire de mes bêtes/Chapitre 22

Histoire de mes bêtes
Calmann-Lévy (p. 135-140).

XXII

RENTRÉE D’ALEXIS


Vous avez déjà deviné ce que je fis, n’est-ce pas ?

J’allai trouver, au ministère de la guerre, mon bon et cher ami Charras ; je le priai d’appuyer ma demande auprès du colonel, à qui j’écrivis à l’instant même sur du papier du ministère, dans lequel j’introduisis un bon de cinquante francs destinés, partie à être bue à ma santé, partie à faciliter le voyage.

Puis j’attendis avec le calme du juste.

Six semaines après, je vis apparaître Alexis.

— Eh bien, lui dis-je, te voilà donc ?

— Oui, Monsieur.

— Décidé à rentrer à mon service pour la nourriture, le logement et l’habit ?

— Oui, Monsieur.

— Et tu ne me demanderas jamais un sou ?

— Non, Monsieur.

— Je te reprends à ces conditions.

— Ah ! je savais bien que monsieur me reprendrait, s’écria Alexis tout joyeux.

— Un instant, mon garçon ! ne te figure pas que je te reprends parce que tu me manques ; tu te tromperais énormément, Alexis.

— Je sais que monsieur me reprend par bonté, voilà tout.

— Bravo ! Qu’as-tu appris là-bas ?

— À faire de la cire à giberne, à astiquer les buffleteries et à tenir les fusils propres. Si monsieur veut me confier ses fusils, il verra.

— Je te confierai mieux que cela. Alexis : je te confierai ma personne.

— Comment ! je vais rentrer chez monsieur comme valet de chambre ?

— Oui. Alexis, attendu qu’il y a peut-être encore des valets de chambre ; mais je n’en ai plus, moi. Mets-toi à la recherche de ton ancienne livrée, et reprends ton service.

— Où peut-elle être, Monsieur, mon ancienne livrée ?

— Oh ! je n’en sais rien ; cherche, mon garçon, cherche. C’est comme l’adresse d’Allier, il n’y a que l’Évangile, toujours, qui puisse te donner de l’espoir là-dessus.

Alexis sortit pour se mettre a la recherche de son ancienne livrée.

Il rentra, la tenant à la main.

— Monsieur, dit-il, d’abord elle est mangée des vers, et puis je ne peux plus entrer dedans.

— Diable ! Alexis, que faire ?

— Est-ce que monsieur n’a pas toujours son même tailleur ? demanda Alexis.

— Non, il est mort, et je ne lui ai pas encore donné de successeur.

— Diable ! comme dit monsieur, que faire ?

— Va demander à mon fils l’adresse de son tailleur, et cherche dans ma garde-robe quelque chose à ta guise.

— Merci, Monsieur.

— En attendant, sers-moi en tourlourou, mon garçon. Seulement, débarrasse-toi de cette espèce de carquois en fer-blanc que tu portes sur l’épaule ou laisses-en sortir les flèches au moins, afin que l’on te prenne pour l’Amour.

— Ce ne sont point des flèches qu’il y a dedans, Monsieur : c’est mon congé.

— C’est bien, débarrasse-toi de ton congé.

Trois ou quatre jours après, je vis entrer une espèce de fashionable en pantalon vert-chou, à carreaux gris, avec une redingote noire, un gilet dépiqué blanc, une cravate de batiste.

Le tout était surmonté de la tête d’Alexis.

J’eus quelque peine à le reconnaître.

— Qu’est-ce que c’est que cela ? demandai-je.

— C’est moi, Monsieur.

— Mais tu es donc entretenu par une princesse russe ?

— Non, Monsieur.

— D’où te vient tout cela ?

— Dame, monsieur m’a dit : « Cherche dans ma garde-robe quelque chose à ta guise. »

— Et tu as cherché ?

— Oui, Monsieur.

— Et tu as trouvé ?

— Oui, Monsieur.

— Approche donc.

— Me voilà. Monsieur.

— Mais, Dieu me pardonne, c’est mon pantalon neuf, Alexis.

— Oui, Monsieur.

— Mais, le diable m’emporte, c’est ma redingote neuve, Alexis !

— Oui, Monsieur.

— Ah çà ! mais tu as donc le diable au corps ?

— Pourquoi cela, Monsieur ?

— Comment ! tu me prends tout ce que j’ai de mieux ? Eh bien, mais… et moi ?

— Dame, j’ai pensé que, comme monsieur travaille du matin jusqu’au soir…

— Oui.

— Que, comme monsieur ne sort jamais…

— Non.

— Il ne tiendrait pas à être bien mis.

— Voyez-vous !

— Tandis que moi, qui cours la ville…

— Bon !

— Qui fais toutes ses commissions…

— Après ?

— Qui vais chez les femmes…

— Faquin !

— Monsieur tiendrait à ce que je fusse bien mis.

— Un imparfait du subjonctif, il ne te manquait plus que cela !

— Mettez-lui vos croix tout de suite, Monsieur, dit Michel en entrant ; ça fait qu’on le prendra pour le fils de Sa Majesté Faustin Ier, et tout sera dit.

— Et, en attendant, je n’ai plus de pantalon ni de redingote, moi.

— Si fait, Monsieur, dit Alexis, vous avez les vieux.

Alexis avait raison.

Il y a tant de gens en ce monde qui m’ont pris mes hardes neuves et qui ne m’ont pas même laissé les vieilles !